Présents : Claude
Millet, Jean-Claude Fizaine, Jean-Marc Hovasse, Franck Laurent, Caroline Julliot,
Hiroko Kazumori, Arnaud Laster, Loïc Le Dauphin, Bernard Le Drezen, Claire
Montanari, Yvette Parent, Marie Perrin, Vincent Wallez, Choï Young, Yingxuan
Zhang, Mireille Gamel, Françoise Chenet, Sylvain Ledda, Stephane Arthur,
Olivier Decroix.
Claude Millet signale la tenue d'une exposition à la maison Victor Hugo, Place des Vosges. Intitulée "Collections de la Maison de Victor Hugo, dix ans d'acquisitions (1996-2006) ", cette exposition temporaire qui vaut le déplacement se tiendra du 25/04/07 au 5/08/07.
Claude Millet rappelle également qu'elle organise le 4 mai une journée d'étude consacrée aux usages idéologiques de l'anti-romantisme.
Arnaud Laster annonce que Les Amis de Victor Hugo organisent une table ronde sur les dramaturgies de Musset et Hugo le 11 mai (18h, Censier, salle 210). Florence Naugrette et Sylvain Ledda devraient y participer.
Jean-Marc Hovasse présente les actes d'un colloque sur Alexandre Dumas et Victor Hugo (contributions en espagnol et en français): Alexandre Dumas y Victor Hugo, Viage de los textos y textos del viaje, El Fil d'Ariadna Literatura, Lleida, 2006.
Claude Millet a lu la belle préface à Napoléon le Petit de Jean-Marc Hovasse, ainsi que les notes de Guy Rosa, et en souligne la qualité
(Actes Sud).
FRANCK LAURENT : Il est très intéressant
de faire ainsi apparaître une tradition importante de représentation
de François Ier autour de 1830. Je voudrais parler pour ma part non pas
de François Ier mais de l'interdiction du Roi s'amuse. Le contexte de
1832 a été rappelé brièvement, et c'est là
que se joue l'enjeu de cette interdiction qui fait résonner tous les
ordres à la fois. Le régime sort d'un moment où il ne sait
pas s'il va tout simplement pouvoir durer. L'opposition est à la fois
républicaine et monarchiste (la duchesse de Berry). L'alternative entre
le mouvement et la résistance n'est pas réglée. Et quand
Hugo fait représenter son drame, le ministère Périer vient
d'être constitué, et son programme est simple : reprise en main
de l'espace public. Cela marche en partie. Mais ces trublions de Parisiens continuent
! Et que faire d'une Première à la Comédie française,
avec la présence d'ambassadeurs, et des chevelus qui chantent la Marseillaise
? Cela n'est tout simplement pas acceptable, et il faut le montrer.
Il y aussi la volonté de dire aux artistes : même si vous vous
appelez Victor Hugo, vous n'êtes pas à l'abri.
Tout cela est très politique : ce ne sont pas seulement des bourgeois
choqués dans leur goût esthétique : tout résonne
ensemble. D'un point de vue idéologique, quelle est l'ambition de la
Monarchie de Juillet ? L'éclectisme national. La Monarchie de Juillet
doit apparaître comme le seul représentant possible de l'unité
nationale pour pouvoir durer, et cela passe par la création d'une légende
: il faut donc trouver des bons rois, récupérer quelques bons
rois. Et François Ier, c'est l'idéal! Tout le monde est a priori
d'accord (pour les légitimistes, il est un chevalier, pour les orléanistes,
un civilisateur, pour un Thiers, le symbole de la patrie avec l'édit
de Villers-Cotterêts
). Et voilà que quelqu'un massacre cette
figure.
Il faut noter qu'il n'y a pas de grands hommes historiques politiques français
dans le théâtre de Hugo, mais des étrangers dont le rôle
historique majeur est en plus dirigé contre la monarchie française
(cf. Charles-Quint ou Barberousse). Hugo ne joue pas le jeu.
SYLVAIN LEDDA : c'est le problème de Louis XI : il est souvent vu comme un tyran mais qui fait l'unification de la France.
FRANCK LAURENT : et Hugo répond avec Notre-Dame de Paris, il reprend le scénario en passe de devenir officiel pour l'invalider par le récit.
YVETTE PARENT : Tout le XIXe siècle politique a été axé sur la réflexion entre le libéralisme et le problème de la souveraineté. Or le libéralisme fait problème dans la mesure où il signe un retour à l'individu, et on retombe sur la notion de propriété. Mais Hugo n'a jamais été vraiment libéral, il est surtout intéressé par le problème de la souveraineté.Cela explique qu'il dévalorise les rois français car le libéralisme amène à créer des héros. Mais que mettre à la place des rois ?
SYLVAIN LEDDA : Nous avons besoin de la chose République et du mot monarchie, dit Hugo.
CLAUDE MILLET : Il faudrait davantage creuser la dimension généalogique
du XVIe siècle. n'apparaît pas suffisamment dans votre exposé.
Vitez disait, à propos de ses mises en scène successive d'Electre
que dans chaque contexte, la pièce offrait au public un théorème
pour comprendre son présent. Les fables du XVIe siècle offrent
de manière sans doute comparable des " théorèmes "
aux spectateurs de l'époque romantique. C'est une époque privilégiée
pour penser le présent avec la distance nécessaire au théâtre.
Il faut aller voir précisément comment chacune des pièces
de Hugo permet de réfléchir l'actualité.
Le XVIe siècle n'est pas un siècle de liberté avant le
verrouillage classique et absolutiste. C'est un temps de tyrannie - songez à
Marie Tudor et à Lucrèce Borgia. Mais c'est aussi, pour tous les
romantiques, une époque d'énergie : voyez le Stendhal des Chroniques
italiennes et le Mérimée de 1572 Chronique du règne de
Charles IX.
ARNAUD LASTER : l'entreprise de désacralisation des rois, Hugo l'a poursuivie d'une autre façon dans La Révolution, poème où il désacralise Henri IV.
CLAUDE MILLET : Votre travail montre combien l'analyse génétique, bien faite, éclaire le texte. Elle rend manifeste le fait que le mot d'énergie créatrice n'est pas une expression galvaudée pour Hugo. Je ferai néanmoins deux remarques :
Première remarque : je ne suis pas sûre que les transformations d'images analysées aillent du plus concret au plus métaphysique mais du plus concret, qui est métaphysique, au plus abstrait. Les premiers états exhibent davantage le travail analogique que les suivants, qui tendent à lisser le rapport du comparant et du comparé, à atténuer leur tension. Le travail de Hugo va dans le sens de la cohérence et de l'abstraction. Il faudrait comparer avec les manuscrits de l'exil.
Deuxième remarque, qui reprend des analyses de Franck Laurent dans sa
Préface des Orientales. La familiarité ne va pas forcément
dans le sens d'un rapprochement de la parole poétique avec la parole
du peuple mais plutôt dans le sens d'une banalisation de la poésie
: du côté du commun et du banal, " des vers comme tout le
monde en fait ou en rêve ", plutôt que du populaire.
CLAIRE MONTARINI : Je suis partie d'une ébauche de "
Rêverie à propos d'un roi ", " nous sommes entre les
rois et les peuples ", qui disparaît complètement du poème.
CLAUDE MILLET : Mais on ne peut définir la poétique du recueil
à partir de ce poème très particulier, peu exemplaire du
projet global des Feuilles d'automne.
ARNAUD LASTER : Il est bien que l'on rappelle les travaux de Journet et Robert,
souvent relégués au rang d'écrits arides et techniques.
Je suis agacé par cette idée qui traîne partout que Hugo
écrirait comme une espèce de robinet qui s'ouvre. Journet a dit
que la création hugolienne lui rappelait celle de Mallarmé. Il
travaille à partir de noyaux.
CLAUDE MILLET : oui, ce sont des " polypes " proliférant.
JEAN-CLAUDE FIZAINE : Judith Wulf dans Hugo et la langue a fait uine belle contribution
sur le madrépore, qui va dans ce sens.
ARNAUD LASTER : L'écriture se cherche à partir d'eux.
JEAN-CLAUDE FIZAINE : La notion de mouvement est aussi importante, il est judicieux
d'avoir rappelé Meschonnic. C'est la dynamique qui compte. L'écriture
prolifère à partir du milieu, comme un volcan. Ce n'est pas du
collage, ce n'est pas du rafistolage, mais le centre d'une expansion.
ARNAUD LASTER : Il n'est pas sûr que ce soit l'avis de Journet. Car il
remet en question la notion de mouvement.
CLAUDE MILLET : Parler de mouvement, ce n'est pas forcément assimiler
la création hugolienne à du spontanéisme.
ARNAUD LASTER : L'idée du dernier vers comme amorce serait à affiner,
ce n'est pas toujours le cas.
CLAUDE MILLET : Mais c'est bien ce que Claire Montanari a étudié.
Peut-être serait-il judicieux de regarder Les métaphores de l'organisme
pour rendre compte de cette prolifération organique de l'écriture,
à partir de noyaux générateurs pour y trouver des modèles
descriptifs.
FRANCK LAURENT : L'analyse très précise de Claire Montanari montre
bien que ce recueil est fondateur du mouvement poétique hugolien. Premièrement
le commencement par la fin n'est pas valérien, mais baudelairien, à
partir des écrits de Poe. C'est à verser au dossier du grand intérêt
que Baudelaire apporte à ce recueil. Ainsi dans " Réflexions
sur quelques-uns de mes contemporains ", il commence par parler de "
La Pente de la Rêverie ". Il se souviendra aussi de beaucoup de vers
des Feuilles d'automne. Deuxièmement, la distinction entre les deux figures
du moi m'a particulièrement intéressé. Il s'agit d'une
grande invention, programmatique, de Hugo : la configuration clivée du
je lyrique. Cela est suffisamment important pour qu'il l'énonce dès
les premiers poèmes. Ainsi " Ce siècle avait deux ans ",
passe d'un " je " empreint d'une mélancolie absolue, au "
je " créateur, enthousiaste et napoléonien : " si j'ébranle
la scène, etc. ". La juxtaposition est programmatique. Troisièmement
: le rapport entre la Préface et le dernier poème. Je rappellerais
surtout le rapport entre la Préface et le premier poème, qui s'achèvent
l'un et l'autre de la même manière. Enfin, je ne suis pas d'accord
avec la manière dont vous présentez la dimension politique du
recueil. Ainsi de " Rêverie d'un passant à propos d'un roi
". Le poème est on ne peut plus inscrit dans l'actualité.
On y voit le roi de Naples, père de la duchesse de Berry, alors qu'on
est en pleine crise institutionnelle ! Et l'arrêté de dissolution
de la chambre est pris le lendemain du gala ! En gros, on pourrait dire qu'il
s'agit d'un poème d'actualité, de circonstance. Mais il intimise
cette politique : c'est la " rêverie d'un passant ". S'y manifeste
une capacité d'écoute à ce qui se passe dans la rue. Et
de manière plus générale, la Préface emploie la
même stratégie, (comme celle des Orientales). Ce ne serait que
de la poésie. Et lorsque Hugo énumère les sujets de la
poésie intime, il y a certes ceux de l'individu, mais aussi la mention
des destins, ou des rois trop faibles. La politique est partout. Autre exemple
: " Souvenir d'enfance ". On attendait les Feuillantines (dont l'évocation
est programmée dans le dernier poème des Orientales, et c'est
de Napoléon qu'il est question. Ce que le poème affirme : la distinction
politique/privée n'est pas fausse, mais on ne peut les autonomiser (voir
" La Pente de la Rêverie ").
CLAUDE MILLET : On est en train de tourner autour de la poésie de Hugo
comme poésie de circonstance.
Marie Perrin
Equipe "Littérature et civilisation du 19° siècle"
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