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Séance du 17 mars 2007

Présents : Bertrand Abraham, Josette Acher, Stéphane Arthur, Simon Bournet, Chantal Brière, Brigitte Buffard-Moret, Françoise Chenet-Faugeras, Françoise Court-Perez, Jean-Marc Hovasse, Caroline Julliot, Loïc Le Dauphin, Bernard Leuilliot, Aurélie Loiseleur, Claude Millet, Claire Montanari, Florence Naugrette, Yvette Parent, Hladlir Pawel, Marie Perrin, Myriam Roman, Guy Rosa, Jacques Seebacher, Denis Sellem, Agnès Spiquel, Anne Ubersfeld, Mélanie Voisin, Vincent Wallez, Choï Young, Yingxuan Zhang.


La prochaine séance aura lieu le 28 avril 2007 dans le bâtiment de la Halle aux farines, escalier E, 1er étage, salle E 165.

Informations

Publications :

Guy Rosa fait circuler une nouvelle édition de Napoléon le petit ; il s'est chargé d'annoter le texte, qui a été établi et préfacé par Jean-Marc Hovasse (lequel en parlera sur LCI dimanche 8 avril avec Edwy Pleynel - NDWM). L'ouvrage vient de paraître chez Actes Sud.

 

Chantal Brière fait circuler les actes d'un colloque ayant eu lieu à Aix sur les « ironies romantiques » (Presses universitaires de Provence, collection « Textuelles, 2007). Intitulé plus exactement Ironies entre dualité et duplicité, il était dirigé par Joëlle Gardes-Tamine, Christine Marcandier et Vincent Vivès. Chantal Brière a contribué au volume par un bel article : « Victor Hugo et les architectes : un discours ambivalent ».

 

Expositions, spectacles et conférences : 

Claude Millet rappelle que la belle exposition Juliette Drouet à la Maison de Victor Hugo a eu beaucoup de succès et a été prolongée jusqu'au 18 mars. Elle annonce que le prochain accrochage aura lieu à partir du 19 avril : on pourra voir les plus belles acquisitions des dix dernières années de la Maison de Victor Hugo.

 

Une nouvelle exposition est par ailleurs en cours d'élaboration. Elle portera sur « L'Esprit de la lettre » et sera présentée au public à partir du mois d'octobre. Le commissaire de l'exposition, Florian Rodary, souhaite rapprocher les dessins de Hugo jouant sur la matérialité de la lettre avec, en particulier, les ouvres des dadaïstes. Il a chargé Chantal Brière d'écrire un texte sur le rôle de la lettre alphabétique dans les romans de Hugo.

 

La Maison Victor Hugo organise diverses manifestations pour le Printemps des Poètes. On peut ainsi visiter la bibliothèque, assister à des représentations théâtrales, et même participer à des ateliers de correspondance amoureuse.

 

Présentation des nouveaux participants :

Aurélie Loiseleur a fait paraître sa thèse, L'Harmonie selon Lamartine, - soutenue à l'Université de Paris IV sous la direction de Bertrand Marchal - chez Champion en 2005. Elle a réalisé en 2006 une édition critique des Méditations poétiques dans la collection « Classiques » du Livre de poche (LGF). Elle a été ATER à l'Université de Paris IV, et l'est actuellement à l'IUFM de Paris.

 

Maître de conférence à l'Université de Rouen, Françoise Court-Perez est gautiériste (voir en particulier son Gautier, un romantique ironique, - Sur l'esprit de Gautier, Honoré Champion, 1998) et travaille également sur Huysmans. Elle a notamment publié les articles critiques de Gautier sur l'ouvre de Hugo (Théophile Gautier, Victor Hugo, choix de textes, introduction et notes par Françoise Court-Pérez, Honoré Champion, 2000).


Communication de Chantal Brière : L'animal en territoire romanesque (voir texte joint)


Discussion

Sur les sources animalières de Hugo :

FRANCOISE CHENET : Je pense que Hugo s'est appuyé sur Le Magasin pittoresque pour trouver ses sources scientifiques.

CHANTAL BRIERE : Oui, c'est sans doute le cas, d'autant plus que Le Magasin pittoresque a justement publié des écrits de Lavater sur la physiognomonie.

GUY ROSA : Hugo s'inspire de Lavater dans Les Misérables lorsqu'il explique que tous les hommes sont apparentés à des animaux. Cependant, cette proximité est revendiquée pour Javert seulement. On ne trouve cette théorie nulle part ailleurs.

FRANCOISE CHENET : La théorie est en outre niée un peu plus loin avec ironie. Hugo est ambivalent dans son rapport avec la science. Il y a dans Le Rhin un passage constitué par le discours d'un charlatan qui évoque la gale. On peut se demander si son discours est sérieux : est-il fondé scientifiquement ou joue-t-il sur la fantaisie ? D'après Geoffroy Saint Hilaire, les allégations du charlatan sont scientifiques.

 

Animal et affectivité :

ANNE UBERSFELD : Ce qui me frappe dans la façon dont Hugo traite de l'animalité, c'est qu'il n'insiste jamais sur les relations affectives entre l'animal et l'homme. L'animal est aimé et respecté comme animal, c'est à dire comme créature vivante, mais pas comme être.

 CHANTAL BRIERE : Des couples comme ceux de Homo et d'Ursus, d'Esmeralda et de Djali, se constituent pourtant. Mais il est vrai qu'il n'y a pas trace de discours affectif entre l'homme et l'animal.

ANNE UBERSFELD : Il n'y a pas, en effet, de comportement affectif visible entre les deux. L'affection n'est même pas rendue visible par des gestes.

 

Question de genres :

BERNARD LEUILLOT : La question de l'animal permet de souligner à quel point Hugo franchit les contraintes génériques, celles du conte, du proverbe, de la fable, etc. Vous l'avez parfaitement montré. Pourquoi en revanche avez-vous choisi de limiter le champ de votre étude aux seuls textes romanesques ? Les raisons pratiques ont sans doute joué, mais avez-vous décelé une réelle spécificité romanesque du traitement de l'animal ? Il me semble que certains textes poétiques majeurs ont à peu près le même type d'approche. Je pense par exemple au fameux « Poème du Jardin des Plantes » dans L'Art d'être grand-père.

CHANTAL BRIERE : Je m'en suis tenue aux romans parce que je voulais poser la question du statut du personnage. Je voulais voir si l'on pouvait considérer l'animal comme un personnage de roman.

CLAUDE MILLET : On peut cependant se poser la même question en poésie.

BERNARD LEUILLOT : Ce qui irait plus dans le sens d'une poétique du roman, c'est l'indécision des limites qui existent entre l'homme et l'animal.

CLAUDE MILLET : Oui, mais il faut prendre garde à ne pas oublier l'histoire de l'animalité au XIXème siècle. La loi Grammont, loi de défense des animaux datant de 1850, a son importance, parce qu'elle engage autant et plus qu'elle ne sanctionne une mutation du regard porté sur les animaux, mutation à laquelle n'échappe pas Hugo. Le dernier Hugo est aussi marqué par la traduction de Darwin et les débats qu'elle suscita. Hugo réagit d'ailleurs contre ces théories dans un poème intitulé « France et âme », l'un de ses plus mauvais, il faut bien le dire. Il affirme, avec une sorte de spiritualisme patriotique, qu'il y a une coupure abyssale entre la bête et l'homme.

JACQUES SEEBACHER : Cela renvoie à la question ancienne : l'humanité existe-t-elle sans communication avec les bêtes ? D'après les textes bibliques, il n'y a pas d'hommes sans bêtes.

GUY ROSA : Votre exposé le prouve : la présence des animaux prend des formes extrêmement variées chez Hugo. Tout y passe, comme si Hugo n'avait pas sur ce point une pensée originale.

 CHANTAL BRIERE : C'est juste. Il n'y a pas de système construit autour de l'animal chez Hugo, mais plutôt ce qu'on pourrait appeler un « bric à brac » animalier.


Communication de Claude Millet: Poétique du drame en prose (voir texte joint)


Discussion

ANNE UBERSFELD : Merci pour cette communication, car non seulement elle est très belle, mais elle met en outre met l'accent sur un phénomène très important : dans l'écriture des drames en prose, il y a la volonté délibérée d'éviter toutes les formes du poétique. Cela change complètement pendant l'exil : le poétique se réinstalle dans le théâtre en prose. On le voit de façon très claire grâce au travail des sonorités. Tout cela est absent des drames en prose d'avant l'exil. La poésie ne réapparaît dans le théâtre en prose que lorsque Hugo n'écrit plus contre le drame poétique.

CLAUDE MILLET : Cette thèse peut se vérifier en comparant l'écriture des romans et des drames en prose. La poésie est très présente dans le roman, elle ne l'est pas, à la même époque, dans le drame en prose. Cela signifie que Hugo ne travaille pas de la même façon la prose du roman et celle des drames, qu'il cherche à dépoétiser.

FLORENCE NAUGRETTE : La pratique de Hugo en matière de prose et de vers s'apprécie, certes, par comparaison interne ; elle se mesure aussi au regard d'autres pratiques en cours. Celle du mélodrame par exemple dont la langue est extraordinairement prosaïque et plate,  malgré le recours aux métaphores convenues réputées poétiques -ou à cause de lui. La prose de Hugo n'est sans doute pas « poétique » ; elle n'en a pas moins une toute autre tenue. Même lorsque Hugo renverse la prose prosaïque en la mettant, comme tu l'as montré, dans la bouche d'une reine - héritière de la tragédie -, ce qui n'est évidemment pas compatible avec l'esthétique du mélodrame.

Olivier Bara, dans l'ouvrage collectif Hugo et la langue, a écrit un article comparant la parole des personnages dans les drames en prose de Hugo et dans les mélodrames. En lisant les pièces de Pixérécourt par exemple, on mesure la grande poésie du drame en prose de Hugo.

CLAUDE MILLET : C'est ce qu'on pourrait appeler  une prose à l'écart d'elle-même.

FLORENCE NAUGRETTE : Certains, à la même époque, écrivent dans une langue presque désarticulée. Les mélodrames frénétiques se rapprochent de la pantomime, du grand guignol. Ce n'est pas la même chose chez Hugo. Il y a certes des effets de cassure, de dislocation, mais le silence produit du sublime.

GUY ROSA : Je ne peux qu'être entièrement d'accord avec tout l'exposé de Claude. La façon dont Hugo manipule la contradiction ou la contrariété ou la dissonance s'observe aussi dans sa pratique du contre-emploi, dont Florence Naugrette a montré l'importance chez Hugo. Dans Angelo, tyran de Padoue, il a voulu que les rôles féminins soient tenus à contre-emploi. Plus généralement -c'était l'idée que je proposais dans un autre article que celui que tu as cité, intitulé « Vers brisé, comédies cassées »-, le théâtre chez Hugo, qu'il s'agisse de pièces constituées de l'exil comme d'avant l'exil ou des innombrables fragments intitulés « Comédie », repose sur la contradiction entre l'énoncé et l'énonciation.

CLAUDE MILLET : Anne Ubersfeld le dit aussi mais ce n'est qu'une des facettes de la contrariété qui fonde les pièces de Hugo. Le théâtre n'est pas seulement une machine à produire du sens ; il représente aussi un monde d'émotions, affects et sensations, qui ne passe pas seulement par l'énonciation des répliques.

GUY ROSA : L'énonciation ne se réduit pas, au contraire, au sens. L'opposition entre énoncé et énonciation prend précisément en charge toutes les formes de « contrariété » dont tu parles.

CLAUDE MILLET : Si on reprend ce que j'ai dit à propos de la formule « il paraît que ce brave Turc n'entend rien à la politique », on voit qu'il n'y a pas contradiction entre énoncé et énonciation.

GUY ROSA : Si, car au théâtre, c'est l'ensemble du spectacle qui constitue l'énonciation (interprétation, musique, décor, etc.) et pas seulement l'énonciation fictive du personnage parlant. Somme toute, j'appelais « théâtral » ce que tu as choisi d'appeler « poétique ».

CLAUDE MILLET : Si on réfléchit sur la poésie dans les pièces de Hugo, on aboutit à la dissolution du poétique soit dans le caractère théâtral, soit dans le drame. Il y a sans cesse deux plans d'articulation : le théâtre et le drame. Ce n'est pas la même chose - mais ce sont effectivement deux formes de dissolution du poétique - de ce que Hugo appelle à propos du drame et du théâtre la « poésie » .

GUY ROSA : Point de détail. Dans ta communication, tu fais de la préface de Cromwell un acte de défense du vers contre la prose, par rapport auquel But de cette publication marquerait un écart important. C'est inexact. A la fin du développement sur le vers, une formule fait de cette question « une question secondaire ». Hugo prend position pour le vers, non pour des raisons théoriques, mais par pure préférence.

Claude MILLET : Non il y a bien une théorie du vers au théâtre, mais c'est vrai que j'ai trop durci la position de Hugo dans la Préface de Cromwell, qui balaye à la fin de son développement sur le vers la question, en admettant la possibilité d'un drame en prose.

BERNARD LEUILLOT : Qu'avez-vous voulu dire lorsque vous avez utilisé les notions de « poétique » et de « musical » ?

CLAUDE MILLET : Je n'ai pas utilisé dans ma communication la catégorie du « musical ». J'ai en revanche voulu montrer qu'on ne peut pas définir musicalement la poésie du drame en prose.

FRANCOISE COURT-PEREZ : Penses-tu que la révérence de Baudelaire à Hugo aille dans le sens de la dépoétisation des images ?

CLAUDE MILLET : Je ne sais pas si Baudelaire s'est intéressé au théâtre de Hugo. Ce qui intéresse Baudelaire avant tout, c'est le Hugo poète qui « voit du mystère partout ».

AGNES SPIQUEL : Baudelaire dit cependant à propos des « Tableaux parisiens » qu'il dédie à Hugo : « je crois que je suis sorti de la poésie ».

CLAUDE MILLET : Ce n'est pas la prose très « prose » du théâtre de Hugo qui fait réfléchir Baudelaire, mais c'est sa prosaïsation du poétique dans la poésie elle-même. Baudelaire est un très grand lecteur des Contemplations et de La Légende des Siècles.

GUY ROSA : Il est vrai toutefois que l'on peut parfois trouver des résonances baudelairiennes dans le théâtre de Hugo, du fait de son allure contrariée, ginçante.

 Claire Montanari


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