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Séance du 20 mai 2006

Présents : Josette Acher, Simon Bournet, Julie Bouteiller, Chantal Brière, Brigitte Buffard-Moret, Olivier Decroix, Stéphane Desvignes, Jean-Marc Hovasse, Hiroko Kasumori, Maryana Kilchuk, Arnaud Laster, Loïc Le Dauphin, Bernard Le Drezen, Anne Maurellet, Claude Millet, Claire Montanari, Yvette Parent, Marie Perrin, Sandrine Raffin, Myriam Roman, Guy Rosa, Jacques Seebacher, Denis Sellem, Delphine Van de Sype, Vincent Wallez, Patricia Ward et Choï Young.


Guy Rosa accueille et présente, à ceux qui ne la connaîtraient pas (de Cerisy en particulier, où elle était des nôtres) Madame Patricia Ward, professeur de la Vanderbilt University, hugolienne de longue date et dont les travaux (souvent en anglais, malheureusement) ont marqué le renouveau des études hugoliennes et la formation d'une "école hugolienne" aux Etats-Unis.

Il accueille également Anne Maurellet dont la thèse de littérature comparée, dirigée par Jean Delabroy,  a pour sujet « La Fiction à l’épreuve des petits (esthétique, politique et spiritualité) » avec un corpus formé de Dostoïevski, Hugo et Dickens.

Informations

Guy Rosa salue l’élection de Claude Millet à son propre poste, qu'il libérera à la prochaine rentrée, et la naissance de Lara, dernière née de David Charles et Ludmila Wurtz.

 

Stéphane Desvignes soutiendra sa thèse sur Le Théâtre en liberté le 28 juin à 14h àJussieu (tour 54-64, 2° étage).

 

Le déménagement de l’Université Paris 7 sur le site des Grands Moulins est prévu – normalement – pour la Toussaint. La bibliothèque du XIXème siècle, dans laquelle le Groupe Hugo se réunit chaque mois, sera, elle aussi, déplacée. La direction de l’UFR et celle de l’équipe 19° ont visité les lieux : une sorte de long boyau, mais avec, aux deux extrémités, des élargissements qui peuvent être intéressant, une fois bien aménagés.

 

Publication 

Le dernier ouvrage de Brigitte Buffard-Moret circule : La Chanson poétique du XIXème siècle, Origine, statut et formes, paru en 2006 aux Presses Universitaires de Rennes. Un chapitre, en particulier, est consacré à la chanson poétique chez Hugo.

 

Colloques, conférences et spectacles 

Arnaud Laster rappelle que L’Intervention sera jouée au théâtre de verdure du jardin Shakespeare jusqu’au 25 juin 2006 (représentations les vendredi et samedi à 19h et le dimanche après-midi). La pièce semble à l’honneur puisqu’elle sera jouée par une autre troupe, à la Vrigne aux Bois, dans les Ardennes, le 24 mai.

 

Jacques Seebacher a présenté au Centre culturel de Paris III une communication sur les relations entre Girardin et Hugo. Il fait circuler le volume réunissant les numéros Bien-être universel (journal dirigé et en grande partie rédigé par E. de Girardin) de février 1848 à novembre 1851 : publiés entre les deux événements majeurs de l’histoire du XIXème siècle, ils contiennent en germe tout ce qui passera au-delà. Jacques Seebacher fait aussi circuler, du même auteur, les Questions de mon temps, entre 1852 et 1857, qui montrent ses ralliements à éclipse au Second Empire.

Au même centre culturel, Vincent Wallez parlera, le 31 mai, de « Victor Hugo écrivain ».

 

Arnaud Laster attire enfin l’attention sur le Moulin Rouge. Le film de Delannoy, Notre-Dame de Paris, avec Anthony Quinn et Gina Lollobrigida, sera projeté sur sa terrasse le 22 juin à 22h30. Occasion d’écouter Prévert et Pierre Fresnay, et de surprendre Boris Vian dans le rôle d’un cardinal, mais aussi Alain Cuny, Robert Hirsch, Philippe Clay, Roger Blin, Jacques Dufilho, Daniel Emilfork, et l’inoubliable Damia, longtemps rivale de Mistinguett.

 

Patricia Ward rappelle le congrès annuel de la Ninetheenth French Studies, en octobre, à l’université d’Indiana à Bloomington. Il est organisé, cette année, par Mme Miohal Ginsburg et a pour thème d’ensemble « La littérature et la science au XIXème siècle » ; l’une des séances –plusieurs se déroulent simultanément en parallèle- sera consacrée à Hugo romancier.

 

Claire Montanari signale qu’une pièce de Francis Marmande – bassiste, publiciste, écrivain et directeur de l’équipe de recherche « Littérature au présent » de Paris 7 – est jouée jusqu’au 4 juin à la maison de la culture de Bobigny. La pièce, intitulée Jesus Camacho 404 284, utilise des textes de Victor Segalen et des discours politiques de Victor Hugo.

 

Divers 

Jean-Marc Hovasse publie un inédit sur les circonstances de la mort de Léopoldine Hugo, qui lui a été communique par M. Franck Chevalier Waille. Il s’agit d’une lettre à ses proches de François Delsarte (1811-1871), artiste lyrique et musicien, professeur d’art dramatique et lyrique et important théoricien de ces arts. Sur le trajet, en bateau –sans nul doute, la Petite Emma-, de Rouen à Morlaix via Le Havre, il passe à hauteur de Villequier, le 4 septembre 1843. Ce témoignage confirme l’article connu du Journal du Havre qui, reproduit dans Le Siècle, apprit à Hugo la mort de sa fille. Quelques détails sont nouveaux ; d’autres restent problématiques. Voir le texte sur le site à : ../../References/Delsartesept43.pdf

ARNAUD LASTER : A-t-on dit ailleurs que la barque avait été achetée la veille ?

JEAN-MARC HOVASSE : Non. Cette information est d’ailleurs peut-être fausse. Delsarte l’a apparemment appris au milieu de la confusion générale. Certains ont dit que la barque en question était un prototype construit par l’oncle Vacquerie, qui était marin.



Communication de Guy Rosa : "L'avenir arrivera-t-il?" - Les Misérables roman de l'histoire (voir texte joint)


Applaudissements généreux. Jacques Seebacher décrète la publication sur vélin doré sur tranche à l’or fin.

Guy Rosa s’enorgueillit de ne pas avoir procédé en vérifiant sur le manuscrit une intuition antérieure : l’idée sort, presque toute seule, du manuscrit. (Approbation de J. Seebacher)

Discussion

ARNAUD LASTER, convaincu par la démonstration de ce dont il avait eu l’intuition, veut cependant introduire, sur un point de détail, non pas un correctif mais une précaution. On a parlé d’un « continuum des voix », tel qu’on entend celle Hugo dans celle de ses personnages. Isolé et cité abusivement, ce passage pourrait conforter le vieux reproche fait à Hugo de ne pas savoir faire parler ses personnages et de leur mettre du Hugo dans la bouche.

GUY ROSA reconnaît que le seul moyen de ne pas être mal compris est de ne rien dire.

 

Hugo et la fin de l’Histoire

YVETTE PARENT : Quelle place Hugo réserve-t-il à la Révolution française dans sa conception de l’Histoire ?

GUY ROSA : C’est une question qui touche à l’histoire des idées, et non plus à la rédaction des Misérables. On peut y répondre par la superposition de quantité de textes, de la Préface de Cromwell aux derniers chapitres de William Shakespeare en passant par La Légende des siècles. Ils placent la Révolution française à toutes sortes de dates : celle de la naissance du Christ –ou de sa mort, les dernières années de l’Empire romain d’Occident, le « Seizième Siècle », 1789, le « Vingtième siècle » -ou plus tard encore. Si la Révolution est le moment où l’humanité accomplit son essence, elle a été faite déjà plusieurs fois, et reste à faire.

YVETTE PARENT : Mais on ne peut pas dire que Hugo soit hégélien. Il ne semble pas parler de  « fin de l’histoire ».

CLAUDE MILLET : C’est exact.

GUY ROSA : Ou alors, il y a bien des discours de fin de l’histoire –celui d’Enjolras par exemple ou celui de Gauvain- mais démentis ou corrigés ou redressés par leur situation d’énonciation. Redressement radical dans l’inachèvement de La Fin de Satan.

 

Parole de l’auteur, paroles des personnages 

ARNAUD LASTER : Il ne faut donc pas oublier que c’est un personnage, Enjolras, qui prend en charge ce discours. L’auteur prend soin de se distinguer de la parole de ses personnages.

CLAUDE MILLET : « Tout poète doit résumer les idées de son temps », écrit Hugo dans la préface des Rayons et les Ombres. La mobilité des discours et la désappropriation des idées sont frappantes dans son œuvre. Une idée peut être le propre de n’importe qui. Tout sujet d’énonciation peut être porteur d’une vérité.

GUY ROSA : Y compris Thénardier, qui ne dit pas des choses fausses sur le cimetière du Père Lachaise. D’autant moins que le texte les reprend à son compte au dernier chapitre.

CLAUDE MILLET : En donnant à chaque personnage la possibilité d’être à un moment donné instance de vérité, Hugo manifeste aussi une forme d’inquiétude qui vient de la proximité de son propre discours avec celui de personnages infâmes. Il n’y a pas, dans les romans de Hugo, d’extériorité radicale de la figure de l’auteur. Ce ne sont pas des romans à thèse dont l’auteur s’extrairait des personnages qu’il construit. Hugo fait partie de l’histoire qu’il raconte avec ses heurs et ses malheurs.

ARNAUD LASTER : On est malheureusement souvent confronté au discours anti-hugolien ironisant sur ses erreurs massives, et sur sa prétendue croyance en la fin de l’histoire.

GUY ROSA : De moins en moins. L’époque des anti-hugoliens est révolue. Le risque vient des hugoliens maintenant.

ARNAUD LASTER : C’est optimiste. Anecdote à ce sujet. On annonce, il y a deux jours, la vente d’une photographie de Hugo, d’environ 1852-53, enrichie d’une dédicace à Persigny. Et le catalogue s’étonne que cet ardent républicain offre sa photo au ministre de l’intérieur. La photographie était dédiée à Versigny, un des compagnons de lutte du Deux Décembre.

GUY ROSA : Au moins le vendeur s’étonnait-il…

 

Mélancolie des Misérables

CLAUDE MILLET : Ce qui frappe dans les ajouts de Hugo, c’est qu’ils laissent entendre qu’un progrès a eu lieu, mais qu’ils ajoutent en même temps au texte une charge si mélancolique. L’exil est une double mort : non seulement l’exilé n’a plus accès aux lieux qu’il aimait, mais ces lieux mêmes ont disparu, se sont transformés, évanouis. La parole de l’auteur est à la fois celle d’un proscrit et d’un « vieux » regrettant les lieux de sa jeunesse.

GUY ROSA : C’est très juste : Les Misérables ne se donnent pas pour l’œuvre d’un auteur sans âge, comme les autres romans.

CHANTAL BRIERE : Il me semble que le mélange entre traces du progrès et restes du passé est surtout visible dans la description des égouts : les reliques de l’histoire y flottent encore, tandis que l’écriture du progrès est tangible.

GUY ROSA : C’est très vrai. Je n’en ai pas parlé parce que je me consacrais à commenter les ajouts aux Misères.

CHANTAL BRIERE : Je me demande si les expressions sur le modèle de « il y a quarante ans » ne sont pas présentes ailleurs...

NDLR Chantal Brière, depuis, a vérifié et ajoute la note suivante :

 

Il y a quarante ans, le promeneur solitaire qui s’aventurait dans les pays perdus de la Salpêtrière et qui montait par le boulevard jusque vers la barrière d’Italie, arrivait à des endroits où l’on eût pu dire que Paris disparaissait. (Les Misérables, II, 4, 1 ; p. 339)

 

Il y a quarante ans, les religieuses étaient près de cent ; il y a quinze ans, elles n’étaient plus que vingt-huit. Combien sont-elles aujourd’hui ? (Les Misérables, II, 6, 11 ; p. 401)

 

Quarante ans environ avant l’époque où se passent les faits que nous racontons ici, il y avait dans la banlieue de Paris, près du mur de ronde, entre la Fosse-aux-Loups et la Tombe-Issoire, un logis suspect. (Les Travailleurs de la mer, I, 3, 3 ; p. 80)

 

Il y a quarante ans, Saint-Malo possédait une ruelle dite la ruelle Coutanchez. La ruelle n’existe plus, ayant été comprise dans les embellissements. (Les Travailleurs de la mer, I, 5, 6 ; p. 132)

 

Il y a quarante ans, deux roches d’une forme extraordinaire signalaient de loin l’écueil Douvres aux passants de l’océan. (Les Travailleurs de la mer, I, 6, 1 ; p. 152)

 

Le voyageur qui, il y a quarante ans, entré dans la forêt de Fougères du côté de Laignelet en ressortait du côté de Paraigné, faisait, sur la lisière de cette profonde futaie, une rencontre sinistre. En débouchant du hallier, il avait brusquement devant lui la Tourgue. (Quatrevingt-Treize, III, 2, 9 ; p. 954)

 

La Tourgue, qui il y a quarante ans était une ruine et qui aujourd’hui est une ombre, était en 1793 une forteresse. (Quatrevingt-Treize, III, 2, 9 ; p. 957)

 

Équivalent chiffré d’un illo tempore plus que datation exacte, l’expression place l’édifice dans un passé à la fois archéologique et proche que le romancier se donne pour mission d’exhumer et de faire revivre. L’éloignement dans le temps, contenu dans les limites d’une vie humaine, suffit à assurer une continuité. L’édifice, réceptacle de la mémoire du passé, est relayé par la mémoire du narrateur, du témoin qui restitue le souvenir. La distance avec le passé, mesurée par l’édifice, définit en même temps la quête de ce XIXe siècle où précisément « se fait jour une conception linéaire et dynamique, qui attribue au temps une valeur et une efficacité intrinsèques, et qui insiste sur le rôle du changement, pensé comme « progrès » ou au contraire « décadence » » (C. Bernard, Le passé recomposé, p. 20)

 

NDGR . Chantal Brière a raison : Hugo ne voit pas un monument ou un édifice sans y lire de l’histoire –et sans doute l’histoire lointaine n’a-t-elle pas alors le même statut que cette frontière (mélancolique ?) entre l’actuel et le révolu.

Mais on est gêné par les formulations de C. Bernard : pourquoi dire « le temps » et « le changement » plutôt que « l’histoire » ? Quant à la « décadence » est-ce un concept que Hugo emploie s’agissant de l’histoire ? A ces réserves près, on doit convenir qu’aux yeux de Hugo le passé n’est pas identique au présent.

           

Informatique aidant, j’allonge la liste des citations tirées des Misérables :

 

Voici les paroles qu'il prononça; les voici littéralement, telles qu'elles furent écrites immédiatement après l'audience par un des témoins de cette scène; telles qu'elles sont encore dans l'oreille de ceux qui les ont entendues, il y a près de quarante ans aujourd'hui. (I, 7, 11)

 

Et encore, qu'on le remarque bien, il ne s'agit ici que du bâtiment militaire d'il y a quarante ans, du simple navire à voiles; la vapeur, alors dans l'enfance, a depuis ajouté de nouveaux miracles à ce prodige qu'on appelle le vaisseau de guerre. (II, 2, 3)

 

Il y a quarante ans, le promeneur solitaire qui s'aventurait dans les pays perdus de la Salpêtrière, et qui montait par le boulevard jusque vers la barrière d'Italie, arrivait à des endroits où l'on eût pu dire que Paris disparaissait. (II, 4, 1)

 

Qu'on ajoute à cet ensemble une cour, toutes sortes d'angles variés que faisaient les corps de logis intérieurs, des murailles de prison, pour toute perspective et pour tout voisinage la longue ligne noire de toits qui bordait l'autre côté de la rue Polonceau, et l'on pourra se faire une idée complète de ce qu'était, il y a quarante-cinq ans, la maison des bernardines du Petit-Picpus. (II, 6, 8)

 

Les passants d'il y a quarante ans s'arrêtaient dans cette rue pour le [le jardin de la rue Plumet] contempler, sans se douter des secrets qu'il dérobait derrière ses épaisseurs fraîches et vertes. (IV, 3, 3)

 

et la mort des anciens propriétaires, une révolution qui avait passé, l'écroulement des antiques fortunes, l'absence, l'oubli, quarante ans d'abandon et de viduité, avaient suffi pour ramener dans ce lieu privilégié les fougères, les bouillons-blancs, les ciguës, les achillées, les digitales, les hautes herbes… (IV, 3, 3 également)

 

Lorsqu'en ajoutant votre âge à mon âge,

Nous ne comptions pas à deux quarante ans,

Et que, dans notre humble et petit ménage,

Tout, même l'hiver, nous était printemps! (IV, 12, 6)

 

Voulez-vous parler, reprit Marius, de ce misérable vol d'il y a quarante ans, expié, cela résulte de vos journaux mêmes, par toute une vie de repentir, d'abnégation et de vertu? (V, 9, 4)

 

Et, si l’on va jusqu’au « demi-siècle » :

 

Paris n'a plus les mêmes environs; la figure de ce qu'on pourrait appeler la vie circumparisienne a complètement changé depuis un demi-siècle; où il y avait le coucou, il y a le wagon; (I, 3, 3)

 

Il y a un demi-siècle, dans cette langue usuelle populaire, toute faite de traditions, qui s'obstine à appeler l'Institut les Quatre-Nations et l'Opéra-Comique Feydeau, l'endroit précis où était parvenu Jean Valjean se nommait le Petit-Picpus. (II, 5, 3)

 

Rien ne ressemblait plus, il y a un demi-siècle, à la première porte cochère venue que la porte cochère du numéro 62 de la petite rue Picpus. (II, 6, 1)

 

Ce jardin ainsi livré à lui-même depuis plus d'un demi-siècle était devenu extraordinaire et charmant. (IV, 3, 3)

 Claire Montanari


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