Présents : Josette
Acher, Simon Bournet, Julie Bouteiller, Chantal Brière, Brigitte Buffard-Moret,
Olivier Decroix, Stéphane Desvignes, Jean-Marc Hovasse, Hiroko Kasumori, Maryana
Kilchuk, Arnaud Laster, Loïc Le Dauphin, Bernard Le Drezen, Anne Maurellet,
Claude Millet, Claire Montanari, Yvette Parent, Marie Perrin, Sandrine Raffin,
Myriam Roman, Guy Rosa, Jacques Seebacher, Denis Sellem, Delphine Van de Sype,
Vincent Wallez, Patricia Ward et Choï Young.
Guy Rosa accueille et présente, à ceux qui ne la connaîtraient pas (de Cerisy en particulier, où elle était des nôtres) Madame Patricia Ward, professeur de la Vanderbilt University, hugolienne de longue date et dont les travaux (souvent en anglais, malheureusement) ont marqué le renouveau des études hugoliennes et la formation d'une "école hugolienne" aux Etats-Unis.
Il accueille également Anne Maurellet dont la thèse de littérature comparée, dirigée par Jean Delabroy, a pour sujet « La Fiction à lépreuve des petits (esthétique, politique et spiritualité) » avec un corpus formé de Dostoïevski, Hugo et Dickens.
Guy Rosa salue lélection de Claude Millet à son propre poste, qu'il libérera à la prochaine rentrée, et la naissance de Lara, dernière née de David Charles et Ludmila Wurtz.
Stéphane Desvignes soutiendra sa thèse sur Le Théâtre en liberté le 28 juin à 14h àJussieu (tour 54-64, 2° étage).
Le déménagement de lUniversité Paris 7 sur le site des Grands Moulins est prévu normalement pour la Toussaint. La bibliothèque du XIXème siècle, dans laquelle le Groupe Hugo se réunit chaque mois, sera, elle aussi, déplacée. La direction de lUFR et celle de léquipe 19° ont visité les lieux : une sorte de long boyau, mais avec, aux deux extrémités, des élargissements qui peuvent être intéressant, une fois bien aménagés.
Le dernier ouvrage de Brigitte Buffard-Moret circule : La Chanson poétique du XIXème siècle, Origine, statut et formes, paru en 2006 aux Presses Universitaires de Rennes. Un chapitre, en particulier, est consacré à la chanson poétique chez Hugo.
Arnaud Laster rappelle que LIntervention sera jouée au théâtre de verdure du jardin Shakespeare jusquau 25 juin 2006 (représentations les vendredi et samedi à 19h et le dimanche après-midi). La pièce semble à lhonneur puisquelle sera jouée par une autre troupe, à la Vrigne aux Bois, dans les Ardennes, le 24 mai.
Jacques Seebacher a présenté au Centre culturel de Paris III une communication sur les relations entre Girardin et Hugo. Il fait circuler le volume réunissant les numéros Bien-être universel (journal dirigé et en grande partie rédigé par E. de Girardin) de février 1848 à novembre 1851 : publiés entre les deux événements majeurs de lhistoire du XIXème siècle, ils contiennent en germe tout ce qui passera au-delà. Jacques Seebacher fait aussi circuler, du même auteur, les Questions de mon temps, entre 1852 et 1857, qui montrent ses ralliements à éclipse au Second Empire.
Au même centre culturel, Vincent Wallez parlera, le 31 mai, de « Victor Hugo écrivain ».
Arnaud Laster attire enfin lattention sur le Moulin Rouge. Le film de Delannoy, Notre-Dame de Paris, avec Anthony Quinn et Gina Lollobrigida, sera projeté sur sa terrasse le 22 juin à 22h30. Occasion découter Prévert et Pierre Fresnay, et de surprendre Boris Vian dans le rôle dun cardinal, mais aussi Alain Cuny, Robert Hirsch, Philippe Clay, Roger Blin, Jacques Dufilho, Daniel Emilfork, et linoubliable Damia, longtemps rivale de Mistinguett.
Patricia Ward rappelle le congrès annuel de la Ninetheenth French Studies, en octobre, à luniversité dIndiana à Bloomington. Il est organisé, cette année, par Mme Miohal Ginsburg et a pour thème densemble « La littérature et la science au XIXème siècle » ; lune des séances plusieurs se déroulent simultanément en parallèle- sera consacrée à Hugo romancier.
Claire Montanari signale quune pièce de Francis Marmande bassiste, publiciste, écrivain et directeur de léquipe de recherche « Littérature au présent » de Paris 7 est jouée jusquau 4 juin à la maison de la culture de Bobigny. La pièce, intitulée Jesus Camacho 404 284, utilise des textes de Victor Segalen et des discours politiques de Victor Hugo.
Jean-Marc Hovasse publie un inédit sur les circonstances de la mort de Léopoldine Hugo, qui lui a été communique par M. Franck Chevalier Waille. Il sagit dune lettre à ses proches de François Delsarte (1811-1871), artiste lyrique et musicien, professeur dart dramatique et lyrique et important théoricien de ces arts. Sur le trajet, en bateau sans nul doute, la Petite Emma-, de Rouen à Morlaix via Le Havre, il passe à hauteur de Villequier, le 4 septembre 1843. Ce témoignage confirme larticle connu du Journal du Havre qui, reproduit dans Le Siècle, apprit à Hugo la mort de sa fille. Quelques détails sont nouveaux ; dautres restent problématiques. Voir le texte sur le site à : ../../References/Delsartesept43.pdf
ARNAUD LASTER : A-t-on dit ailleurs que la barque avait été achetée la veille ?
JEAN-MARC HOVASSE : Non. Cette information est dailleurs peut-être fausse. Delsarte la apparemment appris au milieu de la confusion générale. Certains ont dit que la barque en question était un prototype construit par loncle Vacquerie, qui était marin.
Applaudissements généreux. Jacques Seebacher décrète la publication sur vélin doré sur tranche à lor fin.
Guy Rosa senorgueillit de ne pas avoir procédé en vérifiant sur le manuscrit une intuition antérieure : lidée sort, presque toute seule, du manuscrit. (Approbation de J. Seebacher)
ARNAUD LASTER, convaincu par la démonstration de ce dont il avait eu lintuition, veut cependant introduire, sur un point de détail, non pas un correctif mais une précaution. On a parlé dun « continuum des voix », tel quon entend celle Hugo dans celle de ses personnages. Isolé et cité abusivement, ce passage pourrait conforter le vieux reproche fait à Hugo de ne pas savoir faire parler ses personnages et de leur mettre du Hugo dans la bouche.
GUY ROSA reconnaît que le seul moyen de ne pas être mal compris est de ne rien dire.
YVETTE PARENT : Quelle place Hugo réserve-t-il à la Révolution française dans sa conception de lHistoire ?
GUY ROSA : Cest une question qui touche à lhistoire des idées, et non plus à la rédaction des Misérables. On peut y répondre par la superposition de quantité de textes, de la Préface de Cromwell aux derniers chapitres de William Shakespeare en passant par La Légende des siècles. Ils placent la Révolution française à toutes sortes de dates : celle de la naissance du Christ ou de sa mort, les dernières années de lEmpire romain dOccident, le « Seizième Siècle », 1789, le « Vingtième siècle » -ou plus tard encore. Si la Révolution est le moment où lhumanité accomplit son essence, elle a été faite déjà plusieurs fois, et reste à faire.
YVETTE PARENT : Mais on ne peut pas dire que Hugo soit hégélien. Il ne semble pas parler de « fin de lhistoire ».
CLAUDE MILLET : Cest exact.
GUY ROSA : Ou alors, il y a bien des discours de fin de lhistoire celui dEnjolras par exemple ou celui de Gauvain- mais démentis ou corrigés ou redressés par leur situation dénonciation. Redressement radical dans linachèvement de La Fin de Satan.
ARNAUD LASTER : Il ne faut donc pas oublier que cest un personnage, Enjolras, qui prend en charge ce discours. Lauteur prend soin de se distinguer de la parole de ses personnages.
CLAUDE MILLET : « Tout poète doit résumer les idées de son temps », écrit Hugo dans la préface des Rayons et les Ombres. La mobilité des discours et la désappropriation des idées sont frappantes dans son uvre. Une idée peut être le propre de nimporte qui. Tout sujet dénonciation peut être porteur dune vérité.
GUY ROSA : Y compris Thénardier, qui ne dit pas des choses fausses sur le cimetière du Père Lachaise. Dautant moins que le texte les reprend à son compte au dernier chapitre.
CLAUDE MILLET : En donnant à chaque personnage la possibilité dêtre à un moment donné instance de vérité, Hugo manifeste aussi une forme dinquiétude qui vient de la proximité de son propre discours avec celui de personnages infâmes. Il ny a pas, dans les romans de Hugo, dextériorité radicale de la figure de lauteur. Ce ne sont pas des romans à thèse dont lauteur sextrairait des personnages quil construit. Hugo fait partie de lhistoire quil raconte avec ses heurs et ses malheurs.
ARNAUD LASTER : On est malheureusement souvent confronté au discours anti-hugolien ironisant sur ses erreurs massives, et sur sa prétendue croyance en la fin de lhistoire.
GUY ROSA : De moins en moins. Lépoque des anti-hugoliens est révolue. Le risque vient des hugoliens maintenant.
ARNAUD LASTER : Cest optimiste. Anecdote à ce sujet. On annonce, il y a deux jours, la vente dune photographie de Hugo, denviron 1852-53, enrichie dune dédicace à Persigny. Et le catalogue sétonne que cet ardent républicain offre sa photo au ministre de lintérieur. La photographie était dédiée à Versigny, un des compagnons de lutte du Deux Décembre.
GUY ROSA : Au moins le vendeur sétonnait-il
CLAUDE MILLET : Ce qui frappe dans les ajouts de Hugo, cest quils laissent entendre quun progrès a eu lieu, mais quils ajoutent en même temps au texte une charge si mélancolique. Lexil est une double mort : non seulement lexilé na plus accès aux lieux quil aimait, mais ces lieux mêmes ont disparu, se sont transformés, évanouis. La parole de lauteur est à la fois celle dun proscrit et dun « vieux » regrettant les lieux de sa jeunesse.
GUY ROSA : Cest très juste : Les Misérables ne se donnent pas pour luvre dun auteur sans âge, comme les autres romans.
CHANTAL BRIERE : Il me semble que le mélange entre traces du progrès et restes du passé est surtout visible dans la description des égouts : les reliques de lhistoire y flottent encore, tandis que lécriture du progrès est tangible.
GUY ROSA : Cest très vrai. Je nen ai pas parlé parce que je me consacrais à commenter les ajouts aux Misères.
CHANTAL BRIERE : Je me demande si les expressions sur le modèle de « il y a quarante ans » ne sont pas présentes ailleurs...
NDLR Chantal Brière, depuis, a vérifié et ajoute la note suivante :
Il y a quarante ans, le promeneur solitaire qui saventurait dans les pays perdus de la Salpêtrière et qui montait par le boulevard jusque vers la barrière dItalie, arrivait à des endroits où lon eût pu dire que Paris disparaissait. (Les Misérables, II, 4, 1 ; p. 339)
Il y a quarante ans, les religieuses étaient près de cent ; il y a quinze ans, elles nétaient plus que vingt-huit. Combien sont-elles aujourdhui ? (Les Misérables, II, 6, 11 ; p. 401)
Quarante ans environ avant lépoque où se passent les faits que nous racontons ici, il y avait dans la banlieue de Paris, près du mur de ronde, entre la Fosse-aux-Loups et la Tombe-Issoire, un logis suspect. (Les Travailleurs de la mer, I, 3, 3 ; p. 80)
Il y a quarante ans, Saint-Malo possédait une ruelle dite la ruelle Coutanchez. La ruelle nexiste plus, ayant été comprise dans les embellissements. (Les Travailleurs de la mer, I, 5, 6 ; p. 132)
Il y a quarante ans, deux roches dune forme extraordinaire signalaient de loin lécueil Douvres aux passants de locéan. (Les Travailleurs de la mer, I, 6, 1 ; p. 152)
Le voyageur qui, il y a quarante ans, entré dans la forêt de Fougères du côté de Laignelet en ressortait du côté de Paraigné, faisait, sur la lisière de cette profonde futaie, une rencontre sinistre. En débouchant du hallier, il avait brusquement devant lui la Tourgue. (Quatrevingt-Treize, III, 2, 9 ; p. 954)
La Tourgue, qui il y a quarante ans était une ruine et qui aujourdhui est une ombre, était en 1793 une forteresse. (Quatrevingt-Treize, III, 2, 9 ; p. 957)
Équivalent chiffré dun illo tempore plus que datation exacte, lexpression place lédifice dans un passé à la fois archéologique et proche que le romancier se donne pour mission dexhumer et de faire revivre. Léloignement dans le temps, contenu dans les limites dune vie humaine, suffit à assurer une continuité. Lédifice, réceptacle de la mémoire du passé, est relayé par la mémoire du narrateur, du témoin qui restitue le souvenir. La distance avec le passé, mesurée par lédifice, définit en même temps la quête de ce XIXe siècle où précisément « se fait jour une conception linéaire et dynamique, qui attribue au temps une valeur et une efficacité intrinsèques, et qui insiste sur le rôle du changement, pensé comme « progrès » ou au contraire « décadence » » (C. Bernard, Le passé recomposé, p. 20)
NDGR . Chantal Brière a raison : Hugo ne voit pas un monument ou un édifice sans y lire de lhistoire et sans doute lhistoire lointaine na-t-elle pas alors le même statut que cette frontière (mélancolique ?) entre lactuel et le révolu.
Mais on est gêné par les formulations de C. Bernard : pourquoi dire « le temps » et « le changement » plutôt que « lhistoire » ? Quant à la « décadence » est-ce un concept que Hugo emploie sagissant de lhistoire ? A ces réserves près, on doit convenir quaux yeux de Hugo le passé nest pas identique au présent.
Informatique aidant, jallonge la liste des citations tirées des Misérables :
Voici les paroles qu'il prononça; les voici littéralement, telles qu'elles furent écrites immédiatement après l'audience par un des témoins de cette scène; telles qu'elles sont encore dans l'oreille de ceux qui les ont entendues, il y a près de quarante ans aujourd'hui. (I, 7, 11)
Et encore, qu'on le remarque bien, il ne s'agit ici que du bâtiment militaire d'il y a quarante ans, du simple navire à voiles; la vapeur, alors dans l'enfance, a depuis ajouté de nouveaux miracles à ce prodige qu'on appelle le vaisseau de guerre. (II, 2, 3)
Il y a quarante ans, le promeneur solitaire qui s'aventurait dans les pays perdus de la Salpêtrière, et qui montait par le boulevard jusque vers la barrière d'Italie, arrivait à des endroits où l'on eût pu dire que Paris disparaissait. (II, 4, 1)
Qu'on ajoute à cet ensemble une cour, toutes sortes d'angles variés que faisaient les corps de logis intérieurs, des murailles de prison, pour toute perspective et pour tout voisinage la longue ligne noire de toits qui bordait l'autre côté de la rue Polonceau, et l'on pourra se faire une idée complète de ce qu'était, il y a quarante-cinq ans, la maison des bernardines du Petit-Picpus. (II, 6, 8)
Les passants d'il y a quarante ans s'arrêtaient dans cette rue pour le [le jardin de la rue Plumet] contempler, sans se douter des secrets qu'il dérobait derrière ses épaisseurs fraîches et vertes. (IV, 3, 3)
et la mort des anciens propriétaires, une révolution qui avait passé, l'écroulement des antiques fortunes, l'absence, l'oubli, quarante ans d'abandon et de viduité, avaient suffi pour ramener dans ce lieu privilégié les fougères, les bouillons-blancs, les ciguës, les achillées, les digitales, les hautes herbes (IV, 3, 3 également)
Lorsqu'en ajoutant votre âge à mon âge,
Nous ne comptions pas à deux quarante ans,
Et que, dans notre humble et petit ménage,
Tout, même l'hiver, nous était printemps! (IV, 12, 6)
Voulez-vous parler, reprit Marius, de ce misérable vol d'il y a quarante ans, expié, cela résulte de vos journaux mêmes, par toute une vie de repentir, d'abnégation et de vertu? (V, 9, 4)
Et, si lon va jusquau « demi-siècle » :
Paris n'a plus les mêmes environs; la figure de ce qu'on pourrait appeler la vie circumparisienne a complètement changé depuis un demi-siècle; où il y avait le coucou, il y a le wagon; (I, 3, 3)
Il y a un demi-siècle, dans cette langue usuelle populaire, toute faite de traditions, qui s'obstine à appeler l'Institut les Quatre-Nations et l'Opéra-Comique Feydeau, l'endroit précis où était parvenu Jean Valjean se nommait le Petit-Picpus. (II, 5, 3)
Rien ne ressemblait plus, il y a un demi-siècle, à la première porte cochère venue que la porte cochère du numéro 62 de la petite rue Picpus. (II, 6, 1)
Ce jardin ainsi livré à lui-même depuis plus d'un demi-siècle était devenu extraordinaire et charmant. (IV, 3, 3)
Claire Montanari
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