Présents : Josette
Acher, Stéphanie Boulard, Simon Bournet, Julie Bouteiller, Chantal Brière, Brigitte
Buffard-Moret, David Charles, Françoise Chenet-Faugeras, Bernard Degout, Marguerite
Delavalse, Mireille Gamel, Sophie Godefroy, Jean-Marc Hovasse, Hiroko Kasumori,
Loïc Le Dauphin, Bernard Le Drezen, Bernard Leuillot, Claude Millet, Claire
Montanari, Yvette Parent, Luciano Pellegrini, Laurence Revol, Jean-Pierre Reynaud,
Myriam Roman, Guy Rosa, Jacques Seebacher, Denis Sellem, Marieke Stein, Delphine
Van de Sype, Vincent Wallez, Judith Wulf, Choï Young
Sans commission ni rétro-commission de l'éditeur, David Charles communique cette image illustrant un outil publicitaire de librairie (coffret ou présentoire).Elle donne à Hugo le rang et l'attitude qui conviennent; elle définit aussi avec beaucoup de justesse les relations entre Hugo et Flaubert.
Michelet
En infraction à la règle implicite de n'annoncer que ce qui concerne Hugo, Guy Rosa propose à l'admiration des foules la biographie de Michelet par Paule Petitier tout récemment parue chez Grasset et en tous points remarquable. Ne serait-ce que parce que, sans même considérer son intérêt pour Michelet, c'est une synthèse très vaste et très précise à la fois et, surtout, profondément compréhensive du mouvement des idées et des savoirs au 19° siècle. Faut-il lire vingt livres sur la religion au 19° siècle ? point du tout, on s'y perdra et la question n'en sera pas éclairée ; il faut et il suffit de lire Paule Petitier parce qu'elle met les choses en perspective en fixant les interrogations auxquelles répondent les idées.
JACQUES SEEBACHER : C'est le moins qu'on puisse dire. Ce livre fait preuve d'une intelligence éclatante, d'une vivacité et d'une précision toute féminines. Il est extraordinaire de finesse. Rosa me dit [on a coupé NDLR] avoir compris pourquoi je suis autant sinon plus imprégné de Michelet que de Hugo, mais cela va de soi. D'ailleurs ils se vouaient une admiration réciproque dont Paule Petitier définit parfaitement les fondements.
GUY ROSA : Quoiqu'ils n'aient jamais entretenu de relations vraiment
personnelles. Peut-être pour des motifs de caractère plus que d'idées et peut-être
aussi parce que, on le
C'est un livre lumineux, assez loin du Michelet ténébreux de Barthes. Peut-être parce que Paule Petitier est une femme ; sans doute faut-il être femme pour traiter avec simplicité et gaîté du sexe actif de Michelet. Lui-même et ses biographes masculins en font une préoccupation, un motif de gloire ou de honte, toute une histoire ; une femme peut avoir un autre point de vue, plus détendu.
JACQUES SEEBACHER : Allons à l'essentiel : Paule Petitier permet de comprendre la grande innovation de Michelet : le rapport entre l'histoire et l'individualité, pratiqué et théorisé par lui : les contemporains ne se contentent pas de faire, ou de subir, l'histoire, ils la vivent ; elle est leur histoire ; et elle échappe lorsqu'on prétend la dire sans la revivre avec eux. Son intériorisation par l'historien commande sa compréhension. Réciproquement, pas de « moi » qui ne soit saturé d'histoire. Rien de plus absurde et de plus faux que la séparation du « public » et du « privé ». Bref, appuyée sur la masse du travail fourni par Pierre Viallaneix et y ajoutant encore, Paule Petitier produit un condensé qui se lit comme un phare sur cette question essentielle au XIXème siècle -et sur quelques autres.
Rimbaud
Guy Rosa fait circuler un article de Steve Murphy : « Architecture, astronomie, balistique : le châtiment de Hugo » publié dans Parade sauvage, Colloque n° 5. C'est un commentaire de L'Homme juste de Rimbaud. Hugo avait depuis longtemps été reconnu dans le personnage visé, S. Murphy fait l'historique de l'exégèse de ce poème et lui-même y a déjà contribué. Mais outre que plusieurs gloses nouvelles sont ajoutées, cet article propose une lecture synthétique du texte, en montrant que Rimbaud y retourne contre Hugo ses propres procédés, ceux de Châtiments en particulier, nourrissant cette imprécation pleine de rage de hugolismes qui sont le fait de Hugo lui-même ou qu'il a autorisés. En montrant aussi que le poème doit se lire comme daté : le Hugo mis en accusation est celui qui a abandonné, voire trahi, les Communards. Il faut avouer que c'est convaincant et que ce ne serait pas sans dommage pour l'un ou l'autre des deux poètes entre lesquels le lecteur serait sommé de choisir, si n'était pas prise en compte l'énonciation dissociée du texte, qui n'assume pas pleinement l'intervention du « Maudit ».
Conférences :
Bernard Le Drezen annonce la tenue de deux colloques :
Le premier, intitulé « Révolutions au XIXème siècle, violence et identité, 1789-1871 », aura lieu du 10 au 12 mai à Clermont Ferrand et est organisée par le Centre de recherches révolutionnaires et romantiques de l'université Blaise Pascal. Il y sera en partie question de Hugo. Bernard Le Drezen lui-même y présentera une communication sur Quatrevingt-Treize et Les Chouans.
Le second aura lieu à Paris et portera sur Léon Blum, le 17 mai 2006. Bernard Le Drezen souligne le fait que Hugo jouissait d'une autorité morale très importante et généralement sous-estimée auprès des hommes politiques de la génération de Blum. Ce dernier, en particulier, qui connaissait parfaitement l'ouvre de Hugo et dont l'éloquence mais aussi toute la conception du socialisme est imprégnée de l'influence de Hugo, se souvenait être venu, tout jeune, avec son frère Robert l'écouter parler au Sénat.
CLAUDE MILLET : La Revue blanche, à cette époque, est en effet hantée par le souvenir de Hugo.
BERNARD LE DREZEN : Il est présent alors dans tous les esprits. Quantités d'anecdotes pourraient en témoigner, celle-ci par exemple : Jaurès est ainsi interrompu dans un discours par Barrès : « Je vous reconnais, M. Jaurès, vous vous appelez Mgr Myriel ! »
BERNARD LEUILLOT : Le fameux « Victor Hugo, hélas ! » de Gide ne dit rien d'autre dans le regret que Hugo soit le seul « plus grand poète français ».
Guy Rosa répercute la question d'une étudiante travaillant sur les biographies de Rosa Bonheur, qui cherche à localiser et à authentifier quelques phrases sur elle, plus qu'élogieuses, dont Hugo serait l'auteur. La source est anglaise ; Jean-Pierre Reynaud traduit ; cela ne rien à personne ; mais Hovasse, dont on ne sollicite jamais le secours en vain, signale que les deux Adèle connaissaient Rosa Bonheur et lui rendent visite à son atelier au début de 1852. Adèle II avait été impressionnée par cette rencontre, qu'elle mentionne dans son Journal.
Bernard Leuillot annonce que la propriété de Lunel, résidence ayant appartenu à Jean Hugo, a été vidée de ses meubles pour être mise en vente. Jacques Seebacher rappelle que cette propriété était une providence pour les chercheurs hugoliens, et qu'ils y ont toujours été extrêmement bien accueillis.
Jean-Pierre Reynaud s'interroge sur la façon dont Jean Valjean a trouvé de l'argent pour se vêtir de façon correcte lorsqu'il est tombé du vaisseau de L'Orion. Le texte précise seulement que « l'argent ne [lui] manquait pas ».
BERNARD LEUILLOT : On peut, de la même façon, se demander sous quel nom il logeait dans la masure Gorbeau.
JEAN- PIERRE REYNAUD : Les Misérables sont un roman réaliste, mais troué.
GUY ROSA : La désinvolture de Hugo à l'égard de certains détails de ce genre est visible au manuscrit. Les sommes d'argent sont pratiquement toutes objet de correction, l'âge des personnages aussi et Jean Valjean, au début de l'action, oscille de 53 à 56 ans, Cosette à Montfermeil de 5 à 7.
La discussion s'est parfois égarée vers la grande réussite de Heredia : ses trois filles, dont deux totalisaient, à des titres divers, trois académiciens et dont la plus célèbre, Marie épousa, non sans s'octroyer Pierre Louÿs pour amant, le poète Henri de Régnier, conduit à régler en retour les dettes de son beau-père.
La photo ci-après de Marie de Heredia de Regnier y Louÿs, communiquée par Jean-Pierre Reynaud, excuse ces égarements.
Photographie de Pierre Louÿs (1898)
CLAUDE MILLET : Quelles étaient les activités littéraires de Heredia en dehors de l'écriture des Trophées ?
JEAN-MARC HOVASSE : Il a traduit la Chronique des conquérants de l'or. Il était directeur d'un journal politique et littéraire, Le Journal. Il a été le Conservateur de la bibliothèque de l'Arsenal.
CLAUDE MILLET : Et quels étaient ses amis ?
JEAN-MARC HOVASSE : Il recevait Valéry, Pierre Louÿs, tous les écrivains de la fin de siècle.
GUY ROSA : Son ouvre semble particulièrement brève.
JEAN-MARC HOVASSE : Cela faisait déjà rire ses contemporains.
JEAN-PIERRE REYNAUD : L'ouvre de Mallarmé n'occupe pas, au fond, beaucoup plus de volumes.
GUY ROSA : Il n'a été question que de poésie ; Heredia connaissait-il les oeuvres en prose de Hugo ?
JEAN-MARC HOVASSE : Il n'a laissé, à ma connaissance, aucun commentaire sur le sujet.
JEAN-MARC HOVASSE : En vérité, les premiers vers de Heredia sont très lamartiniens. JEAN-PIERRE REYNAUD : Vous avez cité un vers, dans « L'hommage à Gautier » - « Et lorsque l'Hippogriffe a relayé Pégase » - dans lequel Pégase représente le goût de la poésie pour l'antiquité, et l'Hippogriffe une forme de poésie baroque. Heredia semble condamner le fait que les poètes cherchent la poésie dans l'antiquité, et pourtant l'image de Pégase est présente dans son ouvre, de même, par exemple, que chez Hugo, dans les Chansons des rues et des bois.
JEAN-MARC HOVASSE : Certes, mais Heredia condamne moins la mythologie que l'usage que les poètes en font.
CLAUDE MILLET : Le poème d'hommage à Gautier témoigne en outre d'un certaine forme de nostalgie à l'égard d'une génération disparaissante.
BERNARD LEUILLOT : La correspondance entre Pierre Louÿs et Valéry est très intéressante à étudier. Ils évoquent tous deux très régulièrement l'ouvre de Hugo.
GUY ROSA : On a l'impression, à vous entendre, d'une terrible étroitesse de la vie littéraire du temps : cercle très petit et préoccupation guère plus grandes .
CLAUDE MILLET : Il faut distinguer les années 1870 des décennies 80 et 90. Pendant les années 1870, la littérature tente de s'implanter dans la cité, on fait des lectures publiques, on publie des recueils collectifs.
JEAN-MARC HOVASSE : On se trouvait alors en temps de crise.
CLAUDE MILLET : Certes, mais c'est une période importante. Heredia, contrairement à Leconte de Lisle, il me semble, n'a pas part à ce bouillonnement.
JEAN-MARC HOVASSE : Il tient plutôt son salon à la fin du siècle.
YVETTE PARENT : Et qu'était-il politiquement ?
JEAN-MARC HOVASSE : Passablement réactionnaire, mais ni plus ni moins que les autres. C'étaiot l'enfant d'une très riche famille de très grands propriétaires terriens à Cuba, cultivateurs et propriétaire d'esclaves, jusqu'au démantèlement de leurs biens, vers 1840. Mais pour le ruiner entièrement, il fallut aussi sa passion du jeu et au démantèlement de ses terres à Cuba.
JEAN-PIERRE REYNAUD : Leconte de Lisle était-il plus proche, politiquement, de Hugo ?
JEAN-MARC HOVASSE : Il a été quarante-huitard, mais est devenu ensuite plus réactionnaire que Heredia lui-même.
JEAN-PIERRE REYNAUD : Le nom « Heredia » n'a-t-il rien voir, en espagnol, avec la racine des mots désignant l'héritage ?
JEAN-MARC HOVASSE : Cela me semble probable.
GUY ROSA : Ca tomberait bien : cet héritier achève de se ruiner, incapable de transmettre les biens hérités ou s'y refusant. Sa conduite littéraire n'est pas sans analogie : revendiquant un faux héritage (Lamartine et Chénier) et déniant la réalité des vrais (Leconte de Lisle et Hugo).
GUY ROSA : Encore un sujet de thèse : le retentissement de La Légende des Siècles, beaucoup plus grand que celui des Contemplations.
BERNARD LEUILLOT : Sans doute est-ce une ouvre plus facile à recommencer pour s'en inspirer, l'imiter ou la parodier. Les Contemplations forment une ouvre à part. La Légende des Siècles peut, par nature, être continuée à l'infini.
Dernière vignette, également communiquée par Jean-Pierre Reynaud : Les ramoneurs en marche ( ou Navet, Gavroche et Petit-Gervais), photographie de Charles Nègre, antérieure à mai 1852, conservée au Musée Carnavalet.
Equipe "Littérature et civilisation du 19° siècle"
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