Présents : Josette
Acher, Ludmila Charles-Wurtz, Françoise Chenet, Olivier Decroix, Stéphane Desvignes,
Pierre Georgel, Delphine Gleizes, Sophie Godefroy, Colette Gryner, Jean-Marc
Hovasse, Nana Ishibashi, Hiroko Kazumori, Franck Laurent, Loïc Le Dauphin, Bernard
Le Drezen, Bernard Leuilliot, Claire Montanari, Florence Naugrette, Yvette Parent,
Sandrine Raffin, Laurence Revol, Jean-Pierre Reynaud, Guy Rosa, Anne Ubersfeld,
Delphine Van de Sype, Vincent Wallez et Judith Wulf.
Florence Naugrette signale la publication chez Vuibert, en juin 2005, dune anthologie de textes dhistoriens et de romanciers du XIXème siècle sur La Révolution française. Ses auteurs, Pascal Dupuy et Claude Mazauric, ont suivi un plan chronologique. On y trouve quelques textes de Hugo, tous extraits de Quatrevingt-Treize.
Guy Rosa conseille de voir (et de lire) lexposition conçue par Pierre Georgel à la maison de Victor Hugo : « Cet immense rêve de locéan », utilement fixée et remémorée par son catalogue. Il signale aussi quil a écouté attentivement le CD du spectacle de Berliner, « Mon alter Hugo » et se risque à le commenter : voix très belle et agréable, bon suivi du rythme du vers, respect scrupuleux (sauf aux « e » muets) du compte des syllabes, musique originale et inventive qui sait ne pas écraser le vers sous la mélodie, comme il arrive le plus souvent lorsquon met des poèmes en « chansons ». Lensemble est assez réussi, même si certains morceaux séloignent parfois de la tonalité des poèmes quils accompagnent.
La liste se complète voir le compte rendu de la séance de novembre.
Bernard Leuilliot revient sur le travail dédition des Misérables évoqué lors de la dernière séance du Groupe Hugo. Il avoue que cest à lui, et non à René Journet auteur de la présentation, quon doit le choix par Garnier-Flammarion de lédition originale celle de Bruxelles et non de Paris, conformément à la recommandation faite par Hugo pour la publication des uvres de lexil mais peut-être à tort : plusieurs fautes de lédition belge ont été corrigées dans la parisienne.
Guy Rosa, de son côté, corrige lécho quil a donné à lopinion générale sur lédition de lImprimerie Nationale. Il est vrai quelle ne reproduit aucun texte existant, ni le manuscrit ni aucune édition, et que ses choix nobéissent à aucune règle explicite. Mais ils ne sont peut-être pas pour autant aussi arbitraires quil semble : on peut penser finalement mais à en juger par un échantillon encore trop étroit- quelle reproduit lédition de 1880 avec retour au manuscrit en cas derreur avérée (celles repérables de la copie de Juliette) ou probable. De sorte quil nest pas impossible quelle puisse servir dédition de référence.
Jean-Pierre Reynaud : LImprimerie Nationale a pourtant laissé passé de nombreuses fautes, en particulier dans les textes autour des Misérables. On ne peut savoir sil sagit derreurs de Hugo ou de Paul Meurice.
Guy Rosa : Certes, mais ma remarque portait sur le texte lui-même.
Bernard Leuilliot : Est-on en mesure de savoir qui a corrigé lédition de 1880 ? Est-ce vraiment Hugo ? Je ne limagine pas relisant lintégralité des Misérables à lépoque.
Guy Rosa : Moi non plus. Tout ce que je peux dire, cest que lédition de 1880 normalise davantage la ponctuation que loriginale, en cela plus proche du manuscrit.
Pierre Georgel : Sans doute faut-il donc accorder un grand rôle aux correcteurs de limprimerie ou de léditeur.
Bernard Leuilliot : On ne peut pas dire en tout cas, pour ce qui concerne la première édition des Misérables, que Hugo ne se soit pas intéressé à la question de la ponctuation. Par exemple, souvent il place une virgule avant la conjonction « et » ; les typographes la suppriment ; il la rétablit voir la correspondance avec Lacroix). Cest un de ses traits de style, marque de loralité du discours.
Guy Rosa : Cependant, la ponctuation est distribuée de façon inégale dans les manuscrits : parfois avec une grande vigilance, parfois non.
Bernard Leuilliot : Cela peut se comprendre. Les aberrations de la ponctuation saperçoivent lorsque lon passe de lécriture cursive à limpression des textes. Sauf lorsque lauteur a des intentions précises, la ponctuation est souvent négligée sur le manuscrit.
Guy Rosa : Sait-on qui a fait la copie entre 1860 et 1862 ?
Jean-Marc Hovasse: Sans doute Julie Chesnay.
Guy Rosa : Elle y mettait, apparemment, plus de soin que Juliette : dans les chapitres du moins que jai vérifiés, les écarts entre manuscrits et copie sont très rares pour les textes ajoutés en exil.
Guy Rosa rappelle que la bibliothèque du XIXème siècle de Jussieu, qui accueille nos réunions, possède une « réserve » importante dont on manque les ressources si lon se contente de parcourir les rayons. Elle dispose dautre part, en microfilms, de nombreuses revues littéraires du XIXème siècle -fonds constitué par Pierre Albouy aidé de José-Luis Diaz lors des premières années de Jussieu.
Bernard Leuilliot signale que la revue Europe a été numérisée, ce qui facilite son accès. Guy Rosa ajoute que lon trouve, sur le site de la BNF, de nombreux articles sur Hugo, numérisés en 2002 à loccasion du bicentenaire de sa naissance.
PIERRE GEORGEL corrige, dans la communication d'Yvette Prent, la datation de la série des dessins intitulée « Le Poème de la sorcière » (bonne date rétablie dans le texte joint).
DELPHINE GLEIZES : Limage de la ville comme damier, que vous avez évoquée, rappelle un poème des Années Funestes, « Quand à Paris ton poing létreint ». Hugo y oppose le dédale des rues de la ville médiévale et le damier formé par les avenues dHaussmann.
BERNARD LEUILLOT rappelle, sous forme de boutade, que lon a déjà comparé Les Misérables à un jeu de loie.
BERNARD LE DREZEN : Je suis frappé de voir, à la lueur de ton exposé, que Hugo passe finalement sous silence la seule vraie entrée royale qui a eu lieu à son époque, celle du double retour des Bourbons en 1814 et 1815. On peut se demander pourquoi, et répondre en disant quil sagit sans doute dun trop piètre modèle. Ce retour peu glorieux pose la question de la souveraineté. « LOde sur le rétablissement de la statue dHenri IV » souligne la modification du rôle du peuple. Dautre part, si lon sattache au poème « Souvenir denfance », on saperçoit que Napoléon entre moins dans la ville quil n »y passe. On peut en dire autant des rois : ils passent plus quils ne restent. Le vers de « Napoléon II » que tu as cité est assez significatif : « Dieu garde la durée et vous laisse lespace ». Lespace, à la rigueur, appartient aux puissants, jamais la durée.
FRANCK LAURENT : Cest très juste. Hugo névoque jamais sans ironie le pouvoir des rois. Il a conscience de leur incapacité à fonder une nouvelle souveraineté qui, si elle ne dure pas, na pas dexistence en soi. L« eternitas » lui manque pour linstaurer et la légitimer. La seule souveraineté qui demeure est celle du peuple : il ne change pas, « lui quon nexile pas et qui laisse régner ».
BERNARD LEUILLIOT : Le motif du soleil qui se couche, lui aussi, relativise limportance de lévénement historique et du retour du roi. La loi des saisons lemporte sur tout ce qui appartient à lhumain.
FRANCK LAURENT : Jessayais surtout de voir, dans mon étude, comment une cérémonie particulière était retranscrite et travaillée. Mais la notion de cycle des saisons, effectivement, est dautant plus intéressante quelle constitue lun des symboles des entrées royales traditionnelles. Les rois, entrant dans la ville, symbolisent lordre établi et sont souvent liés, dans limagerie, à léternité de lordre cosmique. Hugo renverse cette image traditionnelle.
BERNARD LEUILLIOT : Il met en effet laccent sur la vanité et la fausseté de lentrée royale. Par une sorte de sarcasme tout de même violent, les quatre vers de lépigraphe de lode sur « Le rétablissement de la statue de Henri IV » sont tirés de LEnéide et évoquent les beaux efforts du peuple pour faire entrer dans leur ville le cheval de Troie !
ANNE UBERSFELD : Je suis étonnée par la faiblesse, dans ces poèmes, de lidée de lavenir de la monarchie.
FRANCK LAURENT : Tous les régimes évoqués par Hugo dans mon corpus ont un problème avec le temps. Dans « Napoléon II », Hugo donne une définition de Dieu particulièrement intéressante : « Dieu, cest lavenir ». Dieu est un principe dindétermination qui permet lavenir : « Tu ne prendras pas demain à léternel ». Lavenir souvre à mesure que le pouvoir monarchique faiblit.
PIERRE GEORGEL, revenant sur la vanité du pouvoir monarchique selon Hugo : Le motif de lentrée royale, en particulier dans «Le rétablissement de la statue de Henri IV », recoupe celui de la statue, souvent très ambigu chez Hugo. La statue est en effet à la fois symbole de majesté et signe du vide et de limposture. La plus belle « entrée royale » de toute luvre de Hugo nest-elle pas celle des statues de La Révolution ?
Un autre archétype mine lentrée royale : celui de la fuite à Varennes, entrée renversée topologiquement, mais aussi esthétiquement elle appartient à lunivers de la comédie bourgeoise et offre une parodie sinistre, totalement désacralisée, de lentrée royale. Il y en a un écho dans Les Misérables, lorsque Jean Valjean voit passer Louis XVIII sur le boulevard de lHôpital, réduit à une caricature fugitive : « cest ce gros qui est le gouvernement ».
FRANCK LAURENT : Cet exemple est particulièrement intéressant, je laurais évoqué si je navais dû me limiter dans le temps et dans le genre. Il y a, dès Notre-Dame de Paris et avant, une préoccupation de Hugo au sujet de la fête officielle. Il croit à la nécessité dun ordonnancement du symbolique, donc à limportance des fêtes, mais en même temps, il leur reproche leur caractère illusoire. Sur ce point, il ne variera pas : pensons au poème sur la revue de Longchamp : « Et, songeant que cétaient des vaincus, jai pleuré ».
YVETTE PARENT : Dans Notre-Dame de Paris, la fête nest pas liée à la puissance du pouvoir royal, bien au contraire. Louis XI rentre secrètement. Tout le monde méprise la fête qui sert seulement à contenter le peuple. Plus le pouvoir royal est fort, moins il a besoin de donner de fêtes. Hugo reproche dailleurs à Louis XIV ce quil appelle son pouvoir de comédien.
GUY ROSA : Après lentrée des alliés à Paris en 1815 (à laquelle Hugo a assisté), il était sans doute difficile de revenir à la tradition des entrées royales.
FRANCK LAURENT : Cest vrai : les puissances ont essayé de se servir à nouveau de ce motif pour asseoir leur pouvoir alors que tout disait que cela ne marcherait pas.
PIERRE GEORGEL : Il est pourtant arrivé que cela marche. Précédée par l'arrivée en garde du Nord le 5 septembre 1870, lavant-dernière « entrée royale » à Paris fut le parcours du « corbillard des pauvres » ; la dernière celle de De Gaulle en 44! Elle réparait le défilé des Allemands en mai 40.
GUY ROSA : Ce que ne pouvait faire, au contraire, celle de Louis XVIII. Le retour des cendres et le rétablissement de la statue représentent au fond la même chose : ce sont des rentrées commémoratives dun passé disparu. En ce sens, elles sapparentent au retour de Louis XVI à Paris en octobre 89.
FRANCK LAURENT : Oui, mais toute « entrée » est un retour. Il sagit avant tout de réaffirmer un pouvoir faiblissant.
GUY ROSA : Lentrée classique ne se fonde-t-elle pas sur la négociation et la reconnaissance réciproque entre le pouvoir municipal et le pouvoir féodal ? En cela elle serait moins geste de conquête quacceptation mutuelle dun pouvoir par un autre.
FRANCK LAURENT : La dernière phase dentrées réussies concerne Louis XIII. Il lui fallait marquer le territoire et réaffirmer son pouvoir sur les nobles. Cétait loccasion de réactiver limaginaire du roi comme lion, comme bête fauve à apprivoiser. Lidée de retour est presque toujours présente. Le cas de Napoléon est un peu différent : il rentre, mais pas comme souverain.
JEAN-PIERRE REYNAUD : Les fêtes royales sont peut-être, a posteriori, disqualifiées par celles du second Empire.
FRANCK LAURENT : Les historiens présents au colloque lors duquel jai présenté cette communication avaient en effet une hypothèse proche : selon eux, les voyages présidentiels de 1852 peuvent se lire comme lentrée royale des grands monarques ; plus généralement, Napoléon III gère mieux le rapport à la masse populaire que les rois qui le précèdent.
DELPHINE GLEIZES : Les fêtes sont souvent déceptives chez Hugo. Dans Choses vues, il se moque par exemple des installations de carton-pâte quelles engendrent. Il faut du temps pour sacraliser les choses. La poésie en est capable, mieux quaucun bâtiment.
FRANCK LAURENT : Il est vrai que les entrées royales donnent souvent lieu à linstallation de simulacres, de toiles peintes, de décorations fugaces. Il faut faire une exception pour Louis XIV, pour lequel on construit les portes Saint-Denis et Saint-Martin. Et encore. Hugo, quelque part, note que le peuple traduit Ludovico magno par « Porte Saint-Martin ».
DELPHINE GLEIZES : Il sagit dune figure dornementation porteuse de sens, mais en même temps obsolète.
FRANCK LAURENT : Doù limportance de larticulation de la poésie à cet événement. Il y a à la fois volonté de rendre solennel et déterniser un moment fugace. Sans le vouloir, Hugo dit la fugacité de la souveraineté.
Claire Montanari
Equipe "Littérature et civilisation du 19° siècle"
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