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Séance du 17 décembre 2005

Présents : Josette Acher, Ludmila Charles-Wurtz, Françoise Chenet, Olivier Decroix,  Stéphane Desvignes, Pierre Georgel, Delphine Gleizes, Sophie Godefroy, Colette Gryner, Jean-Marc Hovasse, Nana Ishibashi, Hiroko Kazumori, Franck Laurent, Loïc Le Dauphin, Bernard Le Drezen, Bernard Leuilliot, Claire Montanari, Florence Naugrette, Yvette Parent, Sandrine Raffin, Laurence Revol, Jean-Pierre Reynaud, Guy Rosa, Anne Ubersfeld, Delphine Van de Sype, Vincent Wallez et Judith Wulf.


Informations

Publications :

Florence Naugrette signale la publication chez Vuibert, en juin 2005, d’une anthologie de textes d’historiens et de romanciers du XIXème siècle sur La Révolution française. Ses auteurs, Pascal Dupuy et Claude Mazauric, ont suivi un plan chronologique. On y trouve quelques textes de Hugo, tous extraits de Quatrevingt-Treize.

 

Spectacles, expositions, conférences :

Guy Rosa conseille de voir (et de lire) l’exposition conçue par Pierre Georgel à la maison de Victor Hugo : « Cet immense rêve de l’océan… », utilement fixée et remémorée par son catalogue. Il signale aussi qu’il a écouté attentivement le CD du spectacle de Berliner, « Mon alter Hugo » et se risque à le commenter : voix très belle et agréable, bon suivi du rythme du vers, respect scrupuleux (sauf aux « e » muets) du compte des syllabes, musique originale et inventive qui sait ne pas écraser le vers sous la mélodie, comme il arrive le plus souvent lorsqu’on met des poèmes en « chansons ». L’ensemble est assez réussi, même si certains morceaux s’éloignent parfois de la tonalité des poèmes qu’ils accompagnent.

 

Travaux en cours :

La liste se complète –voir le compte rendu de la séance de novembre.

 

Bernard Leuilliot revient sur le travail d’édition des Misérables évoqué lors de la dernière séance du Groupe Hugo. Il avoue que c’est à lui, et non à René Journet auteur de la présentation, qu’on doit le choix par Garnier-Flammarion de l’édition originale –celle de Bruxelles et non de Paris, conformément à la recommandation faite par Hugo pour la publication des œuvres de l’exil mais peut-être à tort : plusieurs fautes de l’édition belge ont été corrigées dans la parisienne.

Guy Rosa, de son côté, corrige l’écho qu’il a donné à l’opinion générale sur l’édition de l’Imprimerie Nationale. Il est vrai qu’elle ne reproduit aucun texte existant, ni le manuscrit ni aucune édition, et que ses choix n’obéissent à aucune règle explicite. Mais ils ne sont peut-être pas pour autant aussi arbitraires qu’il semble : on peut penser finalement –mais à en juger par un échantillon encore trop étroit- qu’elle reproduit l’édition de 1880 avec retour au manuscrit en cas d’erreur avérée (celles repérables de la copie de Juliette) ou probable. De sorte qu’il n’est pas impossible qu’elle puisse servir d’édition de référence.

Jean-Pierre Reynaud : L’Imprimerie Nationale a pourtant laissé passé de nombreuses fautes, en particulier dans les textes autour des Misérables. On ne peut savoir s’il s’agit d’erreurs de Hugo ou de Paul Meurice.

Guy Rosa : Certes, mais ma remarque portait sur le texte lui-même.

Bernard Leuilliot : Est-on en mesure de savoir qui a corrigé l’édition de 1880 ? Est-ce vraiment Hugo ? Je ne l’imagine pas relisant l’intégralité des Misérables à l’époque.

Guy Rosa : Moi non plus. Tout ce que je peux dire, c’est que l’édition de 1880 normalise davantage la ponctuation que l’originale, en cela plus proche du manuscrit.

Pierre Georgel : Sans doute faut-il donc accorder un grand rôle aux correcteurs de l’imprimerie ou de l’éditeur.

Bernard Leuilliot : On ne peut pas dire en tout cas, pour ce qui concerne la première édition des Misérables, que Hugo ne se soit pas intéressé à la question de la ponctuation. Par exemple, souvent il place une virgule avant la conjonction « et » ; les typographes la suppriment ; il la rétablit –voir la correspondance avec Lacroix). C’est un de ses traits de style, marque de l’oralité du discours.

Guy Rosa : Cependant, la ponctuation est distribuée de façon inégale dans les manuscrits : parfois avec une grande vigilance, parfois non.

Bernard Leuilliot : Cela peut se comprendre. Les aberrations de la ponctuation s’aperçoivent lorsque l’on passe de l’écriture cursive à l’impression des textes. Sauf lorsque l’auteur a des intentions précises, la ponctuation est souvent négligée sur le manuscrit.

Guy Rosa : Sait-on qui a fait la copie entre 1860 et 1862 ?

Jean-Marc Hovasse: Sans doute Julie Chesnay.

Guy Rosa : Elle y mettait, apparemment, plus de soin que Juliette : dans les chapitres du moins que j’ai vérifiés, les écarts entre manuscrits et copie sont très rares pour les textes ajoutés en exil.

 

Lieux de recherches :

Guy Rosa rappelle que la bibliothèque du XIXème siècle de Jussieu, qui accueille nos réunions, possède une « réserve » importante dont on manque les ressources si l’on se contente de parcourir les rayons. Elle dispose d’autre part, en microfilms, de nombreuses revues littéraires du XIXème siècle -fonds constitué par Pierre Albouy aidé de José-Luis Diaz lors des premières années de Jussieu.

Bernard Leuilliot signale que la revue Europe a été numérisée, ce qui facilite son accès. Guy Rosa ajoute que l’on trouve, sur le site de la BNF, de nombreux articles sur Hugo, numérisés en 2002 à l’occasion du bicentenaire de sa naissance.

 


Communication de Yvette Parent : Narration et représentation dans Notre-Dame de Paris  (voir texte joint)


 

PIERRE GEORGEL corrige, dans la communication d'Yvette Prent, la datation de la série des dessins intitulée « Le Poème de la sorcière » (bonne date rétablie dans le texte joint).

DELPHINE GLEIZES : L’image de la ville comme damier, que vous avez évoquée, rappelle un poème des Années Funestes, « Quand à Paris ton poing l’étreint ». Hugo y oppose le dédale des rues de la ville médiévale et le damier formé par les avenues d’Haussmann.

BERNARD LEUILLOT rappelle, sous forme de boutade, que l’on a déjà comparé Les Misérables à un jeu de l’oie.

 


Communication de Franck Laurent : Le Roi, l'Empereur, la Ville : variations sur "l'entrée royale" dans l'oeuvre poétique de Victor Hugo sous la Restauration et la Monarchie de Juillet (voir texte joint)


Discussion

Sur l’impossibilité d’établir la souveraineté royale :

BERNARD LE DREZEN : Je suis frappé de voir, à la lueur de ton exposé, que Hugo passe finalement sous silence la seule vraie entrée royale qui a eu lieu à son époque, celle du double  retour des Bourbons en 1814 et 1815. On peut se demander pourquoi, et répondre en disant qu’il s’agit sans doute d’un trop piètre modèle. Ce retour peu glorieux pose la question de la souveraineté. « L’Ode sur le rétablissement de la statue d’Henri IV » souligne la modification du rôle du peuple. D’autre part, si l’on s’attache au poème « Souvenir d’enfance », on s’aperçoit que Napoléon entre moins dans la ville qu’il n »y passe.  On peut en dire autant des rois : ils passent plus qu’ils ne restent. Le vers de « Napoléon II » que tu as cité est assez significatif : « Dieu garde la durée et vous laisse l’espace ». L’espace, à la rigueur, appartient aux puissants, jamais la durée.

FRANCK LAURENT : C’est très juste. Hugo n’évoque jamais sans ironie le pouvoir des rois. Il a conscience de leur incapacité à fonder une nouvelle souveraineté qui, si elle ne dure pas, n’a pas d’existence en soi. L’« eternitas » lui manque pour l’instaurer et la légitimer. La seule souveraineté qui demeure est celle du peuple : il ne change pas, « lui qu’on n’exile pas et qui laisse régner ».

BERNARD LEUILLIOT : Le motif du soleil qui se couche, lui aussi, relativise l’importance de l’événement historique et du retour du roi. La loi des saisons l’emporte sur tout ce qui appartient à l’humain.

FRANCK LAURENT : J’essayais surtout de voir, dans mon étude, comment une cérémonie particulière était retranscrite et travaillée. Mais la notion de cycle des saisons, effectivement, est d’autant plus intéressante qu’elle constitue l’un des symboles des entrées royales traditionnelles. Les rois, entrant dans la ville, symbolisent l’ordre établi et sont souvent liés, dans l’imagerie, à l’éternité de l’ordre cosmique. Hugo renverse cette image traditionnelle.

BERNARD LEUILLIOT : Il met en effet l’accent sur la vanité et la fausseté de l’entrée royale. Par une sorte de sarcasme tout de même violent, les quatre vers de l’épigraphe de l’ode sur « Le rétablissement de la statue de Henri IV » sont tirés de L’Enéide et évoquent les beaux efforts du peuple pour faire entrer dans leur ville le cheval de Troie ! 

 

Sur la question de l’avenir :

ANNE UBERSFELD : Je suis étonnée par la faiblesse, dans ces poèmes, de l’idée de l’avenir de la monarchie.

FRANCK LAURENT : Tous les régimes évoqués par Hugo dans mon corpus ont un problème avec le temps. Dans « Napoléon II », Hugo donne une définition de Dieu particulièrement intéressante : « Dieu, c’est l’avenir ». Dieu est un principe d’indétermination qui permet l’avenir : « Tu ne prendras pas demain à l’éternel ». L’avenir s’ouvre à mesure que le pouvoir monarchique faiblit.

 

Sur le rôle des fêtes officielles :

PIERRE GEORGEL, revenant sur la vanité du pouvoir monarchique selon Hugo : Le motif de l’entrée royale, en particulier dans «Le rétablissement de la statue de Henri IV », recoupe celui de la statue, souvent très ambigu chez Hugo. La statue est en effet à la fois symbole de majesté et signe du vide et de l’imposture. La plus belle « entrée royale » de toute l’œuvre de Hugo n’est-elle pas celle des statues de La Révolution ?

Un autre archétype mine l’entrée royale : celui de la fuite à Varennes, entrée renversée topologiquement, mais aussi esthétiquement –elle appartient à l’univers de la comédie bourgeoise et offre une parodie sinistre, totalement désacralisée, de l’entrée royale. Il y en a un écho dans Les Misérables, lorsque Jean Valjean voit passer Louis XVIII sur le boulevard de l’Hôpital, réduit à une caricature fugitive : « c’est ce gros qui est le gouvernement ».

FRANCK LAURENT : Cet exemple est particulièrement intéressant, je l’aurais évoqué si je n’avais dû me limiter dans le temps et dans le genre. Il y a, dès Notre-Dame de Paris et avant, une préoccupation de Hugo au sujet de la fête officielle. Il croit à la nécessité d’un ordonnancement du symbolique, donc à l’importance des fêtes, mais en même temps, il leur reproche leur caractère illusoire. Sur ce point, il ne variera pas : pensons au poème sur la revue de Longchamp : « Et, songeant que c’étaient des vaincus, j’ai pleuré ».

YVETTE PARENT : Dans Notre-Dame de Paris, la fête n’est pas liée à la puissance du pouvoir royal, bien au contraire. Louis XI rentre secrètement. Tout le monde méprise la fête qui sert seulement à contenter le peuple. Plus le pouvoir royal est fort, moins il a besoin de donner de fêtes. Hugo reproche d’ailleurs à Louis XIV ce qu’il appelle son pouvoir de comédien.

 

Sur l’entrée comme retour :

GUY ROSA : Après l’entrée des alliés à Paris en 1815 (à laquelle Hugo a assisté), il était sans doute difficile de revenir à la tradition des entrées royales.

FRANCK LAURENT : C’est vrai : les puissances ont essayé de se servir à nouveau de ce motif pour asseoir leur pouvoir alors que tout disait que cela ne marcherait pas.

PIERRE GEORGEL : Il est pourtant arrivé que cela marche. Précédée par l'arrivée en garde du Nord le 5 septembre 1870, l’avant-dernière « entrée royale » à Paris fut le parcours du « corbillard des pauvres » ; la dernière celle de De Gaulle en 44! Elle réparait le défilé des Allemands en mai 40.

GUY ROSA : Ce que ne pouvait faire, au contraire, celle de Louis XVIII. Le retour des cendres et le rétablissement de la statue représentent au fond la même chose : ce sont des rentrées commémoratives d’un passé disparu. En ce sens, elles s’apparentent au retour de Louis XVI à Paris en octobre 89.

FRANCK LAURENT : Oui, mais toute « entrée » est un retour. Il s’agit avant tout de réaffirmer un pouvoir faiblissant.

GUY ROSA : L’entrée classique ne se fonde-t-elle pas sur la négociation et la reconnaissance réciproque entre le pouvoir municipal et le pouvoir féodal ? En cela elle serait moins geste de conquête qu’acceptation mutuelle d’un pouvoir par un autre.

FRANCK LAURENT : La dernière phase d’entrées réussies concerne Louis XIII. Il lui fallait marquer le territoire et réaffirmer son pouvoir sur les nobles. C’était l’occasion de réactiver l’imaginaire du roi comme lion, comme bête fauve à apprivoiser. L’idée de retour est presque toujours présente. Le cas de Napoléon est un peu différent : il rentre, mais pas comme souverain.

JEAN-PIERRE REYNAUD : Les fêtes royales sont peut-être, a posteriori, disqualifiées par celles du second Empire.

FRANCK LAURENT : Les historiens présents au colloque lors duquel j’ai présenté cette communication avaient en effet une hypothèse proche : selon eux, les voyages présidentiels de 1852 peuvent se lire comme l’entrée royale des grands monarques ; plus généralement, Napoléon III gère mieux le rapport à la masse populaire que les rois qui le précèdent.

 

Poésie de l’entrée royale :

DELPHINE GLEIZES : Les fêtes sont souvent déceptives chez Hugo. Dans Choses vues, il se moque par exemple des installations de carton-pâte qu’elles engendrent. Il faut du temps pour sacraliser les choses. La poésie en est capable, mieux qu’aucun bâtiment.

FRANCK LAURENT : Il est vrai que les entrées royales donnent souvent lieu à l’installation de simulacres, de toiles peintes, de décorations fugaces. Il faut faire une exception pour Louis XIV, pour lequel on construit les portes Saint-Denis et Saint-Martin. Et encore. Hugo, quelque part, note que le peuple traduit Ludovico magno par « Porte Saint-Martin ».

DELPHINE GLEIZES : Il s’agit d’une figure d’ornementation porteuse de sens, mais en même temps obsolète.

FRANCK LAURENT : D’où l’importance de l’articulation de la poésie à cet événement. Il y a à la fois volonté de rendre solennel et d’éterniser un moment fugace. Sans le vouloir, Hugo dit la fugacité de la souveraineté. 

 Claire Montanari


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