Présents : Josette
Acher, Chantal Brière, Stéphanie Boulard, Ludmila Charles-Wurtz, Françoise Chenet-Faugeras,
Marguerite Delavalse, Mireille Gamel, Delphine Gleizes, Colette Gryner, Nana
Ishibashi, Claude Millet, Claire Montanari, Florence Naugrette, Yvette Parent,
Sandrine Raffin, Jean-Pierre Reynaud, Myriam Roman, Guy Rosa, Agnès Spiquel,
Denis Sellem, Marieke Stein et Anne Ubersfeld.
Le Groupe accueille Stéphanie Boulard, étudiante en Phd à lUniversité dAtlanta et, parallèlement, en doctorat, à celle de Vincennes.
Incorrigible, Guy Rosa fait circuler le palmarès de la fréquentation de notre site hugolien. En juillet, la communication la plus fréquemment consultée a été celle dYves Gohin, intitulée « Deux raisons dêtre appelée Cosette ». Guy Rosa trouve émouvant cet hommage statistique et anonyme au chercheur récemment disparu et y ajoute le sien et celui du Groupe.
Les Editions du Cephal viennent de publier, de Mireille Gamel, LHomme qui rit [du cinéaste] Paul Léni et louvrage circule.
Plus vite, il faut lavouer que celui tiré dun pli discret par Guy Rosa. Il avait cru pouvoir en apprendre lexistence à Jean-Marc Hovasse, qui lavait dans sa bibliothèque, non sans regretter que ce ne fût pas lédition illustrée : La Légende des sexes, poèmes hystériques, par Le Sire de Chambley, « imprimé à Bruxelles pour lauteur », 1883. On cite souvent le titre Les chansons des grues et des boas, pourquoi pas celui-là ?
Florence Naugrette indique un article de Jean-Marie Thomasseau, « Les manuscrits préparatoires à la mise en scène du Ruy Blas de Brigitte Jaques-Wajeman (Comédie Française, 2001) », paru dans Le Théâtre au plus près : pour André Veinstein en 2005.
Elle signale aussi que le Traité du mélodrame dAbel Hugo a été republié, présenté par Jean-Marie Thomasseau, dans le dernier numéro (4) de la revue Orage .
Elle évoque enfin un article dEmilio Sala, dans cette même revue, portant sur la musique de scène de Marie Tudor lors de sa création au théâtre de la porte Saint-Martin. Des partitions ont été spécialement écrites pour Lucrèce Borgia et Marie Tudor par le compositeur attitré du théâtre, Menchini. Certains leitmotiv et phrases musicales étaient liés à des personnages ; la musique soulignait aussi lintensité des passages les plus dramatiques. Hugo savait que ces pièces auraient un accompagnement musical, leur écriture a sûrement été infléchie par cette ressource prévue. Cest sensible, explique Florence Naugrette, à certaines didascalies dun type spécifique. Claude Millet rappelle que lauteur de larticle, Emilio Sala, a publié, en italien, un important ouvrage sur la musique de scène à lépoque romantique.
Un colloque consacré à José Maria de Heredia, organisé par la BNF, se tiendra le samedi 24 septembre à la bibliothèque de lArsenal. Jean-Marc Hovasse y interviendra laprès-midi pour étudier « Les hommages de José-Maria de Heredia à Victor Hugo ». Linverse eût été hors de portée même du talent de J.-M. Hovasse- : il a vainement cherché le nom de Heredia dans tous les écrits connus de Hugo.
A loccasion de lannée du Brésil, des conférences sur la réception de Hugo au Brésil, données par Junia Barreto, auront lieu les 19 et 20 septembre au centre Censier. Lune de ces conférences portera sur lopéra de Carlos Gomez, Maria Tudor.
Le spectacle de François Rollin, Victor Hugo et moi, est donné le 25 septembre à lEuropéen, place Clichy. François Rollin, le célèbre « Professeur » de « Palace », a un lien inattendu mais réel et ancien avec Hugo.
Mathieu Liouville soutiendra le mois prochain, à Lille, sa thèse sur « les rires de la poésie romantique (1830-1856) préparée sous la direction de Claude Millet; G. Rosa en dit grand bien et quelle fait à Hugo une place exactement mesurée et bonne- avec quantité dexcellentes explications de textes et des perspectives capables de régler toutes sortes de problèmes. Dont des faux. M. Liouville montre, par exemple pourquoi et comment lhypothèse dune orientation auto-parodique ne doit jamais être exclue de la lecture dun texte romantique, acquis souvent précieux pour Hugo.
Un mail dun visiteur du site ayant en cours un travail biographique sur Richard Lesclide, le secrétaire de Hugo, demande si lon aurait connaissance dun livre sur lui. J.-M. Hovasse rappelle larticle de Packenham sur Paris à leau-forte, paru dans le recueil dhommage à Jean Gaudon.
Sur la perspective politique des deux Ruy Blas :
Guy Rosa, tout en remerciant Florence Naugrette pour son brillant exposé, lui propose une retouche à propos non de la valeur dactualité du film sur ce point, elle a bien raison- mais de sa nature. Elle a très bien montré que Cocteau substitue des interrogations anthropologique (lidentité, la gémellité) ou civilisationnelles (la décadence, la religion) à des questions strictement politiques. Tout cela, dans limmédiat après-guerre, disculpe ceux qui ont applaudi à larrivée des allemands après y avoir aidé, ce qui est un exploit sagissant dune pièce qui met en accusation la classe dominante, coupable de trahison non seulement à légard du peuple mais aussi de la nation, de la grandeur de lEspagne, de son Empire.
Jean-Pierre Reynaud acquiesce ; Florence Naugrette se défend : Cocteau gomme la dimension sociale et politique du drame de Hugo, mais son film baigne dans une ambiance générale de profonde décadence dont on ne peut pas dire quelle est absente de Ruy Blas. Dans lEspagne de son Ruy Blas, tout est visuellement branlant et mal fichu, à lexception de létiquette de la Cour, qui fait contraste dérisoire.
Guy Rosa : Il ny a pas de décadence chez Hugo, mais une nation au pillage
Anne Ubersfeld : Cocteau névoque-t-il pas une certaine forme de détresse populaire ?
Florence Naugrette : Non, cela ne lintéresse pas réellement. La décadence quil montre renvoie clairement à la seconde guerre mondiale.
Guy Rosa récidivant : Cest bien ce quon peut lui reprocher : un Etat ruiné par une classe dirigeante traîtresse nest pas victime dune fatalité ni dun destin historique. Ladaptation de Cocteau soppose directement à la pensée de Hugo et fait tout pour éviter la mise en accusation que comporte la pièce. Dans le contexte, cest un film de réconciliation.
Florence Naugrette : Effectivement jai sans doute eu trop en vue la référence, elle-même, à la guerre toute proche, qui est indéniable mais pas évidente.
Sur la vraisemblance :
Yvette Parent sinterroge sur la vraisemblance du film en pointant du doigt un détail du scénario ; elle demande ce que fait le duc dAlbe, dans le film de Cocteau, lorsquil saperçoit que lun des deux sosies Ruy Blas et Dom César est devenu premier ministre.
Florence Naugrette : Le duc dAlbe au fond sen moque bien. Cocteau pare à la difficulté en faisant dire à Salluste que Ruy Blas et César ressemblent à un troisième larron, qui, celui-là, est devenu ministre
Myriam Roman : Il est curieux et bien intéressant de voir que, sous prétexte de rendre la pièce de Hugo plus vraisemblable, Cocteau lui ajoute des invraisemblances la gémellité nest que la plus manifeste- plus grossières encore. A faire douter de la pertinence du critère.
Sur la dramaturgie :
Guy Rosa souligne que les manipulations et les complots fomentés par Salluste sont atténués dans le film de Cocteau à cause de la modification des scènes dexposition et du quatrième acte.
Le Salluste de Hugo est un Thénardier : il exploite, détourne et dénature systématiquement les réalités humaines les plus élevées lamour, la fraternité, lambition, la solidarité familiale- et les réalités sociales les plus révérées le pouvoir de lEtat, la supériorité de la noblesse, la légitimité historique du trône. Ainsi font peut-être tous les vrais méchants de Hugo, avec la question métaphysique que cela pose : quel bien opposer à un mal qui nest que lexploitation par inversion du bien ?
Florence Naugrette : Il nen est rien chez Cocteau. La seule attitude politisante du film tient dans son anticléricalisme.
Anne Ubersfeld : Je suis frappée par la faiblesse dramatique du film de Cocteau ! Le passage au romanesque amortit tout choc ; en particulier celui du troisième acte qui fait passer Ruy Blas du bonheur au malheur de façon radicale et brutale. Cocteau réduit ainsi considérablement la force dramatique de la pièce.
Florence Naugrette : Il ny a, de toute façon, pas de réel bonheur pour Ruy Blas dans le film de Cocteau. Lamour est aussi pesant pour la reine que pour lui ; ils le subissent plus quils ne le vivent Le jeu de Danielle Darrieux a dailleurs été critiqué ; on la jugeait froide, insensible. A tort : elle joue ce que Cocteau lui a fait jouer : une Reine, en réalité, déjà morte. Jean Marais, lui, est moins ardent quaccablé. Lhistoire damour est entièrement placée sous le signe de la terreur.
Anne Ubersfeld : Ceci explique pourquoi le drame de Hugo est devenu mélodrame sous la plume de Cocteau. Si on ôte à une pièce son aspect dramatique et son aspect socio-politique, elle tend vers le mélodrame.
Florence Naugrette : Sans doute faut-il aussi replacer le film de Cocteau dans le contexte qui est le sien. Il se situe dans une époque qui a tendance à gommer toutes les motivations, politiques ou psychologiques, au profit dun doute existentiel. Tous les héros romantiques, alors, sont, en quelque sorte, des Hamlet qui signorent. Il sagit dune interprétation datée.
Sur la « dépoétisation » du Ruy Blas de Cocteau :
Claude Millet ajoute que la transformation du drame en mélodrame tient à la « dépoétisation » du texte de Hugo ; selon elle, cette « dépoétisation » nest pas seulement due au fait que Cocteau a réécrit le texte en prose. Le gag, dans le film de Cocteau, parasite le sublime de façon anti-poétique, il empêche de faire le lien entre le grotesque et le poétique.
Florence Naugrette : Il arrive néanmoins que le sublime soit atteint par lintermédiaire du gag. Ainsi, lorsque Dom César séchappe de léglise en passant à travers la rosace, il est magnifié, alors quil ne sagit au départ que dun gag.
Claude Millet : Oui, mais il vaut mieux, dans ce cas, parler de romanesque, plutôt que de poétique. Selon moi, un plan est particulièrement réussi dans le film : celui qui met en scène le repaire des brigands mais en général, tout est assez platement filmé. Dautre part, je suis assez étonnée par la phrase de Cocteau, qui veut « dessécher le texte sans abandonner le lyrisme » ! Formule dautant plus surprenante que lasséchement naffecte que le dialogue. La musique dégoulinante qui accompagne le film, insupportable, tire la fable vers une sorte de lyrisme de leffusion, de coulée démotion, de fluide continu. Cest particulièrement frappant lors de la scène des pénitents. On se trouve alors face à une curieuse disjonction : le film est « lyrisé » en même temps quil est « dépoétisé ». Le lyrisme nest plus vecteur de poésie ; il prend un tour sentimental qui dailleurs lui permet de rejoindre le romanesque de cape et dépée.
Florence Naugrette : Le fait est que Ruy Blas, dans le film, apparaît souvent comme un personnage grotesque, au sens moderne du texte. Jean Marais est bien meilleur en César quen Ruy Blas.
Sur le genre du film de Cocteau :
Delphine Gleizes : On peut considérer que le film de Cocteau porte lempreinte générique du western. Formellement, mais aussi idéologiquement. Comme le western, Cocteau naturalise la violence. On ny trouve pas dinstance politique, ni historique, forte. Or si le but de Cocteau était réellement de pointer du doigt létat décadent dun état, il ne le traiterait pas sur le simple mode du constat. Le Ruy Blas de Cocteau est décevant dans la mesure où il ne sinscrit pas dans la veine du cinéma davant-guerre qui laissait souvent entrevoir des héros brisés par un destin politisé. Le rôle de Jean Marais est limité par rapport à ce qui sest fait avant lui.
Yvette Parent : Cocteau a un point de vue mythique et non historique ou politique. Florence la bien montré. Cette mythologisation apparaît en particulier dans le fait que la décadence est montrée par limage, jamais dite dans les dialogues.
Jean-Pierre Reynaud : Le film de Cocteau fait finalement plus songer à lunivers de Dumas quà celui de Hugo. Il vire dans le romanesque.
Jusque dans le détail peut-être. Le gag de Casilda me semble venir tout droit de Vingt ans après où dArtagnan ayant kidnappé Mazarin, lemporte dans une voiture, est arrêté par une sentinelle et répond à son « Qui va là ? » -« Mazarin !». Le garde rit et laisse passer.
Claude Millet : Il me semble que La Folie des grandeurs de Gérard Oury est autant sinon plus inspirée du film de Cocteau que de la pièce de Hugo. On y retrouve le même goût pour les cavalcades, le même côté « western », la même gestion du hors-scène.
Guy Rosa : Cette volonté de montrer ce qui napparaît pas sur scène chez Hugo touche au criminel : pour une fois que Hugo faisait du Racine !
Françoise Chenet : Mais Cocteau ne sort pas du monde de Hugo. La scène où lon voit Ruy Blas en train de cueillir les fleurs pour la reine fait songer aux dessins de Hugo.
Sur la pensée politique de Hugo au moment de lécriture de Ruy Blas :
Guy Rosa : Je ne me suis jamais expliqué et on ne ma pas expliqué non plus- comment il se fait que, de toutes les pièces du premier théâtre, Ruy Blas est sans doute la plus violemment oppositionnelle, alors quelle est écrite au moment où Hugo abandonne lopposition et devient indulgent à légard du pouvoir.
Jean-Pierre Reynaud : Certes, mais Hugo sy rêve en ministre réformateur.
Guy Rosa : Peut-être, mais la pièce serait une sérieuse autocritique de ce genre de rêve.
Jean-Pierre Reynaud : Sans doute vaut-il mieux parler de « folie ». Une folie qui est celle de Ruy Blas et qui, dans un certain sens, touche au poétique.
La séance se clôt sur la projection de lextrait le plus spectaculaire du film, où lon voit Jean Marais traverser la rosace dune église suspendu à un filin providentiel bientôt sectionné, sauter du haut dune façade, atterrir sur la selle de son cheval et partir au galop à travers les rues, pour finir emprisonné au sens propre - dans les beaux draps dune jeune lingère La séquence réconcilie avec le film.
Claire Montanari
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