Présents : Guy Rosa,
Jean-Marc Hovasse, Loïc Le Dauphin, Vincent Wallez, Olivier Decroix, Laurence
Revol, Françoise Chenet-Faugeras, Vincent Guérineau, Sylviane Robardey-Eppstein,
Delphine Van de Sype, Claire Montanari, Bernard Le Drezen, Nathalie Berthon,
Brigitte Buffard-Moret, Florence Naugrette, Josette Acher, Yvette Parent, Marguerite
Delavalse, Mathieu Liouville, Christine Carrère-Saucède.
Guy Rosa salue la naissance du jeune et valeureux Martin Hovasse et une telle succession est la loi de notre condition- dit quelques mots du décès récent de Madeleine Rebérioux. Il rappelle limportance de son rôle, même à sen tenir au seul Hugo : responsable, après 1981, des commémorations, elle avait organisé celle du centenaire de la mort de Hugo en 1985 avec une grande intelligence novatrice et avec une grande bienveillance pour les universitaires hugoliens ; cest à elle quon doit, dans une très large mesure, lesprit de ce centenaire et en particulier la décision de publier les uvres complètes et, par là, lédition Bouquins.
Il y a encore peu de monde... Guy Rosa profite de l'occasion pour faire part d'une proposition reçue des éditions Autrement : publier un extrait (une cinquante de pages de texte suivi) d'un roman de Hugo, dans la nouvelle collection « Les cent éclats de lire ». Jean-Marc Hovasse avait été contacté ; il a chastement éloigné cette tentation en rappelant ce que Hugo répliquait aux éditeurs solliciteurs d'anthologies : « Ceux qui choisiront dans mon oeuvre seront des imbéciles. »
G. Rosa : C'est une édition de « bonnes pages » plutôt qu'une anthologie ! Hugo en a publié un certain nombre dans la presse...
J.-M. Hovasse : Certes, mais il faisait cela pour des amis. Ou bien dans des revues.
G. Rosa précise qu'il s'agit de petits livres -la mode en produit des centaines en ce moment-, vendus au prix de 2 euros... et que l'éditeur se propose de verser à l'auteur du choix du texte publié une droit de 1 % , soit 2 centimes par exemplaire vendu... Je l'aurais cependant fait volontiers pour Les Misérables, dit-il, si le choix n'avait été déjà confié à M. Guénot, illustre auteur d'une série d'ouvrages « Les plus beaux manuscrits de. ». Difficile aussi de prendre sa suite. Tout cela caractérise l'entreprise comme purement commerciale.
Après quoi, l'édition de « bonnes pages » ne semble pas dans la veine des membres du groupe.Un long silence succède à ce bref échange entre J.-M. Hovasse et G. Rosa, qui reprend la parole pour annoncer que le Centre d'Edition Numérique Scientifique (ou C.E.N.S) du CNRS lance un vaste programme de publication scientifique via internet : 2000 thèses, 350 revues, plusieurs bases bibliographiques, des « sources annexes » du type inventaires ou actes de colloques, et divers « supports de communication scientifique directe » (littérature grise et archivage).
La publication récente (en février 2005 chez J.-C. Lattès) d'un Léonie d'Aunet; l'amour secret de Victor Hugo par Françoise Lapeyre est l'occasion d'une discussion vive et plaisante. « Un très mauvais livre, commente laconiquement Jean-Marc Hovasse, beaucoup d'erreurs ; les profanes n'y trouveront guère d'intérêt ; les initiés n'y apprendront rien. » Guy Rosa, avant d'en prendre la défense, signale quelques défauts du livre à la suite de J.-M. Hovasse, qui s'acharne : « L'auteur confond la date du débarquement avec celle de la première nuit entre Hugo et Léonie... les notes sont mal faites : l'auteur référence par « ouvrage cité » sans que l'ouvrage aie jamais été cité !.et il y a des hors-sujet. ».
G. Rosa : C'est excessif : le livre est intéressant, vivant, jamais vulgaire, sans doute partial mais avec franchise, sans insinuations. Et il est bien écrit, à la bonne vitesse -et remarquablement composé.
F. Chenet : Eclaircit-elle la date de la rencontre ?
G. Rosa : Elle reste problématique mais la question est traitée.
J.-M. Hovasse : Si l'on peut dire : l'auteur n'explique guère pourquoi elle prétend que cette rencontre a eu lieu en juin 1844 et pas à un autre moment. Elle ne démontre rien.
G. Rosa : Elle donne un faisceau d'indications propre à faire penser que c'est bien au début de juin. Ce qui surprend, puisque Léonie est alors très enceinte - elle accouche en août. On comprend, dit F. Lapeyre, que Hugo, père éploré, et Léonie, maman dans un futur tout proche, soient restés très discrets. Mais l'auteur s'abstient de suggérer qu'elle avait en elle ce qu'il venait de perdre. En revanche, elle signale la proximité d'âge entre Léonie et Léopoldine.
J.-M. Hovasse (suivant son idée) : Il y a des choses peu pardonnables. Faut-il traiter Alfred Asseline d'imbécile parce qu'il aurait brûlé les lettres d'Adèle... Et puis, l'auteur déclare vouloir faire un livre sur la femme qu'était Léonie d'Aunet ; malheureusement, il n'y a rien sur elle en dehors de ce qu'elle a vécu avec ou grâce à Victor Hugo.
G. Rosa : Il y a tout de même ce voyage au Spitzberg et une production « littéraire » assez abondante ; Léonie d'Aunet ne s'est pas illustrée que comme maîtresse de Biard puis de Hugo (entre autres), quoique ce soit par là qu'elle ait acquis quelque notoriété et les moyens de sa carrière « littéraire ». Laquelle, malheureusement, obéit à un conformisme croissant. Le plus drôle, c'est qu'à la fin, elle publie des livres destinés aux jeunes élèves des couvents...
Ecrit par une femme, ce livre tranche sur les autres par un parti-pris favorable au personnage de Léonie. Ce n'est pas surprenant, les biographes de Hugo sont presque toujours conduits, sans doute par les intéressées elles-mêmes, à choisir entre Juliette et Léonie : ainsi ce Groupe se divisait-il, aux temps héroïques, en « juliettiste » et « léonistes ». Hovasse y échappe en se faisant « adéliste » ; il est bien le seul. Il y avait une autre façon de renvoyer Juliette et Léonie dos-à-dos : accabler Hugo. C'est ce que fait F. Lapeyre. Pas tout à fait à tort, du reste.
J.-M. Hovasse : Tout de même ! A la fin, elle présente Hugo comme un vieillard libidineux, quasi pédophile.
G. Rosa : Il est vrai qu'on lit [2] -assez belle phrase du reste: « Il y a les incursions nocturnes dans les chambres de service où, contre quelque monnaie, la main d'un vieillard se pose sur des gamines misérables et qui, parfois, n'ont pas quinze ans... »
Mais l'appréciation de Jean Gaudon sur ces choses-là, quoique moins évocatrice, n'est pas plus indulgente. (Voir la remarquable biographie thématique, intitulée Victor Hugo 1802 - 1885, donnée en 2002 au site du Ministère des Affaires Etrangères :
http://www.diplomatie.gouv.fr/culture/livre_et_ecrit/vitrine/v_hugo_livret/index.htm
Cette réhabilitation exigeait-elle que Hugo en fasse les frais ? Toujours est-il qu'ici la critique de Hugo gène lorsqu'elle « dérape » : Léonie, on le sait, était liée, par son amie Mme Hamelin en particulier, au monde de Napoléon III et l'on lit à propos de l'un des personnages de ce cercle : « Soutenant Louis Napoléon Bonaparte et, contrairement à Hugo, lui restant fidèle... » - comme si cette infidélité était répréhensible! On n'a même pas reproché à Mitterrand son infidélité à Pétain ! Dans le même ordre d'idées, plus loin : « Louis Napoléon, qu'il [Hugo] a tellement soutenu... » - « soutenu », c'est indéniable ; « tellement », c'est pour le moins inexact. L'épisode du coup d'état est expédié en ces termes : « Quelques nuits sans sommeil, et les [Hugo, ses manuscrits et Juliette Drouet] voilà rescapés à Bruxelles... » - tout de même un peu léger, rapide et méprisant... même si l'on a de la sympathie pour Louis-Napoléon Bonaparte et son entourage.
Pour en revenir aux femmes, je comprends mal le comportement de Hugo à leur égard : ce mélange de fermeté vaguement cynique dans la sujétion et d'adoration inquiète ; il est à la fois dur et éperdu.
Y. Parent : Il y a chez lui une complaisance dans la torture des femmes : voyez dans Toute la lyre, « Le massacre des femmes du sultan » ; il y a un sadisme de Hugo.
G. Rosa : Certes. Chacun sait qu'un jour il a donné à Juliette des coups de pied dans le ventre...
J.-M. Hovasse (revenant sur le livre de Mme Lapeyre): Guy, vous vous faites l'avocat du diable ! C'est un très mauvais livre.
G. Rosa : Il y a bien pire. C'est quand même beaucoup mieux que Decaux : plus problématique, plus inquiet... Pour ma part, je développerais volontiers la théorie selon laquelle Hugo sait ce qu'est le désir, mais ne sait pas ce qu'est aimer. Balzac fabrique une humanité qui sait aimer, voir Le Lys dans la vallée. L'humanité fabriquée par Hugo ne sait pas aimer, pas les femmes du moins : elle ne sait que les désirer -ou voir Dieu à travers. Ni Dea ni Josiane ne sont aimables ni aimées (ni aimantes d'ailleurs), alors que Mme de Mortsauf.
Y. Parent : Et Flaubert, sait-il aimer ?
G. Rosa : Il me semble : Charles en meurt, Matho et Salammbô aussi -ensemble, Frédéric et Mme Arnoux également, d'une autre manière.
Y. Parent : Et Louise Collet, comment Flaubert l'a-t-il aimée ?
F. Chenet : Louise Collet accuse Léonie d'avoir fait sa carrière littéraire grâce à l'influence de Victor Hugo plus qu'à ses mérites. En ce qui concerne ces « mérites », justement, un exemple : le Voyage au Spitzberg. Les rééditions de l'ouvrage s'arrêtent après la mort de Victor Hugo. Par ailleurs, Hugo en a lu les notes très attentivement, puisqu'il les utilise dans le Journal de ce que j'apprends chaque jour. La question s'est posée de savoir s'il était l'auteur de la première partie du Voyage..., qui est bonne, contrairement à la seconde. Ce n'est vraisemblablement pas le cas, mais il y a dans cette première partie des images et une force d'évocation qui sont proches de celles de Hugo : par exemple lorsqu'elle raconte l'accident où elle a vu la mort... C'est là un motif qu'on retrouve chez Hugo ; et certaines métaphores sont assez proches. Le Voyage... paraît en 1852 dans la Revue de Paris animée par Maxime Du Camp (1854 en librairie) ; mais la première partie a été écrite du temps de la présence de Hugo, la seconde pour des raisons alimentaires et pour faire du volume... Quoi qu'il en soit, on a intérêt à lire le Voyage..., surtout lorsqu'on considère que Léonie a été un modèle de Cosette.
J.-M. Hovasse, haerens proposito: Dieu sait pourquoi, Mme Lapeyre utilise très peu les lettres de Hugo à Léonie...
V. Wallez : Léonie a eu un fils et une fille. Hugo a-t-il été le père de son premier enfant ? Mme Lapeyre estime que la fibre paternelle était telle chez Hugo qu'il n'aurait pas pu ne pas s'occuper de l'enfant s'il en avait pas été le père. Du reste, l'enfant a été immédiatement reconnu par Biard.
J.-M. Hovasse ramenant la discussion vers l'histoire littéraire: Que l'épisode du couvent dans Les Misérables doivent quelque chose à Léonie, quel scoop !
G. Rosa : Certes. Et Mme Lapeyre exagère le rôle joué par Léonie ou plutôt le biaise. Sa propre expérience du couvent, si tant est qu'elle en ait eu, n'est aucunement lisible dans les notes qu'elle donne à Hugo.
F. Chenet : Léonie semble n'avoir fait qu'une visite au couvent...
G. Rosa : Non deux, dans deux maisons relevant du même ordre.
Guy Rosa annonce la formation d'une « bande des Quatre » -J. Cassier, B. Degout, B. Leuilliot et lui- pour la publication, en ligne, des fragments. Le manuscrit N.A.F 13398, celui de Littérature et philosophie mêlée de son « reliquat » et de ses alentours fragmentaires, a été entièrement transcrit par J. Cassier et publié sur notre site (rubrique « Textes, documents et outils de travail » puis « « documents »). Guy Rosa signale qu'on y trouve deux fragments intitulés « le rêve » et qui sont des ébauches employées pour le rêve du Dernier jour d'un condamné. Il n'y aurait là rien de surprenant si ces fragments n'étaient en vers. J'avais observé, poursuit-il, et indiqué dans la discussion de l'intervention d'Annie sur ce texte (../02-11-16.htm) le grand nombre de vers blancs de tous mètres dans ce texte et pensais qu'il s'agissait d'une prose rythmée, voire versifiée. L'impression était juste mais l'interprétation inexacte ; c'est l'inverse : le rêve a d'abord été conçu en vers puis « déversifié ». Phénomène curieux.
Loïc Le Dauphin intervient pour inciter les membres du groupe à aller assister à des lectures de Hugo organisées les 6, 13 et 20 mars à 17 heures au Tremplin Théâtre, près du métro des Abesses.
G. Rosa : Il faudrait plutôt intituler votre exposé : « Victor Hugo et Alexandre Dumas hors des scènes du sud-ouest de la France » ! C'est bien attristant et, sur un tel sujet, le dévouement de l'érudit devient un vrai sacrifice. Du moins cela permet-il de comprendre, et par les chiffres, la réalité sous-tendant le mythe de Paris.
F. Naugrette : L'intérêt de cette étude, n'est pas tout entier négatif. Il est de montrer la variété des situations selon qu'on se trouve dans une grande ville ou dans un bourg, selon qu'on a affaire à une troupe fixe ou à des troupes ambulantes... Le tout est réglementé par l'ancien système des privilèges -mieux dits monopoles. Certaines villes de Province, telles Rouen, Toulouse, Marseille ou Lyon disposent de deux théâtres, dont l'un a le droit de jouer ce qui se joue à Paris, l'autre non.
G. Rosa : Jusqu'à la « déréglementation » de 1864.
C. Carrère-Saucède : Pour les grandes villes ; dans les petites, on a le droit de tout jouer.
F. Naugrette : Pour revenir au travail de Mme Carrère-Saucède, il faut ajouter qu'il permet de voir ce qui passe et ce qui ne passe pas du répertoire d'un auteur. Voici deux exemples, pour les villes de Rouen et d'Arras : dans la première, deux théâtres - le grand joue les pièces données à Paris, le petit, seulement des mélodrames ; dans la seconde, un seul théâtre, qui n'a pas de troupe fixe : les troupes ambulantes s'y succèdent. Ainsi, pour la période 1830-1835, dans ces deux théâtres, il n'y a guère, pour Hugo, qu'Angelo, tyran de Padoue qui soit donné ; Hernani, Le Roi s'amuse ou Marion de Lorme ne seront jamais joués, par crainte des troubles à l'ordre public. Quant à Dumas, on ne représente que les pièces à « dénouement providentiel » comme Le Chevalier de Maison rouge ou La Reine Margot ; une pièce comme La Tour de Nesle est jugée suspecte.
V. Wallez : Frappante est la quasi absence de pièces en vers dans les répertoires évoqués : le vers n'est-il pas à l'époque, un obstacle pour les acteurs provinciaux ? Par ailleurs, de combien de pièces se composait le répertoire de chaque troupe ? Pendant combien de temps les troupes jouaient-elles une pièce ? Quelle était la fréquence des représentations ?
C. Carrère-Saucède : Cela varie d'une troupe à l'autre et d'un arrondissement à l'autre. En général, les directions de troupes durent peu. Le cas du XVIe arrondissement (une zone du Sud-Ouest), où un directeur de troupe reste en poste pendant trente ans, est exceptionnel. C'était le plus souvent un poste précaire. Même variation du répertoire : de 40 à 300 pièces. Encore ne s'agit-il là que des pièces inscrites au répertoire : le nombre de celles qui sont jouées est moindre. En général, les troupes jouaient deux fois par semaine. Elles varient les spectacles : sur une période de dix mois, on a pu voir telle troupe reprendre deux pièces de son répertoire.
F. Naugrette : De là l'importance du rôle joué par le souffleur..
Quant à la qualité des spectacles et des troupes, elle souffre d'un cercle
vicieux bien connu : Paris draine les meilleurs acteurs provinciaux, ce
qui aggrave l'inégalité, laquelle favorise l'exil parisien des meilleurs.
Ainsi Marie Dorval a-t-elle d'abord été repérée à Strasbourg, après avoir fait
le tour d'autres villes de la région. Ne restent en Province que les acteurs
les moins talentueux. Cela ne doit pas être étranger à la rareté des pièces
en vers parmi les pièces jouées en province.
G. Rosa : Le poids de la censure ou du conformisme politique semble considérable. Il est sensible dans les chiffres : sous l'Empire Hugo est interdit mais Dumas, notoirement républicain, est suspect. Il l'est aussi dans les critiques : l'article publié dans L'Écho des Vallées s'efforce de minimiser le succès de la pièce - « cette composition [Charles VII chez ses grands vassaux de Dumas] a fait courir dans l'auditoire de nerveux frissons. [...] Charles VII a produit sur la foule [...] une vive et profonde impression » -, et le critique remet les choses à leur place : Dumas est un « faiseur », et non un « grand poète » « digne de ce nom ».
F. Naugrette : Il faut rappeler que les journaux répercutent l'avis du public qui les lit : c'est du goût bourgeois que le critique rend compte. Cependant, cette distinction entre public bourgeois et public populaire n'est pas toujours manifeste dans les articles de presse.
S. Robardey-Eppstein : Deux points encore à prendre en considération : d'une part, les drames à grand spectacle attirent du monde ; et dans la critique, on retrouve le dilemme typique entre ce qui est littéraire au théâtre, et ce qui ne l'est pas. Le public jugera le spectacle ; le critique jugera le texte. D'autre part, les comptes-rendus dramatiques de province reproduisent ce qui s'est dit à Paris -et plus encore ce qui s'y est écrit.
F. Naugrette : Effectivement, les critiques de province se contentaient fréquemment de recopier les critiques parisiens.
S. Robardey-Eppstein : De même en Suède où les critiques recopient les journaux français !
F. Naugrette : On note toutefois qu'il est plus difficile, en province, de jouer Hugo que Dumas : les critiques le disent bien.
G. Rosa : La bêtise des critiques et du public du sud-ouest reste surprenante. Les historiens disent que cette région, au 19° siècle, a fait le pari de la culture et de l'école, au contraire du nord, qui pariait sur le développement industriel. Hugo le sait, tous les étudiants des Misérables viennent du sud-ouest. Et c'est une région cultivée qui fait cet accueil à Hugo et Dumas ! Qu'est-ce que cela devait être en Lorraine ou en Bretagne.
Y. Parent : Peut-être, mais la région a aussi une solide tradition d'hyper-conformisme. Au XVIIe siècle, le Parlement de Toulouse compte parmi les plus répressifs du royaume ; au point qu'en 1667, Louis XIV dépêche un courrier afin qu'on cesse d'exécuter à tout-va des sorciers : 800 condamnations à mort avaient été prononcées et l'on en était à la 300e exécution quand l'arrivée du courrier royal mit fin au massacre.
S. Robardey-Eppstein : Qui est ce Gaillard qui publie l'article si élogieux sur La Tour de Nesle ?
F. Naugrette : Il y en a deux : il peut s'agir de celui qui a monté la pièce ou de son frère... Dans ce cas, la critique n'a plus guère de valeur.
S. Robardey-Eppstein : A moins qu'il s'agisse d'un article particulièrement ironique !
J. Acher : A propos de l'alouette : j'ai appris, dans le séminaire des études scientifiques sur l'identité, que l'expression « l'alouette dans le sillon » désigne l'enfant trouvé.
Tout le monde : la chose est importante ; reste à savoir si Hugo connaissait cette désignation populaire de la situation qui est celle de Cosette.
G. Rosa : Si je comprends bien votre exposé, on passe du champ de l'Alouette au champ de l'Etoile (ou « chant des étoiles ») par la médiation du couvent des Feuillantines, de l'église Saint-Jacques-du-Haut-Pas, et de Saint-Jacques de Compostelle...
F. Chenet : Saint-Jacques est aussi la rue des graveurs et des libraires. Les fameuses coquilles viendraient de là.
G. Rosa : Pour tout avouer, ce qui m'étonne dans cette histoire d'alouette, c'est que Marius devine que Cosette a eu réellement pour nom l'Alouette. Car il ne le sait pas ; personne ne le lui a jamais dit.
F. Chenet : Mais si ! c'est Thénardier qui la nomme ainsi lors du guet-apens et Marius l'entend.
G. Rosa (déconfit) : Ah bon !? c'est Thénardier !? je n'ai rien dit, pardon-excuse.
F. Chenet : Thénardier ne prononce pas le nom de Cosette, mais emploie pour la désigner son sobriquet, « l'alouette » et Marius l'entend parfaitement.
Quant aux rapports entre le champ de l'alouette et le chemin de Compostelle, ils sont multiples : c'est sur ce chemin que naît la littérature française, avec la Chanson de Roland ; par ailleurs, Hugo s'intéresse à cet épisode dans les années 1846-1847, alors qu'il commence ce qui deviendra La Légende des siècles. Enfin, c'est sur ce chemin que vivait Bernard de Montadour, dont l'un des poèmes les plus connus est intitulé « L'alouette ».
F. Naugrette : Dans la lettre que Thénardier dicte à Jean Valjean/M. Leblanc, il demande à l'alouette de venir « sur-le-champ »...
F. Chenet, poursuivant : L'alouette, c'est aussi un oiseau fréquent dans le bestiaire de la Renaissance ; et puis c'est un oiseau et un symbole familier à Victor Hugo.
Y. Parent : C'est l'oiseau qui marque le lever du jour, c'est-à-dire l'éveil des amants...
M. Delavalse : Son antonyme poétique, au Moyen-Age, c'est le cygne. On trouve aussi l'alouette dans les chants sacrés basques...
F. Chenet : Dans La Femme de trente ans, Balzac évoque le « champ de l'alouette », un terrain vague aux portes de Paris. Cela figure dans une note des Misérables.
F. Naugrette (revenant sur la valeur symbolique de l'alouette): L'alouette et le rossignol forment un couple antithétique : d'un côté l'oiseau du matin, de l'autre l'oiseau du soir. On trouve cela dans Roméo et Juliette : l'alouette, par son chant, prévient Roméo que l'heure de quitter Juliette est proche...
F. Chenet : Quant aux corbeaux, qu'on discerne dans la masure « Gorbeau », il est vrai qu'ils sont omniprésents dans le quartier Saint-Jacques. Ils y sont presque agressifs.
Y. Parent : Hugo ferait alors la même erreur que nous, qui appelons souvent corbeaux les corneilles.
G. Rosa (qui, pas plus que les interlocuteurs, n'a rien écouté et qui, pendant l'échange de répliques précédentes, a relu le passage des Misérables cité par F. Chenet) : Ce n'est pas évident que l'alouette fonctionne ici comme nom !
F. Chenet : Ah si ! Voyez! (Et F. Chenet de citer :) « . la demoiselle ?. -C'est elle. » (III,8,12 ;606) ; « Parbleu ! dit Thénardier, la petite, l'Alouette » (III,8,20 ;636) ; « Qu'était-ce que cette 'petite' que Thénardier avait aussi nommé l'Alouette ? était-ce son 'Ursule' ? » (III, 8, 20 ; 637) ; « Dans tous les cas, disait-il, si l'Alouette, c'est elle, je le verrai bien. » (III,8,20 ;638) ; « et Marius songeait à ces mots de Thénardier dont il entrevoyait la signification sanglante : Si vous me faites arrêter, mon camarade donnera le coup de pouce à l'Alouette. Maintenant, ce n'était pas seulement par le testament du colonel, c'était par son amour même, par le péril de celle qu'il aimait, qu'il se sentait retenu. » (III,8,20,638-639) ; « Marius respira. Elle, Ursule ou l'Alouette, celle qu'il ne savait plus comment nommer, était sauvée. »(III,8,20 ;639).
G. Rosa : Thénardier appelle Cosette ainsi pour taire son nom. Il aurait pu dire « la mouette », « la limace », n'importe quoi. Ca ne fait pas un nom. Pourquoi Marius entend-il comme un nom -et à juste titre- cette dénomination faite pour ne pas valoir comme nom ? (Et G. Rosa de citer :) « Il ne savait même plus le nom qu'il avait cru savoir. A coup sûr ce n'était plus Ursule. Et l'Alouette était un sobriquet. » (IV,2,1 ;682) ; « Celle qu'il ne pouvait plus nommer Ursule était évidemment quelque part » (ibid.) ; « Une seule idée douce lui restait, c'est qu'Elle l'avait aimé. »(683) ; « Le passant répondit : - C'est le champ de l'Alouette. Et il ajouta : -C'est ici qu'Ulbach a tué la bergère d'Ivry. Mais après ce mot : l'Alouette, Marius n'avait plus rien entendu. Il y a de ces congélations subites dans l'état rêveur qu'un mot suffit à produire. Toute la pensée se condense brusquement autour d'une idée, et n'est plus capable d'aucune autre perception. L'Alouette, c'était l'appellation qui, dans les profondeurs de la mélancolie de Marius, avait remplacé Ursule. -Tiens, dit-il, dans l'espèce de stupeur irraisonnée propre à ces apartés mystérieux, ceci est son champ Je saurai ici où elle demeure. Cela était absurde mais irrésistible. » (684-685)
Suivent quelques (très) brèves considérations sur l'église Saint-Jacques du Haut-Pas, « chef-lieu des Jansénistes » selon Guy Rosa.
Mais à presque 13 heures, et au terme d'une discussion certes brillante et érudite mais un peu décousue [écrit Vincent Guérineau, visiblement débordé -NDLR], il n'y a plus de Jansénisme qui tienne : seule l'idée du repas à venir occupe et satisfait les esprits...
[1] Voir principalement : Louis Guimbaud, Victor Hugo et Mme Biard, Paul Souchon, La plus aimante ou Victor Hugo entre Juliette et Mme Biard, Jean Gaudon (éd.), Victor Hugo, Lettres d'amour à Léonie Biard, Jean-Marc Hovasse, Victor Hugo, Tome I. Avant l'exil (1802-1851) p. 928 et suiv.
[2] P. 217 pour être exact.
[3] Chaque fois qu'il est question des Misérables, l'édition de référence est celle de l'éditions Bouquins (« Roman II »).
Vincent Guérineau
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