Présents : Guy Rosa, Annie Ubersfeld,
Vincent Wallez, Stéphane Desvignes, Marguerite Delavalse, Jean-Marc Hovasse, Denis
Sellem, Mireille Gamel, Sandrine Raffin, Bernard Leuilliot, Caroline Raulet,
Olivier Decroix, Dominique Dupart, Josette Acher, Claude Millet, Françoise Chenet,
Bertrand Abraham, Olivier Barrat, Yvette Parent, Ruschka Haglund, Delphine Gleizes.
Outre sa langouste et ses cigares, Cuba peut se vanter dun nouveau buste de Victor Hugo inauguré par Pierre Georgel qui est en ce moment même à La Havane, en conférence. Nous sommes certains que sa parole sétendra autant que celle du Leader Maximo.
Claude Malécot (en déplacement dans le Sud pour y parler de la cathédrale de Fréjus) fait savoir quelle fournira au Groupe, dès quil sera sorti, un exemplaire du Monde de George Sand, ouvrage sur le modèle du Monde de Victor Hugo, où seront exposés les rapports de Sand et de Nadar.
Yvette Parent annonce que ceux qui sintéressent aux photographies de statues de Victor Hugo peuvent prendre contact avec elle car des élèves développent en ce moment même des photographies de la statue de Hugo daprès Rodin, couverte de lierre, située avenue Georges Mandel.
Jean-Marc Hovasse déclare son admiration pour ladaptation réussie de LHomme qui rit à la cartoucherie de Vincennes, au Théâtre du Chaudron (renseignements sur http://www.theatreonline.com). La pièce se joue jusquau 30 novembre et notre biographe distingué ne saurait trop nous conseiller le déplacement : les textes joués sont véritablement de Hugo et les parties narratives sont assumées par le dialogue de deux anges, un noir et un blanc. Malgré la difficulté toujours très grande dadapter un roman au théâtre, le spectacle est très réussi.
Vincent Wallez, qui a bien sûr assisté à lune des représentations de cette adaptation, ne peut que confirmer la qualité de ce moment de théâtre. Le comédien qui y joue le rôle dHomo est particulièrement efficace : pas besoin de masque pour le loup.
Dominique Peyrache-Leborgne vient de publier une édition commentée de William Shakespeare en poche chez Garnier-Flammarion. A cet excellent travail, remarque Guy Rosa, rien ne manque, sinon peut-être de la ferveur hugolienne qui habitait lédition encore disponible, du moins sur chapitre.com, de Bernard Leuilliot chez Flammarion, à la belle couverture noire.
Josette Acher annonce la publication des actes du colloque quelle avait organisé à Toulouse, pour la fin du mois de décembre. Avis aux confiseurs.
Guy Rosa fait savoir que les actes du colloque du musée dOrsay sont à la correction. Il faut remercier Annie Dufour qui, au Musée dOrsay, assume ce travail dharmonisation avec courage.
Denis Sellem demande si lon connaît lorigine des inscriptions qui ornent le pont Alexandre III. Quatre noms y sont gravés : Lamartine, Ingres, Delacroix et Hugo. Pourquoi le nom de Hugo apparaît-il sur une des piles de ce pont construit en lhonneur du Tzar pour lExposition Universelle de 1889? Le dictionnaire dHillairet ne dit rien là-dessus.
Bernard Leuilliot pense que lexposition universelle de 89 coïncidait avec une grande célébration de Victor Hugo et une grande exposition de peinture. Il y aurait donc eu hommage rendu aux personnages dont les noms ont été gravés dans la pierre du pont.
Les absents ont toujours tort : Guy Rosa déplore le nombre trop grand des absents et propose dendiguer le phénomène en retardant la publication du compte rendu. La frustration ramènera peut-être les brebis égarées. Il ne faut pas oublier que la spécificité du groupe participe de la fréquence de ses réunions, à cheval entre le rythme bimensuel des séminaires et celui, beaucoup plus épars, des groupes similaires (Groupe Balzac, Groupe Michelet ou Groupe Flaubert).
Autre solution : Claude Millet propose de glisser habilement quelques bêtises sur le site afin de confondre les absents coupables.
Le site du groupe, rappelle Guy Rosa, est toujours très visité ce qui nest pas étranger à labsentéisme puisque la publication des compte rendus encourage certainement la paresse de ceux qui devraient être là. Et les productions du groupe font lobjet de téléchargements, et apparemment de lectures, fréquents : entre 1,5 et 2 fois plus nombreux en octobre-novembre 2003 qu'à la même période de 2002. Pour ces deux mois, 33000 pages chargées pour les seules 132 communications dans nos séances, soit 250 appels, en moyenne, pour chaque communication, soit, en extrapolant sur un an, 1500 lecteurs. Si l'on compte par auteur -certains ont plusieurs communications à leur actif qui s'ajoutent, cela va, toujours pour ces deux mois, de 3000 lecteurs à une centaine. Chiffres à comparer avec ceux, par exemple, de la revue Romantisme considérés comme très satisfaisants et enviables par sonb éditeur (700 abonnés dont 140 abonnements individuels, dont moins d'une centaine pour la France). Preuve, sil en était besoin, de lintérêt du site et de nos réunions. On aurait tort de croire que ces chiffres sont peu significatifs en raison des habitudes de "butinage" sur le web. Les visiteurs font preuve d'attention dans leurs recherches et celles-ci sont pertinentes.
Evidemment, on ne peut sempêcher de songer au plagiat lorsque les communications sont téléchargées par des visiteurs éventuellement peu scrupuleux. On pourrait penser à des conditions daccès aux textes mais ce sont les règles du jeu de la chose publique. Cest dailleurs ce que remémore Bernard Leuilliot au sujet de la libre circulation des cours de Lucien Febvre : ce dernier considérant quétant payé par lEtat, il navait pas la propriété de ses cours refusait tout droit dauteur sur leur publication ce dont seul léditeur profitait.
Linquiétude de Claude Millet quant au lieu de réunion du groupe à partir de janvier trouve un adoucissement dans lannonce de Guy Rosa : la bibliothèque du XIXe devrait être installée dans un espace analogue à celui quelle occupe maintenant et tout proche : à lopposé, par rapport à la tour 25, de lemplacement actuel. Dici là, les travaux commenceront dans les étages de la tour 25 : en semaine, les lecteurs ne devront donc pas sétonner de circuler au milieu de la poussière et de travailler dans le bruit. Claude Millet admire, au nom du groupe, lénergie folle déployée par G. Rosa pour éviter la catastrophe.
Brillante agrégée, Caroline Raulet est actuellement A.R.M. à Paris VII et prépare une thèse sous la responsabilité de Guy Rosa. Elle se propose dexaminer, dans les textes romanesques français et anglais de la Restauration, les transformations de position dauteur liées à lélargissement du public au début du XIXe siècle. Guy Rosa précise quil sagit de savoir comment les textes prennent en charge la modification de leur audience. Cela passe par le repérage des genres dont lapparition et/ou le développement sont liés à lémergence de ce nouveau public et lattention se porte donc naturellement sur les préfaces, qui articulent explicitement la relation du texte avec son public, mais pas seulement : le texte a aussi son mot à dire et son statut à produire dans ce rapport.
Guy Rosa, non sans regretter de devoir faire le « prof », reproche à lorateur une uniformité de ton qui, faute daccent sur lessentiel, mettait trop peu en évidence larticulation des développements et la thèse soutenue. Il résume donc. La première partie, consacrée aux préfaces, montrait quelles procèdent, par brouillage et ironie, à une mise à distance de toute image dauteur. Elles rejoignent donc lintrigue qui procède de manière comparable envers le personnage principal : non seulement elle repose sur la question de son identité qui est lobjet dune sorte de tabou, mais elle lui confère plusieurs des prérogatives de lauteur ou du narrateur : lomniscience, le pouvoir de décider des destins et la machination des intrigues. Dès lors, lidée selon laquelle le héros serait à limage de lauteur se déplace : non plus Ordener comme individu amoureux, mais Han en tant quimage de lécrivain. On constate alors que, plus généralement, les épigraphes mais aussi beaucoup de développements inclus dans le récit concourent à rendre lauctorialité littéraire problématique. De sorte que ce que, globalement, Hugo dit dans Han dIslande est : « Je ne sais pas quel auteur je suis et serai. »
De fait, dans la configuration des genres et la typologie des relations avec le « public », il nétait pas simple dêtre à la fois lauteur des Odes, destinées à un public restreint, et de Han dIslande pour lequel fonctionne à plein cet élargissement du public qui est lobjet de la recherche.
Bernard Leuilliot : Lanonymat de lauteur de Han, secret de Polichinelle dans le tout petit milieu littéraire de lépoque, joue plutôt comme une figure de style dont la portée simplifie et complique à la fois le propos de cet exposé. Le détour rhétorique nest drôle, ou drolatique au sens des Contes drolatiques de Balzac, que parce que derrière lauteur anonyme, le lecteur attentif de lépoque reconnaît sans peine lauteur des Odes et poésies diverses.
Caroline Raulet : Cest un peu la même chose lorsque le lecteur a devant les yeux la description de Han sans que celui-ci soit nommé : le lecteur sait à qui il a affaire et samuse de ce que le narrateur ne lui livre pas immédiatement le nom du personnage quil décrit.
Bernard Leuilliot : Il y a ici une mise en scène de lindécision. Il sagit pour lauteur de se mettre à distance en saffichant comme celui qui met à distance la figure de lauteur. On comprend mieux que laffaire Ordener puisse être une ébauche du grotesque. Il y eut en effet deux campagnes de rédaction : la relation amoureuse dOrdener et Ethel faisait lessentiel de la première alors que la reprise a consisté à « grotesquiser » le roman.
Guy Rosa : Et cette mise à distance vient précisément du divorce irréconciliable entre lauteur des Odes et celui de Han dIslande. Disjonction redoublée par la double image de lauteur dans lhistoire meurtrière : Ordener pour ce qui est de lindividu et Han pour ce qui est de lécrivain.
Bernard Leuilliot : Il ne faut pas non plus oublier que derrière Ordener, il y a Hamlet, avec sa toque à plume, comme dans la représentation picturale quen fait Delacroix. Hugo avait accès à cette époque aux adaptations de Shakespeare par Ducis.
Par ailleurs, le début dialogué de Han dIslande est forcément à la manière de Walter Scott. Façon dincipit trop connue comme en témoignent les conseils de Daniel dArthez à Lucien Chardon de Rubempré dans Illusions perdues : celui-là invite en effet celui-ci à ne pas débuter son roman comme Walter Scott.
Guy Rosa : Il faudrait que la représentation de lauteur soit problématisée en fonction de lintertextualité comme lindique lallusion à lalias de Walter Scott, Jedediah Cleishbotham, dans la deuxième préface de Han dIslande. Entre Walter Scott et le roman frénétique, lappartenance à un genre problématise en effet cette représentation de lauteur de Han dIslande, auteur qui avoue son incapacité ou refuse de se démasquer.
Caroline Raulet : Scott multiplie en effet les jeux sur lanonymat de lauteur.
Bernard Leuilliot : Comme dans tous les romans du XVIIIe siècle dailleurs. La dimension parodique nest pas absente dans Han dIslande : la présence massive des épigraphes et le détour par le roman noir anglais mais valorisé autrement par Hugo - contribuent à cela.
Yvette Parent : Il serait peut-être intéressant de mettre en relation léparpillement de la situation de lauteur avec le fantastique. Au début du XIXe siècle, tous les auteurs éprouvent une sorte de honte à donner dans le fantastique et lon pourrait ainsi comprendre quils nhésitent pas à user dironie à légard de leur statut dauteur fantastique.
Guy Rosa : Mais il ny a pas de fantastique ici.
Yvette Parent : Certes, mais le thème du mal nest pas encore abordé de façon sérieuse. Lomniscience de lauteur est liée à celle du divin, de Dieu ou du diable, de Han : cest en cela que ironie et fantastique pourraient apparaître côte à côte.
Claude Millet : Cet exposé présente de lintérêt, cependant lanalyse textuelle et la contextualisation ne vont pas tout à fait ensemble. Lidée de « fragilisation » du statut de lécrivain me semble rapide car, à lépoque, le statut socioprofessionnel de lauteur commence à être une réalité. Ainsi, il y a un hiatus entre lintroduction et le reste du développement.
Guy Rosa : Je ne pense pas quil y ait de hiatus, et bien au contraire, car la « fragilisation » du statut de lécrivain tient précisément au passage du statut classique (poète pensionné ici) au statut futur de lécrivain, celui de profession libérale, véritable métier. En 1823, on est dans une situation incertaine et cest la même chose du côté du public : le mode de communication littéraire classique (Salons, Académies) est en train de se transformer (librairie et cabinets de lecture). La constitution dun public au sens moderne émerge à peine et cest donc dans une situation inconfortable que se retrouve lauteur. Voit donc le jour une double incertitude : celle du JE de lauteur et celle du public.
Claude Millet : Il y aurait alors des maillons à ajouter dans cet exposé : jaurais aimé que le propos nous aide à déplier ces rapports entre texte et contexte (publication des Odes et publication de Han dIslande). Lévolution dans luvre hugolienne est perceptible dans cet écart. La cohérence de la figure auctoriale vole ainsi en éclats, cest entendu, mais il faudrait que lon perçoive une évolution historique dans laquelle se situe lécrivain.
Aparté
Josette Acher : Le lien entre lindividualité de lauteur retrouvée chez Ordener et la position de lécrivain est certainement à trouver dans la plume noire que le héros porte au chapeau : cest la plume de lécrivain. Une plume noire parce quil y a du roman noir là-dessous.
Delphine Gleizes : Il me semble quen cette affaire, on pourrait parler de stratégies dexhibition qui emprunteraient au mode du spectacle. Comme dans LHomme qui rit (II, II, 9) où linterlude dUrsus est emblématique : « Cétait son uvre capitale. Il sy était mis tout entier. [ ] Ursus avait beaucoup léché cet interlude. Cet ourson était intitulé : Chaos vaincu. » Exhibition de foire, spectacles de baladins, tout cela a un rapport avec la « monstration » du monstre. Un peu comme le Léviathan des Misérables également. Le commentaire méta-romanesque participe dun mécanisme dexhibition qui ressortit lui-même à la logique du spectacle.
Bernard Leuilliot : Oui, dire « Je suis Han, de Klipstadur, en Islande » (Han dIslande, chapitre XLIII), cest comme dire « Je suis Jean Valjean » dans « Laffaire Champmathieu » (Les Misérables, I, 7, 11).
Bertrand Abraham : Dans Han dIslande, il est une autre figure de lauctorialité, cest celle du secrétaire qui garde toutes les archives dans la forteresse de Munckholm. Cest une figure quon retrouve dans tous les autres romans. Puisque nous venons de parler de LHomme qui rit, Barkilphedro, par exemple, serait une figure auctoriale qui se situerait entre ce secrétaire et Han. Ce qui est vertigineux, cest quon assiste à la dissémination de ces figures auctoriales qui sont déjà, par elles-mêmes, disséminatrices.
Dans ce sens, les fonctions précises du travail décrivain sont mises en scène dans Han dIslande à travers la convocation intertextuelle de Walter Scott mais aussi de Mademoiselle de Scudéry, principalement lorsque est thématisée la fonction de lécrivain sur son texte. Han dIslande est ainsi une matrice qui reçoit dautres textes et inversement.
Lheure étant déjà avancée, il était temps découter Françoise Chenet.
Guy Rosa : Pourrait-il y avoir un rapport de tout cela avec Corneille qui était normand, donc issu dun pays de bocages ?
Françoise Chenet : Cest peut-être pertinent subjectivement pour Hugo quand on pense à ses voyages de lété 1835 notamment. Il est passé par Rouen (les 13 et 14 août 1835) où il a certainement pu admirer la statue de Corneille. Il a par ailleurs un rapport particulier avec la Normandie, tout comme son rapport à la Bretagne et aux Bretons est spécifique (voyages de 1836).
Bernard Leuilliot : Et « Dol vieille ville espagnole », pourquoi ?
Bertrand Abraham : A cause de la confusion entre Dol-de-Bretagne (nom actuel) et Dole dans le Jura. Dans le Jura lexpression est courante, encore aujourdhui, et constitue pratiquement un syntagme figé : « Dole vieille ville espagnole ».
Guy Rosa (sadressant à Françoise Chenet) : Je suis assez surpris lorsque vous dîtes quil ny a pas de paysage horrible et féroce chez Hugo. Il y en a tant et plus, celui des environs de Digne à lagression de Petit-Gervais par exemple.
Françoise Chenet : Pour moi, le paysage nest pas nimporte quoi. Il y a une différence entre le pays le lieu- et le paysage. Il peut y avoir des lieux féroces mais pas de paysage. Dans Le Rhin, le paysage peut avoir toutes les qualités mais il nest pas féroce. En fait, un paysage féroce, cela veut dire « un pays du mal ». Pour distinguer ce quest ce paysage, il faut dabord poser la question « qui fait le paysage ? ».
Bertrand Abraham : Ny a-t-il pas des niches, des tanières, dans ces « paysages féroces » de Quatrevingt-Treize ?
Françoise Chenet : Si, sans doute. Hugo ne dit pas que le paysage est « mauvais », ce nest pas le lieu qui produit en lui-même le mal.
Guy Rosa : Quest-ce que ce bocage dont parle Hugo ? La Vendée nest pas un pays de bocage.
Françoise Chenet : Bocage veut dire « petit bois » étymologiquement. Hugo le conçoit dans ce sens et dans le sens géographique, cest selon.
Lentretien paysager dura quelque peu mais les ressources du bocage nétant pas matériellement présentes à la table de réunion, il fut question de rejoindre dautres tables où le bocage serait plus généreux.
Olivier Decroix
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