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Séance du 8 mars 2002

Présents : Guy Rosa, Arnaud Laster, Anne Ubersfeld, Françoise Chenet, Colette Gryner, Isabelle Nougarede, Josette Acher, Ludmila Wurtz, Sylvie Vielledent, Claude Millet, Jean-Marc Hovasse,  Mme Malécaut,  Florence Naugrette, Delphine Van de Sype, Jean-Baptiste Amadieu, Matthieu Liouville, Bernard Le Drezen, Judith Wulf, Stéphane Desvignes, Jacques Cassier, Vincent Guérineau, Bernard Leuilliot, Pierre Georgel, Pierre Laforgue, Mireille Gamel, Vincent Wallez, Agnès Spiquel, Marieke Stein, Laurence Bertet,  Denis Sellem, Bertrand Abraham, Olivier Decroix, M. Zviguilski, Chantal Brière, Pascal Sanchez.


 

Informations

Publications

Le groupe découvre plusieurs nouveaux livres :

. La Légende des Siècles, édition d'A. Laster, préfacée par Claude Roy, en "Poésie Gallimard" ;

 

. Victor Hugo, La Légende du XIX° siècle, par Vincent Vivès, également chez Gallimard (G. Rosa y trouve dommage qu’une phrase mal tournée laisse croire que L’Homme qui rit est une pièce de théâtre, une autre que Voltaire était panthéiste et que la bibliographie comporte un Pierre Albuy et un Yves Gohain )

 

. Victor Hugo, un temps pour rire, Librairie Nizet Saint-Genouph, par Joë Friedemann (ouvrage très solide et fort... sérieux, dit G. Rosa) ;

 

. Jose Maria et Victor Hugo, de Carmen Suarez Leon , aux éditions Le Temps des Cerises. J. Cassier remédiant à notre ignorance signale que ce grand écrivain cubain a joué un rôle déterminant dans l'introduction de VH en Amérique latine. Il s’agit d’un grand poète, amoureux de la langue espagnole mais en lutte contre l'Espagne pour l'indépendance de son île, indépendance acquise avec l'aide brutale des Etats-Unis dont il percevait clairement la voracité impérialiste. Face à la culture anglo-saxonne, désespérant d'une Espagne pour l'heure adverse et décadente, il chercha et trouva dans la littérature française et plus particulièrement dans VH, les valeurs universelles qu'il entendait promouvoir face à l'impérialisme naissant. Cependant que le "gringo" étendait son emprise sur le continent latin, l'idéologie du cubain trouvait un écho grandissant ... Aux USA, il y a l'Aéroport Kennedy, à Paris, l'Aéroport Charles de Gaule. A La Havane, l'Aéroport est baptisé "José Marti".

 

. Victor Hugo en voyage, de Krishnâ Renou (Payot)

 

. la réédition de Promenades dans l'Archipel de la Manche avec un guide nommé Victor Hugo, de Gérard Pouchain (ed. Corlet).

 

. Victor Hugo philosophe, de Renouvier, préfacé par Cl. Millet, chez Maisonneuve et Larose.

 

. Hernani chez le même éditeur : le fac-simile du manuscrit original autographe [est-ce celui publié en 1927 par Daniel Jacomet chez Albin Michel sous le contrôle de Cécile Daubray ?] avec une analyse du manuscrit par Anne Ubersfeld, une étude sur l'histoire d'Hernani par Florence Naugrette, et une autre sur sa réception après la bataille pas Arnaud Laster. Denis Sellem fait état d’une réduction de 20 % consentie par l’éditeur aux membres de notre Groupe (qui n’établit pas de carte d’appartenance).

 

On découvre également la toute fraîche édition reliée des Oeuvres complètes Laffont. G. Rosa signale que, sous l’effet conjoint de la ténacité du Ministère de la Culture (Reine Prat, chargée de mission pour le bicentenaire et Michel Marian, secrétaire général du CNL) et de la bonne volonté de l'éditeur, cette édition sera prochainement mise en ligne sur Gallica, en mode image. Pour l’achat, c’est trop tard, sinon auprès de libraires qui auraient souscrit en leur propre nom : le tirage, petit, est déjà entièrement vendu. G. Rosa explique les raisons de ce faible tirage de l'édition reliée : le Ministère des Affaires étrangères et le Ministère de l'Education nationale avaient dit leur intention de souscrire plusieurs centaines d’exemplaires, mais ont commandé l'édition brochée ; Laffont a conclu au peu de succès probable et fixé le tirage au plus juste, si juste qu’aucune édition reliée n’a été offerte à personne. D'autre part, la "culture d'entreprise" de l'éditeur privilégie le broché, et c'est l'édition brochée qui a été envoyée au Ministre.

Elle (l’édition brochée), est disponible. Rappel : les auteurs bénéficient d’une réduction du tiers et rien ne leur interdit d’avoir des amis à qui ils veulent offrir tout ou partie de la collection.

 

Le "manuscrit du souffleur"

G. Rosa fait aussi circuler le livre d'Evelyn Blewer, La Campagne d'Hernani, chez Eurédit, et le présente. Il s'agit de l'édition commentée du "manuscrit du souffleur" ; cette publication reprend la première partie de la thèse d'Evelyn Blewer (la seconde partie fera l'objet d'un autre volume).

Le manuscrit du souffleur, rappelle G. Rosa, est le texte tenu (et soufflé) par le souffleur ; ce dernier était chargé de prendre note des modifications du texte décidées lors des répétitions et des premières représentations, sous l'effet combiné des volontés des uns et des autres et de la décision de l’auteur. L'étude de ce manuscrit permet de suivre ces modifications, les suppressions et les réintroductions, qui sont en nombre incroyablement élevé. Elle montre une étonnante souplesse de Hugo face à toutes ces exigences : lui qui ne tolère rien de la censure, accepte  beaucoup de choses de la part des comédiens et des autres artisans de la représentation. Ce qui d’ailleurs rejoint l’autorisation d’intervenir sur son texte très libéralement donnée à plusieurs reprises dans la « note aux directeurs des théâtres » accompagnant le texte de certaines pièces.

A. Ubersfeld n'approuve pas la conclusion de ce livre, qui présente le texte du souffleur comme LE texte d’Hernani. Cette critique n'est pas partagée : P. Laforgue (qui faisait partie du jury de thèse) explique qu'Evelyn Blewer accorde de la valeur à ce texte parce qu'il est celui qu'ont entendu les contemporains en 1830 : celui de la bataille elle-même. On découvre ainsi que la tirade "Monts d'Aragon..." n'a pas été entendue alors. C'est là la seule prétention d'Evelyn, qui n'affirme pas que cette version est la meilleure mais qu’on se fait une idée très fausse de la bataille d’Hernani –et plus généralement de la conduite de Hugo face aux exigences de la représentation- si l’on s’imagine que c’est le texte de 1836 qui a été joué. Hugo d’ailleurs, dans l’édition de 36 qui pour l’essentiel revient au manuscrit, signale le texte de 30 comme fautif, mais ne croit pas inutile de reproduire en note trois scènes du troisième acte « comme on les a imprimés en 1830, comme on les a jouées à cette époque et comme on les joue encore aujourd’hui ».

A. Laster : On a reproché à Evelyn Blewer, lors de sa soutenance, de présenter cette édition critique en partant du texte de base. (critique qui reste incomprise parce qu’on ne sait pas ce que signifie « partir du texte de base » et qu’on n’ose pas le demander, les problèmes d’édition savante, il faut bien le regretter, n’intéressant plus grand monde)

F. Naugrette : Il est vrai qu’Evelyn Blewer ne dit pas que le manuscrit du souffleur donne le meilleur état du texte, mais il lui arrive de regretter qu'on ne joue plus cette version.

A. Laster : Pourtant, on n'a sans doute pas dû jouer exactement le même texte à chaque représentation!

P. Laforgue : Justement, le manuscrit permet de suivre pas à pas toutes les modifications : plusieurs passages, importants, ont été d’abord coupés puis réintroduits.

F. Naugrette : Et il est vrai, Hugo le signale d’ailleurs que, toujours jusqu’en 67 et encore au-delà parfois, c’est le texte de 30 qui est joué.

A. Ubersfeld : Oui ; en 1867, des passages sont ajoutés. Mais la meilleure édition d'Hernani est celle de 1838; c'est celle qui est reprise par la plupart des publications.

Pour l'ensemble sur Hernani des éditions Maisonneuve et Larose, je me suis chargée de la partie sur le manuscrit de Hugo ; le travail que j'ai fait ne va pas du tout dans le sens d'Evelyn Blewer. Pour moi, cette version du souffleur est un terrible pis-aller entre des exigences contradictoires, avec en effet un grand esprit de conciliation de Hugo, qui voulait qu'on joue Hernani quoi qu'il arrive. Nous n’avons pas travaillé ensemble parce que nous ne nous sommes pas entendues sur ce point. 

                                                                                

Colloques, conférences, journées d'études.

G. Rosa transmet, comme d'habitude, plusieurs appels à conférenciers ou collaborateurs :

- L'Alliance Française de Puebla souhaite élaborer un CD-Rom sur Hugo, et recherche des médias et des idées. A. Laster se porte volontaire ; G. Rosa lui communique les références.

- G. Rosa fait circuler l’appel à communications de la faculté de Manouba, à Tunis, pour un colloque qui aura lieu les 25 et 26 octobre sur "Hugo connu et méconnu". On peut adresser les propositions de communications avant le 31 mars à Madame Alifa MARZOUKI, Département de Français, Faculté des Lettres, 2010 MANOUBA.

- L'Association des Amis de Tourgueniev/Viardot/Malibran organise également un colloque, les 18,19 et 20 octobre, sur "Hugo, Tourgueniev et les Droits de l'Homme"

- B. Abraham transmet l'appel à conférenciers de la directrice de la médiathèque de Rueil-Malmaison, qui souhaite organiser des manifestations pour le bicentenaire. La médiathèque de Montmorency fait la même demande.

B. Abraham rend compte d'une journée Hugo à l'Université de Vilnius , qui proposait un salon du livre et des communications. Les lituaniens ont manifesté une perception de Hugo plutôt originale, car s'ils sont amateurs de poésie hugolienne, le souvenir  de la prescription des romans par l’URSS les en éloigne encore. Vilnius cherche à organiser une exposition sur Hugo, qui ne soit pas constituée seulement de livres. Peut-être la Maison de Victor Hugo aurait-elle une exposition à leur fournir?. P. Georgel pense à l'exposition de Jean Gaudon, présentée en 1985, sur "Soixante affiches".

Revenant sur l’indication donnée par B. Abraham, G. Rosa rappelle cet étonnant extrait donné par le Monde, qui publie souvent un extrait d’un article datant de 50 ans jour pour jour : l’article portait sur la célébration stalinienne de Hugo, à Moscou, en 1952, faisant de lui le rempart contre l’américanisation des esprits, le militarisme, etc. Il ne faut pas sous-estimer, dans l’histoire de la réception de Hugo, la réalité de cette main mise et ses contre-coups qui se ressentent encore aujourd’hui. A. Laster signale que Paul Eluard avait fait à cette occasion, en 1952, un très beau discours sur "Hugo, poète vulgaire".

 

Web

Les sites internet consacrés à Hugo se multiplient. Tous ne sont pas dépourvus d’intérêt. G. Rosa indique

-celui de la Ville de Paris : http://www.paris-france.org/musees/victor_hugo.htm

-celui  du Ministère des Affaires étrangères, qui propose une carte du monde ; on clique sur telle région du monde, et la liste se déroule des villes où se passera quelque chose concernant Hugo : spectacles, expositions, conférences –avec  le nom des conférenciers. C'est très instructif!

-celui, ouvert ces derniers jours par Jean-Luc Gaillard, qui était des nôtres quelque temps : http://www.chronologievictor-hugo.com

- celui des Amis de la maison de V. Hugo à Vianden : http://www.victor-hugo.lu

 

Spectacles

V. Wallez annonce pour le soir même une Intervention à Aubervilliers, par la troupe Les Enfants du Paradis. La distribution sera originale, les acteurs étant plus âgés que ceux choisis d'habitude pour cette pièce. Un violoncelliste sera également sur scène. Ce sera la seconde et dernière représentation.

Ce même soir, le Théâtre Légende monte à Verrières-le-Buisson (espace Odilon Redon) Le Petit Roi de Galice, dont A. Ubersfeld et P. Georgel ont dit, le mois dernier, et répètent tout le bien qu’ils en pensent.

B. Abraham annonce pour le 16 mars un spectacle "Hugo, L'Homme des tempêtes", salle Olympe de Gouges (15, rue Merlin, dans le 11° arrondissement), mis en scène par Christine Farré.

M. Zviguilski annonce qu'un Angelo, Tyran de Padoue sera créé au mois de mai en Russie par le Théâtre Tourgueniev.

 

J-M. Hovasse a assisté aux premières manifestations du bicentenaire à Bruxelles. La Bibliothèque Solvay (du nom du chimiste), créée en 1902, projetait en géant des dessins de Hugo sur le sol - ce qui était d'un effet curieux, mais intéressant. D'autre part, une mise en scène de Claude Gueux, par un seul acteur : en dépit de quelques coupures (de la fin politique, en particulier), ce spectacle était très bon. A J-M. Hovasse qui remarque que Claude Gueux a rarement été mis en scène, A. Laster signale qu'il a fait tout de même l'objet d'une adaptation du vivant de Hugo, dans les années 1883 -1884. Les manifestations du bicentenaire dureront encore plus d'un mois à Bruxelles.

 

A. Laster procède à la critique de La Esmeralda, la réduction pour piano et chant de Liszt à laquelle il a assisté à Besançon. Le livret était un peu tronqué, car il n'y avait pas de chœur - ce qui est tout de même gênant pour un opéra-, à cause d'un budget dérisoire. Le texte des choeurs était dit par des comédiens. Si la musique est toujours très belle, le choix du metteur en scène de moderniser costumes et décors était plus discutable. On se serait passé, dit A. Laster, de la palissade sordide couverte d'affiches déchirées... La conception du rôle d'Esmeralda était également contestable : on en a fait une préfiguration de Carmen. Même si Bizet a pu y penser, les deux personnages sont très différents. Un aspect très positif de cette Esmeralda était la restitution du livret original : on se rend compte, en l'écoutant, à quel point il était audacieux, et impossible à faire entendre en 1836! En particulier, la qualité de prêtre de Frollo y est constamment exhibée.

Un programme a été distribué, qui contenait un bon texte du metteur en scène, ainsi que de la directrice du spectacle. Par contre, un préambule non signé (mais probablement du directeur) était plein de préjugés, voire d'hostilité, présentant La Esmeralda comme une "petite chose" que Berlioz, heureusement, avait retouchée!

 

G. Rosa attire l’attention sur une des nouveautés de ce bicentenaire par rapport à la célébration de 85 : le grand nombre des lectures et particulièrement les entreprises de lecture intégrale : à l'automne, la Comédie-Française lira La Légende des Siècles tout entière; une autre troupe, dans le nord de la France a un projet similaire, mais avec le concours d’amateurs que les professionnels entraîneront au vers ; au Canada, une lecture intégrale des Misérables est prévue ; à Paris, Marie Vitez entreprend elle aussi une lecture complète des Misérables, mais destinée à être enregistrée sur DVD et assortie d’une iconographie tirée principalement des éditions illustrées.

Il se réjouit également de la reprise du spectacle d'Anne de Broca, construit sur la diction de lettres de Juliette, comédienne elle aussi. Elle avait donné le premier en 85 et s’était promis de le reprendre chaque année durant 50 ans ; G. Rosa ne fut pas seul, A. Laster s’en souvient également, à y assister plusieurs années de suite ; il appréciait la complicité qui s'était nouée peu à peu entre cette comédienne et ses spectateurs qui vieillissaient ensemble... A. Laster rectifie : Anne de Broca n'a jamais cessé, mais on ne l'a pas toujours su.

 

P. Georgel demande où en est le projet de version abrégée de Cromwell. La comédienne présente qui participe à cette initiative -et qui nous pardonnera de ne pas avoir su saisir le moment de lui demander son nom- indique que ce spectacle sera donné, entre autres lieux, à l'Epée de Bois, à Vincennes.  La même troupe prépare aussi un spectacle de lectures pour la fin de l'année, vers novembre ; il durera un peu plus d'une heure et donnera à entendre des lettres, des extraits des Contemplations et de textes politiques (parmi lesquels la Lettre à Lord Palmerston et le plaidoyer Pour Charles Hugo)

Vincent Wallez achève cette revue des spectacles en annonçant une mise en scène de L'Hyménée, de Gogol, (à laquelle il participe), au Sudden Theater, dans le 18° arrondissement, trois fois par semaine, à 20h30, du 9 avril au 2 mai.


Communication de Florence Naugrette  : «Publier Cromwell et sa Préface : une provocation fondatrice»  (voir texte joint)


 

Discussion

A. Laster (à F. Naugrette) : Dans l'ensemble, je suis tout à fait d'accord avec ton propos ; je voudrais cependant faire quelques remarques de détail. D'abord, sur cette formule, "lourdement décorativiste", qui me fait toujours réagir : elle ne correspond pas vraiment aux réalités du théâtre du début du XIX° siècle, et surtout, elle comporte un jugement de valeur péjoratif inadéquat.

A. Ubersfeld : Cette expression est de moi, je l'avoue. L'adverbe "lourdement" signifie tout simplement que certains de ces décors empêchent d'entendre correctement le texte, et cela ne concerne pas que les mises en scènes de Hugo! Chez Hugo au contraire, les décors sont souvent dépouillés.

A. Laster : Je ne suis pas convaincu par cette idée d'un "dépouillement" qu'aurait souhaité Hugo ; je pense en particulier aux décors des Jumeaux, ou de Mille Francs de récompense...

V. Wallez : Pour ma part, je ne crois pas qu'un décor, même chargé, empêche d'entendre le texte : on le regarde au début, puis on l'oublie.

S. Vielledent n’est pas d'accord : le décor compte beaucoup pour les spectateurs!

G. Rosa, vieillissant : il fut un temps où, au lever de rideau, le public applaudissait le décor ; puis un acteur entrait et l’on applaudissait l’acteur et son costume avant de le laisser parler. C’était le temps où, à la fin, un acteur débitait le générique : le décor était de.... (applaudissement), Mme Chose [nom de la vedette] était habillée par [nom d’un grand couturier parisien] (applaudissements), et chaussée par... (re), et ainsi de suite jusqu’à l’auteur.

A. Laster : Des décors de Vitez ont été ainsi applaudis.

X, Y et Z : (indignation muette)

Cl. Millet : Je crois que l'expression "lourdement décorativiste" désigne avant tout ces décors où les objets empêchent les déplacements fluides des personnages.

A. Ubersfeld :Oui, c'est ça.

A. Laster : Dans la première moitié du XIX° siècle, c'est encore la toile peinte qui domine, n'est-ce-pas?

F. Naugrette :Pas forcément ; il y a déjà des décors architecturés, ce qui implique qu'on ne peut plus changer aussi souvent de décors au cours d'une pièce. On oppose donc le décor "décorativiste", architectural, au dépouillement de la toile peinte.

A. Ubersfeld : Les décors "décorativistes" naissent vers 1810.

P. Georgel : Quant on parle de "décorativisme", on désigne surtout un type de décors sans signifiance, qui s'opposent au sens.

A. Laster : Or les indices que donne Hugo concernant le décor sont toujours très signifiants! on ne peut donc pas parler, au sujet des mises en scène de Hugo, de "décorativisme"!

G. Rosa : Le décorativisme implique, Georgel vient de le dire, l’absence de sens. Tout naturellement, le lien de ce type de décor avec la pièce étant très lâche ou absent, il allait de pair avec cette habitude, que Hugo ne parvient pas toujours à épargner à ses pièces, de réutiliser un même décor d'une pièce à l'autre.

A. Ubersfeld : Précisons tout de même que Hugo a besoin de décors un peu chargés, très visuels. Ce sont eux qui permettent de rendre ses pièces populaires, car le public, souvent peu éduqué, voyait avant d'entendre ; cette action visuelle était essentielle.

 

A. Laster : Autre remarque de détail, Florence dit "Hugo rétablit une unité de lieu par acte"...

F. Naugrette : Oui, je n'aurais pas dû dire qu'il la rétablissait, puisqu'elle n'avait pas été supprimée.

G. Rosa : Revenons à la question posée : finalement, pourquoi Cromwell est-il si long?

F. Naugrette : Parce que Hugo voulait que sont drame occupe toute la représentation, et pas seulement une partie de cette représentation ; il jugeait inutile de programmer d'abord une pièce drôle, puis une pièce grave, puisque son drame mélangeait les tons et les genres. Ainsi, c'est par refus du système qu'il refuse de faire jouer Cromwell, en 1827.

G. Rosa : Mais pourquoi cette idée d’occuper une soirée entière serait-elle apparue avec Cromwell et disparue aussitôt sans crier gare ? Ses autres pièces, antérieures, comme Amy Robsart, ou postérieures, ont des dimensions normales. Hugo sait faire des pièces jouables, et indique même qu’il pourrait sans peine rendre Cromwell jouable. Ce que pourtant il ne fait pas. Tu suggères qu’il s’agit d’une provocation mais je n’en vois pas l’intérêt au moment où l’on demande au romantisme de faire ses preuves au théâtre. Quant au mélange des genres, que tu donnais comme facteur du non-jouable, il ne concerne pas que Cromwell, mais beaucoup des pièces qui suivent.

A. Ubersfeld : Cette longueur est liée à la scène historique : il faut aller jusqu'au bout des scènes historiques. Et surtout, n'oublions pas le modèle shakespearien : les pièces de Shakespeare ont une possibilité de durée presque infinie!

V. Wallez : Cromwell fait penser aussi au Faust de Goethe - même si Hugo n'en avait peut-être pas connaissance- par les chansons, le pittoresque...

F. Naugrette : Hugo y fait peut-être allusion dans la Préface de Cromwell, lorsqu'il écrit : "Il y a en Angleterre et en Allemagne des drames qui durent six heures".

V. Wallez : J'ai compté que dans Cromwell, il y a quatre-vingt douze personnages ou figurants qui émettent un son!

 

Cl. Millet : Une hypothèse serait que cette longueur s'explique par une tentation épique. Depuis toujours, les pièces très longues sont liées à l'épique, par opposition à la concision de la tragédie.

A. Spiquel : La tentation épique aurait pu faire que les Burgraves soit tout aussi long...

G. Rosa : Oui, Cromwell tend vers l’épique ; mais c’est bien plutôt la conséquence que la cause du parti pris d’un drame non jouable.

F. Naugrette : Peut-être Hugo a-t-il pensé que de toute façon, Cromwell allait être censurée, alors, autant faire grand!

G. Rosa : J’ai compris que c’était l’une de tes hypothèses, mais je ne vois pas trop ce que la censure aurait pu trouver à redire à Cromwell...

A. Laster : De toute évidence, Cromwell, c'est Napoléon, ce qui rendait cette pièce inacceptable!

F. Naugrette : C'est vrai : le Germanicus d'Arnault a été censuré car la figure de Napoléon y était trop présente.

A. Laster : Sans compter la dérision des monarchistes, très nette dans Cromwell!

G. Rosa : Mais les républicains ne sont pas mieux traités, au contraire. Il n’y a pas non plus de glorification indirecte de Napoléon dans le personnage de Cromwell, somme toute peu séduisant et peu prestigieux. Surtout, Hugo prend soin de ne pas représenter le point d'application universellement  choisi par les nombreuses autres pièces consacrées à Cromwell et qui, lui, était dangereux : le régicide.  Il est gommé dans la pièce. S’il figure, ce n’est que pour donner des remords à Lady Francis, la fille de Cromwell, et au Protecteur lui-même. Juste ce que pouvait demander le pouvoir.

V. Wallez : Tout de même, Cromwell est peint à la fois comme régicide et comme quelqu'un qui a des remords ; il est donc extrêmement sympathique au lecteur, ce qui constitue une défense de Napoléon.

 

G. Rosa : Tu laisses de côté la raison donnée par Hugo lui-même au « Témoin » : la rencontre de Talma et sa mort.

F. Naugrette : Je ne crois pas que cette rencontre et la disparition de Talma aient eu un tel impact.

 

A. Laster : En ce qui concerne le manuscrit d'Amy Robsart, il est entièrement de la main de Hugo, rien ne prouve que Foucher y a contribué!

F. Naugrette : Cela ne prouve rien : Hugo, peut-être, tenait la plume. Mais les lettres attestent que Foucher  y a participé.

A. Laster (à F. Naugrette) : Dernières remarques : tu as dit que Hugo voulait "une langue dramatique noble". Hugo rejette ce genre d'élitisme.

F. Naugrette : J'ai utilisé ce terme en me référant à la répartition bien connue entre vers tragique et prose du mélodrame.

A. Laster : Et on ne saurait dire, enfin, que Cromwell est la seule pièce de Hugo qui ait une fin heureuse. Marie Tudor, pour ne citer que celle-là, finit bien, et la mort du méchant ne gâche pas cette fin heureuse, puisqu'elle est typique du mélodrame.

F. Naugrette : Si tu y tiens, mais la tonalité comique est bien plus nette dans Cromwell que dans les autres pièces de Hugo. Il est vrai que chez Hugo, la mort du méchant ne pèse pas sur la fin ; ainsi Les Burgraves finit bien, malgré la mort de Guanhumara, qui incarne le mal : la haine, la vengeance... Reste que Les Burgraves n’ont rien de la gaîté de Cromwell.

A. Laster : A propos des notes historiques dans Cromwell : ce n’est pas la seule pièce où il y en ait.

F. Naugrette : Mais il y en a beaucoup plus dans Cromwell et c’est leur nombre qui apparente le texte au  genre de la « scène historique ».

 

G. Rosa : Reste une grosse différence entre Cromwell et une « scène historique », c'est que Cromwell représente un non-événement, de la non-histoire : comment Cromwell ne parvient pas à se faire couronner –et mieux encore : y renonce alors qu’il a triomphé de tout ce qui s’y opposait. La pièce est plus orientée vers la réflexion sur l'histoire (celle qui, en l’occurrence, ne se fait pas) que vers la représentation de l’histoire. Cette absence d'enjeu, ce non événement, va dans le sens de l'épique, du descriptif, du romanesque –et de la longueur. Il y a roman ou épopée parce qu’il n'y a pas de "drame".

V. Wallez : Mais il y a tout de même du suspense, du danger!

G. Rosa : Le suspense est un ressort romanesque. C'est aussi un facteur de durée. En tout cas, dans Cromwell, il n'y a pas de "noeud" dramatique.

F. Naugrette : Et la conjuration?

G. Rosa : La conjuration ne constitue pas un noeud ; pour qu'il y ait un noeud, il faut une contradiction. Il y en aurait eu une si, par exemple, la fille de Cromwell avait été à la tête de cette conjuration..

Je me demande si tout cela ne signale pas un échec d'écriture. La préface serait opportunément venue réparer ou cacher cet échec...

F. Naugrette : C'est possible. La Préface fait événement à la place de la pièce.

G. Rosa : D'autant plus que la pièce est écrite à un moment où il s’agit de montrer que le drame nouveau peut tenir à la scène! Le drame devait relever un défi ; Cromwell y renonce ou n’y parvient pas –sans qu’on comprenne bien pourquoi. Et Hugo se rabat sur le terrain théorique.

F. Naugrette : Vitet, dans sa préface des Barricades, en 1830, répond à la Préface de Cromwell en disant que la scène historique  ne doit surtout pas être jouée. D'ailleurs aucune d'elles, même courte, ne l’a été. Mais elles étaient toutes en prose.

G. Rosa : Sans la Préface, Cromwell aurait eu le sort des autres scènes historiques : l'oubli.

 

F. Naugrette : La longueur de Cromwell, cette façon de prendre son temps pour écrire, cette dimension épique, me font penser à certaines pièces de Mnouchkine, ou aux Paravents...

V. Wallez : Ou à Shakespeare, car comme lui, Hugo reprend la totalité du monde.

A. Laster : J'ai vraiment apprécié la précision et la profondeur avec lesquelles Florence a relu la Préface de Cromwell. La vulgate sur le grotesque ou sur le vers hugolien se soucie fort peu, en fait, de ce que dit vraiment la Préface, et ne fait que la survoler. Sur le grotesque en particulier, la tendance est de l'assimiler exclusivement au rire ; or le grotesque, c'est aussi le difforme, l'horrible... Certains disent que Hugo édulcore le grotesque lorsqu'il réserve le rire à certaines scènes ou certains personnages. C'est absurde!

G. Rosa (rieur) : On rêve d'une mise en scène de Hugo où un acteur viendrait rôder sur la scène aux bons moments, portant son étiquette : "le grotesque"!

A. Laster : Ainsi beaucoup pensent que dans Ruy Blas, seul le César du IV° acte est grotesque! Alors que Ruy Blas est grotesque aussi!

G. Rosa : Pas vraiment...

A. Laster : Si! Et la Reine! et Salluste!

G. Rosa, in petto : la Reine est touchante, sublime...

Cl. Millet : pour ma part, j'ai apprécié dans le propos de Florence la façon où elle étudie en quoi Cromwell et sa Préface représentent une rupture, en les plaçant à la fois dans la durée et dans leur contexte précis. Ainsi la rupture n'apparaît plus comme un miracle, elle est pensable, explicable.

G. Rosa : Ce qui est un tour de force puisque, au regard de la durée, du contexte, des attentes des contemporains et de leurs réactions, c’est à dire dans l’histoire littéraire, c’est la Préface qui fait rupture, et non la pièce.

F. Naugrette : Ceux qui disent cela le disent tout simplement parce qu'ils n'ont pas lu la pièce!

 Marieke Stein


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