Présents : Josette
Acher, Julie Anselmini, Stéphane Arthur, Patrick Berthier, Brigitte Buffard-Moret,
Hagar Desanti, Pierre Georgel, Jean-Marc Hovasse, Caroline Julliot, Loïc Le
Dauphin, Mathieu Liouville, Aurélie Loiseleur, Claude Millet, Claire Montanari,
Sébastien Mullier,Yvette Parent, Marie Perrin, Guy Rosa, Denis Sellem et Sylvie
Vielledent
Claude Millet invite les membres du Groupe Hugo à venir assister à la soutenance d'habilitation de Franck Laurent, qui aura lieu à 14 H à la salle Pierre Albouy, au sixième étage, escalier C des Grands Moulins.
Claude Millet signale - hélas avec retard - la parution d'un ouvrage de Jean Maurel intitulé Le Vocabulaire de Victor Hugo chez Ellipses en 2006.
Guy Rosa commente une version de la comédie musicale Les Misérables qu'il a vue à Londres. Il souligne que l'adaptation du roman est assez fidèle et qu'elle garde du moins une certaine forme de gravité et d'intensité -soutenue par l'adhésion des spectateurs. Certaines inventions sont particulièrement ingénieuses. On ne voit pas, par exemple, Thénardier détrousser le colonel Pontmercy, mais il s'attaque aux cadavres qui se trouvent dans les égouts. Il vole ainsi Marius et tente de voler Jean Valjean évanoui, mais ne parvient qu'à le réveiller. Des épisodes très différents sont ainsi condensés dans une même scène. De même, plusieurs événements qui prennent place à la fin du roman se trouvent resserrés dans un seul épisode : le mariage de Marius et Cosette et le chapitre « Une bouteille d'encre qui ne réussit qu'à blanchir » ne forment quasiment qu'une seule scène qui ne craint pas de mettre sur le même plan les invités au mariage et les laquais environnant Thénardier en homme d'Etat.
L'accent est mis sur les barricades et sur les jeunes gens, qui font preuve d'une énergie remarquable. Avec un enthousiasme dans le public qu'on n'attend pas au pays de Tony Blair.
L'évêque n'apparaît que brièvement. En revanche, la mise en scène permet de montrer visuellement le changement intérieur de Jean Valjean. Il déchire son passeport jaune devant les spectateurs ; ce geste n'appartient évidemment pas au roman, mais il transpose dans les gestes mêmes de l'acteur la dénégation de son passé que comporte l'ascension de M. Madeleine.
L'adaptation est, sur ces points, supérieure à nombre de versions cinématographiques.
Un détail. Mme Thénardier est noire ; Enjolras l'est aussi.
CLAUDE MILLET : Je vous remercie pour ce gros travail, très précis et très riche.
PIERRE GEORGEL : En réfléchissant sur les raisons multiples de la fascination qu'exerce l'homme au masque de fer à l'époque de Dumas et de Hugo, je me demande si le mythe ne résonne pas de façon particulièrement forte avec le problème des deux branches des Bourbons en France. Il y aurait sans doute un rapprochement à faire avec les affaires d'Espagne et avec le carlisme. Don Carlos revendique la monarchie et l'Espagne est en guerre civile. C'est une actualité extrêmement importante à l'époque.
Hugo rend hommage à Dumas dans le poème du Tombeau de Gautier « A Théophile Gautier »,. S'adressant à lui, il dit : « Tu pars après Dumas, Lamartine et Musset », faisant de Dumas une sorte de figure tutélaire du romantisme historique.
Votre commentaire du poème dédié à Dumas était très juste mais un peu trop rapide. Vous évoquez l'ombre et la lumière pour opposer Hugo et Dumas. Il me semble que ce ne sont pas tant l'ombre et la lumière qui les distinguent, mais l'unité et la dispersion. A l'éparpillement éclatant de Dumas s'oppose l'unité sinistre de la nuit hugolienne. L'hommage rendu à Dumas n'est pas ambivalent ou ambigu ; il est complexe et juste.
JULIE ANSELMINI : C'est vrai. On retrouve la même ambivalence dans une lettre que Hugo écrit à Dumas fils pour la mort de son père.
PATRICK BERTHIER : Vous avez abordé le thème du prisonnier qui retrouve l'air libre ; c'est un thème d'époque. L'Interdiction, par exemple, insiste sur l'aspect hagard du prisonnier qui retrouve la liberté. Des pièces inspirées par la vie de Kaspar Hauser sont jouées en 1838 à la Gaieté et à l'Ambigu. Paul Foucher écrit une pièce intitulée Le Pacte de Famine, qui met en scène un certain Prévot de Beaumont libéré le 14 juillet après vingt-deux ans d'emprisonnement à la Bastille - en réalité, ce personnage était enfermé à Vincennes. Les pièces de ce genre fourmillent à la fin des années 1830, à l'époque de l'écriture des Jumeaux. Il serait intéressant de savoir si cette thématique est encore en vogue lorsque Dumas écrit Le Vicomte.
JULIE ANSELMINI : Je n'ai pas élargi le champ de mes recherches à ce thème. On dit que Hugo a été inspiré, en 1839, par des réminiscences de la « Prison » de Vigny, mais sans doute l'influence la plus importante a-t-elle été celle de Fournier et d'Arnould. La maîtresse de Hugo, Juliette Drouet, avait joué dans ce spectacle.
Il me semble que Dumas est en retrait de l'actualité théâtrale lorsqu'il écrit Le Vicomte. Ses drames sont joués au Théâtre Historique, sorte d'îlot, dans le monde du théâtre, réservé à ses pièces. Il épouse pleinement, à cette époque, son rôle de romancier.
JOSETTE ACHER : Un vers mystérieux de Hugo me revient à propos du masque : « Mais le dedans du masque est encore la figure ».
AURELIE LOISELEUR : Il se trouve dans « Ce que dit la bouche d'ombre » ;
PATRICK BERTHIER : Le thème du masque, lui aussi, est récurrent dans les textes de l'époque. On peut penser ainsi à « Idylle » de Musset : deux amis, l'un noceur et l'autre pudique, échangent leurs vues sur l'amour. Le premier dit, comme Lorenzaccio, qu'il ne sait plus où est sa véritable figure.
HAGAR DESANTI : Le thème du masque renvoie d'ailleurs au thème du double, développé dans Les Misérables, où Javert et Jean Valjean se font sans cesse face à face. C'est très flagrant aussi dans Le Comte de Monte-Cristo.
JULIE ANSELMINI : Il y a en effet chez Dumas un véritable plaisir du déguisement. Monte-Cristo ne repense à sa véritable identité que pour se venger. Chez Hugo, le rapport des personnages à leur identité est plus fort. Jean Valjean se dénonce pour éviter qu'un autre soit condamné à sa place. Dumas se situe plus du côté du jeu.
CLAUDE MILLET : Vous avez bien mis en lumière la plasticité politique de Dumas. Il a évidemment été très courageux en 1830, puis avec Garibaldi. Cependant, il est curieux de voir à quel point son imaginaire est étranger à ses convictions politiques. Ses convictions, l'idéologie au nom de laquelle il s'investit, n'ont pas nécessairement de rapport avec ce qu'il invente dans ses romans. On écrit, dit-on, avec ce qu'il y a de plus profond en soi. or, chez Dumas, il semble qu'il y ait deux types de profondeurs qui ne s'articulent pas. Il se montre, en particulier, dans ses romans, fasciné par le pouvoir et la toute-puissance, fascination qui ne s'accorde guère avec ses convictions démoratiques.
JULIE ANSELMINI : Oui. Cette particularité vient sans doute du fait qu'il se place dans la posture du chroniqueur. Il cherche à s'immerger dans une époque et tente d'adopter son point de vue. Il revendique le fait de ne pas écrire selon sa propre perspective. La fascination pour le pouvoir, l'or et le luxe n'est peut-être pas la sienne.
CLAUDE MILLET : Je posais la question de sa plasticité politique car je me demandais si on pouvait la mettre en rapport avec sa manière d'écrire. Dumas peut se faire remplacer par Maquet. Son rapport à l'écriture est donc très atypique.
HAGAR DESANTI : La tension entre son engagement politique et sa fascination pour la toute-puissance est due aussi à son origine. Il ne faut pas oublier que Dumas est issu d'une esclave et d'un marquis. Il a conservé l'aspect brillant de son grand-père, mais comprend en même temps parfaitement ce que c'est que l'humiliation. On ne peut pas tout expliquer par les relations du couple Maquet-Dumas.
CLAUDE MILLET : Oui, mais je me demande néanmoins si cette délégation d'écriture n'est pas à mettre en rapport de détermination réciproque avec la plasticité idéologique de Dumas.
CLAUDE MILLET : Je vous remercie pour votre belle communication. Je voudrais insister sur l'aspect politique du recueil. Anne Ubersfeld est sans doute la première à avoir proposé une lecture politique de L'Art d'être grand-père et à avoir montré que les animaux du Jardin des Plantes dessinent l'image des communards qui, en 1877, sont encore menacés ou poursuivis. Hugo, à cette époque, mène l'un de ses derniers grands combats politiques et réclame l'amnistie des communards.
PIERRE GEORGEL : Pierre Albouy avait, lui aussi, dans sa magnifique préface d'introduction aux éditions La Pléiade, évoqué l'aspect politique du recueil.
CLAUDE MILLET : Le Jardin des Plantes a toujours été, par ailleurs, un lieu politique. La ménagerie royale était condamnée au XVIIIe siècle par les philosophes, qui trouvaient scandaleux que l'on nourrisse les animaux au lieu de s'occuper des misérables. Les cages de la ménagerie ont été ouvertes pendant la Terreur et les animaux livrés aux équarisseurs. Puis Lacépède et d'autres savants ont proposé de créer une ménagerie républicaine. Ils voulaient que l'espace soit ouvert à la libre circulation des animaux afin de pouvoir les observer dans le lieu le moins contraignant possible, suivant en cela les idées de Buffon. Le projet a malheureusement vite été dévoyé, la Révolution faisant place à l'Empire, et Buffon à Cuvier - plus intéressé par la classification des squelettes que par la ménagerie. Les bâtiments construits dans le Jardin des Plantes sous la Restauration sont de style néoclassique et, en 1830, la forme même des cages du Jardin fait l'objet d'une lecture politique. L'imaginaire politique de Hugo est nourri de cette histoire. Il dessine, dans son poème, un espace utopique, mais aussi profondément politique.
PIERRE GEORGEL : J'aimerais vous suggérer d'enrichir votre très belle communication en observant un autre poème de L'Art d'être grand-père, « Les Griffonnages de l'écolier ». Il constitue, comme le « Poème du Jardin des Plantes », un art poétique. Le « Poème du Jardin des Plantes », dans le spectacle même que la monstruosité animale introduit dans l'ordre abstrait du jardin à la française, donne l'exemple d'un archétype de création dans lequel seraient rejetés les carcans d'une poétique artificielle. On trouve la même chose dans « Les Griffonnages de l'écolier » : les taches d'encre, comparées à des animaux difformes, troublent l'ordre de la culture que le livre incarne. Le rapport entre l'enfant et l'animal s'enrichit encore : l'animal ne donne à entendre que des sons inarticulés, une sorte d'infra-langage, tandis que l'enfant produit l'ébauche d'un langage idéal et l'expression de sa liberté. Il y a ainsi un effet de diptyque entre ces deux poèmes.
CLAUDE MILLET : Je suis frappée par la question du continuisme et du discontinuisme chez Hugo. C'est évidemment une question qui revient toujours lorsque l'on s'attache à l'animal, mais, comme toujours, les deux thèses sont présentes chez Hugo sans qu'il y ait résolution. Il écrit « France et âme » dans la nouvelle série de la Légende des Siècles à la même époque que le « Poème du Jardin des Plantes ». Dans « France et âme », poème anti-darwiniste, Hugo fait de l'âme une césure infranchissable entre l'homme et l'animal, alors que, dans le « Poème du Jardin des Plantes », les animaux ont une âme. Dès qu'il est question de naturalisme et de spiritualisme, Hugo se contredit.
YVETTE PARENT : Je suis un peu gênée par l'esthétique de ce poème. Hugo oppose constamment les petits blonds aux yeux bleus - qui correspondent au bien dans l'esthétique judéo-chrétienne - aux monstres. L'un des premiers vers du poème est curieux : « [Dieu]. Exagère le nègre, hélas, jusqu'au gorille ».
CLAUDE MILLET : Il est en effet préoccupant de voir Hugo accepter l'idée d'une continuité dans l'échelle des êtres quand il est question du nègre ou du pygmée, mais la refuser quand il s'agit du singe darwinien. L'idée présente dans le vers que vous citez appartient malheureusement au discours scientifique dont Hugo est imprégné.
Siegfried Kracauer, dans un ouvrage intitulé Les avant-dernières choses, a mené toute une réflexion sur la façon qu'ont les grands esprits d'attacher toute leur énergie à des points problématiques à leur époque, et d'abandonner la réflexion sur d'autres sujets. Son analyse est très intéressante car il réfléchit en terme de tonus et d'énergie. Hugo ne pense pas à ce qu'il dit lorsqu'il parle du nègre et du gorille. Son énergie intellectuelle, sur ce point, se coule entièrement dans la pensée de l'époque.
PATRICK BERTHIER : Les indigènes sont en effet montrés comme des phénomènes de foire.
YVETTE PARENT : Pourtant, Hugo est par ailleurs lucide sur les problèmes que pose la négritude.
DENIS SELLEM : C'est juste. Hugo écrit par exemple une lettre à Heurtelou dans laquelle il ne parle pas du « nègre », mais de « l'homme noir ». Le vers que vous avez cité dans le « Poème du Jardin des Plantes » est en contradiction avec sa correspondance pendant la période de l'exil. Du moins si on le prend au pied de la lettre et sans considération, d'autre part, du reproche ainsi fait à un Dieu maladroit.
Claire Montanari
Equipe "Littérature et civilisation du 19° siècle"
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