Présents : Josette
Acher, Zied Bakir, Simon Bournet, Brigitte Buffard-Moret, Françoise Chenet-Faugeras,
Coralie Cocoual, Quentin Collette, Marguerite Delavalse, Hagar Desanti, Mireille
Gamel, Pernelle Genlis, Delphine Gleizes, Jean-Marc Hovasse, Caroline Julliot,
Hiroko Kazumori, Loïc Le Dauphin, Bernard Le Drezen, Claude Millet, Claire Montanari,
Yvette Parent, Hladlir Pawel, Marie Perrin, Myriam Roman, Guy Rosa, Jacques
Seebacher, Denis Sellem, Agnès Spiquel, Delphine Van de Sype, Sylvie Vielledent,
Vincent Wallez, Choï Young.
Claire Montanari signale que Ruy Blas, mis en scène par William Mesguich, est joué au théâtre de Nogent-sur-Marne jusqu'au dimanche 22 octobre. L'humour de la pièce, parfois mis à mal dans certaines mises en scène, transparaît ici de façon magistrale, grâce, en particulier, à l'acteur incarnant Dom César. La pièce, selon Vincent Wallez, devrait être reprise à Paris au mois de février.
Catherine Treilhou-Balaudé soutiendra son Habilitation à Diriger des Recherches le 23 novembre à 9h, salle Bourjac à la Sorbonne sur « Shakespeare et le théâtre baroque européen ». Comme ne l'indique pas le titre, il y sera beaucoup question de Hugo.
Guy Rosa annonce la parution d'un article de Marieke Stein, « Dialectique de l'écrit et de l'oral dans le discours politique hugolien » dans les actes du colloque de Montpellier de novembre 2003, « Paroles chantées, paroles dites ». Sylvie Vielledent est, elle aussi, intervenue lors de ce colloque, en travaillant sur « Les calembours et les mots d'esprits dans la presse de 1830 ». L'ouvrage collectif est paru aux Presses Universitaires de Valenciennes.
Claude Millet demande aux nouvelles « recrues » de présenter l'objet de leurs recherches :
- Hladlir Pawel vient de l'université de Varsovie et est inscrit en Master II à l'université de Paris 13. Il comparera la poésie de l'exil de Victor Hugo et d'Adam Mickiewicz.
- Coralie Cocoual, inscrite à l'université de Paris 12, rédigera un mémoire de Master sur « Le Grotesque dans le Théâtre en liberté ». Guy Rosa lui conseille de consulter la thèse que Stéphane Desvignes vient de soutenir sur le même corpus.
- Quentin Collette est doctorant à l'université de Rouen et travaille sur les adaptations théâtrales et cinématographiques des ouvres romanesques de Théophile Gautier.
La communication dYvette Parent déclenche une discussion passionnée entre les membres du Groupe.
CLAUDE MILLET : Je vous remercie de nous avoir fait découvrir cette lettre. Vous avez précisé, au cours de votre communication, que vous aviez corrigé lorthographe de la lettre. Pourriez-vous faire une note sur vos principes dédition afin que lon puisse éditer la lettre de Villemain sur notre site ?
JACQUES SEEBACHER : Pourquoi au fond ne pas publier cette lettre telle quelle est ? Il sagit dun témoignage sur la façon dont on écrivait à lépoque. La question de lorthographe est brûlante : les règles dorthographe ne sont pas des règles mais des pense-bêtes pour harmoniser toutes les graphies. Le refus de la modification de lorthographe a un substrat idéologique très fort : lorthographe servait à faire le tri entre ceux qui savaient écrire et ceux qui ne le savaient pas, et ainsi à évacuer ceux qui venaient des basses couches de la population.
FRANCOISE CHENET : Cela me rappelle un ouvrage dAndré Chervel,
et il fallut apprendre à écrire à tous les petits français. Histoire
de la grammaire scolaire. Payot, 1977.
Largument est le suivant :
La société française a été placée au XIXe siècle devant une tâche pédagogique
dune rare complexité : apprendre à écrire à tous les petits Français,
leur enseigner les subtilités de notre orthographe, lune des plus difficiles
du monde. Les méthodes anciennes, fondées sur le latin, nétant plus utilisables,
il fallait innover. Cest pourquoi lécole inventa une justification
théorique à lorthographe quon baptisa grammaire.
Présentée comme une théorie de la langue, alors quelle est, tout au plus,
un aide-mémoire au service de lorthographe correcte, la grammaire scolaire
nest finalement quune mystification, une imposture.
Quant à lorthographe correcte, lauteur nous dit quelle
sest fixée dans les vingt années qui ont suivi la sixième édition du Dictionnaire
de lAcadémie (1835), lequel finit par faire autorité (ce nétait
pas le cas de la précédente édition de 1740).
Je recommande la lecture des pages 141-144 consacrées à létat déplorable
de lécole dans la première moitié du XIXe siècle :
Si la rédaction est et restera encore longtemps totalement inconnue, cest
que lécriture enseignée aux enfants du peuple veut être une écriture servile,
une écriture dimitation, étroitement liée à des modèles. On comprend limportance
que revêt, pour cette pédagogie, lexercice de la copie, ou la pratique
du par c¦ur. Cest à partir des années 30 que lécole
commence à bouger. Voilà qui donne, me semble-t-il, le contexte historique de
la mission de lABC dans Les Misérables et de cette polémique
sur lorthographe de la lettre de Villemain.
Plus précis et plus drôle, un article de Nina Catach : Un décret imaginaire
: le décret de 1832, dans la revue Mots/Les Langages du politique,
n° 28, septembre 1991, consacrée à Orthographe et société. Elle
signale la mention dans la plupart des manuels depuis 1970 dun décret
de Guizot qui aurait institué lorthographe de lAcadémie comme orthographe
dEtat. Il y a semble-t-il confusion (volontaire?) avec la loi Guizot
de 1833 sur lenseignement primaire et le Statut sur les écoles primaires
communales de 1834. Ce décret est imaginaire et sert à cautionner le refus
de toute réforme de lorthographe. Plus intéressant pour nous, N. Catach
signale que le Dictionnaire de lAcadémie de 1835 a été vivement
critiqué, et en particulier lorthographe nouvelle, par laristocratie,
les gens de lettres, comme Chateaubriand, Nodier, etc.
Question : et Hugo?
JEAN-MARC HOVASSE : Pour ce qui est des normes de lédition, il ny a pas de règles. Tout dépend du choix de léditeur. Villemain na pas écrit cette lettre de sa main. Il y aurait sans doute peu dinconvénients à ce que lon en rétablisse lorthographe correcte.
CLAUDE MILLET : Je suis plus favorable, quant à moi, à la restitution de la graphie initiale car la lettre devient élément darchive, et lintérêt dune archive est en partie lié à sa matérialité. Lorthographe à lépoque était moins normalisée quaujourdhui. George Sand note sur certains de ses brouillons : « recopié avec orthographe » ce qui prouve que ce nétait pas toujours le cas. Il serait bon que notre site publie le plus grand nombre de documents possible. Dans cette perspective, il convient dinstituer des règles sappliquant à la reproduction de toutes les sortes darchives et de les restituer toutes à lidentique.
JEAN-MARC HOVASSE : Certes, mais la restitution à lidentique risque de poser parfois des problèmes de lisibilité. Si lon conserve lorthographe des documents originels, il faut aussi en reproduire la graphie, ce qui nest pas toujours matériellement possible. Si Juliette Drouet écrit un mot deux fois plus gros quun autre, cela a un sens pour elle ; pourtant, aucune convention ne permet de reproduire cet effet dans un texte imprimé. Il y a toujours des conventions dédition : aucune édition ne peut être entièrement diplomatique. Personnellement, si, dans mes travaux, je suis confronté à une phrase qui na ni majuscule, ni ponctuation, je les rétablis.
GUY ROSA : Hugo lui-même, qui met rarement des majuscules en début de vers sur ses manuscrits, ne soppose évidemment pas à ce que les typographes les rétablissent. Lui qui se vante de ne pas faire de fautes dorthographe, il lui arrive fréquemment décrire « hangar » avec un « d » ou « redingote » avec deux « t ». Ces erreurs sont corrigées dans les éditions de ses uvres.
JACQUES SEEBACHER : Il met deux « t » à « redingote » parce quelle a deux basques !!
CLAUDE MILLET : On peut considérer quil y a un écart entre lécriture normalisée dune uvre conçue pour être éditée et un échange épistolaire. Pour travailler sur la dimension stylistique dune lettre, il faut aussi prendre en compte son orthographe, qui témoigne du rapport à la langue de lépistolier. Si on édite un texte, il convient de ne pas le noyer sous nos propres normes.
AGNES SPIQUEL : Faut-il alors écrire « [sic] » à chaque fois que lon rencontre une faute dorthographe ?
JACQUES SEEBACHER : Non, il suffit de préciser avant de reproduire le texte que sa graphie originelle a été respectée. La notion dorthographe a une histoire. La liberté de graphie dans les siècles passés était considérable. Les textes que lon publie aujourdhui doivent être correctement orthographiés mais les documents gardent ce que lon appelle des fautes.
YVETTE PARENT : Dans lédition des Chansons des rues et des bois, Hugo écrit « Spinoza » avec un « s »
JEAN-MARC HOVASSE : La question de la graphie des noms propres chez Hugo est très complexe. Il écrit souvent les mêmes noms avec des orthographes différentes.
CLAUDE MILLET : Mais cest cette variation même qui est importante ! Elle dit quelque chose du rapport de Hugo à la langue, quand bien même il ne sagirait que dune indifférence.
GUY ROSA : Certes, mais le fait de reproduire toutes ces variations risque de rendre daccès difficile les textes que lon publie. Les carnets publiés chez Massin sont illisibles.
JACQUES SEEBACHER : Ils ne sont pas faits pour être facilement lisibles.
GUY ROSA : Dans les manuscrits de Hugo, des phrases se terminant par un point dexclamation ou dinterrogation sont suivies ou non de majuscules. La modulation dune phrase nest évidemment pas la même selon quelle commence par une majuscule ou par une minuscule. Hugo, la plupart du temps, laisse les typographes décider. Il nest pas sûr quil avait le temps de ce soucier de ce genre de détail, ni même quil attachait une grande importance à ce choix.
CLAUDE MILLET : Henri Meschonnic, dans son article « Poétique du manuscrit chez Victor Hugo dans La Fin de Satan », réfléchit de façon très convaincante sur labsence systématique de majuscule en début de vers dans les manuscrits de Hugo. Il conçoit lécriture comme un flux que briserait la présence de la majuscule en début de vers.
GUY ROSA : Mais il ne met pas non plus de majuscule au début de ses phrases en prose.
CLAIRE MONTANARI : Il y a peu de poètes, à la fin du XVIIIème et au début du XIXème siècle, qui mettent une majuscule en début de vers sur leurs manuscrits. Chénier, par exemple, en met très rarement.
GUY ROSA : Selon moi, il serait paresseux de ne pas se prononcer. Mettre une majuscule en début de vers permet daider la lecture et dindiquer au lecteur quil se trouve en présence dun texte versifié. Les spécialistes doivent prendre des décisions pour que le texte devienne plus intelligible. On ne peut se contenter dêtre un simple copiste.
BRIGITTE BUFFARD-MORET : Et pourquoi ne publierions-nous pas deux versions de la lettre : lune corrigée, et lautre non ?
CLAUDE MILLET : Il est vrai que lon peut raisonner de façon différente selon que lon publie une correspondance sur papier ou sur une version électronique. Le site nous libère des contraintes matérielles de lédition traditionnelle et nous offre une plus grande souplesse.
DELPHINE GLEIZES : Il faut néanmoins décider de normes si lon veut publier un grand nombre de documents sur le site. Il ne faudrait pas que les transcriptions soient trop hétérogènes.
CLAUDE MILLET : Cest pourquoi la transcription la plus proche du document originel me semble la plus souhaitable. On peut donc prendre la décision pour lédition des documents sur le site dune double édition, proposant le texte avec et sans normalisation.
JACQUES SEEBACHER, sadressant à Yvette Parent : Quand dites-vous qua été publié Bug-Jargal ?
YVETTE PARENT : Le roman a paru le 30 janvier. La lettre de Villemain date du 5 février. Je ne pense pas quil ait lu le texte de Hugo sur manuscrit car Hugo la donné à limprimerie immédiatement après lavoir terminé.
GUY ROSA : En règle générale, même si on a une date approximative, on ne connait pas exactement la date exacte de la publication dune uvre. La date de la Bibliographie de France ne correspond pas toujours à la date donnée par les critiques de journaux.
Applaudissements.
CLAUDE MILLET : Merci pour cette communication savante qui a eu en outre le mérite dintégrer des entractes narratifs très agréables !
MYRIAM ROMAN : Est-ce au sujet de strophes comme celles que vous avez étudiées que lon parle de rythme tripartite ?
BRIGITTE BUFFARD-MORET : Non, ce quon appelle « rythme tripartite » est plutôt réservé à lalexandrin lorsquil est constitué de trois parties. Le terme sadapte au vers plus quà la strophe.
YVETTE PARENT : A-t-on encore les partitions de la musique accompagnant le poème de Ronsard ?
BRIGITTE BUFFARD-MORET : Je ne crois pas. Peut-être y en a-t-il dans le recueil de Chardavoine, mais rien nest moins sûr. On trouve quelques schémas indiquant la façon dont on pouvait chanter les poèmes à la fin de lédition des Amours de 1552. Il serait intéressant détudier les différences entre lair de « Pienne », chant populaire dont on ne connaît pas le compositeur, et lair de Ronsard, composé par un musicien savant.
YVETTE PARENT : Ny a-t-il pas des musicologues qui auraient travaillé sur le sujet ?
BRIGITTE BUFFARD-MORET : Malheureusement les travaux sont souvent cloisonnés. Les musicologues nont pas suffisamment de connaissances dans le domaine de la versification ; quant aux stylisticiens, il ne connaissent pas suffisamment la musique
GUY ROSA : Vous avez dit que les musiciens mettaient souvent à mal les poèmes quils accompagnaient. Quen est-il exactement ?
BRIGITTE BUFFARD-MORET : La poésie nétait souvent que le prétexte de la chanson. Certains musiciens nhésitaient pas à mélanger plusieurs poèmes, voire à modifier des vers entiers. Il semblerait que Ronsard ait dabord tenu à ce que ses poèmes soient mis en musique, puis quil ait progressivement choisi de sécarter de la chanson. Certains se demandent sil na pas fait ce choix parce quil trouvait que sa poésie était trop malmenée par les musiciens. Dans les recueils collectifs de chanson, on oubliait souvent de préciser le nom du poète à lorigine du texte initial. De plus, les vocalismes des chanteurs faisaient disparaître le rythme des vers.
CLAUDE MILLET : Je suis frappée, dans la première strophe de « Sara la baigneuse », par la rime « au-dessus »/ « Ilyssus », non à cause de la sonorisation du « s », mais parce que Hugo met un mot-outil, instrumental, en balance avec un terme classique, évoquant la Grèce antique tandis que le recueil sattache avec éclat à la Grèce moderne.
BRIGITTE BUFFARD-MORET : On dit souvent que Baudelaire a mis des mots simples à la rime, mais ce nest pas une révolution radicale. On trouve ce procédé bien avant, et en particulier chez Hugo. Mais la perspective de ce dernier, ludique, nest pas la même que chez Baudelaire, qui cherche à rendre compte de la modernité.
CLAUDE MILLET : Il me semble quil ne faut pas réduire lentreprise de Hugo à une quête du ludisme. En jouant sur la rime, il veut montrer que le langage poétique est coextensif à la langue dans son ensemble. Néanmoins, le cas de cette première strophe, et sa réécriture par Banville montrent en tout cas très clairement le statut très bizarre des parodies de Banville : ce sont bien des parodies au sens où ce sont des imitations textuelles comiques, mais en lhonneur du poète parodié, non à ses dépens : Banville na quà creuser des potentialités du texte, comme cette légèrement disconvenante rime « au-dessus-Illysus » pour produire des dissonances de type burlesque.
CLAUDE MILLET : La rime est prise dans un dispositif polémique au XIXe siècle, et déjà au XVIIe et XVIIIe (Cf. la contribution de Frédéric Briot à La Poésie en procès, Revue des Sciences humaines, n°276, 2004). Elle a la réputation dêtre la partie sensorielle de la poésie, celle qui ne sadresse quà loreille, quau corps. Les discours sur la rime au XIXe siècle ont la même tonalité idéaliste/spiritualiste que ceux portant sur la couleur. Sa dimension matérielle nest pas loin dêtre jugée « ignoble » car elle sattache à une forme de plaisir physique. Cest une constante dans la réception des premiers recueils de Hugo que de critiquer son « formalisme ». Les jeux formels de « Sara la baigneuse » ne sont pas perçus à lépoque comme la renaissance dun savoir poétique, mais comme les traits de la décadence dune poésie qui tourne à vide dans les jeux formels, nayant pas de contenu, i.e. dâme (Cf. la contribution de Sandrine Raffin au volume 5 de la série « Victor Hugo » chez Minard, Autour des Orientales). La réception des Orientales comme manifestation de « lart pour lart » ne tient pas seulement à lincompréhension des propos truqués que tient Hugo dans la préface de ce « livre inutile de pure poésie ». Elle tient aussi à leur sophistication formelle, léclat des rimes et des couleurs qui, dans la logique dualiste des contemporains, infléchissement spiritualiste de lidéalisme esthétique des deux siècles précédents, ne peut quêtre le fard dune poésie « matérialiste », vide de sentiments comme didées.
BRIGITTE BUFFARD-MORET : Au XVIIème siècle, la rime sest appauvrie dans les textes dramatiques pour passer inaperçue. On trouve au contraire, dans les chansons galantes du XVIIIème siècle, des jeux de rimes parfois approximatives.
CLAUDE MILLET : Frédéric Briot dans son article, intitulé « La rime au XVIIème siècle : laiguë, lambiguë et laguicheuse », montrait que les jeux rimiques étaient souvent associés à la poésie légère et étaient condamnés pour leur sensualité.
JACQUES SEEBACHER : La balançoire, dans le poème de Hugo, est essentielle pour cette esthétique de la sensualité : elle offre, comme la rime, un mouvement alternatif, un suspens, et une satisfaction lorsquelle arrive à nouveau : le système arrive alors à la plénitude, à la satisfaction, à la surprise parfois, au repos, au relâchement.
CLAUDE MILLET : Le poème met dailleurs en scène un rêve érotique et laisse entrevoir, de façon implicite, limage de la masturbation.
BRIGITTE BUFFARD-MORET : On peut en effet comprendre ainsi cette strophe :
« Mais Sara la nonchalante
Est bien lente
A finir ses doux ébats ;
Toujours elle se balance
En silence [ ] »
CLAUDE MILLET : « La Dryade » de Vigny était un poème donanisme. On peut considérer que Hugo lui répond avec « Sara la baigneuse ».
YVETTE PARENT : Il semble quil y ait un texte dAbel Hugo qui soit à lorigine du poème de Hugo.
CLAUDE MILLET : Le thème de la balançoire est souvent associé à un motif érotique, qui traîne partout : difficile de fixer une influence précise.
SYLVIE VIELLEDENT : Il y a par exemple un passage, dans Une Page damour de Zola, où lhéroïne, Hélène, préfère tomber de la balançoire plutôt que de se laisser guider par le docteur Deberle, au charme duquel elle nest pas insensible.
DELPHINE GLEIZES : Peut-on savoir exactement dans quelle mesure la strophe utilisée par Hugo dans « Sara la Baigneuse » était connue à lépoque ? Est-ce essentiellement grâce à Sainte-Beuve ?
BRIGITTE BUFFARD-MORET : Hugo utilise de telles strophes en épigraphe lorsquil lit le Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au XVIème siècle de Sainte-Beuve. On redécouvre, grâce à cet ouvrage, la poésie du XVIème siècle.
CLAUDE MILLET : Jai été surprise en lisant le texte de Sainte-Beuve car je mattendais à y trouver, dans la même logique que celle de Nerval, un éloge sans réserve de la littérature du XVIe siècle, regrettablement interrompue par le coupure malherbienne. Or Sainte-Beuve critique fermement les excès de Ronsard, auquel il reproche le caractère profus de sa poésie. Il fait en revanche léloge de Malherbe, quil considère comme le véritable fondateur de la poésie française. Il me semble que le texte de Nerval est plus cohérent dans sa stratégie de valorisation de la poésie de la Renaissance ou quil y a même chez le Sainte-Beuve des débuts, le Sainte-Beuve de Joseph Delorme (où est republié le poème « A la rime »), un classique plus ou moins rentré.
SIMON BOURNET : A propos de Malherbe Est-ce à ce dernier que Verlaine se réfère lorsquil dit, dans son Art poétique, quil faut que la rime soit discrète ?
CLAUDE MILLET : Non : il y a toute une poétique de la pauvreté chez Verlaine. Il ne sagit pas pour lui de re-normaliser la poésie mais de mettre en uvre une poétique sans (faux) éclat, celle de la « chanson grise ».
BRIGITTE BUFFARD-MORET : Verlaine est influencé par la chanson populaire et par ses rimes approximatives.
JACQUES SEEBACHER : Linconvénient dune rime très riche est quelle satisfait totalement. Il est difficile de continuer un poème après cela : ce sont lunité, le mouvement et le déséquilibre qui fondent un poème. Un ressort est dautant plus efficace quil est ténu.
FRANCOISE CHENET : Hugo explique, dans une note, quun des plus beaux vers de Malherbe serait issu dune erreur de typographe. Malherbe aurait voulu écrire :
Et Rosette a vécu ce que vivent les roses,
Lespace dun matin. »
Et le typographe aurait retranscrit ses vers ainsi, prenant les deux « t » de « Rosette » pour des « l » :
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
Lespace dun matin .
La conversation repartant sur la question des graphies et de lorthographe débattue en début de réunion, la boucle est bouclée et la séance se clôt.
Claire Montanari
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