Présents : Josette
Acher, Brigitte Buffard-Moret, David Charles, Françoise Chenet-Faugeras, Marguerite
Delavalse, Jean-Claude Fizaine, Mireille Gamel, Pierre Georgel, Delphine Gleizes,
Sophie Godefroy, Colette Gryner, Vincent Guérineau, Jean-Marc Hovasse, Nana
Ishibashi, Franck Laurent, Arnaud Laster, Loïc Le Dauphin, Bernard Le Drezen,
Claire Montanari, Florence Naugrette, Yvette Parent, Marie Perrin, Laurence
Revol, Guy Rosa, Jacques Seebacher, Denis Sellem, Agnès Spiquel, Marieke Stein,
Anne Ubersfeld , Delphine Van de Sype, Sylvie Vielledent, Mélanie Voisin et
Vincent Wallez.
Mademoiselle Marie Perrin, nouvelle venue, est accueillie et présentée: elle commence, sous la direction de Mme Gabrielle Chamarat, à Paris X Nanterre, une thèse qui sera consacrée aux notions de barbarie et de civilisation, entendues au sens esthétique, dans les romans de l'exil. J. Seebacher se demande si, puisqu'il s'agit d'esthétique, le couple "romantique-classique" ne serait pas aussi pertinent.
Publications :
Guy Rosa fait circuler le catalogue de l'exposition « Cet immense rêve de l'océan, paysages de mer et autres sujets marins » (maison de Victor Hugo, place des Vosges, jusqu'au 5 mars 2006) et signale la critique très élogieuse qu'elle a rencontrée dans le Monde et Télérama .
De Franck Laurent, « L'Europe de Victor Hugo, des nations à la République », publié dans Existe-t-il une Europe philosophique ?, dirigé par Nicolas Weill et publié aux Presses Universitaires de Rennes..
Depuis la séance du 26 novembre 2006 (voir sur le site), la liste s'est étoffée et G. Rosa donne lecture des informations nouvelles ; on constate la multiplication des travaux consacrés à L'Homme qui rit). Il souligne particulièrement outre l'exposition consacrée à Juliette que prépare Gérard Pouchain pour la fin de l'année au Musée de la place des Vosges, les travaux de :
- Sylvie APRILE : un ouvrage sur l'exil et les exilés républicains sous le second Empire -avec Hugo au premier rang ;
- Junia BARRETO , qui vient de soutenir sa thèse Figures du monstre dans l'ouvre théâtrale et romanesque de Hugo ;
- Chantal BRIERE, dont la thèse Victor Hugo et le roman architectural sera publiée cette année chez Champion ;
- Stéphane DESVIGNES, soutenance avant l'été sur le Théâtre en liberté ;
- Sylvie JEANNERET, dont l'habilitation à l'Université de Zurich reposera sur un ouvrage consacré au discours politique dans les romans de Hugo ;
- Georges MATHIEU, qui publiera cette année, également chez Champion, sa thèse sur la composition en chapitres des Misérables ;
- Marieke STEIN, dont la thèse sur Hugo orateur politique rejoindra chez Champion les deux précédentes ;
- Jean-Pierre VIDAL qui vient de soutenir à Montpellier sa thèse sur l'épique hugolien.
Jean-Claude Fizaine signale que le CERD de Montpellier fera paraître un ouvrage collectif sur L'Histoire littéraire selon les écrivains où lui-même aura en charge le chapitre consacré à Hugo.
Delphine Gleizes explique qu'avec ses collègues spécialistes des XVIIIè et XIXè siècles, elle travaille sur l'élaboration d'un site web, rattaché à l'ISH de Lyon, qui recensera toutes les adaptations cinématographiques d'ouvres littéraires. Le site comportera des analyses critiques et permettra de trouver facilement les références des ouvres en question.
Arnaud Laster rappelle que Ruy Blas sera joué le week-end des 28 et 29 janvier au théâtre de Saint-Maur, avant d'être repris cet été au jardin Shakespeare. Il note l'excellente distribution et regrette, sans trop d'énergie tant la chose est fréquente, un soin insuffisant mis à l'élocution de l'alexandrin. Le metteur en scène dit avoir peiné à faire tenir la totalité du texte dans les deux petites heures qu'on accorde désormais aux spectacles de théâtre. Au moins est-il certain, remarque A. Laster, que le Bon appétit ne souffrira d'aucune coupure : on ne se prive pas de tailler partout, mais jamais là !
La question de la diction déclenche une discussion familière :
Jacques Seebacher : La langue d'aujourd'hui n'a vraisemblablement plus beaucoup de rapport, dans sa prononciation, avec celle de l'époque de Hugo. La fidélité ici (comme ailleurs) est utopique.
Arnaud Laster : Les liaisons en particulier embarrassent les acteurs d'aujourd'hui : ils ne savent ou ne veulent pas les faire et multiplient les hiatus disgracieux. Mais, si on le leur signalent, ils se retranchent derrière la libération du vers par Hugo, dont ils s'imaginent qu'ils poursuivent l'entreprise.
Yvette Parent : Il me semblait que les jeunes comédiens d'aujourd'hui travaillaient activement cet aspect de leur métier.
Arnaud Laster : C'est exact. Il existe même des écoles qui promeuvent le roulement des « r ». Dans le film Le Pont des Arts, on inflige à Racine une « prononciation restituée ». A quand les « oué » pour « oi » ?
Franck Laurent : Le Ruy Blas de la Comédie française en 2002 ne brillait pas en cette matière ; mais les jeunes acteurs, en effet, qui s'en tiraient mieux que les vieux routiers du théâtre.
Florence Naugrette : Brigitte Jaques les y avait formés. Jusqu'à pratiquer la liaison anticipée élyséenne qui disjoint soigneusement la consonne de la voyelle qui suit.
Franck Laurent s'étonne que ce soit Depardieu qui, à son sens, dise le mieux les vers -cf. son Cyrano dans le film de Rappeneau.
Arnaud Laster acquiesce, citant son interprétation de Ruy Blas plus réussie à cet égard que celles de Weber, pourtant reconnu comme acteur de théâtre.
Florence Naugrette observe que l'élocution naturelle de Depardieu, qui lui fait accentuer les fin de phrase, le favorise. Il respecte le mot phonologique.
Arnaud Laster : Reste qu'on est sorti des catastrophes d'il y a quelques décennies.
Anne Ubersfeld : Au XIXème siècle, et encore au début du XXème, on ne percevait pas la diction de la même façon qu'aujourd'hui. On faisait très attention à la façon dont un comédien prononçait tel ou tel vers. C'est sensible à la lecture des critiques d'alors qui, souvent, faisaient porter leurs remarques sur la façon de dire un vers en particulier. De nos jours, on s'attache plutôt à la tirade, au mouvement, et on considère de moins en moins le détail de telle ou telle formule, phrase ou vers.
Jacques Seebacher estime, avec l'accord d'Annie Ubersfeld, que le jeu statique des comédiens du 19° siècle favorisait une plus grande attention à la diction.
Après un excursus sur la gestuelle, plus importante au 19° que maintenant parce qu'elle l'emportait sur le mouvement -et sur l'obscénité reprochée aux comédiens qui interprétaient, au sol, la scène finale d'Hernani,
Florence Naugrette : Aujourd'hui, on s'attache surtout à la mise en scène conçue comme une perspective d'ensemble. Au XIXème siècle, on observait le jeu du comédien dans son détail. Sa gestuelle était calculée en fonction du vers à dire et rejoignait l'intonation : un geste pour un vers.
Arnaud Laster : Cela n'est pas si récente qu'on le croit. Dès l'entre-deux-guerres, Jouvet, en particulier, invite à ne pas porter attention aux détails chez Hugo et à viser le dernier vers de la tirade. Le texte n'est plus analysé et tout le jeu de l'acteur s'oriente vers l'effet final. De là des catastrophes.
Anne Ubersfeld : Tout ce qui se faisait avant guerre n'était pas mauvais. Ludmila Pitoëff portait une attention scrupuleuse à toutes les dimensions du vers et de la phrase. A toutes les époques, les grands comédiens équilibrent l'ensemble et le détail : Gérard Philippe, par exemple, qui faisait entendre tout le détail des textes.
Guy Rosa : Nihil novi sub sole : Mlle Georges, autant que pour son volume propre.
Florence Naugrette : .tel que le tour de son bras égalait, disait-on, le tour de taille de Mlle Mars...
Guy Rosa : ...était réputée pour son incapacité à dire les vers.
Guy Rosa donne lecture d'un extrait du Bulletin Flaubert 77 (édité par le Centre Flaubert de l'Université de Rouen, sous la responsabilité d' Yvan Leclerc) :
RECHERCHE: Flaubert cite Hugo
Claude Cambe, d'Aix-en-Provence, a identifié deux citations de Hugo, l'une dans la correspondance, l'autre dans le voyage Pyrénées-Corse. Il a envoyé ces deux messages à notre Centre, avant de faire paraître le second dans Libération du 13 janvier 2006.
1.On se souvient peut-être de la question 36 (section «Club» du site), ainsi formulée:
«Les flaubertiens demandent d'où vient le vers, plusieurs fois cité par Flaubert ou par tel de ses correspondants [, et attribué à Hugo]: «Et maintenant, Seigneur, expliquons-nous tous deux». L'appel est lancé. J.-M. Hovasse suggère perfidement qu'il ne s'agit pas de Dieu, ni de Hugo, et que le vers est de Racine.» (Compte rendu du Groupe Hugo, séance du 16 octobre 2004.)
En fait, il s'agit bien d'un vers de Victor Hugo: il se trouve dans «Les deux côtés de l'horizon», poème XXXIII de Toute la Lyre (publié pour la première fois en 1842 dans la Revue des Deux Mondes).
2.C'est un (tout petit) mystère sur Flaubert enfin éclairci (sans mérite aucun). C'est aussi l'histoire de la puissance d'Internet et de l'intérêt de Google.
Les Ouvres de jeunesse, éditées par Guy Sagnes et Claudine Gothot-Mersch dans la Bibliothèque de la Pléiade en 2001, comprennent le récit de voyage Pyrénées-Corse.
Le jeune bachelier, âgé de 18 ans, prend des notes sur tout ce qu'il voit et tout ce qu'il ressent pendant son voyage. A Bagnères-de-Luchon, le 15 septembre 1840, il profite d'un jour de pluie pour écrire. S'interrogeant sur l'utilité de coucher sur le papier ses descriptions et ses impressions, il remarque: «[.] Et puis, à quoi bon tout dire? n'est-il pas doux au contraire de conserver dans le recoin du coeur des choses inconnues, des souvenirs que nul autre ne peut s'imaginer et que vous évoquez les jours sombres comme aujourd'hui, dont la réapparition vous illumine de joie et vous charmera comme dans un rêve? Quand je décrirais aujourd'hui la vallée de Campan et Bagnères-de-Bigorre, quand j'aurais parlé de la culture, des exploitations, des chemins et des voitures, des grottes et des cascades, des ânes et des femmes, après? après? est-ce que j'aurai satisfait un désir, exprimé une idée, écrit un mot de vrai? je me serai ennuyé et ce sera tout. Je suis toujours sur le point de dire avec le poète:
A quoi bon toutes ces peines,
Secouez le gland des chênes,
Buvez de l'eau des fontaines,
Aimez et rendormez-vous.» (p.670)
Ces quatre vers ont intrigué les différents commentateurs. Le lecteur est renvoyé à la notice où il est précisé: «Pas plus que les éditeurs successifs de la Correspondance nous n'avons retrouvé l'auteur de ces vers, qui figurent aussi dans une lettre du 15 mars 1842.» (p.1450).
Grâce à Google, il m'a fallu en fait trois secondes pour retrouver le nom de ce poète: Victor Hugo himself dans le poème «Soirée en mer» des Voix intérieures.
Gustave citant visiblement de mémoire, voici le quintil original:
«A quoi bon toutes ces peines?
Pourquoi tant de soins jaloux?
Buvez l'onde des fontaines,
Secouez le gland des chênes,
Aimez, et rendormez- vous!»
Deux remarques:
C'est d'abord une confirmation que, pour le jeune Flaubert, mais tous les habitués de la Correspondance le savaient déjà, Hugo était véritablement une idole, au point de pouvoir citer de mémoire des vers extraits des Voix intérieures (publié en 1837). Dans une lettre à Ernest Chevalier du 24 juin 1837 (coïncidence: c'est exactement la date où Hugo signe la préface des Voix intérieures), il se déclare prêt à donner toute la science pour deux vers de Lamartine ou de Victor Hugo. Plus d'un an plus tard (13 septembre 1838), il compare le génie d'Hugo à celui de Racine ou de Calderon.
La deuxième remarque est plus prosaïque: qu'un modeste amateur comme moi puisse en quelques secondes dénicher une information que d'illustres commentateurs n'ont pas pu trouver m'apparaît comme une chose assez effrayante et en même temps assez réjouissante."
Au lieu de se convaincre de leur indignité, les hugoliens épiloguent sur l'admiration de Flaubert pour Hugo :
Franck Laurent : Dans une lettre à propos de la Légende des Siècles, il s'exclamait : « quel bonhomme que ce père Hugo ! » Il aimait moins L'Année terrible, mais il a tout de même écrit à son sujet : « Quelle mâchoire ! Il bouge encore ce vieux lion-là ! » Flaubert n'admire pas les romans de Hugo, mais il admirait Hugo poète.
Agnès Spiquel : Dans les années 1870, il se plaint d'ailleurs de ne pouvoir parler poésie lorsqu'il rend visite à Hugo à cause des conversations politiques de ses amis.
Arnaud Laster : Il dit en effet à propos de Hugo : « C'est le seul avec qui je peux parler métier ». Il est reçu fréquemment chez le poète.
FLORENCE NAUGRETTE : Le naturalisme dont tu as parlé à propos du Théâtre en liberté précède de peu celui des mises en scène proprement naturalistes, celles d'André Antoine, par exemple. Les pièces de Hugo les annoncent-elles ? Peut-être moins, par leur symbolisme et leur attention au psychisme à travers les gestes des personnages, qu'elles ne préfigurent un « naturalisme » largement ultérieur, celui du milieu du XXème siècle.
ANNE UBERSFELD : En effet. Il n'envisage pas le naturalisme comme un moyen de conquérir la scène. C'est surtout le travail du concret, de l'espace concret, qui l'intéresse. L'espace lui permet de dire ce qu'il a à dire, en particulier dans le domaine socio-politique.
GUY ROSA : Florence suggère que le réalisme hugolien est moins proche du naturalisme zolien que du naturalisme brechtien.
FLORENCE NAUGRETTE : Les pièces de Hugo n'ont en tout cas pas le côté hyperréaliste et spectaculaire du théâtre naturaliste des années 1880. Je pense à ces mises en scènes légendaires de romans de Zola où Antoine reconstituait une vraie ferme, avec paille et tout, pour représenter La Terre.
JACQUES SEEBACHER : Sait-on quelles pièces passaient à Jersey, à Guernesey et à Bruxelles pendant l'exil de Hugo ? Certaines auraient pu l'influencer.
GUY ROSA : La thèse de Stéphane Desvignes fournira des informations à ce sujet. Il est certain que Hugo pouvait être très précisément renseigné par certains de ses amis, Paul Meurice en particulier, lui-même homme de théâtre.
PIERRE GEORGEL : Sait-on aussi quels étaient les contre-modèles de Hugo ? Dumas-fils ?
FLORENCE NAUGRETTE : Il s'oppose au vaudeville en général, ainsi qu'au mélodrame.
PIERRE GEORGEL : Hugo affecte très souvent de se couler dans un genre pour mieux le subvertir.
JACQUES SEEBACHER : Il y avait un exemplaire de Scribe dans sa bibliothèque.
ARNAUD LASTER : La Forêt mouillée, seule pièce écrite à l'époque de Jersey, est à rapprocher de la féerie, genre en honneur dès la Monarchie de Juillet, plus que du réalisme. Les pièces de Dumas fils ont pu, effectivement, servir de contre-modèle à Hugo, qui ne les aimait guère.
FLORENCE NAUGRETTE : Le fameux « mélange des genres » me semble caractéristique du Théâtre en liberté, plus encore que du théâtre des années 30 : il y est systématique, visible et violent. La Forêt mouillée est une combinaison, presque une juxtaposition, de féerie à la Gautier et de vaudeville.
GUY ROSA : ..Mangeront-ils ? de féerie et de drame romantique classique (avec une pointe de vaudeville et une autre de mélodrame), Mille Francs de comédie classique, de mélodrame et de drame social à la Dumas, L'Epée de drame symboliste et de drame historique.
FLORENCE NAUGRETTE : Les intrigues du Théâtre en liberté renvoient à des réalités esthétiques très contemporaines, mais toujours biaisées, à la limite de la parodie. Hugo travaille à partir des formes populaires et les subvertit ouvertement : dans Mangeront-ils ?, les objets semblent magiques comme dans les féeries, en réalité, ils n'ont aucun pouvoir surnaturel : ce n'est pas la plume de Zineb qui sauve Aïrolo, seulement la superstition du roi.
ANNE UBERSFELD : Dès les années 1830, on trouve dans les pièces de Hugo une forme de réalisme. Le goût du concret est fondamental dans son ouvre.
ARNAUD LASTER : Le dispositif scénique que tu as mis en évidence dans La Grand'mère m'a fait penser à celui du Roi s'amuse : l'intérieur y est aussi vu de l'extérieur.
ANNE UBERSFELD : Ce n'est pas tout à fait la même chose. Tu as raison lorsque tu souligne ce détail, mais la construction de l'ouvre n'est pas la même. Il s'agit de voir si la perspective générale de l'ouvre part du concret ou non. Hugo, dans Le Théâtre en liberté, fait naître le dramatique de l'expérience du concret. On trouve du concret dans toute son ouvre, mais ici, il est à l'origine de la construction dramaturgique en elle-même. Celle-ci dépend du rapport au monde concret, à l'espace où vivent les personnages.
FRANCK LAURENT : Mais ne trouve-t-on pas la même chose dans Ruy Blas ? La construction dramatique semble être posée dès la construction de l'espace scénique.
ANNE UBERSFELD : Certes, mais l'idée fondamentale n'est pas celle de l'espace. Ruy Blas ne met pas en scène le changement d'un monde mais le changement d'un être.
DELPHINE GLEIZES : La question de l'espace est en revanche primordiale dans l'écriture romanesque de Hugo, surtout à ses débuts et de manière moins accentuée ensuite. L'incipit d'Han d'Islande dessine un espace quasi théâtral.
ANNE UBERSFELD : Oui. Ce qui est nouveau, c'est de transposer cette attention portée à l'espace dans le domaine théâtral, d'en faire dépendre la fable dramatique.
Applaudissements
JACQUES SEEBACHER commence la discussion en mettant l'accent sur quelques différences qui lui semblent fondamentales entre Les Chouans et Quatrevingt-Treize. Il signale que la notion de nation n'est pas présente dans Les Chouans, alors qu'elle est prégnante dans le roman de Hugo. Il souligne que Balzac, contrairement à Hugo, n'aborde pas la question de l'Empire ni de Napoléon. Il rappelle enfin que Paris est absent du roman de Balzac, alors que la ville joue un rôle clé chez Hugo.
JEAN-CLAUDE FIZAINE lui répond en expliquant que la question du rapport entre le centre et la périphérie n'est pas tout à fait absente des Chouans. Un épisode y décrit une affiche proclamant le retour à l'ordre voulu par Napoléon ; l'affiche mettant à prix la tête de Lantenac n'est pas très différente.
Il attire alors l'attention des auditeurs sur le fait qu'ils ne savent pas du tout à quoi correspond le moment précis de l'action de Quatrevingt-Treize : « dans les derniers jours de mai 1793 ». Quelle est celle date ? Non pas celle du débarquement de je ne sais quel chef vendéen, mais bien de la capitulation de la Convention qui, le 31 mai, cernée par les canonniers de la garde nationale parisienne conduits par Henriot, décrète l'arrestation de 29 de ses membres girondins. Cette date est décisive : elle marque la démission de la Convention devant les ivrognes de la Commune et le début d'une autre Terreur, une mauvaise Terreur que Robespierre ne parvient pas à maîtriser. Alors tout se détraque et une tyrannie populacière, fondamentalement anti-démocratique, dénature le « Salut Public ». Ce n'est pas sans importance pour le roman, dont la signification s'en trouve singulièrement compliquée.
GUY ROSA, remercie Bernard Le Drezen et note la nouveauté, l'intérêt, l'importance et la solidité, de l'idée d'un déplacement des enjeux, de l'amour chez Balzac vers la filiation chez Hugo, qui permet de voir dans Quatrevingt-Treize une transformation des Chouans et plus exactement une réponse à Balzac.
ARNAUD LASTER : Je voudrais faire une remarque, non sur votre exposé, que j'ai trouvé très convaincant, mais sur ce qui l'a précédé. Vous avez commencé en disant que les ressemblances de détail entre les deux ouvres n'étaient que l'écume et que seules comptaient les ressemblances de structure. Il me semble que le contraire serait tout aussi défendable.
BERNARD LE DREZEN : Peut-être s'il ne s'agissait pas de romans historiques où il est malaisé de distinguer entre ce qui appartient à l'inspiration propre à l'auteur et ce qui découle du matériau historique en lui-même. Beaucoup de points de détail sont communs à Hugo et Balzac parce qu'ils relèvent de la vérité historique.
ARNAUD LASTER : Vous avez aussi, dès l'introduction, exclu Barbey de votre étude. J'ai pourtant lu une communication, très convaincante, qui montrait que ce dernier connaissait et avait lu très précisément l'ouvre de Hugo.
BERNARD LE DREZEN : Il m'a semblé impossible de penser que les romans vendéens de Barbey constituaient un intertexte pour Quatrevingt-Treize.
ARNAUD LASTER : Ce n'est pas parce que les ouvres témoignent d'orientations radicalement différentes qu'elles ne se rencontrent pas.
FRANCK LAURENT : Certes, mais Bernard Le Drezen a raison : on ne peut faire de comparaison structurale entre Barbey et Hugo.
ARNAUD LASTER, à Bernard Le Drezen : Je pense qu'il ne faut pas minimiser les rapports antre Balzac et Hugo. Vous avez accordé plus d'importance à la phrase du journal d'Adèle qu'au discours de Hugo sur la tombe de Balzac ! Mais c'est ce discours, pas les propos notés par Adèle, qui est à la hauteur de la dédicace à Hugo d'un des romans les plus importants de la Comédie Humaine, Illusions perdues.
JEAN-CLAUDE FIZAINE : Leurs relations sont compliquées ; ils étaient très liés -à la création de la Société des Gens de Lettres en particulier-, puis se sont éloignés.Certains s'étaient attachés à les brouiller.
ARNAUD LASTER : Sans doute. Mais il convient de rappeler que Hugo a apporté son soutien aux tentatives dramatiques de Balzac.
GUY ROSA : Vous l'avez dit, la question mérite une thèse (au moins). J'aurais pu la proposer à un thésard et ne l'ai pas fait parce que Nicole Mozet m'avait dit qu'elle y avait travaillé, y travaillait et souhaitait la traiter elle-même. Elle la connaissait bien et était portée à penser, par exemple, que Les Chouans et La Cousine Bette ne pouvait évoquer de manière aussi précise l'histoire familiale de Hugo sans que Balzac ait été en relations personnelles avec le père de Hugo -ce que le voisinage tourangeau rend tout à fait possible, voire probable. Il y a beaucoup de raisons de croire à une grande proximité entre Hugo et Balzac : outre celles qui ont été dites, des origines et des enfances comparables, les « hugolèmes » qui entrent dans le portrait de Canalis (Modeste Mignon) et, plus généralement, tout un système d'allers-retours entre les ouvres : la réplique explicite de Balzac au Hugo du Dernier Jour dans le même Modeste Mignon, la dédicace d'Illusions perdues, les portraits-charge de La cousine Bette et, surtout, la critique ouverte de Hugo dans Splendeurs et misères des courtisanes et, en retour, du Balzac de Splendeurs dans Les Misérables -dès 1845-48. Et puis, comment se fait-il que Hugo se retrouve seul au chevet de Balzac mourant ? C'est lui, pas un autre, qui est appelé par Mme Hanska -avec qui il n'a aucune relation. Et lui qui parle sur la tombe.
On pourrait aussi invoquer des détails : l'un des tout premiers écrits de Balzac est un Cromwell ; le premier roman signé Balzac est Les Chouans et le dernier de Hugo Quatrevingt-Treize qui, de tous ses romans, est celui pour lequel Hugo met en place le projet englobant le plus typiquement balzacien.
FRANCK LAURENT : Dans les années 1830, Balzac avait une attitude réticente à l'égard de Hugo pour des raisons politiques, mais aussi poétiques : Hugo était poète, Balzac ne l'était pas.
GUY ROSA : Dans Modeste Mignon, Balzac affirme que les talents de prosateur et de poète sont exclusifs l'un de l'autre. Il indique l'exception de Hugo et de Vigny. Tout se passe pourtant comme s'il proposait un étrange partage des rôles : à moi le roman, à lui la poésie.
FRANCOISE CHENET : Les rapports entre Hugo et Balzac sont tendus en 1841 au moment de la réception à l'Académie de Hugo. Ce dernier avait demandé à Balzac d'intervenir auprès de ses amis du Charivari. Dans ses lettres à Mme Hanska, en 1842, il explique que Hugo est devenu fou.
GUY ROSA : Nicole Mozet estimait, à propos de cela et d'autres lettres peu aimables pour Hugo, que Balzac écrivait à Mme Hanska ce qu'elle avait envie de lire.
FRANCOISE CHENET : Il ne faut d'ailleurs pas négliger le rôle de Delphine de Girardin. Elle a souvent servi d'intermédiaire entre les deux auteurs.
ARNAUD LASTER : On entend souvent parler de Balzac soutenant Hernani contre les classiques. C'est faux. Balzac a même écrit contre Hernani. Peut-être le Victor Hugo raconté a-t-il contribué à construire ce mythe.
GUY ROSA :Il ne me semble pas. Mais Balzac était l'un des invités à la lecture de Marion de Lorme. Reste que, plus qu'aucun autre contemporain, Hugo importe à Balzac et Balzac à Hugo. Le mystère, c'est ce qu'a pensé Hugo à la lecture de La Cousine Bette où toute son histoire personnelle était écrite -voire prophétisée.
Claire Montanari
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