Ce que sont les "fragments"
Si on laisse de côté les carnets ou albums et les "brouillons" (feuilles de
main-courante plutôt que brouillons, où Hugo, dans le cours de la rédaction,
essaie des phrases ou note quelques mots en vue d'un développement ultérieur),
ses manuscrits relèvent de deux catégories seulement : textes des oeuvres et
"fragments" -mal nommés.
Ce sont, par milliers, des notations allant d'un mot ou d'une rime à un texte
de plusieurs pages, isolées ou se succédant avec un trait de séparation entre
chacune, écrites le plus souvent avec soin et portant fréquemment des corrections,
inscrites sur les supports les plus divers: de la feuille de beau papier comme
pour les manuscrits d'oeuvres à la bande d'abonnement d'un journal ou au verso
d'une lettre ou d'un imprimé.
En vers comme en prose et plus d'une fois l'un et l'autre mêlés, les fragments
appartiennent à tous les genres et juxtaposent, voire confondent, tous les types
génétiques : ébauche, note documentaire (le plus souvent rédigée), esquisse,
vers ou fraction de vers, souvenir, "chose vue" ou entendue, aphorisme, "pensée".
Ils n'ont en commun que d'être du texte en attente d'oeuvre.
L'état des manuscrits de Hugo à sa mort;
la "cote Gâtine"
Le notaire chargé de la succession de Hugo, maître Gâtine, trouva les fragments
mêlés aux manuscrits des oeuvres et rangés dans un ordre relatif : une série
de dossiers et de sous-dossiers aux titres parfois précis -"Faits contemporains",
"Procès Praslin", "Voyage de 1843", "Choses prises sur le fait. Les enfants,
les femmes, le peuple", "Politique", "La France vue de Jersey, semences jetées
de l'exil"- et parfois très flous : "Comédie", "Histoire, "Vers à classer".
Il fit confectionner un tampon portant en haut son nom, "Me GATINE,
Nre", en bas l'objet : "Invre SSon V. Hugo",
et au milieu les mots "Cote" et "Pièce" chacun précédé d'un blanc : ses clercs
n'avaient plus qu'à enregistrer toutes les feuilles une à une en écrivant devant
"cote" le numéro donné arbitrairement à chaque dossier, et devant "pièce" celui
de chaque feuille du dossier, dans l'ordre où elles se présentaient. Le procès
verbal de cet enregistrement, qui dura, non sans interruptions, du 23 juillet
1885 au 25 février 1887, dressait l'état détaillé de toute l'opération, avec
les titres des dossiers et le nombre de pièces contenues dans chacun; il fut
joint à l'inventaire des biens. C'est ce document qui fut retrouvé au minutier
central des notaires, puis transcrit et diffusé, par J. Seebacher (publié
ici).
Origine de l'état des manuscrits tels qu'ils se présentent
à la Bibliothèque Nationale
Les exécuteurs testamentaires de Hugo auraient pu remettre ses papiers à
la Bibliothèque Nationale dans l'état où ils les avaient trouvés. Cependant
le testament leur faisait également devoir de publier tous ses manuscrits inédits
et "toutes les choses écrites de [s]a main... de quelque nature qu'elles soient".
Or l'ordre de publication qu'il demandait -"premièrement les oeuvres tout à
fait terminées, deuxièmement les oeuvres commencées, terminées en partie, mais
non achevées, troisièmement les ébauches, fragments, idées éparses, vers ou
prose, semés ici et là soit dans mes carnets, soit sur des feuilles volantes"-
n'était pas clairement assigné par celui dans lequel se présentaient
les manuscrits. Si bien que dès la publication du premier volume de "Choses
vues" (1887), formé par extraction de fragments issus de plusieurs dossiers
différents, et plus encore pour l'édition dite de l'Imprimerie Nationale, les
exécuteurs testamentaires et leurs successeurs entreprirent -la photocopie n'existait
pas- un reclassement complet des papiers de Hugo. Et c'est ainsi qu'ils furent
confiés à la Bibliothque Nationale -concrètement à Cécile Daubray, qui
avait depuis longtemps commencé ce travail - dans l'ordre que les exécuteurs
testamentaires leur avaient donné et que la reliure rendit intangible : celui
de l'édition qu'ils avaient confectionnée. Elle était bien conforme grosso
modo aux manuscrits, mais par alignement du manuscrit sur l'édition.
Histoire contrastée de la publication des fragments
de Hugo
A partir de 1950, l'entrée de l'oeuvre de Hugo dans le domaine public achève
la dégradation de sa publication. Henri Guillemin publie précipitemment, et
sans jamais donner aucune référence aux manuscrits, quantité de fragments que
les exécuteurs testamentaires avaient exclus ou réservés; il sera suivi d'émules
moins scrupuleux encore. Ainsi s'explique le grand et long effort en sens contraire
de René Journet et Guy Robert. Parallèlement à la publication savante
des manuscrits ou des "reliquats" des oeuvres, ils entreprennent le recensement
complet, la transcription et la publication des fragments. Non sans buter sur
la question de l'ordre à leur donner. Quoiqu'ils aient disposé de l'inventaire
Gâtine et aient beaucoup avancé dans l'établissement d'une table de correspondance
entre les cotes Gâtine et la localisation des folios la B.N., ils ne se crurent
pas en droit de s'écarter, pour la publication, de la tradition dictée par l'existence
matérielle des manuscrits reliés à la Bibliothèque Nationale. Ils en publièrent
de la sorte toute une série, non sans dire leur insatisfaction devant cette
solution. L'informatique leur manquait.
Intérêt de leur publication informatisée
Car quel que soit l'ordre qu'elle adopte pour les publier, une édition des fragments
sous forme de livre est disqualifiée d'avance par l'existence de celui qu'elle
ignore, tandis que l'édition électronique s'affranchit de l'alternative en mettant
instantanément les deux ordres à disposition du lecteur. Bien plus, elle permet
d'en proposer d'autres et d'en combiner plusieurs : classement chronologique
ou thématique fondé sur la présence d'un mot ou d'un nom, ou encore celui qu'autorisent
parfois ces mentions portées par Hugo au coin du folio : "Faits contemporains",
par exemple, ou "Boîte aux lettres".
Bénéfice supplémentaire, qu'on apprécie lorsqu'on a passé des heures à chercher
la référence d'un texte dont on ne connaît qu'une phrase ou qu'un vers, la publication
informatisée rend cette identification immédiate.
Enfin, comme l'annotation peut, elle aussi, être interrogée, tous les fragments,
ébauches ou notes documentaires reconnus comme ayant été employés à la rédaction
d'un texte seront extraits en un clin d'oeil, dispensant de la consultation
-et de la confection- des traditionnels et insupportables index.
Etat et sources de celle entreprise ici
Ces raisons nous ont déterminés à entreprendre une édition informatisée exhaustive
des fragments de Hugo. On n'en trouve ici qu'un modèle exprimental et embryonnaire,
réduit qu'il est encore, pour son corpus, à neuf manuscrits. L'un (Nafr 13425)
a été formé par Hugo et intitulé par lui Feuilles paginées.
Sept autres appartiennent à cet ensemble de notes, ébauches, idées
éparses... désigné par Hugo sous les titres génériques
d'Océan ou de Tas de pierres et ont été constitués
par les exécuteurs testamentaires; ce sont Nafr 13416 ("Poésie
- Art - Théâtre"), 13417 ("Question sociales - Peine
de mort - Civilisation"), 13418 ("Sciences - Questions relatives à
la forme sphérique"), 13 419 ("Océan vers - Tas de Pierres
- Artistes, Poëtes, Grands hommes"), 13430 (Océan vers -
Tas de pierres - Politique), 24791 ("Histoire") et 24786 ("Océan
prose - Tas de pierres"). Un dernier offre un cas à part puisque
le volume Nafr 13398 contient à la fois le manuscrit, incomplet, de Littérature
et Philosophie mêlées, son "reliquat" et des fragments
indépendants du recueil mais de même inspiration. Nous donnons
ici les fragments proprement dits, mais l'édition complète du
voume par J. Cassier est publiée ailleurs sur ce site (rubrique "documents").
Quoique notre propos soit d'établir ou de contrôler tous les textes directement
sur le manuscrit, cette publication ne sera que très partiellement une édition
"originale". Elle s'appuie sur deux séries de sources. D'une part, classiquement,
les éditions antérieures, en particulier celles publiées par René Journet et
Guy Robert. Mais nous devons aussi à ces derniers un énorme travail d'identification,
de transcription et d'annotation des fragments, qu'ils n'ont que partiellement
employé dans leurs publications mais que le généreux dépôt de leurs archives à Paris 7 par la famille de René Journet nous permet de connaître et d'utiliser.
D'autre part, notre publication intègre le fruit d'une initiative analogue en
son principe, conçue et excutée par M. Jacques Cassier dont les familiers de
ce site connaissent déjà les travaux de bibliographie. Tandis que notre Groupe
Hugo se contentait de rêver une édition informatisée des fragments, lui la mettait
en chantier et réunissait toutes les données (cote, datation, références BN,
références bibliographiques...) et les transcriptions publiées pour une vingtaine
de milliers de fragments.
Principes d'édition
Nous publions les fragments par folio, chacun identifié par ses références à
la BN. Non sans en connaître l'inconvénient puisque beaucoup de folios portent
la trace indisctuable d'un découpage, postérieur à l'enregistrement Gâtine,
des feuilles laissées par Hugo. Leur reconstitution automatique, par assemblage
fondé sur les dimensions et la reconnaissance des formes, n'est envisageable
qu'en théorie : il existe une "économie" de la recherche qui dissuade de tâches
d'un "rendement" infime.
Les règles classiques de l'édition des manuscrits sont observées; pour les phénomènes
de genèse, l'annotation emploie soit un code transparent ("ad. sup." = addition
supérieure...) soit une phrase rédigée.
La disposition visuelle des textes, uniforme jusqu' à présent, est susceptible
de varier selon les préférences et le jugement de leur éditeur. Resteront communs
:
- le retrait des vers, d'autant plus indispensable que prose et vers se mêlent
souvent dans les fragments dont c'est un des enseignements les plus intéressants
que de montrer le vers hugolien l'état naissant;
- l'implantation des notes à droite du texte et en caractères plus petits;
- l'implantation, à gauche du texte, de l'indication du recto et du verso ainsi
que de l'indexation des fragments par lettres successives (a, b, c...) destinées
à permettre, avec le numéro du manuscrit et celui du folio, le référencement
de chaque fragment;
- l'emploi d'une barre horizontale sur toute la largeur de la page pour séparer
le recto du verso;
- l'emploi d'une barre plus courte pour séparer un fragment d'un autre lorsqu'un
trait les distingue sur le manuscrit et seulement dans ce cas;
- la mise entre crochets droits en caractères plus petits de tous les commentaires
de l'éditeur insérés dans la zone de texte lorsque c'est indispensable.
Quant aux textes allographes (articles de presse, pages de livres, lettres...),
ils sont reproduits in extenso ou résumés, selon l'intérêt
qu'ils présentent.
Eléments d'information
Chaque folio est l'objet d'une fiche descriptive selon les champs suivants qui
ne sont informés que sous condition de certitude :
- Référence du manuscrit la Bibliothèque nationale;
- Numéro du folio;
- Cote Gâtine, lorsqu'elle existe puisque les découpages opérés par les excuteurs
testamentaires ont laissé beaucoup de folios sans cote;
- Inventaire. Il s'agit, pour les folios qui ont une cote, de la rubrique de
l'inventaire après décès correspondant à cette cote.
Cette indication complète utilement la "rubrique" (voir ci-après)
parce que beaucoup de feuilles qui ne portent pas de "rubrique" ont
cependant été classées dans une chemise portant le même
titre -c'est le cas pour "Epîtres".
- Support. On reproduira l'identification du papier établie par René Journet
et Guy Robert mais sans chercher à suivre leur exemple lorsqu'elle manque.
- Datation. Sauf aubaine (texte daté, cachet postal ou date sur l'enveloppe,
la lettre, le billet, au verso de laquelle Hugo écrit, etc.), il faut dater
par l'écriture de Hugo. Cécile Daubray savait le faire, qui ne craignait pas
de dater, au crayon, directement sur les feuilles mêmes; René Journet et Guy
Robert également. A défaut de leurs indications, nous serons d'une extrême prudence
: leur savoir s'est perdu. Deux champs, qui n'apparaissent pas à la consultation
mais permettent le classement chronologique automatique, portent les terminus
a quo et ad quem . Il sont remplis de manière restrictive : si
Journet-Robert dit "vers 1850" les dates initiale et finale enregistrées seront
le 1/1/1850 et le 31/12/1850.
- Titre : il s'agit de celui qui est inscrit par Hugo sur une feuille servant
de chemise à un ensemble de papiers. Souvent il confirme la pertinence d'une
succession de pièces de même cote.
- Rubrique : c'est la mention que Hugo porte parfois sur la feuille, au
coin supérieur droit en général. Elle a permis de reconstituer et de publier
certains ensembles de fragments dont l'unité était établie par cette sorte d'intitulé
commun que leur avait donné Hugo lui-même. Tels sont les volumes "Boîte aux lettres",
publié par René Journet et Guy Robert, ou "Faits contemporains" publié par Jean-Claude
Nabet et Guy Rosa. D'autres apparaîtront très probablement. Mais la pertinence
de telles mentions est inégale : Hugo inscrit très volontiers "Comédie", qui
figure sur la plupart des fragments ayant forme de dialogue; en revanche, "Histoire"
manque sur beaucoup de folios qui l'auraient aussi bien mérité que ceux qui
le comportent.
- "Incipit" reproduit la première phrase du folio; il est répété lorsque
le même texte s'étend sur plusieurs folios.
- "Edition reproduite" désigne, quitte à être trop modeste, l'édition qui a
servi de base à l'établissement du texte et à son annotation, lorsqu'elle existe.
- Editions : figure ici la liste, complète grâce à la vigilance de Jacques Cassier,
des références aux éditions donnant tout ou partie du texte du folio reproduit.
Elles sont abrégées selon un code qu'on trouvera ci-après.
- N'apparaissent pas enfin à la consultation, du moins pour le moment, deux
champs automatiquement remplis lors de l'enregistrement ou de la correction
du texte d'un folio. Ils portent la date de la saisie et le nom de celui qui
y a procédé -c'est dire, car nous ne croyons pas à la division sociale
du travail de recherche, le nom de l'éditeur du texte au sens scientifique.
Dans l'état actuel du programme, si aisément modifiable que les utilisteurs
sont sérieusement invités à communiquer leurs critiques, remarques et souhaits,
les textes peuvent être appelés de trois manières et, pour chacune, triés de
trois façons sous deux modalités de présentation.
Modes d'interrogation (voir la feuille d'interrogation)
. Il est possible de demander les textes contenant
un ou plusieurs mot(s) ou nom(s) ou partie de mot ou nom : amour, femme, Charlemagne,
Napoléon.... Les caractères accentués peuvent être utilisés, l'apostrophe également
à condition de la redoubler. Pour éviter que la réponse s'étende aux mots comportant d'autres
lettres à droite de celles de l'interrogation (maîtresse pour maître), il suffit
d'ajouter un espace à la fin du mot. Certaines interrogations provoquant
l'envoi d'une grande quantité de texte, il peut être commode d'en limiter la
portée à une fourchette de dates. La même zone d'interrogation permet d'appeler
tous les fragments datés dans une tranche chronologique donnée : il suffit d'indiquer
les limites chronologiques et de laisser en blanc la case "Mot recherché".
. La consultation classique des fragments d'un
manuscrit donné -actuellement les seuls BN Nafr 13398, 13416, 13417, 13418,
13419, 13425, 13430, 24786 et 24791- s'effectue en indiquant son numéro. Ici
encore, il est possible de limiter l'interrogation, cette fois par une fourchette
de folios. Si l'on n'en cherche qu'un seul, on inscrira le même nombre en "Folio
intial" et "Folio final". Remarque importante : provisoirement et pour des raisons
de commodité dans la manipulation informatique, les numéros de folio doivent
être précédés d'un zéro s'ils sont inférieurs à 100 et de deux s'ils sont inférieurs
à 10.
. On peut enfin recevoir les textes enregistrés
par Mre Gâtine sous la même cote. De nouveau, l'interrogation
peut être bornée à un certain nombre de pièces dans la cote ou à une seule.
Si l'on souhaite, par exemple, savoir s'il y a des folios de la cote 128 (celle
du "reliquat" des Misrables) qui se seraient égarés ailleurs que dans
le manuscrit Nafr 24744 qui devrait les runir tous, on ira en "Consultation
des fragments par cote et pièce", et l'on portera "128" dans le champ "Cote
à chercher".
Tri (voir la feuille d'interrogation)
Pour chaque type de consultation, les fragments seront classés, au choix,
soit par ordre chronologique (les fragments non datés viennent en tête), soit
par ordre de cote et de pièce dans la cote, soit par ordre de manuscrit et de
folio dans le manuscrit. Si donc on désire lire (et imprimer puisque tous les
navigateurs le permettent) la totalité d'un manuscrit, on choisira "Consultation
des fragments par manuscrit et folio", on inscrira le numéro du manuscrit
dans la case "Manuscrit à chercher" et l'on sélectionnera "par manuscrit et
folio" dans la petite liste déroulante intitulée "Ordre".
Présentation (voir
la feuille d'interrogation)
Enfin, dans chacune des zones correspondant à un type d'interrogation, deux
"boutons radio" permettent de sélectionner une réponse complète ou un tableau.
Celle-là donne les textes, folio par folio, chacun précédé des informations
enregistrées le concernant. Le tableau réunit les seules informations (cote,
papier, datation, rubrique, etc.), mais une colonne, à droite, permet, en cliquant
sur le lien, d'appeler le texte du folio correspondant. Cette présentation
est surtout utile aux chercheurs : elle fait savoir, d'un coup d'oeil, si une
cote est ou non représentée, avec quelles successions de pièces, sous quelles
chemises, s'il y a des doublons et donc des erreurs probables, etc.
Rappelons, pour conclure, qu'un des principaux intérêts de la publication
informatisée est de se prêter à une mise jour continue. Les suggestions
de correction ou de complément qui nous parviendront seront d'autant mieux venues
qu'à la différence des éditions "papier", elles n'auront pas à attendre
pour être publiées la toujours très hypothétique "réimpression".