GROUPE HUGO

Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"


Séance du 20 novembre 1999

Présents : Florence Naugrette, Bernard Degout, Arnaud Laster, Bertrand Abraham, Josette Acher, Rouska Haglund, Vincent Wallez, Guy Rosa, Sylvie Vielledent, Anne Ubersfeld, Jean-Marc Hovasse, Delphine Gleizes, Sandrine Raffin, Marieke Stein, Agnès Spiquel, Denis Sellem, Colette Gryner, Stéphane Mahuet, Franck Laurent, Ludmila Wurtz, Stéphane Desvignes, Sylvie Jeanneret, Ixia Venel, Mélanie Voisin, Christel Garcher, Vital Philippot, Jean-Paul Papot.

Excusés : Marie Tapié, Myriam Roman, Junia Barreto, Françoise Chenet, Jean-Pierre Vidal, Chantal Brière, Claude Rétat.


Soutenances de thèse (rappel) et présentations

-Delphine Gleizes soutient sa thèse ("Le texte et ses images, histoire des Travailleurs de la mer; 1859-1918") le lundi 29 novembre après-midi, salle des thèses de Paris 7 (tour centrale, 7ème étage), et Jean-Marc Hovasse la sienne ("Victor Hugo et le Parnasse") le samedi 18 décembre après-midi, amphi 56 A, Paris 7 (coursive au bord droit de la pyramide de la scolarité de Paris 7).

-Evelyne Blewer soutient sa thèse sur la pratique théâtrale de Hugo le vendredi 17 décembre à 9h à Paris 12. Elle a travaillé sur la campagne d’Hernani de 1829-1830 et sur la crise du théâtre de 1848-1849. Hugo, en tant que parlementaire, est alors beaucoup intervenu sur la liberté des théâtres -et dans la répartition des subventions -des secours?- décidées par la République.

-Un tour de table présente les nouveaux participants : Christel Garcher, en maîtrise sur " L’amour dans Torquemada " (Université de Rouen, avec C. Millet); Mélanie Voisin, en DEA sur l’illusion théâtrale au XIXème siècle (Université de Rouen, avec C. Millet) et Ixia Venel, en maîtrise avec A. Laster sur les parodies de Ruy Blas. Jean-Paul Papot se présente : après avoir tenté infructueusement d’adhérer à une association des amis de Victor Hugo, il a résolu d’en fonder une. Malgré la notoriété de Hugo, qui n’est plus à prouver, sa mémoire est polluée de malentendus, d’ignorance et de calomnies. Cette association a pour principal but de remémorer " l’énorme bonté de son esprit ". Le groupe Hugo sera tenu informé de l’évolution de ce projet.

 

Publication et colloque

- X ou le divin dans la poésie de Victor Hugo à partir de l’exil, Claude Rétat, CNRS Editions, 1999. Cet ouvrage concentre une thèse, dirigée par Michel Crouzet et soutenue avec beaucoup d'honneur à la Sorbonne; son auteur regrette de ne pouvoir être des nôtres aujourd'hui et promet que ce n'est que partie remise.

- Franck Laurent interviendra le 1er décembre au colloque sur Napoléon, qui commencera le 30 novembre, au musée de l’Armée, aux Invalides. Une dizaine d’historiens y participeront.
L’historiographie napoléonienne étonne F. Laurent : dominée d'un côté par J. Tulard, d’un autre par des auteurs préoccupés de géographie militaire pure et simple, elle est lacunaire. A. Laster rappelle que Jean Massin était également fasciné par Napoléon ; il a publié les deux chronologies de la Révolution et de l’Empire (disponibles à la bibliothèque du XIXème siècle). A signaler : la parution chez Points Seuil (série nouvelle histoire contemporaine, collection de référence) d’un ouvrage sur les aspects extérieurs de Napoléon : version améliorée de l’histoire-bataille des guerres napoléoniennes, il ne traite cependant ni de démographie, ni d’idéologie ni de la manière dont Napoléon est reçu à l’étranger.

Théâtre, télévision, cinéma et une exposition

- M. Tapié, excusée, signale la représentation de l’Intervention au Labo (73 av. du docteur Netter, Paris 12e métro Porte de Vincennes) jusqu’au 19 décembre, le samedi à 20h30 et le dimanche à 19h30.
Elle donne la distribution du téléfilm de TF1 adapté des Misérables par Didier Decoin et réalisé par J. Dayan : Depardieu, Christian Clavier, John Malkovich, Virginie Ledoyen : Cosette ; ainsi que celle de la nouvelle mouture de Notre-Dame de Paris de Plamondon et Cocciante : Julie Zénati l’ex-Fleur-de-Lys est Esmeralda, Herbert Léonard Frollo, Véronica Antico est Fleur-de-Lys…

- A. Laster précise que La Reine écartelée, pièce adaptée d’Amy Robsart par Christian Siméon et mise en scène par Jean Macqueron, est représentée jusqu’au 19 décembre à l’Etoile du nord (16 rue Georgette Agutte, Paris 18e, métro Guy Môquet). Une partie du groupe s’y rend le soir même ; il en fera le compte rendu la séance prochaine.

- Le centre culturel du Raincy propose une adaptation des Misérables par Emmanuel Touchard le dimanche 5 décembre à 15h (9 boulevard du Midi) avec 35 choristes et acteurs et 16 musiciens.

- Projections des adaptations cinématographiques de Notre-Dame de Paris de décembre :
-Mercredi 1er, Dieterle (1939).
-Mercredi 8, Delannoy (1956, avec A. Quinn et Gina. Lollobrigida).
Elles auront lieu à 14h, Forum des Images, Forum des Halles (2, grande galerie). L’entrée (15F) est à régler à A. Laster au moins un quart d’heure avant la projection.

- D. Gleizes signale une exposition spirite - dont Hugo et William Blake - à la Halle Saint-Pierre-Musée d’art naïf Max Fourny : " Art spirite, médiumnique et visionnaire, messages d’outre-monde ". Jusqu’au 27 février 2000, 2, rue Ronsard, Paris 18e métro Anvers.

2002

- F. Laurent pense que le bicentenaire de la naissance de Hugo aura beaucoup de retentissement et un public nombreux, compte tenu de l’hugophilie ambiante et de la vulgarisation de son œuvre. G. Rosa est plus réservé : 2002 est l’année de la présidentielle…Et ne devrait-on pas suivre l’exemple de Hugo qui, invité en 1864 à participer au Comité pour le tricentenaire de William Shakespeare par Paul Meurice, a laissé sa chaise vide ? Baudelaire avait été convié; mais, la lettre ne lui parvenant pas, il s’était cru exclu; de là, par dépit, un article sur (contre ?) Victor Hugo, qui est un des plus surprenants textes de critique que l’on possède (F. Laurent).

- La possibilité d'un colloque Hugo à Orsay est en discussion entre G. Rosa et N. Savy, responsable du service culturel du musée Orsay et hugolienne. Après discussion, l'idée d'aborder la question du visuel chez Hugo (les signes, ou la vue et la vision…), quoiqu'elle ait déjà fait l'objet d'un colloque à Dijon organisé par Pierre Georgel (actes : Victor Hugo et les images) semble pouvoir être retenue; sans préjudice de celui sur Hugo et la langue, dont l'idée avait été adoptée au printemps dernier, chez Annie Ubersfeld. A. Laster rappelle à ce propos la triple mission du professeur : recherche, enseignement et diffusion.

- Autre sujet de colloque proposé par A. Ubersfeld : cent ans de pensée et de réflexion sur Victor Hugo, afin de montrer le sens de la critique anti-hugolienne. Il faudrait interroger la haine contre Hugo, construite autour d’une mystification du personnage. G. Rosa croit vraisemblable qu’un ouvrage de la collection " Mémoire de la critique ", éditions de l’université Paris-Sorbonne, lui soit consacré, comme à Balzac cette année (Balzac, par Stéphane Vachon, juin 1999).
A. Laster : Le thème de la fortune critique de Hugo a déjà été abordé par Claude Gély (Hugo et sa fortune littéraire, Ducros, Bordeaux, 1970) et Pierre Albouy avait commencé une réflexion à reprendre et à diversifier. Sans parler de La Gloire de Hugo (Georgel et bien d'autres sous sa direction).
De toute manière, F. Laurent et G. Rosa en choeur : Il n’y a plus de préjugé d’hostilité contre Hugo, mais des conduites qui peuvent être réductrices, dont les nôtres.
F. Laurent : Lorsque j’ai proposé le titre de ma communication à l’organisateur du colloque Napoléon - une citation de Hugo : " Car nous t’avons pour Dieu sans t’avoir eu pour maître ", il a conclu que ce n'était pas difficile, avec un auteur pareil.
A. Laster : Il reste encore trois ans avant 2002. Mais il est vrai qu’aujourd’hui la vague - ou la vogue - hugolienne est très forte, et en partie à cause de Disney et Plamondon, qui ont un rôle non négligeable dans la construction de l’image de Hugo. Le grand public (" le peuple ", dit G. Rosa) a toujours été attaché à Hugo ; la coupure se faisait à partir du lycée.
F. Laurent : Cette coupure a bougé, y compris à l’université. A. Ubersfeld : Surtout à l’université. G. Rosa : Peut-être est-ce dû à cette mixture d'hyper-individualisme et de générosité solidaire que l'esprit de l'époque reconnaît -à tort ou à raison- dans Hugo. Le sûr, c'est qu'on ne pourrait demander rien de tel à Balzac, Stendhal, Vigny.
F. Laurent : Hugo est considéré comme moderne. Pour les étudiants, maintenant, il l’est davantage que Flaubert, naguère phare de la modernité. Elle s'est déplacée de la neutralité distante vers les romans foisonnants et fascinants, mêlant discours, digressions, conte -et "gimages" ajoute Delphine Gleizes in petto.
G. Rosa : Un autre phénomène se produit : la coupure entre littérature légitime et littérature populaire s’est déplacée ou mise en pointillés. Les étudiants sont dans la littérature populaire comme on ne m'aurait jamais permis de l'être et il ne faut plus beaucoup d'audace pour parler de Titanic en salle des professeurs ou en soutenance de thèse…

 

Rectificatif au compte rendu précédent

Stéphane Mahuet précise que la gare où descendre pour aller à la Maison littéraire de Victor Hugo à Bièvres est celle de Vauboyen (RER C Versailles-Chantiers).

Calendrier des interventions (rappel)

11 décembre : F. Chenet, "Le langage esthétique de Hugo".

22 janvier : C. Brière, "Le langage de l'architecture dans les romans de Hugo" et Pierre Laforgue, "Han d'Islande, roman ultra ou Littérature, romantisme, idéologie".

26 février : A. Ubersfeld, "L'individualisation de la langue dans le théâtre des années 30" et B. Degout, "Sur les odes de 1825 _Le Sacre, Les Deux Iles, Au colonel Gustaffson".

25 mars : A. Spiquel, " 1872-1877 - Hugo et Le Rappel".

22 avril : A. Laster, "L'individualisation de la langue dans le Théâtre en liberté".

20 mai : C. Gryner, surjet à préciser sur le temps dans Les Contemplations.

17 juin : dernière séance.

Sans date : C. Millet : dix minutes sur l’amour dans Les Travailleurs de la mer, G. Rosa : deux heures sur l'exil de Hugo (mais, comme il n'y aura pas le temps, il le mettra effrontément sur le site du Groupe Hugo).


Communication de Sylvie Jeanneret : «"Ecrire, c’est faire", la parole dans l’œuvre romanesque de Hugo » (texte joint)


Discussion

L. Wurtz : Quelle est la différence entre " homme de parole " et " homme de la parole " ? Dans les deux cas, la parole est un acte.
S. Jeanneret : Le second est un orateur, un rhétoricien qui sait manier la parole ; le premier, " l’homme de parole ", plutôt du côté du héros, parle avec parcimonie. C’est par exemple Gwynplaine.
L. Wurtz n'est pas seule à estimer que Gwnyplaine fait pourtant un assez beau et long discours, et que Mirabeau, comme lui, se tait pendant vingt ans : "C'est lui qui, silencieux jusqu'alors, crie le 23 juin 1789 à M. de Brézé : Allez dire à VOTRE MAÏTRE!..."
G. Rosa tique au terme " bonimenteur ", dont S. Jeanneret a qualifié Mirabeau. Mais il est vrai que les personnages des romans sont plutôt taciturnes.
F. Laurent : Le texte de Hugo sur Mirabeau n’est pas un discours rhétorique.
S. Jeanneret : Il s’agit tout de même d’un métatexte.
A. Laster : Mais Hugo fait de Mirabeau un personnage.
F. Laurent : On ne peut guère opposer si abruptement le métatexte qui serait dominé par une parole d’auteur maîtrisée et le roman qui obéirait à d’autres règles. Comment intégrer à ce schéma l’importance du discours de l’auteur dans le roman qui a pour fonction de compenser l’impuissance de la parole du héros, le laconisme de Gilliatt et l’échec de Gwynplaine ? L’auteur est tout aussi romanesque que les personnages eux-mêmes.
S. Jeanneret : Je ne veux pas les opposer : l’auteur tisse un univers romanesque autour d’un narrateur et de personnages.

 

L. Wurtz : Le discours du narrateur est-il écrit ou oral ?
S. Jeanneret : Question difficile : il semble que l’écrit et l’oral soient mélangés dans les romans.
A. Laster : Cela fait partie de la complexité de Hugo. L’écrit que vous définissez comme sacralisé et salvateur peut être tout à fait destructeur (dans Ruy Blas, par exemple) et désacralisé. Dans Quatrevingt-treize, le massacre de la Saint-Barthélémy provient de la destruction d’un écrit sacralisé. Ces catégories tranchées ne rendent pas compte des textes.
S. Jeanneret : Oui, l’écrit est double.

 

A. Laster : Cette idée du silence du héros est juste, mais à travailler. L’échec de Gwynplaine à la chambre des lords est circonstanciel : la parole traverse cet échec et son discours est une des plus belles pages de toute l’œuvre.
V. Wallez : Si les héros ne parlent pas beaucoup, Hugo parle pour eux, comme l’homme politique parle pour le peuple.
B. Abraham : La parole n’est pas un sujet à traiter de façon autonome, car l’œuvre romanesque présente des éléments non verbaux comme des inscriptions et des lieux (des décors) très signifiants sur le plan politique et social : le parlement anglais est à la fois réel et théâtral et le bâtiment où est enfermée la Sachette est ambivalent.

 

A. Ubersfeld : Quel sens donnez-vous au mot " rhétorique " ?
S. Jeanneret : Je parle de rhétorique antique, comme la définit Aristote.
G. Rosa : Vous jouez sur les mots, entre actio au sens classique - gesticulation de l’orateur - et action en tant qu’acte de parole performatif ou encore effet sur l'auditoire.
S. Jeanneret : L’actio est le moment de prononciation du discours.
A. Ubersfeld : Et du coup, vous utilisez " action " dans deux sens opposés, la manipulation de l’auditoire et l’acte de parole.
F. Laurent : Le texte Sur Mirabeau traite directement de cette question. La nouvelle rhétorique, qui s’oppose à Cicéron (" Les Mirabeaux ne sont pas prévus par les Cicérons "), l’éloquence active, révolutionnaire, a pour caractéristique de faire voler en éclats la rhétorique classique. Comment appliquer à Hugo ce type de catégories, alors qu’il construit sur la ruine de cette rhétorique ?
A. Laster : Ce problème est également un problème de chronologie : vous vous appuyez sur des textes précoces alors que l’enthousiasme du jeune Hugo pour Démosthène et Cicéron diminue au fur et à mesure. Ils ne font pas partie des génies de William Shakespeare.
F. Laurent : Il décrit au contraire la parole d’Isaïe, présenté comme très actif…Est-ce un rhéteur?
A. Laster : Hugo cite Tacite et fait l’éloge de la concision. Le flux verbal est à revoir dans cette perspective : le discours de Gwynplaine, qui n’est pas un échec pour le lecteur, est un modèle de concision tout en étant très long. Il faut vous attacher à démonter les idées reçues fausses sur Hugo, par exemple à propos de la longueur et de la concision, et revoir la question du prétendu flux verbal. On se rend compte de plus en plus que Hugo n’écrivait pas au fil de la plume. Nous sommes induits en erreur par les mises au net.
F. Laurent : Les romans sont constitués d’éléments exhibant leur brièveté, au contraire de périodes. D’autre part, en terme de méthode, la distinction entre le métatexte et l’œuvre relève de l’idéologie. (G. Rosa : Réponse à un acte d’accusation est-il texte ou métatexte ?) Cette distinction n’a rien d'évident. Le métatexte de Hugo, loin d’être univoque et démonstratif, est compliqué et dialogique.
Par ailleurs, en ce qui concerne les regroupements d’œuvres, on ne peut pas assimiler roman et plaidoyer pour les seuls Claude Gueux et Le Dernier Jour: Les Misérables sont un plaidoyer pour l’abolition de la misère et rien n'est plus romanesque que Le Dernier Jour: qui y prononce quelque discours que ce soit?
G. Rosa : Ce n’est défendable que pour Claude Gueux, intégré tardivement aux romans.
F. Laurent : L’opposition entre romans parisiens et romans d’exil n'est pas plus sûre : Les Misérables sont du côté des romans d’exil et Quatrevingt-treize n’a pas le même statut que les autres textes de l’époque. Il serait plus intéressant de rapprocher Les Misérables des Travailleurs de la Mer et de L’Homme qui rit, plutôt que de Notre-Dame de Paris.

 

G. Rosa : Vous avez dit que William Shakespeare avait été "écrit d’un seul tenant" ; ce n'est pas exact : une maîtrise et un DEA, disponibles ici à la bibliothèque, ont montré que ce texte était composé de pièces et de morceaux. Et, pour continuer de vous persécuter, il n'est pas certain qu'au 19° siècle Démostène et Cicéron étaient mis sur le même plan. Du moins m'a-t-on appris le contraire : le Cicéron grec est Eschine; le contraire de Démosthène, orateur irrégulier.

 

A. Spiquel : La parole est très subtilement mise en scène dans Actes et paroles : Hugo se livre à un véritable travail de marqueterie et ajoute de petites notes à la publication. Il ne faut pas se laisser prendre à cette apparente simplicité : écrire c’est faire.
J. Acher : Hugo était partisan du discours écrit, contrairement à Benjamin Constant qui était pour le discours improvisé.
G. Rosa : Dans Actes et paroles, il n'y a pas que des discours; des lettres aussi, des textes communiqués à la presse, un poème... Est-ce "écrit" ou "oral"?

 

A. Laster : Etait-il ou non bon orateur ?
A. Spiquel : Il est présenté comme un orateur extraordinaire après l’exil, en 1876-1877, lors des discours sur l’amnistie et sur la dissolution : il aurait une grande présence physique, une voix sonore et des regards et des gestes d’une grande efficacité.
F. Laurent : Au moins, il n’endort pas son public.
G. Rosa : On n'imagine pas que la gauche l'ait fait son porte-parole en 1849-50 s’il n’avait pas été bon orateur.
A. Laster : Hugo mauvais orateur est une idée reçue, créée par ses ennemis.
A. Ubersfeld : J’ai l’intuition que Hugo faisait davantage confiance à l’écrit qu’à la parole. La parole politique est pour lui un pis-aller. A. Laster : Et Sur Mirabeau ?
G. Rosa : Il a eu du succès comme orateur…
A. Laster : Et il lit ses textes à haute voix.
G. Rosa : Tout le monde le dit : il lit très bien, particulièrement ses propres textes, dont son théâtre. Il sait comment les rythmer. Mais on fabule sans doute un peu sur ces lectures : pendant l’exil, il lit pour distraire famille et amis en manque de télévision.
F. Laurent : C’est d'ailleurs une pratique sociale courante à l’époque : tout le monde le fait; c'est le rôle du père de famille.

 

G. Rosa (acharné) : Vous avez parlé de l’"orateur politique moderne"; vous vouliez dire "révolutionnaire"?
S. Jeanneret : Sans doute, depuis Mirabeau.
G. Rosa : Vous parlez de la tribune; c'est un lieu de parole, il est vrai, mais fondé sur le suffrage universel plus que sur les effets de voix.
A. Ubersfeld : Etudier précisément de la parole nécessite d’analyser le concret et les conditions d’énonciation dans l’écriture.
V. Wallez : Parler pour autrui, à la place d’autrui, n’est pas toujours accepté par Hugo. La légitimité de la parole n’est pas acquise d’emblée.
A. Laster : Le goût évolue en matière oratoire, comme pour la diction au théâtre.
G. Rosa : Lorsque l’on compare Actes et paroles aux comptes rendus du Moniteur, on voit que Hugo gomme les répétitions et toutes les nombreuses marques d’oralité. Mais, même dans Le Moniteur, la supériorité des textes de Hugo est flagrante. Les autres sont sans vocabulaire, sans rythme, sans image. Comme Lamartine, il faisait à juste titre figure d’exception.
A. Spiquel : Même par rapport à Gambetta ou Louis Blanc, Hugo est supérieur.
G. Rosa : Et Thiers...A. Spiquel : qui passait très bien à la tribune et avait du succès... G. Rosa: a un style épouvantable.
A. Laster : Hugo a écrit qu’il n’avait jamais compris qu’on puisse admirer Thiers.
V. Wallez : Les discours réécrits dans Actes et paroles étaient-ils déjà en forme ou étaient-ils oralisés à la tribune ?
G. Rosa : Marie Stein l'a dit et le redira -si elle parvient à placer un mot et à m'empêcher de parler à sa place- il existe des brouillons de discours non prononcés : il faut les étudier. Françoise Mélonio, qui achève l'édition de Tocqueville, m’a fait remarquer notre nullité : pas d’édition scientifique d’Actes et paroles.
A. Laster : C’est un projet pour tous les hugoliens de faire l’édition critique des textes qui n’en ont pas.

 

G. Rosa : Il est vrai que la thèse d’Evelyn Blewer accuse un manque plus grave : Hernani n'a pas d'édition critique.
A. Laster : Une de mes grandes réjouissances a été cette découverte sur la traduction allemande du théâtre de Hugo, en même temps qu’un de mes étudiants : on a longtemps encensé les libertés géniales de Büchner par rapport au texte de Hugo ; en réalité, il avait traduit la première édition des textes, qui avait été oubliée. Lucrèce Borgia et Marie Tudor n’ont toujours pas d’édition critique.
G. Rosa : La seule pièce à avoir une édition critique est Ruy Blas.
V. Wallez : Ainsi que Mangeront-ils ?.
[NDLR. Et Les Burgraves, par Anne Maurel, mais non publiée]

 

Sandrine Raffin


Equipe "Littérature et civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005 Tél : 01 44 27 69 81.

Responsable de l'équipe : Guy Rosa.