GROUPE HUGO

Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"


Séance du 23 octobre 1999

Présents : Guy Rosa, Jacques Seebacher, Florence Naugrette, David Charles, Arnaud Laster, Bertrand Abraham, Josette Acher, Rouschka Haglund, Myriam Roman, Vincent Wallez, Sylvie Vielledent, Anne Ubersfeld, Jean-Marc Hovasse, Delphine Gleizes, Valérie Presselin, Sandrine Raffin, Junia Barreto, Claude Millet, Marieke Stein, Florence Codet, Chantal Brière, Agnès Spiquel, Sarah Jacquet, Jacques-Antoine Durand, Denis Sellem, Marie Tapié, Colette Gryner, Stéphane Mahuet, Françoise Chenet.
Excusés : B. Degout, S. Desvignes.


G. Rosa rappelle que le groupe Hugo, fondé à la rentrée de 1969 par Pierre Albouy à la Sorbonne (et refondé par J. Seebacher en 1975 à Paris 7), arrive donc cette année à son trentième anniversaire. Mieux que l'exil de Hugo. Il a d'ailleurs plusieurs enfants lui aussi : groupe Flaubert, groupe Zola, groupe Balzac...

Informations

Publications

- " Dramaturgies romantiques ", actes du colloque de Dijon de février 1998, Editions universitaires de Dijon, avec des articles de Danièle Gasiglia-Laster, "La programmation du rire dans les drames de Hugo ", Florence Naugrette, "Le coup de théâtre dans le drame hugolien ", et Arnaud Laster sur les adaptations de Rigoletto . Le groupe avait eu la primeur des deux dernières communications. J. Seebacher signale des articles sur le théâtre espagnol.

- " Le drame romantique inspirateur du roman-feuilleton (le cas du Ruy Blas d’A. Sirven et d’A. Siegel) ", article de Jean-Marie Thomasseau, actes du colloque de Cerisy-la-Salle, Roman-feuilleton et théâtre. L’adaptation du roman-feuilleton au théâtre, Presses du Centre de l’UNESCO de Besançon, pp. 137-151.

- Jean d’Ormesson, Pour une autre histoire de la littérature, Gallimard, 1998. Claude Millet signale que, non content d’oublier Hugo, auquel il ne fait que quelques allusions à propos de " L'amour impossible ", il développe la théorie selon laquelle les romantiques s’ennuient … Hugo est rétabli dans la seconde édition (Denis Sellem).

- Le volume des actes du colloque de Tours de novembre 1998 Paul-Louis Courier et la traduction, qui vient de paraître; contient le texte des deux communications de ce jour.

Expositions, colloque, conférences

- Le musée d’Orsay organise tous les jeudis à 18h30, en janvier 2000, des conférences. Celle du 20 janvier est consacrée à Baudelaire et Hugo.

- Aux Invalides, le 1er ou le 3 décembre 1999 communication de Franck Laurent sur " Napoléon et Victor Hugo" dans un colloque organisé par le Musée de l’Armée qui fait intervenir parallèlement historiens et littéraires.

- Stéphane Mahuet, conservateur de la Maison Littéraire de Victor Hugo à Bièvres, signale une exposition " Victor Hugo et William Shakespeare " jusqu’à fin novembre 1999. Commencée depuis la semaine dernière, elle est ouverte les samedis et dimanches après-midi (45, rue Vauboyen, Bièvres). Itinéraire : RER C direction Versailles-Chantiers, descendre à la gare de Louvoyun (compter 45 min de trajet).

Théâtre et cinéma

- Ernani de Verdi à Gand du 30 octobre au 7 novembre puis à Anvers.

- Rigoletto de Verdi à Nice du 5 au 11 novembre.

- Les Misérables par Emmanuel Touchard le 5 décembre à Raincy, en banlieue parisienne. A. Laster ignore l’adaptation choisie mais signale la présence de 35 choristes.
A. Laster signale en outre " La Reine écartelée ou Amy Robsart " - idée saugrenue que d’adapter une pièce qui peut très bien se jouer telle quelle.

A. Laster annonce la reprise des projections de films tirés des œuvres de Hugo : cette année, tous les mercredis à 14h au Forum des Images (aux Halles), différentes versions de Notre-Dame de Paris, les premières étant :

-17 novembre : Capellani.

-décembre : Dieterle et Delannoy.

Soutenances de thèse

- le lundi 29 novembre 1999, après-midi, en salle des thèses de la Tour centrale de Jussieu (7° étage) D. Gleizes soutient sa thèse: " Histoire des Travailleurs de la Mer : texte et images ". Au jury Pierre Georgel, Pierre-Marc de Biasi, Philippe Hamon, Pierre Michel et Guy Rosa.

- le samedi 18 décembre 1999, après-midi, lieu à préciser J.-M. Hovasse soutient la sienne " Hugo et le Parnasse ". Jury: André Guyaux, Mme Lloyd, M. Packenham, Stève Murphy, Guy Rosa.

- la veille, vendredi 17 décembre à 9 h. Evelyne Blewer soutient sa thèse à Paris 12 sur le théâtre de Hugo.

Varia

A vendre : Maison de Victor Hugo
Florence Naugrette relève dans les annonces immobilières du Figaro l’annonce de la mise en vente de la maison de Fourqueux le 27 octobre à 9h, mise à prix: trois millions de francs, photo dans Pleins feux sur Victor Hugo, d’A. Laster, p. 143 (Ed. de la Comédie française, 1981). Cette " maison de vacances ", donnée par l'annonce comme cadre du mariage de Léopoldine, a été celui de la première communion de Léopoldine (mise au point de J.M. Hovasse) et peut-être d'une "rencontre" avec Julie Chenay, s'il faut interpréter ainsi le "pas depuis Fourqueux" noté par Hugo dans un carnet de l'exil (J. Seebacher) .

 

Intermédiaire des chercheurs et des curieux

F. Naugrette soumet aux membres une question utile à l'annotation de la correspondance de Flaubert (éditée par Yvan Leclerc): dans une lettre à Flaubert datée du 29 mars 1848, Maxime Du Camp annonce la reprise du Roi s’amuse avec Frédérick Lemaître pour Triboulet. Elle n'a jamais eu lieu semble-t-il; sur quelles informations Du Camp en parle-t-il?
A. Ubersfeld : Il faudrait commencer par consulter les biographies de Frédérick Lemaître.
S. Vielledent : Se reporter aux journaux de l’époque ; ils annoncent beaucoup de projet et aussi leur abandon.
J. Seebacher : Ce n’est à coup sûr ni en avril, ni en mai, ni en juin…
G. Rosa : Mais il y a une reprise d'Hernani en 48.

A. Laster cherche, pour Franck Wilhelm la référence d'une citation dont la retraduction de l'allemand est : " Rien n’est si puissant, qu’une idée quand son temps est venu. ".

Projet théâtre pour 2002

F. Naugrette informe de ses démarches pour un numéro spécial de Théâtre aujourd’hui : la décision revient au comité de rédaction.

D'autre part, Minard et C. Millet prévoient de publier dans la collection Hugo un numéro sur " Hugo et le théâtre pendant l’exil ". Les sujets abondent : Le Théâtre en Liberté lui-même et ses franges (Torquemada, etc), les reprises jouées ou interdites, l’adaptation des Misérables, le théâtre joué à Jersey, la critique des drames hugoliens par Gautier…
F. Chenet suggère d'étudier Le Ciel et l’Enfer, adaptation de la Légende du beau Pécopin et de la belle Bauldour par Hippolyte Lucas vers 1852-1853. Quoique cette reprise, autorisée par Hugo, ait justifié le déplacement d’H. Lucas à Jersey (cf. La Gloire de Victor Hugo, Ed. RMN, 1985, p. 759-760), un considérable travail d’effacement rend méconnaissables l'intrigue et les personnages de Hugo.
G. Rosa : Cela pose un problème de méthode : difficile de commenter le rapport entre deux choses qui n'en ont pas.
A. Laster : Hugo se serait intéressé à cette reprise. De plus, il touchait des droits d’auteur.
F. Naugrette propose de réunir un groupe de travail dans l'après-midi de la prochaine séance, 20 novembre, à 15h ou 15h15, Bibliothèque du XIXème siècle.
C. Millet (répondant à A. Laster) : Ce numéro constituera normalement la publication Minard du bicentenaire, à paraître en 2002 (le numéro 6, sans doute subventionné). Un numéro vient de sortir (cf. le compte rendu précédent) et un prochain devrait paraître sur les Orientales.

Calendrier (cf. les dates de l’année dans le compte rendu précédent)

. Le 11 décembre, F. Chenet parlera du vocabulaire esthétique de Hugo.

. Bernard Degout propose une communication sur les Odes de 1825 (Le Sacre, Les Deux Iles, Au colonel Gustaffson). Comme il n'est pas impossible d'en entendre deux dans la même séance, celle-ci est fixée le 26 février, où l'on entendra également A. Ubersfeld.

.De même, un communication de Pierre Laforgue s'ajoutera à celle de Mme Brière à la séance du 21 janvier.

C. Millet proposera une communication brève, de 5 à 10 minutes, sur l’amour dans Les Travailleurs de la Mer.

 

Rectificatifs au compte rendu précédent
J. Seebacher revient sur une confusion entre l’agence de presse Havas et le bureau de presse de Girardin : ils sont bien distincts.
F. Chenet rectifie la date de l’article de Girardin  paru dans La Presse: 15 août 1848.

 

Rappel

Guy Rosa donne lecture d’un propos de Hugo enregistré par Adèle II (13 mars 1854, Le Journal d'Adèle Hugo, tome 3, p. 146) sur la légitimité des adaptations : Hugo y avoue "à [sa] honte" qu'il ne partage pas le préjugé contre la fausse dentelle. Elle est imitation et vulgarisation. "Or toute vulgarisation est bonne, même lorsqu'elle se fait au détriment du chef d'œuvre original, parce que toute vulgarisation apprend à connaître, même au pauvre, le chef d'œuvre dont elle est la reproduction. [...] elle propage le sentiment de l'art et du beau. Quant à moi, j'aime mieux mes pièces mal jouées que mes pièces non jouées"
J. Seebacher : Vive Plamondon !  C’est exactement comme l’industrialisation du jais noir. C’est Girardin !
Suit un échange entre G. Rosa et J. Seebacher sur les rapports entre Hugo et Girardin. G. Rosa, qui n'a pas de sympathie pour Girardin (en raison de sa conduite avec Balzac pour l'édition des Paysans -NDGR) songe à présenter une minuscule monographie sur les relations entre Hugo et Girardin pendant l'exil : Girardin venant saluer Hugo avant son retour (à quel prix?) à Paris, Hugo, qui le trouve "cynique et bonapartiste", cherche à lui expliquer que son ambition fait fausse route : "la quantité de pouvoir se mesurera à la quantité de proscription". Silence complet ensuite (mais Hugo a noté entre temps que son nom est, à lui seul, si indésirable que Le Siècle a reçu un avertissement pour l'avoir imprimé et que La Presse n'oserait pas annoncer qu'il s'est cassé la jambe dans un accident de cheval), jusqu'à ce que Girardin prononce le nom de Hugo dans un banquet de La Presse. La lettre où Hugo, renouant la correspondance avec lui, le remercie de son "courage" est un chef d'œuvre d'ironie. Qui n'empêche pas le sérieux : non, Girardin, je ne suis pas une exception dans une France et une presse libres; vous rendez le plus mauvais service à la liberté en le laissant croire. A quoi Girardin répond, non sans astuce et "cynisme" il faut l'avouer, en lançant un nouveau journal sous le titre La Liberté. Dès lors, faisant d'une pierre trois coups, Hugo ne s'adresse plus à lui que pour lui recommander d'engager les jeunes talents qu'il a remarqués. Bref, la conduite de Girardin correspond à la ligne politique que Hugo redoute plus que toute autre : la compromission des "libéraux" qui, en naturalisant le régime, dénature et corrompt d'avance la future République.
J. Seebacher : Mme de Girardin écrivait également à Hugo que son mari avait une tendance au bonapartisme.
G. Rosa : Il y a une complicité entre eux : Hugo dans ses lettres à Mme de Girardin n'appelle son mari que "le grand penseur": "si vous poussez la porte du cabinet du grand penseur, dites-lui que...". Ce qui donne du sel à l'en-tête de ses lettres à Girardin lui-même : "Cher grand penseur,".

 

" Vulgarisation ou non ", A. Laster signale le monceau de vidéos et autres DVD du spectacle de Notre-Dame de Paris chez tous les commerçants. Il ajoute : la dentelle intéresse beaucoup Hugo ; voir l’Intervention. Et l’idée de vulgarisation est partagée par Prévert qui recommande de reproduire les peintures de maître en carte postale, façon d’accrocher le regard de ceux qui ne vont pas au musée.
J. Seebacher : Jusqu'à contribuer à l’extension du marché et de la culture. On compte de nombreuses peintures d’ouvriers reproduites à partir de cartes postales. D’où le succès des impressionnistes.


Communications de Myriam Roman : "Mots contre mots, corps à corps : [Les Traducteurs] de Victor Hugo"(texte joint) et de David Charles : "Langues nationales, "idiomes" et "langues spéciales" dans les romans de Hugo". (texte joint)


Discussions

Après la communication de M. Roman
J. Seebacher : La citation du début de l’Evangile de Jean " le Verbe s’est incarné, est devenu chair et a vécu parmi nous " révèle déjà la socialité du verbe. " Parmi nous " signifie que nous sommes des adeptes, des apôtres , des compagnons, des frères du Christ.
G. Rosa : On m'apprenait, au catéchisme que " nous " désigne ici les hommes, la descendance d'Adam, l’universalité, pas une société restreinte.
J. Seebacher : La mission du Saint-Esprit est de diffuser cette socialité-là vers les nations, grâce à la qualité charnelle de la langue, incarnée, qui fonde le lien social. Le corps mystique du Christ est ainsi constitutif des socialismes romantiques. D’autre part, cela pose la question du moi : la matérialité de ce que je parle est mon corps. Que l’on se reporte à l’image de Biton qui " avait porté un taureau sur ses épaules ", que Hugo a trouvée chez Pierre Mathieu, citant lui-même Pausanias. Qu’est-ce qui a arrêté Hugo dans sa lecture de Mathieu ? La langue est dans un rapport défini avec nos pulsions génératrices ; il y a une sexualité de la langue.
Le fameux thème du " grand livre de la nature " constitue un chapitre important du livre de Jean-Bertrand Barrère, La Fantaisie de Victor Hugo (Corti, 1949). Ce thème ne relève pas du tout d’un classicisme mais installe la naturalité de la parole, essentiellement transitionnelle.
F. Chenet : On peut rapprocher ce que dit M. Roman de ce que j'ai moi-même étudié : la grande invention de Hugo attachant autant d’importance à la métaphore dans le paysage. J’attendais cependant des textes essentiels, qui auraient permis de dater l’évolution des théories de Hugo sur la langue et de les replacer dans une perspective historique ; ainsi les textes des voyages de 1839-1840 et ceux de Tas de pierres III (1839-1843, éd. Massin, vol.6, p. 1160) que cite Genette dans Mimologiques (Le Seuil, 1999, p. 398) à propos des rapports intimes entre langues et climats. Hugo a une vision cratyléenne de la langue ; il ne s’agit pas d’une analogie, la langue est la nature même. En 1839, il écrit : " Les voyelles et les consonnes se partagent la Suisse de même que les fleurs et les rochers. " (Alpes et Pyrénées, tome " Voyages ", coll. Bouquins, Ed. Laffont, p. 680). La même année, il quitte Genève et note dans son album que le " Y " est " une lettre pittoresque qui a des significations sans nombre " (Alpes et Pyrénées, id., p. 684). Le mot est incarné, tout comme la lettre.
L’opposition qu’établit M. Roman entre littérature et poésie est très pertinente et très riche. La littérature comme nous l’entendons a été inventée par Mme de Staël : elle constitue un appauvrissement de la poésie, qui est du côté de l’Allemagne. On peut se reporter au livre de Macherey, A quoi pense la littérature ? (P.U.F., 1990). La distinction entre " dire " et " écrire " - la question de l’oralité de la langue hugolienne - se retrouve également dans Le Rhin, où Hugo s’adresse aux " écouteurs intelligents et doux " (Le Rhin, lettre 22, id., p. 203).
A. Ubersfeld : Il faudrait approfondir le cratylisme de Hugo, en se fondant sur sa réflexion sur le mot " nuit ". On ne peut pas se tenir au caractère simplement verbal de la théorie de Hugo sur la langue, car il existe aussi un visuel poétique, cette " poésie pour les yeux " qui sera la grande préoccupation d’un Mallarmé.
M. Roman : J’ai volontairement laissé de côté le débat sur le cratylisme. Mais j’ai mentionné le caractère visuel de la langue, qui est colorée et picturale pour Hugo.
A. Laster : Michel Butor démontre à partir d’une poésie de Hugo sur Gavarnie qu’une goutte de pluie traverse le texte en diagonale, mimant l’érosion et donc la création du Cirque.
J. Seebacher : On peut trouver un exemple très simple de cette langue visuelle dans l’orthographe de Hugo, qui écrit " cîme " ou " aîle " avec circonflexe, pour mimer le sommet de la montagne ou la forme de l’oiseau déployé. Dans les années 40, lorsque la société se spiritualise de plus en plus, on écrit " âme " avec circonflexe, sans que ce soit étymologiquement motivé. La théorie de Hugo sur l’indissociabilité entre fond et forme n’est pas du tout un cratylisme.
A. Ubersfeld : On ne peut pas nier les formules cratyléennes de Hugo. Mais cette question est plutôt anecdotique. Le problème majeur réside dans le rapport entre la visualisation du poétique et le travail du mètre et de la strophe.

C. Millet : Je voudrais revenir sur deux points : la théorie du langage de Hugo est une théorie du nom, de la nomination et non de la syntaxe, alors que Mallarmé a d’abord un projet syntaxique.
A. Laster : " Guerre à la rhétorique et paix à la syntaxe ! "
C. Millet : Hugo dépasse très peu l’unité du mot pour s’intéresser à la syntaxe, sauf ponctuellement à propos de " Fugit, fugit… " ou " Sunt lacrymae rerum… ". Or, la syntaxe est l’ordre du langage. Mallarmé pointe le principe du chaos.
G. Rosa : Cela s’explique sans doute par le fait que Hugo est latiniste et qu'au 19° siècle, on apprend la syntaxe française comme la syntaxe latine. Spontanément, pour lui, la syntaxe est universelle et tient à la logique de l’esprit même -conformément à la Grammaire de Port-Royal.
C. Millet : La question de l’ordre et du désordre est en jeu. Hugo, dans la hantise du chaos, veut toujours maintenir une syntaxe, c’est-à-dire une paix. Je suis également d’accord avec M. Roman : la langue est une approximation de l’être, une réduction.

 

Après la communication de D. Charles

G. Rosa : Pouvez-vous nous indiquer le lien entre vos deux communications.
D. Charles : M. Roman a parlé de la transparence intrinsèque de la langue; j’ai montré son désordre extrinsèque.
C. Millet : La langue étrangère des Travailleurs de la Mer est un défi à la transparence. Cela ne veut rien dire ; on en a d’autres exemples dans la Légende des Siècles. Le mot étranger produit un effet de loupe : il désigne souvent un détail, qui est un détail infini. Hugo joue sur ce moment où la loupe permet de voir ce qui est impossible à voir, et ce jusqu’à ce qu’on ne puisse plus du tout le voir.

 

Bertrand Abraham : Dans Notre-Dame de Paris, on trouve un traitement particulier du signifiant avec le patronyme étranger " Coppenole ", ce flamand de Gand qui introduit le carnaval dans Paris. Il propose à " chacun son tour " de " passer sa tête par un trou " et de faire " une grimace aux autres " (Notre-Dame de Paris, " Roman I ", coll. Bouquins, p. 524). Or, en néerlandais, son nom comporte deux parties qui signifient " la tête " et " le trou " (si toutefois on ajoute un " h "). Que l’on traduise par " le trou de la tête " ou " la tête dans le trou ", son nom fonctionne comme une programmation.
M. Roman : Coppenole est un personnage historique.
B. Abraham : Mais ce jeu de passer sa tête dans un trou, est-ce une coutume carnavalesque ou une invention de Hugo ?


J. Seebacher (à D. Charles) : Est-ce que les conversations des marchands de bestiaux dans Les Travailleurs de la Mer peuvent s’apparenter à une langue spéciale ?
G. Rosa : Les conversations chez les Thénardier sont du même type.
C. Millet : Il me semble qu’elles relèvent davantage de la poésie, de la sonorité et du rythme, avec lesquels Hugo joue.
J. Seebacher : C’est un procédé, une ruse, pour désamorcer la pente naturaliste que suit le roman vers 1830. La langue du roman devient alors totalement transparente et totalement artificielle. Elle sera la langue banale du roman du 19° siècle. D’où une vigoureuse opposition de Hugo, qui se traduit par le refus de publier en feuilleton. Il installe la langue réelle dans le roman : ses romans deviennent donc réellement réalistes et essentiellement poétiques.
C. Millet : C’est la langue du " commun " de la préface de Cromwell.
J. Seebacher : Hugo rompt les illusions sur la communicabilité. Tout cela est problématique : " Nomen, numen ". Comment d’ailleurs bien le traduire ? Le nom est une divinité, une énergie vitale et spirituelle. Astra, castra : une constellation est un châtelet, une forteresse. La langue induit une sorte de fatum (de fare, parler). Parler est fabriquer de l’identité.

 

Sandrine Raffin


Equipe "Littérature et civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005 Tél : 01 44 27 69 81.

Responsable de l'équipe : Guy Rosa.