Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"
Présents : Guy Rosa, Jacques Seebacher, Florence
Naugrette, David Charles, Arnaud Laster, Bertrand Abraham, Josette Acher, Rouschka
Haglund, Myriam Roman, Vincent Wallez, Sylvie Vielledent, Anne Ubersfeld, Jean-Marc
Hovasse, Delphine Gleizes, Valérie Presselin, Sandrine Raffin, Junia Barreto, Claude
Millet, Marieke Stein, Florence Codet, Chantal Brière, Agnès Spiquel, Sarah Jacquet,
Jacques-Antoine Durand, Denis Sellem, Marie Tapié, Colette Gryner, Stéphane Mahuet,
Françoise Chenet.
Excusés : B. Degout, S. Desvignes.
G. Rosa rappelle que le groupe Hugo, fondé à la rentrée de 1969 par Pierre Albouy à la Sorbonne (et refondé par J. Seebacher en 1975 à Paris 7), arrive donc cette année à son trentième anniversaire. Mieux que l'exil de Hugo. Il a d'ailleurs plusieurs enfants lui aussi : groupe Flaubert, groupe Zola, groupe Balzac...
- " Dramaturgies romantiques ", actes du colloque de Dijon de février 1998, Editions universitaires de Dijon, avec des articles de Danièle Gasiglia-Laster, "La programmation du rire dans les drames de Hugo ", Florence Naugrette, "Le coup de théâtre dans le drame hugolien ", et Arnaud Laster sur les adaptations de Rigoletto . Le groupe avait eu la primeur des deux dernières communications. J. Seebacher signale des articles sur le théâtre espagnol.
- " Le drame romantique inspirateur du roman-feuilleton (le cas du Ruy Blas dA. Sirven et dA. Siegel) ", article de Jean-Marie Thomasseau, actes du colloque de Cerisy-la-Salle, Roman-feuilleton et théâtre. Ladaptation du roman-feuilleton au théâtre, Presses du Centre de lUNESCO de Besançon, pp. 137-151.
- Jean dOrmesson, Pour une autre histoire de la littérature, Gallimard, 1998. Claude Millet signale que, non content doublier Hugo, auquel il ne fait que quelques allusions à propos de " L'amour impossible ", il développe la théorie selon laquelle les romantiques sennuient Hugo est rétabli dans la seconde édition (Denis Sellem).
- Le volume des actes du colloque de Tours de novembre 1998 Paul-Louis Courier et la traduction, qui vient de paraître; contient le texte des deux communications de ce jour.
- Le musée dOrsay organise tous les jeudis à 18h30, en janvier 2000, des conférences. Celle du 20 janvier est consacrée à Baudelaire et Hugo.
- Aux Invalides, le 1er ou le 3 décembre 1999 communication de Franck Laurent sur " Napoléon et Victor Hugo" dans un colloque organisé par le Musée de lArmée qui fait intervenir parallèlement historiens et littéraires.
- Stéphane Mahuet, conservateur de la Maison Littéraire de Victor Hugo à Bièvres, signale une exposition " Victor Hugo et William Shakespeare " jusquà fin novembre 1999. Commencée depuis la semaine dernière, elle est ouverte les samedis et dimanches après-midi (45, rue Vauboyen, Bièvres). Itinéraire : RER C direction Versailles-Chantiers, descendre à la gare de Louvoyun (compter 45 min de trajet).
- Ernani de Verdi à Gand du 30 octobre au 7 novembre puis à Anvers.
- Rigoletto de Verdi à Nice du 5 au 11 novembre.
- Les Misérables par Emmanuel Touchard le 5 décembre à Raincy, en banlieue
parisienne. A. Laster ignore ladaptation choisie mais signale la présence de 35
choristes.
A. Laster signale en outre " La Reine écartelée ou Amy Robsart "
- idée saugrenue que dadapter une pièce qui peut très bien se jouer telle quelle.
A. Laster annonce la reprise des projections de films tirés des uvres de Hugo : cette année, tous les mercredis à 14h au Forum des Images (aux Halles), différentes versions de Notre-Dame de Paris, les premières étant :
-17 novembre : Capellani.
-décembre : Dieterle et Delannoy.
- le lundi 29 novembre 1999, après-midi, en salle des thèses de la Tour centrale de Jussieu (7° étage) D. Gleizes soutient sa thèse: " Histoire des Travailleurs de la Mer : texte et images ". Au jury Pierre Georgel, Pierre-Marc de Biasi, Philippe Hamon, Pierre Michel et Guy Rosa.
- le samedi 18 décembre 1999, après-midi, lieu à préciser J.-M. Hovasse soutient la sienne " Hugo et le Parnasse ". Jury: André Guyaux, Mme Lloyd, M. Packenham, Stève Murphy, Guy Rosa.
- la veille, vendredi 17 décembre à 9 h. Evelyne Blewer soutient sa thèse à Paris 12 sur le théâtre de Hugo.
A vendre : Maison de Victor Hugo
Florence Naugrette relève dans les annonces immobilières du Figaro lannonce
de la mise en vente de la maison de Fourqueux le 27 octobre à 9h, mise à prix: trois
millions de francs, photo dans Pleins feux sur Victor Hugo, dA. Laster, p.
143 (Ed. de la Comédie française, 1981). Cette " maison de
vacances ", donnée par l'annonce comme cadre du mariage de Léopoldine, a été
celui de la première communion de Léopoldine (mise au point de J.M. Hovasse) et
peut-être d'une "rencontre" avec Julie Chenay, s'il faut interpréter ainsi le
"pas depuis Fourqueux" noté par Hugo dans un carnet de l'exil (J. Seebacher) .
Intermédiaire des chercheurs et des curieux
F. Naugrette soumet aux membres une question utile à l'annotation de la correspondance de
Flaubert (éditée par Yvan Leclerc): dans une lettre à Flaubert datée du 29 mars 1848,
Maxime Du Camp annonce la reprise du Roi samuse avec Frédérick Lemaître
pour Triboulet. Elle n'a jamais eu lieu semble-t-il; sur quelles informations Du Camp en
parle-t-il?
A. Ubersfeld : Il faudrait commencer par consulter les biographies de Frédérick
Lemaître.
S. Vielledent : Se reporter aux journaux de lépoque ; ils annoncent
beaucoup de projet et aussi leur abandon.
J. Seebacher : Ce nest à coup sûr ni en avril, ni en mai, ni en juin
G. Rosa : Mais il y a une reprise d'Hernani en 48.
A. Laster cherche, pour Franck Wilhelm la référence d'une citation dont la retraduction de l'allemand est : " Rien nest si puissant, quune idée quand son temps est venu. ".
F. Naugrette informe de ses démarches pour un numéro spécial de Théâtre aujourdhui : la décision revient au comité de rédaction.
D'autre part, Minard et C. Millet prévoient de publier dans la collection Hugo un numéro
sur " Hugo et le théâtre pendant lexil ". Les sujets abondent
: Le Théâtre en Liberté lui-même et ses franges (Torquemada,
etc), les reprises jouées ou interdites, ladaptation des Misérables, le
théâtre joué à Jersey, la critique des drames hugoliens par Gautier
F. Chenet suggère d'étudier Le Ciel et lEnfer, adaptation de la Légende
du beau Pécopin et de la belle Bauldour par Hippolyte Lucas vers 1852-1853. Quoique
cette reprise, autorisée par Hugo, ait justifié le déplacement dH. Lucas à
Jersey (cf. La Gloire de Victor Hugo, Ed. RMN, 1985, p. 759-760), un considérable
travail deffacement rend méconnaissables l'intrigue et les personnages de Hugo.
G. Rosa : Cela pose un problème de méthode : difficile de commenter le rapport
entre deux choses qui n'en ont pas.
A. Laster : Hugo se serait intéressé à cette reprise. De plus, il touchait des
droits dauteur.
F. Naugrette propose de réunir un groupe de travail dans l'après-midi de la
prochaine séance, 20 novembre, à 15h ou 15h15, Bibliothèque du XIXème siècle.
C. Millet (répondant à A. Laster) : Ce numéro constituera normalement la
publication Minard du bicentenaire, à paraître en 2002 (le numéro 6, sans doute
subventionné). Un numéro vient de sortir (cf. le compte rendu précédent) et un
prochain devrait paraître sur les Orientales.
. Le 11 décembre, F. Chenet parlera du vocabulaire esthétique de Hugo.
. Bernard Degout propose une communication sur les Odes de 1825 (Le Sacre, Les Deux Iles, Au colonel Gustaffson). Comme il n'est pas impossible d'en entendre deux dans la même séance, celle-ci est fixée le 26 février, où l'on entendra également A. Ubersfeld.
.De même, un communication de Pierre Laforgue s'ajoutera à celle de Mme Brière à la séance du 21 janvier.
C. Millet proposera une communication brève, de 5 à 10 minutes, sur lamour dans Les Travailleurs de la Mer.
Rectificatifs au compte rendu précédent
J. Seebacher revient sur une confusion entre lagence de presse Havas et le bureau de
presse de Girardin : ils sont bien distincts.
F. Chenet rectifie la date de larticle de Girardin paru dans La Presse:
15 août 1848.
Guy Rosa donne lecture dun propos de Hugo enregistré par Adèle II (13 mars 1854, Le
Journal d'Adèle Hugo, tome 3, p. 146) sur la
légitimité des adaptations : Hugo y avoue "à [sa] honte" qu'il ne partage pas
le préjugé contre la fausse dentelle. Elle est imitation et vulgarisation. "Or
toute vulgarisation est bonne, même lorsqu'elle se fait au détriment du chef
d'uvre original, parce que toute vulgarisation apprend à connaître, même au
pauvre, le chef d'uvre dont elle est la reproduction. [...] elle propage le
sentiment de l'art et du beau. Quant à moi, j'aime mieux mes pièces mal jouées que mes
pièces non jouées"
J. Seebacher : Vive Plamondon ! Cest exactement comme
lindustrialisation du jais noir. Cest Girardin !
Suit un échange entre G. Rosa et J. Seebacher sur les rapports entre Hugo et Girardin. G.
Rosa, qui n'a pas de sympathie pour Girardin (en raison de sa conduite avec Balzac pour
l'édition des Paysans -NDGR) songe à présenter une minuscule monographie sur les
relations entre Hugo et Girardin pendant l'exil : Girardin venant saluer Hugo avant son
retour (à quel prix?) à Paris, Hugo, qui le trouve "cynique et bonapartiste",
cherche à lui expliquer que son ambition fait fausse route : "la quantité de
pouvoir se mesurera à la quantité de proscription". Silence complet ensuite (mais
Hugo a noté entre temps que son nom est, à lui seul, si indésirable que Le Siècle a
reçu un avertissement pour l'avoir imprimé et que La Presse n'oserait pas
annoncer qu'il s'est cassé la jambe dans un accident de cheval), jusqu'à ce que Girardin
prononce le nom de Hugo dans un banquet de La Presse. La lettre où Hugo, renouant
la correspondance avec lui, le remercie de son "courage" est un chef
d'uvre d'ironie. Qui n'empêche pas le sérieux : non, Girardin, je ne suis pas une
exception dans une France et une presse libres; vous rendez le plus mauvais service à la
liberté en le laissant croire. A quoi Girardin répond, non sans astuce et
"cynisme" il faut l'avouer, en lançant un nouveau journal sous le titre La
Liberté. Dès lors, faisant d'une pierre trois coups, Hugo ne s'adresse plus à lui
que pour lui recommander d'engager les jeunes talents qu'il a remarqués. Bref, la
conduite de Girardin correspond à la ligne politique que Hugo redoute plus que toute
autre : la compromission des "libéraux" qui, en naturalisant le régime,
dénature et corrompt d'avance la future République.
J. Seebacher : Mme de Girardin écrivait également à Hugo que son mari avait une
tendance au bonapartisme.
G. Rosa : Il y a une complicité entre eux : Hugo dans ses lettres à Mme de
Girardin n'appelle son mari que "le grand penseur": "si vous poussez la
porte du cabinet du grand penseur, dites-lui que...". Ce qui donne du sel à
l'en-tête de ses lettres à Girardin lui-même : "Cher grand penseur,".
" Vulgarisation ou non ", A. Laster signale le
monceau de vidéos et autres DVD du spectacle de Notre-Dame de Paris chez tous les
commerçants. Il ajoute : la dentelle intéresse beaucoup Hugo ; voir lIntervention.
Et lidée de vulgarisation est partagée par Prévert qui recommande de reproduire
les peintures de maître en carte postale, façon daccrocher le regard de ceux qui
ne vont pas au musée.
J. Seebacher : Jusqu'à contribuer à lextension du marché et de la culture.
On compte de nombreuses peintures douvriers reproduites à partir de cartes
postales. Doù le succès des impressionnistes.
Après la communication de M. Roman
J. Seebacher : La citation du début de lEvangile de Jean " le Verbe
sest incarné, est devenu chair et a vécu parmi nous " révèle déjà la
socialité du verbe. " Parmi nous " signifie que nous sommes des
adeptes, des apôtres , des compagnons, des frères du Christ.
G. Rosa : On m'apprenait, au catéchisme que " nous " désigne
ici les hommes, la descendance d'Adam, luniversalité, pas une société restreinte.
J. Seebacher : La mission du Saint-Esprit est de diffuser cette socialité-là vers
les nations, grâce à la qualité charnelle de la langue, incarnée, qui fonde le lien
social. Le corps mystique du Christ est ainsi constitutif des socialismes romantiques.
Dautre part, cela pose la question du moi : la matérialité de ce que je parle
est mon corps. Que lon se reporte à limage de Biton qui " avait
porté un taureau sur ses épaules ", que Hugo a trouvée chez Pierre Mathieu,
citant lui-même Pausanias. Quest-ce qui a arrêté Hugo dans sa lecture de
Mathieu ? La langue est dans un rapport défini avec nos pulsions génératrices ; il
y a une sexualité de la langue.
Le fameux thème du " grand livre de la nature " constitue un chapitre
important du livre de Jean-Bertrand Barrère, La Fantaisie de Victor Hugo (Corti,
1949). Ce thème ne relève pas du tout dun classicisme mais installe la naturalité
de la parole, essentiellement transitionnelle.
F. Chenet : On peut rapprocher ce que dit M. Roman de ce que j'ai moi-même étudié
: la grande invention de Hugo attachant autant dimportance à la métaphore dans le
paysage. Jattendais cependant des textes essentiels, qui auraient permis de dater
lévolution des théories de Hugo sur la langue et de les replacer dans une
perspective historique ; ainsi les textes des voyages de 1839-1840 et ceux de Tas
de pierres III (1839-1843, éd. Massin, vol.6, p. 1160) que cite Genette dans Mimologiques
(Le Seuil, 1999, p. 398) à propos des rapports intimes entre langues et climats. Hugo a
une vision cratyléenne de la langue ; il ne sagit pas dune analogie, la
langue est la nature même. En 1839, il écrit : " Les voyelles et les
consonnes se partagent la Suisse de même que les fleurs et les rochers. " (Alpes
et Pyrénées, tome " Voyages ", coll. Bouquins, Ed. Laffont, p.
680). La même année, il quitte Genève et note dans son album que le
" Y " est " une lettre pittoresque qui a des significations
sans nombre " (Alpes et Pyrénées, id., p. 684). Le mot est
incarné, tout comme la lettre.
Lopposition quétablit M. Roman entre littérature et poésie est très
pertinente et très riche. La littérature comme nous lentendons a été inventée
par Mme de Staël : elle constitue un appauvrissement de la poésie, qui est du
côté de lAllemagne. On peut se reporter au livre de Macherey, A quoi pense la
littérature ? (P.U.F., 1990). La distinction entre " dire "
et " écrire " - la question de loralité de la langue
hugolienne - se retrouve également dans Le Rhin, où Hugo sadresse aux
" écouteurs intelligents et doux " (Le Rhin, lettre 22, id.,
p. 203).
A. Ubersfeld : Il faudrait approfondir le cratylisme de Hugo, en se fondant sur sa
réflexion sur le mot " nuit ". On ne peut pas se tenir au caractère
simplement verbal de la théorie de Hugo sur la langue, car il existe aussi un visuel
poétique, cette " poésie pour les yeux " qui sera la grande
préoccupation dun Mallarmé.
M. Roman : Jai volontairement laissé de côté le débat sur le cratylisme.
Mais jai mentionné le caractère visuel de la langue, qui est colorée et picturale
pour Hugo.
A. Laster : Michel Butor démontre à partir dune poésie de Hugo sur Gavarnie
quune goutte de pluie traverse le texte en diagonale, mimant lérosion et donc
la création du Cirque.
J. Seebacher : On peut trouver un exemple très simple de cette langue visuelle dans
lorthographe de Hugo, qui écrit " cîme " ou
" aîle " avec circonflexe, pour mimer le sommet de la montagne ou la
forme de loiseau déployé. Dans les années 40, lorsque la société se
spiritualise de plus en plus, on écrit " âme " avec circonflexe,
sans que ce soit étymologiquement motivé. La théorie de Hugo sur
lindissociabilité entre fond et forme nest pas du tout un cratylisme.
A. Ubersfeld : On ne peut pas nier les formules cratyléennes de Hugo. Mais cette
question est plutôt anecdotique. Le problème majeur réside dans le rapport entre la
visualisation du poétique et le travail du mètre et de la strophe.
C. Millet : Je voudrais revenir sur deux points : la théorie
du langage de Hugo est une théorie du nom, de la nomination et non de la syntaxe, alors
que Mallarmé a dabord un projet syntaxique.
A. Laster : " Guerre à la rhétorique et paix à la
syntaxe ! "
C. Millet : Hugo dépasse très peu lunité du mot pour sintéresser à
la syntaxe, sauf ponctuellement à propos de " Fugit, fugit
"
ou " Sunt lacrymae rerum
". Or, la syntaxe est
lordre du langage. Mallarmé pointe le principe du chaos.
G. Rosa : Cela sexplique sans doute par le fait que Hugo est latiniste et qu'au
19° siècle, on apprend la syntaxe française comme la syntaxe latine. Spontanément,
pour lui, la syntaxe est universelle et tient à la logique de lesprit même
-conformément à la Grammaire de Port-Royal.
C. Millet : La question de lordre et du désordre est en jeu. Hugo, dans la
hantise du chaos, veut toujours maintenir une syntaxe, cest-à-dire une paix. Je
suis également daccord avec M. Roman : la langue est une approximation de
lêtre, une réduction.
Après la communication de D. Charles
G. Rosa : Pouvez-vous nous indiquer le lien entre vos deux communications.
D. Charles : M. Roman a parlé de la transparence intrinsèque de la langue;
jai montré son désordre extrinsèque.
C. Millet : La langue étrangère des Travailleurs de la Mer est un défi à
la transparence. Cela ne veut rien dire ; on en a dautres exemples dans la Légende
des Siècles. Le mot étranger produit un effet de loupe : il désigne souvent un
détail, qui est un détail infini. Hugo joue sur ce moment où la loupe permet de voir ce
qui est impossible à voir, et ce jusquà ce quon ne puisse plus du tout le
voir.
Bertrand Abraham : Dans Notre-Dame de Paris, on trouve un
traitement particulier du signifiant avec le patronyme étranger
" Coppenole ", ce flamand de Gand qui introduit le carnaval dans
Paris. Il propose à " chacun son tour " de " passer sa
tête par un trou " et de faire " une grimace aux autres " (Notre-Dame
de Paris, " Roman I ", coll. Bouquins, p. 524). Or, en
néerlandais, son nom comporte deux parties qui signifient " la
tête " et " le trou " (si toutefois on ajoute un
" h "). Que lon traduise par " le trou de la
tête " ou " la tête dans le trou ", son nom fonctionne
comme une programmation.
M. Roman : Coppenole est un personnage historique.
B. Abraham : Mais ce jeu de passer sa tête dans un trou, est-ce une coutume
carnavalesque ou une invention de Hugo ?
J. Seebacher (à D. Charles) : Est-ce que les conversations des
marchands de bestiaux dans Les Travailleurs de la Mer peuvent sapparenter à
une langue spéciale ?
G. Rosa : Les conversations chez les Thénardier sont du même type.
C. Millet : Il me semble quelles relèvent davantage de la poésie, de la
sonorité et du rythme, avec lesquels Hugo joue.
J. Seebacher : Cest un procédé, une ruse, pour désamorcer la pente
naturaliste que suit le roman vers 1830. La langue du roman devient alors totalement
transparente et totalement artificielle. Elle sera la langue banale du roman du 19°
siècle. Doù une vigoureuse opposition de Hugo, qui se traduit par le refus de
publier en feuilleton. Il installe la langue réelle dans le roman : ses romans
deviennent donc réellement réalistes et essentiellement poétiques.
C. Millet : Cest la langue du " commun " de la
préface de Cromwell.
J. Seebacher : Hugo rompt les illusions sur la communicabilité. Tout cela est
problématique : " Nomen, numen ". Comment
dailleurs bien le traduire ? Le nom est une divinité, une énergie vitale et
spirituelle. Astra, castra : une constellation est un châtelet, une
forteresse. La langue induit une sorte de fatum (de fare, parler). Parler
est fabriquer de lidentité.
Sandrine Raffin
Equipe "Littérature et civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005 Tél : 01 44 27 69 81.
Responsable de l'équipe : Guy Rosa.