GROUPE HUGO

Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"


SEANCE DU 13 mars 1999  

Présents : Florence Naugrette, Philippe Andrès, Bertrand Abraham, Josette Acher, Myriam Roman, Sylvie Vielledent, Jean-Marc Hovasse, Delphine Gleizes, Sandrine Raffin, Chantal Brière, Véronique Charpentier, Junia Barreto, Jean-Pierre Vidal, Marieke Stein, Denis Sellem-Bassov, Christine Mercandier-Collard, Bernard Degout, Stéphane Desvignes, Krishna Renou, Guy Rosa, Laurent Fédi, Marguerite Delavalse, Marie Tapié, Stéphane Mahuet, Florence Codet, Franck Laurent.

Excusés : Arnaud Laster, Jacques Seebacher, Vincent Wallez, Anne Ubersfeld, Claude Millet, David Charles, Ludmila Wurtz, Rouschka Haglund (qui précise que la version de l’Homme qui rit de Paul Léni proposée à la Cinémathèque était une réussite).


Informations

Hugo dans la presse

Deux titres de grande presse affichent Victor Hugo en première page, Le Nouvel Observateur (n°1790, 22/01/1999) qui titre " Victor Hugo superstar ", et Maisons Côté Ouest (n°20, février 1999) qui propose une promenade à Guernesey. Le premier, avec un retard comparable à celui qu'il avait 15 ans plus tôt, présente un Hugo tout en cuir, " punk ", identique à son image de 1985, année où, pour la commémoration du centenaire, le même journal vilipendait le vieux poète "ringard" de la Troisième République. Côté Ouest donne de très belles photos de Hauteville-House (et multiplie les erreurs factuelles).

Nouvelles savantes

La Revue du Musée d’Orsay, printemps 1999, n°8, qui vient de paraître, contient un article de G. Rosa : " Hugo en 1848 : de quel côté de la barricade ? ".
Sylvie Jeanneret signale la publication de Variation, revue de l’université de Zurich (Literaturzeitshrift der Universität Zürich) et envoie le numéro 1 de 1998. Les collaborations des membres du groupe sous la forme de commentaire savant, de texte de création ou de compte rendu sont les bienvenues, pour le prochain numéro sur les mouvements dada et néo-dada. Elle présentera au groupe Hugo (qu’elle remercie de son accueil) les résultats de ses recherches en automne prochain.
Dans le cadre de l’exposition au musée d’Ixelles à Bruxelles, Victor Hugo, dessinateur, une conférence est donnée le jeudi 25 mars à 18h à la Maison du Grand-Duché du Luxembourg par Frank Wilhelm, responsable du Centre d’Etudes et de Recherches Francophones, " La vie de Victor Hugo au Luxembourg et en Belgique ". Une visite de l’exposition suivra.

 

Lucrèce Borgia

Arnaud Laster propose des places à tarif réduit pour la nouvelle mise en scène de Jean Martinez, au Nouveau Théâtre Mouffetard (avec Marie-José Nat, jusqu’au 25 avril).

Site Web du Groupe Hugo

La chronologie informatisée avance: actuellement 5285 dates, de 1699 à 1843. Une première version de l'application permettant la consultation sur le Web est prête.
Le site Internet du groupe Hugo (http://www.groupugo.univ-paris-diderot.fr) sera muni d’un "moteur de recherche" (capable de parcourir tous les comptes rendus et grâce à l’indexation automatique de tous les mots, de restituer à volonté les références de n'importe quel nom ou mot).
Le tout basculera prochainement sur le site propre de l'équipe XIX° de Paris 7: http://www.groupugo.univ-paris-diderot.fr.

Correspondances

Guy Rosa communique la correspondance de Jacques Seebacher rappelant que le mérite revient à Y. Gohin de la découverte d'une origine possible du nom de Madeleine (pour le cas où celui de la sainte femme ne suffirait pas). C'est le surnom, dans Splendeurs et misères des courtisanes, du compagnon de chaîne et futur amant de Vautrin, Théodore Calvi. J. Seebacher ajoute deux autres rapports possibles avec Les Misérables : un cambriolage impossible, sans effraction, est accompli par une femme fluette (sorte de petit ramoneur savoyard), passant par la cheminée; la mention du Mexique (p. 1080 de l'ancienne Pléiade), pouvant préfigurer la destination finale des Thénardier.

Dans une autre lettre, Jacques Seebacher dit avoir apprécié l’article de Guy Rosa sur 48, mais regretté l'absence de références à Girardin [mieux valait pour Girardin, commente G. Rosa : les témoignages sur son rôle, assez trouble, en février 48 ne sont guère à son honneur], Alton-Shée et au marquis de Boissy. Il donne également une première liste des errata de l’édition de Notre-Dame de Paris au Livre de Poche -voir en annexe ci-dessous, avec les rectificatifs du précédent compte rendu- et se déclare prêt à accueillir toutes les rectifications.

 

Claude Duchet demande au groupe des précisions sur une Victor Hugo Encyclopedia (1998, 350 p.). Réponse de Sandrine Raffin : auteur: John-Andrew FREY, éditeur : Greenwood Publishing Group, prix 75 $ (60 euros!).

 

Laurent Fédi présente le contenu de sa lettre (jointe en annexe) sur la réception de Hugo en 1870, à la suite de la défaite. Il s'agit d'un texte donné en annexe à un article dans la revue de philosophie Critique philosophique en octobre 1873. L'article est anonyme, peut-être de Charles Renouvier. L’auteur réaffirme son admiration pour Hugo et -chose plus rare- la supériorité de ses œuvres récentes sur ses œuvres de jeunesse mais déplore son actuel anti-germanisme. Le curieux est que ce ne sont pas les intérêts de la paix qui sont invoqués, mais tout au rebours de la position de Hugo, ceux de la civilisation et du progrès : "L'Allemagne a pris, sur le continent européen, la tête des nations qui luttent pour la science et pour la liberté de l'esprit contre le jésuitisme et la théocratie. La France semble condamnée à rester la dernière citadelle de l'esprit-prêtre, qui fera d'elle une proie pour les césars." Cette prise à contre-pied exact de Hugo n'est peut-être pas très fréquente; elle mérite d'être signalée en raison de l'importance de la revue dans les débats de l'époque.

 

Projet de CD-ROM sur le théâtre de Hugo

Guy Rosa fait part de l’entretien qu’il a eu avec Mme Danielle Molinari, Conservateur en chef de la Maison de Victor Hugo. La Maison Victor Hugo prépare une exposition sur le théâtre de Hugo (prévue initialement pour 2000, plus vraisemblablement pour 2002). Pour le catalogue de cette exposition, un éditeur a proposé de l'assortir d'un CD, mais qui ne ferait rien d'autre que d'en reprendre le contenu. Mme Molinari, apprenant que le groupe Hugo avait le projet d'un CD sur même sujet, a voulu explorer les possibilités d'en faire un projet commun: cela dépasserait de beaucoup la simple transcription sur CD du catalogue de l'exposition de la Maison de Victor Hugo. L’éditeur qui offrait ses services pour le catalogue ne peut prendre en charge cette initiative beaucoup plus ambitieuse, mais ni le Musée de la Maison Hugo ni l'éditeur qui lui est statutairement lié, Paris-Musée, ne reculent devant l'exploration de cette éventualité. Reste à trouver un éditeur et, le cas échéant, un diffuseur.
Une telle collaboration aurait de grands avantages. La Maison Hugo comme notre Groupe auraient une position plus forte face aux éditeurs dont les exigences ne sont pas toujours les plus favorables à la science, à l'art, à la culture. Plusieurs hugoliens doivent travailler avec la Maison de Victor Hugo, -Anne Ubersfeld, Florence Naugrette et Arnaud Laster; il paraît normal que cette collaboration s'élargisse.
Guy Rosa s’est informé. L’investissement dans la création d’un CD effarouche les éditeurs (150000 à 3 millions de francs contre 50 à 100000 pour un livre) et le marché est incertain. Si bien qu'il existe actuellement deux voies pour la réalisation et la diffusion d'un CD. L'une est qu'un éditeur prenne en charge la fabrication et la diffusion. Ici, trois possibilités : un éditeur "généraliste" (on ne voit guère que Hachette), un "éducatif" (Nathan, engagé dans cette voie), un spécialiste des éditions d'art (actuellement rien d'autre, ou presque, que la RMN). L'autre, qu'une société -petite en général- assure la conception et la fabrication, la distribution étant, au vu du résultat, prise en charge par un "grand éditeur". Incertaines des débouchés de leur production, ces sociétés s'efforcent d'obtenir assez de subventions pour que leur tâche soit rémunérée avant même tout contrat de distribution.
Cela conduit souvent à un cercle vicieux: les organismes n'accordent de subventions qu'à des projets déjà assurés d'un distributeur…
Quoi qu'il en soit, rien ne se fera tant que le groupe des personnes intéressées par le projet n'aura pas élaboré une maquette, un scénario, une déclaration d'intention, quelque chose d'écrit à présenter soit à ces petits fabricants, soit aux grands éditeurs, soit aux organismes susceptibles d’accorder des subventions. Et, d'abord, à nos amis et collègues de la Maison de Victor Hugo. Les conditions sont réunies pour que ce projet avance; il faut maintenant y travailler. Que le groupe de travail s’occupe de la partie conceptuelle, artistique et scientifique ; je me charge des démarches administratives et contractuelles.

 

-Franck Laurent : Il faut tout d’abord savoir quel sera le contenu de l’exposition envisagée par Danielle Molinari. Elle a peu de chances d’être multimédia.
-Guy Rosa : Je ne crois pas. Il est évident qu’à cause du peu de place dont dispose la Maison de Victor Hugo, l'exposition sera surtout visuelle -costumes, maquettes de décors, manuscrits. Mais le projet du CD ne dépend pas du contenu de l'exposition -sinon pour éviter les chevauchements et les redites. En revanche, il est certain que la recherche documentaire des Conservateurs de la Maison Hugo mettra au jour beaucoup plus de matériau qu'il n'en sera finalement retenu. De là une partie de l'intérêt qu'ils trouvent au CD, susceptible d'élargir les débouchés de leurs recherches et de les affranchir -en partie- des contraintes liées à l'exiguïté de l'espace dont ils disposent pour une exposition.
-F. Laurent : Dans ce cas précis, il faudrait abandonner le matériau traditionnel et se servir largement de la vidéo, pour montrer une histoire de la mise en scène.
-G. Rosa : C’est peu praticable à la Maison de la Place des Vosges. Mais, justement, le CD (ou le DVD: il est probable qu'en 2002, il n'y aura plus de CD, sans que personne ne s'aperçoive de la différence) peut comporter des images animées et du son.
-F. Laurent : Si la vague d’hugolâtrie continue, on peut prévoir un public nombreux, surtout en 2002. C’est à nous de déterminer un marché, en fixant un prix de vente abordable, 150 ou 200F, plus raisonnable que le prix du CD-ROM du Louvre. Et ajouter des images animées coûte cher à la réalisation, donc augmente le prix de vente.
-G. Rosa : Je ne crois pas que ce doive être notre démarche. Cela concerne les distributeurs et ils nous le dirons assez clairement. Notre métier à nous est de répondre du contenu, de l’idée. Si nous n'en avons pas, faisons autre chose -ou rien. Nathan, Hachette et autres ont à leur disposition quantité de gens sans idées et n'ont pas besoin de notre propre carence pour donner cours à la leur. Ne tenons pas compte des réalités, des contraintes matérielles; les éditeurs et les distributeurs seront toujours là pour nous les rappeler; préoccupons nous de ce que nous voulons dire.
-F. Laurent : Mais les moyens qu’on se donne à la conception influent sur le contenu et le résultat final : on ne peut pas envisager de montrer l’intégrale des mises en scène de Hugo.
-G. Rosa : Ce n’est pas notre problématique. Notre idée – ou notre propos – doit être à l’origine et demander les moyens de sa réalisation.
-F. Laurent : Ou notre " concept ", comme on dit en marketing.
-G. Rosa : Un "concept" est une idée de vente, de marché. Je parle, moi, d'"idée intellectuelle" (comme dit Myriam Roman). Il faut faire tourner le CD-ROM autour d’une idée, par exemple: l’ensemble et le détail, le personnage (si l'on veut rester traditionnel); " la spatialisation romantique ", la scène et la salle, les choses et les hommes, la parole ...
-Josette Acher : Verra-t-on des interviews de spécialistes ?
-Florence Naugrette : On peut envisager de travailler autour de la réception des œuvres de Hugo, en montrant combien elle change selon les époques.
-G. Rosa : C’est une idée.
-F. Naugrette : Le public est peut-être plus intéressé par les adaptations que par le théâtre lui-même.
-G. Rosa : La dérivation vers les adaptations n’est pas exclue d’emblée.
-Bertrand Abraham : Pourquoi ne pas concevoir pour 2002 un coffret des opéras tirés des livrets de Hugo ? On propose actuellement, avec un disque de Mozart, un CD-ROM de l’historique des représentations.
-G. Rosa : Si l’on se situe du côté éducatif, on peut traiter des esthétiques théâtrales appliquées à Hugo, en distinguant les moments selon le choix des pièces, la lumière, le décor, la distribution… C’est un parti pris défendable et élémentaire. Mais on peut trouver plus inventif. Il faut y travailler; une "idée" demande, en général, un minimum de travail.
-B. Abraham : A-t-on pris contact avec Arte ? La chaîne a un créneau dans la fabrication des CD-ROM.
-Sandrine Raffin : Le Salon du Livre peut être un moyen de contacter de petits éditeurs multimédia.
-D. Sellem : Le réalisateur Axel Clévenot m’a proposé de travailler, avec le groupe, sur un synopsis qui serait le point de départ historique et scientifique d’un documentaire de 52 minutes sur la vie de Hugo, prévu pour 2002. La projection du film pourrait donner lieu à une soirée thématique, avec des interventions. Axel Clévenot a déjà réalisé un triptyque sur les droits d’exil qui a reçu le prix Europa.
- G. Rosa demande que les initiateurs du projet, qui ont un moment donné l'impression de l'avoir abandonné, se concertent, se réunissent, désignent parmi eux un responsable, convoquent les autres membres du Groupe qui avaient manifesté leur intérêt et poursuivent cette discussion, bref, fassent avancer les choses.


Communications de Myriam Roman, "Rupture et continuité : 1848 dans l'oeuvre de Victor Hugo" (voir texte ci-joint) , et de Delphine Gleizes, "Victor Hugo en 1848 : la légitimité du discours" (voir texte ci-joint)


Myriam Roman précise que ces communications ont été préparées dans le cadre d’un séminaire de DEA, animé par Mme Saminadayar à l’université Jean Monnet de Saint-Etienne, sur la coupure de 1848 en tant que " révolution du discours ". Elle s’intéressera à la représentation de 1848 dans les textes postérieurs (jusqu’en 1851) tandis que Delphine Gleizes parlera de Choses vues et des textes écrits sous la Seconde République.

 

Discussion et interventions après les communications

-G. Rosa : Nous sommes impressionnés. Je ne suis pas là pour distribuer critiques et éloges, mais il est difficile de ne pas revenir sur telles foudroyantes formules. Par exemple celle de Myriam Roman : " la conception d’une histoire telle que la nécessité de la juger conduit à en abstraire les hommes comme ses acteurs ", ou celle de Delphine Gleize sur "l’opportunisme de l’échec" de Hugo et sa manière de "toujours retourner sa veste du mauvais côté ". La synthèse de Myriam Roman est étayée par la revue de détail de Delphine Gleizes -et réciproquement. Les deux communications, complémentaires, montrent la cohérence des textes de Hugo, des "sous-écrits" (notes de Choses vues ou discours parlementaires) aux grandes œuvres.

Un tout petit désaccord, de termes, sur l’emploi de la " rhétorique " et de ses catégories, pathos et logos, chez Myriam Roman. Il est gênant de recharger de valeurs ce terme miné comme il est difficile de savoir quelle signification lui donne l’auteur de la communication.
-M. Roman : J’entends " rhétorique " comme " usage de la parole visant à l’action " et non comme forme vide.
-G. Rosa : Ouf! Mais sa définition classique est " ornement du discours ".
-F. Laurent : Parce qu’elle s’inscrit dans un moment historique où les données de l’énonciation ont changé.
-G. Rosa : Mais la rhétorique prétend s'appliquer à tous les cas…
-F. Laurent : Non, mais pour Hugo elle fonctionne particulièrement, surtout du point de vue de l’ethos.
-M. Roman : En excluant la définition (répandue) de la rhétorique comme conception instrumentale du langage, on peut envisager une étude rhétorique de Napoléon le Petit.
-F. Laurent : Cette étude pencherait alors du côté de la pragmatique et des conditions de réception.

-G. Rosa : J'ai aussi été gêné par " Hugo constitue le 2 décembre en discours " ? Au contraire, dans Châtiments, le coup d'Etat est représenté comme laconisme et silence : acte sans paroles (quitte à laisser les journalistes de robe courte faire du bruit).
-M. Roman : Je voulais parler de la parole de Hugo, pas du silence des acteurs du coup d'Etat. Napoléon le Petit est constitué " comme " un discours : l’événement est présenté à travers un acte de parole.
-G. Rosa : J'avais mal compris. Mais, inversement, Delphine Gleizes fait apparaître clairement une solution inédite à la question du droit à la parole, solution limite : se taire. Choses vues doit effectivement être compris de cette manière: une parole non pas privée mais tue.
-Jean-Marc Hovasse : Hugo avait commencé avant 1848.
-G. Rosa : Dans l’ensemble, si je comprends bien Delphine Gleizes, Hugo répond à une situation politique, marquée par l’absence de sens et l’impossibilité de la parole libre, celle de 1848, mais commencée dès avant. L’attitude hugolienne de l’époque, une variante du silence, a pour origine cette situation de parole impossible.
-D. Gleizes : Il a choisi une solution malléable, non sans failles.

 

-F. Laurent : Dans Le Journal de ce que j’apprends chaque jour, Hugo se présente comme intégré à l’institution et met en scène ses nouvelles relations avec ses pairs. Ce texte n’est pas du tout du même type que Le Journal d’un révolutionnaire de 1830. En 1848, Hugo réutilise des événements et des fragments de discours antérieurs, sans engager son rapport au lecteur, en restant dans une fausse objectivité. En racontant l’anecdote des " Rateliers nationaux ", il reprend en réalité le discours de la droite de l’époque. Et lorsqu’il cite la parole de l’enfant pour qui mourir pour la patrie c’est se promener avec un drapeau, il utilise le discours issu du peuple pour en faire une arme contre lui.
-B. Abraham : Il est nécessaire de se reporter au contexte : juste après cette anecdote, Hugo parle des " braves et généreux ouvriers qu’on égare avec des mots ".
-F. Laurent : Il est tout de même très suspect que Hugo se place du côté du fait pur, du pur élément de discours.
-G. Rosa : Mais on peut faire de ces extraits une autre lecture : de gauche, voire anarchiste : les " Rateliers nationaux " sont le futur abattoir du peuple, mouton ou veau.
-B. Abraham : Ce " r " rajouté à l’initiale est mentionné plus loin, en tant que signifiant (le 25 août 1848) : il caractérise la prononciation de Caussidière.
-D. Gleizes : Il est vrai que se pose une question éditoriale, voire génétique : le motif " mourir pour la patrie " défini par l’enfant prend place juste après la mention de quatre hommes avec un drapeau noir et avant un fragment de discours où il circule par prétérition. Tout se passe comme si Hugo laissait les choses se confronter à elles-mêmes, dans leurs propres contradictions : toutes les interprétation sont possibles.
-F. Laurent : Ce type d’écriture rend possible la réutilisation de discours et l’inversion de leurs valeurs.
-D. Gleizes : Hugo raconte l’histoire de l’arrestation de Blanqui par M. Yon (septembre 1848). Blanqui, au moment où on l’emmène, avale des papiers. Le commissaire, autre Javert, considère que s’il les avale, c’est qu’il s’agit de papiers sans importance…

-Josette Acher : Cette mise en scène de l’échec est-elle simultanée ou postérieure à l’échec politique de Hugo, quand il sait qu’il n’entraînera pas l'Assemblée ?
-G. Rosa : Au moins pour le "Discours sur la misère", Hugo écrit les réactions de l’Assemblée avant de parler : il rédige le récit de l'hilarité de l'Assemblée et de sa propre indignation avant même qu'elles ne se produisent!

 

-F. Laurent : Il est nécessaire de repenser la place de la Seconde République dans les enjeux énoncés ici comme dans l’histoire littéraire et dans l’histoire tout court. La faille de 1848 reste traditionnellement le point de rupture de l’histoire du XIXème : Dolf Oehler [dans Le Spleen contre l’oubli : juin 1848 ; Baudelaire, Flaubert, Heine…, Payot, 1996] ne s’écarte pas davantage de cet héritage, dans son discours comme dans ses méthodes. Mais la Seconde République ne dure pas seulement quatre mois, de février à juin, mais quatre ans, même si tout est programmé dès le départ.
Maurice Agulhon a eu le grand mérite de poser cette question : et si le 2 décembre avait eu lieu en 1848 ? Combien l’impact et la réalité de la période républicaine auraient été différents ! La droite se souviendra de ce type de gouvernement comme une forme vide permettant le jeu des institutions : Thiers, qui considérait la République comme le régime qui divise le moins, fut l’initiateur des négociations pour le ralliement des orléanistes. La gauche, après un travail nécessaire d’acclimatation à la République, trouve des forces vives du côté de la campagne : en 1849, elle envoie 150 députés socialistes à la Chambre. Il a fallu le temps que le parti se forme, que des réseaux d’influence fonctionnent : la République a ainsi suffisamment duré pour toucher les mentalités.
Attention donc à ne pas accorder une importance disproportionnée à l’année 1848 dans l’œuvre de Hugo. Durant ces années, il mûrit lentement, prend le temps de repenser ce qu’il a vu et écrit. L’élément déterminant dans son virage politique, très cohérent en réalité, est l’utilisation par la droite du discours légaliste et civilisationnel - quand le sien est sincère - pendant la répression de juin. Hugo a également compris très tôt que l’affaire de Rome de juin 1849 était une manœuvre de la droite.
-M. Roman : La Seconde République, minée de l’intérieur dès le début, se délite très vite.
-F. Laurent : Oui, mais l’opposition parlementaire continue. En 1852, aux élections législatives, la droite fait courir le bruit du péril rouge parce qu’elle a peur de la victoire de la gauche, et cela jusqu’au coup d’état. Et Delphine Gleizes a raison en disant que Hugo joue toujours perdant : en 1848, il est doublé par Lamartine. Avec le temps et surtout après 1873, Hugo apprend à se constituer des appuis et des relations. Grâce à ces attitudes politiques plus réalistes, il peut faire voter l’amnistie des communards et réussir là où Lamartine a échoué.
Mais je ne suis pas d’accord sur un point : la prostituée peut incarner la République chez Hugo comme elle l’incarne chez Delacroix, où elle est déjà fort incorrecte avec ses seins nus et ses poils sous les bras.
-M. Roman : Ce n'est pas tout à fait la même chose, surtout comparé au reste de l'œuvre de Hugo (où les femmes nues n'abondent pas); ici l’obscénité est manifeste.
-G. Rosa : C'est une allégorie impossible de la République. L'imagine-t-on sur les billets de banque et les timbres?
-D. Gleizes : Elle est radicalisée dans Choses vues : dans le texte, la répétition du même geste (par les deux femmes) interdit la caractérisation symbolique.

 

-F. Laurent : On trouve chez Hugo un discours légaliste – le peuple se soulève contre lui-même – qui est le discours de tout le monde, surtout celui de la droite. Selon Cavaignac, il faut laisser la Révolution grossir jusqu’à son autodestruction. Les socialistes Flocon ou Ledru-Rollin ont la même attitude que Hugo : ils ne veulent pas de l’insurrection.
-J. Acher : Hugo a ajouté le texte Révolution de la misère, révolution du droit en 1870 : il serait intéressant de le réétudier dans ses perspectives.

-G. Rosa : Pour parler de tout autre chose, je relève, à propos de Choses vues, une idée déjà explorée par D. Gleizes à propos de la genèse des Travailleurs de la mer et qui ne me semble pas banale: que Hugo ne part pas du sens, mais travaille à partir de l’absence de sens et donne du sens au chaos initial. En tout cas qu'il n'a pas peur de l'absence de sens. Or, la période elle-même, 1848, est caractérisée par un sentiment de perte de sens du discours; Flaubert l'éprouve, mais avec des conséquences inverses.

-F. Laurent : Dire " nous sommes tous des ouvriers " est un topos absolu à droite, repris par Dambreuse et Frédéric. Mais quel est le contexte précis dans Choses vues ? Hugo est alors perçu comme un homme de droite : il est pair et favorable à la régence. Peu à peu il bénéficie de la sympathie du peuple parisien qui voit en lui l’iconoclaste des valeurs de la droite et épargne sa maison de la place des Vosges lors des émeutes.

 

Sandrine Raffin



Prochaine séance
Samedi 10 avril : communication d’Arnaud Laster sur Rigoletto et la transposition en opéra de l’œuvre de Hugo.



 
Rectificatifs aux comptes rendus précédents et annexes

Jacques Seebacher relève des imprécisions dans le compte rendu du 23 janvier : le bateau qui a servi à l’expédition de Louis Napoléon Bonaparte n'est pas le Splendide mais le Edimbourg Castel ; la mode anglaise de se baigner sans caleçon concerne uniquement les hommes ; et au Luxembourg, Hugo s’occupait à mettre son caleçon quand il a été interpellé, dans son rêve, par un sergent (allait-il seulement se baigner ?).
A propos du Journal de l’exil de Juliette et du fils de M. Rose, Jacques Seebacher précise qu'il n'est pas certain que l’amoureux d’Adèle II soit le jeune sauvage qui survit dans les rochers : faut-il supposer deux fils à M. Rose ? Delphine Gleizes ajoute : le capitaine Rose, également armateur, a racheté la machine de l’Edimbourg Castel qui mouille au port. Mais ce monsieur Rose, propriétaire de Marine Terrace, avait un autre bateau dont, échoué, son fils tente de récupérer la chaînerie avec l’aide de gens du village. Ce jeune Rose-là n’est effectivement sans doute pas le même que celui qui courtisait Adèle.

Arnaud Laster rectifie plusieurs fausses attributions :
C'est lui qui a apprécié le spectacle de marionnettes tiré de Notre-Dame de Paris et non Vincent Wallez qui ne l’avait pas vu, mais qui, en général, apprécie les spectacles de marionnettes. De même pour la rencontre de E.T. avec Quasimodo, et aussi pour le caractère peu traditionnel du Ruy Blas de Raymond Rouleau, et encore pour le succès de la Lucrèce Borgia de cet été, et finalement pour les goûts de Gide. Inversement, la réflexion sur les duos amoureux dans le théâtre de Hugo était faite par Vincent Wallez, pas par A. Laster. Aux dernières lignes du compte rendu, il ne faut pas lire : " Les metteurs en scène refusent de prendre en compte la scénographie romantique et ils font du spectacle." mais juste le contraire : " Les metteurs en scène refusent de prendre en compte la scénographie romantique et de faire du spectacle."
Par ailleurs, l’étudiante qui travaille sur l’adaptation de Cocciante et Plamondon est Annie Langlois et non Marie Tapié.

Errata à l'édition de Notre-Dame de Paris dans Le Livre de Poche
p. 47, ligne 17 : ajouter "de" [l'œil] à la fin de la ligne
p. 164, note 1 : le Roi n'avait que quinze [et non dix] ans
p. 326, note 2 : 1429 [et non 1430]
p. 426, note 2 : la famille de Sainte-Marthe [et non de sainte Marthe]
p. 485, note 2 : sept ans après le sacre et six après l'exécution [au lieu de six et cinq]
p. 561, note 5 : à remplacer presque entièrement par une notule problématique sur le siège de Philippsbourg.
p. 573, note 1 : à remplacer aussi, et de même, par référence à I, 1, p. 61 (et après consultation de la Chronique)
p. 597, note 4 : et non pas rabotée [au lieu de et non rabotée]
p. 617, note 1 : (p. 302 et ici p. 628) [références de la gravure en question dans Du Breul et dans la présente édition]
L'année 1864 manque à tort dans la Chronologie.



Note communiquée par M. Laurent Fédi

Dans la discussion (vraiment intéressante) de la séance de décembre, il fut question de l'Alsace-Lorraine, des positions politiques de Hugo dans les années 1870, et de la réception des œuvres publiées durant cette période.
Voici une modeste contribution à ce dossier.
Il s'agit d'un jugement sur Hugo placé en annexe d'un article non signé paru le 2 octobre 1873 dans la Critiques philosophique sous le titre simple mais percutant "La question d'Alsace-Lorraine". L'article est peut-être de Renouvier, mais c'est loin d'être une certitude, et le jugement sur Hugo est probablement du même auteur, mais il pourrait aussi s'agir d'une pièce rapportée… De toutes façons, les idées développées dans cet article sont parfaitement conformes aux vues de Renouvier, elles reflètent la position officielle du néocriticisme. Ces idées, en résumé, sont les suivantes:

  1. Le traité de Francfort est fondamentalement immoral, mais une fois signé, il ne peut être dénoncé unilatéralement.
  2. La France ne doit pas s'engager sur la voie de la reconquête. En effet a) toute reconquête est une conquête, b) il n'y a pas de droit de conquête (droit et conquête s'excluent mutuellement) c) user de violence serait légitimer a posteriori l'annexion d) tout rattachement territorial doit passer par le consentement des habitants.
  3. La question de l'Alsace-Lorraine doit être traitée à l'échelle européenne. La mission de la France: organiser pacifiquement - autour des Etats les mieux disposés à l'égard d'une politique démocratique- une "assemblée européenne" chargée de faire respecter le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

Puis on lit ceci:

"Le génie de M. Victor Hugo éclate comme toujours en traits de feu, dans les vers qu'il vient de publier sur la libération du territoire, et qui se vendent au profit des Alsaciens-Lorrains. Cette poésie éblouissante que certains affectent de mépriser, et que d'autres ont le malheur de ne pas sentir, est d'une beauté de forme supérieure à toutes les louanges. Vers sublimes, vers familiers, vers aimables, vers d'une coupe saisissante, infiniment variée, expressions fortes et vibrantes, mots terribles, images qui ravissent, qui font tout vivre, mythologie étonnante, toute d'inspiration et de création, une langue enfin qui n'a pas encore été parlée avec ces splendides périodes d'un nombre absolument neuf, voilà ce que M. Victor Hugo déploie devant le monde stupéfait. L'enfant sublime né quand "ce siècle avait deux ans" produit, dans sa vieillesse, des œuvres plus belles que les œuvres de sa jeunesse et de sa maturité. Tel est, sur ce grand poète, le jugement auquel la critique même est obligée.
Mais, poëte, qui chantez les destinées futures de l'humanité, comment est-il possible que vous preniez pour agents de civilisation et de paix ces missions de nations qui sont des haines de nations? N'est-ce pas ce que fait Guillaume de Prusse? Et vous l'imitez, vous qui le haïssez! Pourquoi chercher toujours l'avenir de la France dans les grandes tueries des batailles? Pourquoi verser du vitriol sur les blessures de la patrie? Pourquoi, comme disait le vieux Pythagore, attiser le feu avec l'épée?
L'Allemagne a pris, sur le continent européen, la tête des nations qui luttent pour la science et pour la liberté de l'esprit contre le jésuitisme et la théocratie. La France semble condamnée à rester la dernière citadelle de l'esprit-prêtre qui fera d'elle une proie pour les césars. Il n'y a plus maintenant que deux grands partis en Europe. Si notre patrie embrasse définitivement celui du passé; pour se venger de ses défaites, elle s'expose aux pires dangers : elle n'échappe au sort de la Pologne, jadis nation aristocratique et catholique comme elle, que pour tomber dans le culot européen, dans le caput mortuum des civilisations progressives. Si elle choisit le parti de l'avenir, son devoir est d'envisager dès aujourd'hui sa réconciliations future avec l'Allemagne. La méditation des égorgements, le rêve contagieux des interminables représailles ne sont pas des pensées saines en face du futur allié nécessaire de notre raison."


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