Présents : Guy Rosa, Arnaud Laster, Philippe Andrès, Josette Acher, Rouschka Haglund, Vincent Wallez, Sylvie Vielledent, Anne Ubersfeld, Jean-Marc Hovasse, Delphine Gleizes, Maxime Del Fiol, Marguerite Delavalse, Sandrine Raffin, Véronique Charpentier, Junia Barreto, Claude Millet, David Charles, Gina Marie Trigian, Krishna Renou, Florence Codet, Juliette Pennequin, Stéphane Desvignes, Denis Sellem, Stéphane Mahuet, Sarah Jacquet, Than-Van Ton That.
Excusés : Myriam Roman, Jacques Seebacher, Jean-Pierre Vidal.
Marion de Lorme
Arnaud Laster offre des options pour Marion de Lorme au Théâtre
de la Ville pour le 20 janvier (60F étudiants, 70/90F autres) et
pour le Don Giovanni à l'Opéra Comique pour les 1er
et 3 mars (80F ou 200F). Les intéressés doivent rendre réponse
rapidement, avant le mardi 22.
Guy Rosa rappelle que les représentations parisiennes commencent
le 6 janvier et que, sauf empêchement, Eric Vigner, le metteur en
scène de cette Marion, sera l'invité du Groupe à
la séance du 23 février.
Claude Millet annonce une présentation-débat du spectacle
le 8 janvier à 18h au Théâtre de la Ville avec Bernard
Noël : confirmer sa venue auprès du théâtre
(01 42 74 22 77).
Le dossier pédagogique de Marion de Lorme laisse perplexes
Guy Rosa et Arnaud Laster, en particulier la bibliographie, datée
et lacunaire (pas d'édition Bouquins, sans doute trop récente).
Les Misérables, le film
On rappelle qu'il s'agit surtout de la poursuite de Javert et de l'histoire
d'amour entre Valjean et Fantine, avec une belle musique. Le film serait-il
tiré non pas des Misérables mais de la comédie
musicale de Broadway ? Toutes les adaptations privilégient
la première partie du roman, Fantine ; celle-ci ose
donner pour le texte la calomnie qu'il signale d'une liaison entre Valjean
et la mère de Cosette (preuve, s'il en fallait, que Hugo sait parfaitement
sur quelle déception des attentes il construit son intrigue). Le
film s'achève avant le livre : à la mort de Javert.
Bref un roman sentimental et un roman policier.
Joli anachronisme visuel : on montre au spectateur, promené
comme un touriste le long de la Seine, Notre-Dame (absente du livre) et
l'Hôtel de Ville actuel, avec long arrêt sur image (Jean-Marc
Hovasse).
Arnaud Laster remarque la beauté des scènes d'insurrection
de 1832, comme la violence et la récurrence des coups échangés,
depuis celui que reçoit Valjean de Javert au bagne (pas loin du
texte), à celui que Valjean donne à Myriel ( !). Javert,
particulièrement pervers, frappe Fantine. Les Thénardier
sont à peu près absents et on voit Gavroche une minute.
Anne Ubersfeld : Et Cosette ? Comment peut-elle exister sans les Thénardier ?
Seulement mignonne selon A. Laster, elle ne tient pas grande place dans
le film. G. Rosa attend l'adaptation qui montrera un épisode un
peu chaud entre elle et Javert.
Celle-ci multiplie des raccourcis et des ellipses narratives, rendant parfois
peu compréhensible l'enchaînement de l'intrigue si l'on n'a
pas lu le livre (J-M. Hovasse) : la scène d'arrivée
au couvent est traitée cavalièrement, de même pour
l'arrivée chez Myriel. On relève des incohérences :
Valjean apprend à lire quand il est maire, et des faiblesses d'interprétation ;
Marius est affligeant. Cependant le tout n'est jamais ennuyeux (A. Laster),
à cause, souligne A. Ubersfeld, de la grande force des situations
initiales.
J-M. Hovasse : La maison de la rue Plumet présente un luxe
invraisemblable et le décor rouge du salon est plus proche de Hauteville
House que de la description du roman. Même brouillage dans le personnage
de Valjean, rendu physiquement très ressemblant à l'image
du Hugo de l'exil, interprété par Liam Neeson.
Cl. Millet ouvre une parenthèse en rappelant un passage du livre
Le Temps, le désir et l'horreur : essais sur le XIXème
siècle (Champs Flammarion, 1998) où A. Corbin indique
la tendance des filles publiques à se donner le nom d'Eponine. C'était,
observe quelqu'un, " la préférée secrète "
de Hugo. Curieux effet de réception des Misérables.
Gautier n'y échappe pas quand il baptise ses chats " Eponine "
et " Gavroche ".
Notre-Dame de Paris, la comédie musicale
Déplorable ouverture du spectacle par une chanson intitulée
Le Temps des cathédrales ! Les
airs sont parfois réussis, dans le genre entêtant : Belle
chantée en trio ; les paroles sont d'une insigne pauvreté.
Que prouve le succès populaire (et mondial) de l'album qui fait
chantonner l'air de Belle aux ménagères françaises
et québécoises dans les supermarchés ? Peut-être
la puissance de la structure tres para una.
A. Laster précise que cela se joue à guichets fermés
jusqu'au départ en tournée : ensuite, retour au Palais
des Congrès ; bref, succès faramineux. Quant à
lui, plus rien de ne le surprendra : les adaptations de Notre-Dame
de Paris couvrent tous les cas de figure possibles des liens entre
Esméralda, Phébus, Gringoire et Quasimodo.
La Légende des Siècles à la Maison de la Poésie
Michel de Maulnes dit des extraits de la Légende des Siècles
: G. Rosa observe que le spectacle n'a rien d'indécent et " marche " ;
mieux aurait valu cependant ne pas juxtaposer des textes de la première
et de la deuxième série ; les coupures, parfois vraiment
excessives, rendent le dernier tiers du spectacle peu compréhensible.
A. Ubersfeld a depuis longtemps décidé de ne plus jamais
entendre M. de Maulnes : il piétine les alexandrins ;
G. Rosa lui reconnaît le mérite d'éviter la diction
à la Vitez. Claude Millet remarque que l'interprète a privilégié
les " petites épopées " ; il dit
pourtant Plein ciel mais sa juxtaposition avec la Trompette du
Jugement fait croire qu'il s'agit du même poème.
Une brève discussion rend ses douze syllabes au vers des Burgraves:
" Ton nom est Yorghi Spadacelli. Tu n'es " (2ème
partie, scène 6)
Ruy Blas, l'opéra
A. Laster rapporte un compte rendu de l'opéra de Marchetti (1869),
donné en ce moment en Italie. Le critique local trouve l'intrigue
" compliquée ", l'est-elle ? Oui, assez,
selon G. Rosa et A. Ubersfeld, en raison du triple jeu sur une double identité.
A remarquer que, dans cette adaptation, Don Salluste est tué en
duel : offense au texte qui lui-même rompt, explicitement, avec
la noblesse demandée aux meurtres par les conventions théâtrales
de l'époque et sans doute plus encore par celles de l'opéra.
Guy Rosa signale l'Histoire de la littérature française du XIXème siècle, Collection Références, Nathan, par Alain Vaillant et Philippe Régnier. Le chapitre sur Victor Hugo est d'une très grande qualité: synthèse remarquable de tous les travaux récents sur Hugo, il permet de mesurer le changement imprimé à la physionomie hugolienne depuis quinze ans. En ressort " un Hugo tout neuf ".
Promenade littéraire hugolienne
Dans le cadre des promenades littéraires organisées par la Bibliothèque Beaubourg, Arnaud Laster conduit une visite des sites hugoliens le 30 janvier, du Pont Neuf à la place des Victoires en passant par la place des Vosges. Le parcours suit celui des statues de La Révolution, avec détours (la rue de l'Homme-Armé, par exemple) et se conclut par la lecture d'un choix de textes.
Nouvelles universitaires
Guy Rosa annonce la soutenance de l'habilitation à diriger
des recherches de Claude Millet le 30 janvier prochain l'après-midi,
à Jussieu, salle des thèses, tour centrale, 7ème étage.
Anne Ubersfeld présente une doctorante américaine, Gina Marie
Trigian, dont les recherches portent sur les aspects de la mise en scène
chez Hugo et Dumas : elle précise elle-même que l'angle
d'attaque est la représentation de la violence.
Claude Millet signale l'article d'Evelyne Blewer sur les annotations de
Hugo à la première représentation des Burgraves
(Revue des Sciences et techniques). Elles prouvent que le public
s'attendait à tout de sa part, et au pire, en faisant parfois preuve
de la plus mauvaise foi du monde.
La chronologie Massin
Le tome cinq de la chronologie a été enregistré -4444 dates au total pour les 5 premiers volumes; la saisie continue. L'acquisition par la bibliothèque XIXème d'un graveur de CD-Rom et d'un serveur de réseau permettra la diffusion et la consultation " en ligne " de la chronologie, -outre celle des comptes rendus du Groupe qui est déjà en place- et d'autres services. Un poste informatique complet en libre service sera installé à la rentrée.
David Charles précise que la pièce de boulevard à laquelle il fait allusion et dont se souvient Vingtras est L'Auberge rouge, adaptation de la nouvelle de Balzac, L'Auberge de Peyrebeille ou le Coupe-Gorge. D'autre part, selon Vallès, Eugène Pottier aurait réussi là où Les Chansons des rues et des bois avaient échoué, en se débarrassant des métaphores et de la rhétorique.
A . Laster : Beauvallet se rabat sur Cinna -et
non sur Le Cid, parce que les pièces
qui montrent la clémence des rois ou des empereurs sont toujours
appréciées des gouvernements autoritaires. Dans Hernani,
le rebondissement final donne son vrai sens à la pièce :
si le dénouement avait été la clémence de Charles
Quint, elle aurait eu une fin en happy end, à la Cinna.
Par ailleurs, Journet disait que Vallès ne s'est jamais dégagé
de l'influence de Gustave Planche, dont il a été le secrétaire.
Il s'aperçoit assez tardivement de son parti-pris contre Hugo, et
admet, dans une lettre à Hector Malot, qu'il l'a mal jugé:
"j'ai blagué Hugo pour les plaintes d'exil, j'en fais chaque
fois mon mea culpa ! j'ai été bête, j'ai dû
paraître méchant ", et plus loin, " Je
ne connais que lui qui, jusqu'aux années proches de la tombe, soit
resté avec les exilés et les maudits " (cité
dans Pleins feux sur Victor Hugo, Arnaud Laster, Comédie-française,
1981, p. 325).
D. Charles : C'est la critique de Quatrevingt-treize qui change
la relation de Vallès à Hugo.
Laster : A cette époque, Vallès écrivait dans
Le Figaro, déjà orienté à droite (" plutôt
" centriste " corrige A. Ubersfeld) : sa position était
difficile. D'autant plus qu'il n'était pas aisé aux générations
suivantes de se démarquer de Hugo et de se faire une place. Enfin,
bon nombre de ces écrivains ne croyaient pas à la sincérité
de Hugo.
A. Ubersfeld : L'idée que Hugo bouchait l'horizon est un mythe :
au Second Empire, on assiste à un grand épanouissement de
la poésie, qui n'est pas hostile à Hugo mais explore d'autres
domaines. Vallès, prosateur, doit se situer surtout par rapport
à Balzac et Flaubert.
D. Charles: Vallès critique Hugo, qu'il appelle le " superbe
monstre ", en des termes très hugoliens.
J-M. Hovasse : Pourquoi Vallès exécute-t-il particulièrement
les poèmes de l'exil ? Il ne sauve que ceux d'avant l'exil
comme le fait Verlaine en 1895 et, surtout, le bord politique opposé :
Barbey d'Aurevilly,
D. Charles : Vallès déclare que Hugo aurait dû
s'arrêter aux Châtiments. L'explication est moins à
chercher du côté de l'esthétique que de la politique
et de l'idéologie : faire une critique de Hugo depuis la gauche
à la fin du XIXème siècle pose de grandes difficultés.
La génération de février 1848 a trahi ensuite en réprimant
juin : on confond Hugo et Jules Simon.
G. Rosa : Dans ce cas, Vallès devrait s'arrêter au Rhin,
sans aller jusqu'aux Châtiments.
A. Laster : Si Vallès refuse ce type de poésie, c'est
à cause de son goût classique (de sa formation précise
D. Charles) qui devient réalisme puis anti-romantisme fondamental,
à la recherche d'une rhétorique neuve.
A. Ubersfeld : En fait, les républicains de l'époque
reprochent à Hugo d'avoir tout dit et mieux : ils sont maintenant
obligés de répéter. Aujourd'hui l'anti-hugolisme est
un véritable anti-romantisme. Et le théâtre hugolien
est refusé par l'élite mais accepté par le grand public.
A. Laster : Vallès veut une littérature réaliste
et Balzac est un précurseur pour lui, par son utilisation d'une
prose nerveuse dépouillée des oripeaux de la rhétorique.
S'imaginant que Hugo est son contraire, il doit abattre la statue d'une
figure devenue déjà mythique et dont la sincérité
est mise en doute, en particulier par Planche (comment un Pair de France
peut-il se rallier à la République ?).
D. Charles : Vallès a utilisé beaucoup d'éléments
de la conférence de Hugo sur Balzac (en 1850) : il en faisait
un " révolutionnaire à son insu ".
A. Laster : L'hugophobie d'extrême gauche a existé, même
si elle est minoritaire : Lafargue est plus bassement biographique
quand Vallès se veut plus littéraire, et idéologique.
Cl. Millet : La promesse de Rimbaud " Ô justes nous
chierons dans vos ventres de grès " est directement adressée
à Hugo.
A. Laster : Il s'agit d'une hypothèse récente, le texte
n'est pas explicite.
Cl. Millet : Oui, c'est une idée de Steve Murphy dans Rimbaud
et la ménagerie impériale (CNRS/Presses universitaires
de Lyon, 1991), parfois peu exact, mais l'effet de lecture du texte de
Rimbaud est évident.
J-M. Hovasse : Est-ce que Vallès a critiqué L'Année
terrible ? Etait-il encore hugophobe ?
A. Laster : Sans doute non (confirmé par D. Charles). A ce
moment-là, au moment où Hugo se battait pour l'amnistie des
communards, il était lui-même en exil en Angleterre. Il est
fort possible que L'Année terrible ait commencé à
le faire évoluer.
Cl. Millet : La réception de L'Année terrible
serait très intéressante à étudier (comme
celle de toutes les _uvres poétiques hugoliennes, souvent ignorées -
A. Laster) : les réactions ne sont pas toujours celles qu'on attendait.
A. Laster : Il est symptomatique que Quatrevingt-treize
ait été compris comme un appel à l'amnistie des communards,
à l'inverse de ce qu'ont voulu en faire Barbey d'Aurevilly et autres :
ils ont lu ce roman comme un retour de Hugo à ses admirations de
jeunesse.
G. Rosa : Ils font semblant. Clémenceau, dans un discours à
l'Assemblée sur l'amnistie des communards, la compare à celle
accordée aux Vendéens : cette comparaison est, à
l'époque, un lieu commun.
A. Laster : Le parallèle était donc parfaitement compréhensible ;
pourtant, même aujourd'hui, beaucoup de critiques de Quatrevingt-treize
ignorent sa dimension de plaidoyer pour la Commune.
G. Rosa : A ceci près que la comparaison était à
double tranchant pour les communards : astucieuse tactiquement, elle
peut aussi leur être, sur le fond, défavorable. Clémenceau
ni Hugo n'approuvent les Vendéens, ni les Communards.
A. Ubersfeld : Hugo est hostile aux thèses de la Commune et
lui reproche son inopportunité comme la médiocrité
des hommes qui la conduisent.
Cl. Millet : Il est contre la Commune surtout parce qu'elle relève
volontairement de la lutte des classes, idée qu'il dénie.
A. Laster : Pour Journet, Hugo est conscient de la lutte des classes :elle
est inévitable et mène à une révolution sanglante.
Cl. Millet : La visée politique de Hugo est de résorber
la lutte des classes pour parvenir à l'unité : chez
lui, l'histoire comme conflit s'oppose à l'histoire comme fondement
de l'unité. Il veut construire le peuple, la France, l'humanité.
A. Laster : La France est déjà dépassée
par l'Europe puis par la République universelle.
Cl. Millet : Mais la guerre contre l'Allemagne est en réalité
une guerre nationale.
G. Rosa : Claude Millet a raison : l'idée d'une histoire
animée par la lutte des classes est, aux yeux de Hugo, épouvantable,
non seulement parce que l'histoire n'aurait plus de sens mais aussi parce
que cela consacrerait irrémédiablement l'écrasement
du plus faible : pour l'heure du pauvre, du misérable. Comme
on l'a déjà vu en 48 et 71. L'idée hugolienne de progrès
n'est pas compatible avec celle de la lutte des classes qui, à l'époque,
est une idée " de droite ", exception faite
de la toute petite frange marxiste qui la réconcilie avec l'idée
de progrès par la médiation d'un prolétariat conçu
comme figure anticipée de l'universalité. Le mouvement de
l'histoire globale, pour Hugo, tend vers une plus grande unité de
la communauté, mais elle est à faire : si Hugo est en
cela un homme du consensus, il est, en politique, un homme du combat.
Cl. Millet : Hugo écrit dans " Fonction de l'Enfant "
(La Légende des Siècles) que la conscience de chaque
individu, réveillée par le tiers exclu qu'est l'enfant, produit
à terme une unité entre les hommes. Son intervention est
nécessaire pour sortir de la guerre civile, c'est-à-dire
de l'abominable. Il ne faut pas caricaturer la position unitaire de Hugo
en position sentimentale.
A. Laster : Les sentiments d'amour et de révolte, même
contradictoires, sont sans cesse mêlés chez Hugo. Comme l'a
dit A. Ubersfeld, la République universelle ne peut se réaliser
sans aléas, à cause de l'Allemagne et de l'Alsace-Lorraine.
G. Rosa : La guerre de revanche est certaine ; il faut
seulement éviter de perdre une seconde fois.
A. Laster : Mais sa perspective politique n'est pas nationaliste.
A. Ubersfeld : Au XIXème siècle, la contradiction entre
sentiment national et universalisme n'existe pas.
A. Laster : Vers 1880-1890, on voit des hyper nationalistes français
anti-révolutionnaires . Sous Napoléon III, Hugo est
contre la guerre, mais sous la République, il est contre l'Empire
que représente l'Allemagne.
G. Rosa : Il me semble qu'après l'exil Hugo abandonne largement
sa position philosophique et messianique. Les travaux de Cl. Millet sur
La Légende des Siècles l'ont
montré. Pour différentes raisons dont l'une est qu'il
ne bénéficie plus de l'" exotopie de l'énonciation",
comme dit D. Charles. Ses choix politiques et esthétiques sont " réalistes ".
Cl. Millet : Au début de L'Art d'être grand-père,
il se déclare " exilé satisfait ".
G. Rosa : Cette notation va dans le même sens : ses perspectives
politiques sont plus limitées.
Cl. Millet : Le magisme de Hugo est sans doute une des raisons de
l'hostilité de Vallès à son égard : voilà
où ont mené ses prophéties, quand lui, Vallès,
menait un combat au jour le jour. Le genre de combat n'est à nouveau
présent chez Hugo qu'à partir de L'Année terrible
et de Quatrevingt-treize.
A. Laster : On peut mieux comprendre Vallès si on le compare
à Zola (tous deux critiquent le romantisme de la même façon) :
le premier se rallie à Hugo au moment de la défense des communards
quand le deuxième, absolument contre la Commune, continue à
haïr Hugo jusqu'à sa mort. Dans un de ses manuscrits, Hugo
affirme qu'il faut s'appuyer sur l'Internationale (la majuscule est dans
le texte) : en 1877-1878, il est un homme d'extrême gauche.
G. Rosa et Cl. Millet proposent de nuancer : à cette époque,
il est parlementaire (aucun n'est " socialiste "),
et qui plus est, au Sénat. Il a été élu sénateur
au suffrage indirect en 1876 : Gambetta a fabriqué son élection,
abandonnant pour lui Louis Blanc. S'ensuivit une brouille entre les deux
amis.
A. Laster : Gambetta était hugolâtre : Sarah Bernhardt
raconte qu'il citait Hugo par c_ur.
G. Rosa : Il rendait souvent visite à Hugo, dont la position
politique est typiquement gambettiste, à la jonction entre les républicains
modérés (Ferry, Grévy, Simon) et les radicaux (Clémenceau).
Aucun n'est favorable à la Commune, mais, après quelques
tergiversations, Gambetta finit par se rallier à l'amnistie pour
éviter que les ouvriers des grandes villes ne " décrochent "
de la République. La grande idée de Gambetta est l'appel
aux " couches nouvelles ", entre bourgeoisie et prolétariat.
Sorte de Jospin si Rocard était un Ferry, il recherche les points
de contact possibles avec l'extrême gauche, sans entrer en conflit
avec les conservateurs ex-orléanistes. C'est sans doute lui qui
obtient de Hugo la poignée de main publique à Thiers, juste
avant l'élection sénatoriale. Enfin c'est Gambetta qui avait
conduit la poursuite de la guerre, pendant et après le siège
(Hugo, à Bordeaux, ne vote pas la paix et démissionne). Gambetta
meurt cependant trop tôt pour que sa ligne politique puisse l'emporter.
J. Acher : A la fin de l'exil, Hugo fut invité en Suisse par
la Ligue pour la Paix. Il accepta l'invitation mais se trompa en préparant
son discours, qu'il destina à un autre congrès dans le même
pays, celui des Travailleurs : son discours conserve des traces de
ce brouillage.
D. Charles : Vallès dit également beaucoup de mal de
Gambetta.
G. Rosa : Il est absolument nécessaire de nuancer les orientations
à gauche à la fin du siècle : la Troisième
République est loin d'être un bloc, elle n'est pas non plus
uniquement celle de Ferry. Les différences étaient perçues
très distinctement à l'époque.
A. Laster : Il serait intéressant d'étudier les rapports
entre Hugo et le journal Le Rappel et sa politique.
G. Rosa : Le Rappel me semble avoir beaucoup plus d'autonomie
que L'événement vis-à-vis
de Hugo. Créé en 1868, il participe à la ligne de
conduite des républicains de l'intérieur sous le Second Empire :
sa position est, par nature, complètement différente de celle
de Hugo.
A. Laster : Je voulais parler du Rappel d'après l'exil,
quand il est sous la direction de Vacquerie, au moment où Hugo rentre
à Paris. Vacquerie se réfère alors à Hugo.
Le Rappel est plus pro-communard qu'on ne pourrait le croire, et
le simple fait d'y associer Hugo le classe politiquement. Cette étude
du Rappel permettrait d'approcher la position de Hugo.
G. Rosa : Attention à ne pas superposer juin 1848 et
la Commune : plusieurs travaux d'historiens tout récents tendent
à montrer que juin 1848 n'a pas été perçu comme
une guerre des classes à gauche mais bien à droite. Un signe :
les élections n'ont pas été désertées
après juin comme elles l'ont été, plusieurs années,
après la Commune. Le drame a lieu en 1849, 1850 et 1851, moment
où la bourgeoisie, après la guerre des classes armée
qu'elle a provoquée, la continue politiquement contre des couches
populaires qui ne l'acceptent pas : on est loin de la logique de la
lutte des classes.
A. Laster : En 1848, on pouvait légitimement prendre les armes
contre l'insurrection.
G. Rosa : Il est même étonnant, compte tenu de sa sévérité
envers juin 48, que Hugo ne se soit pas opposé plus violemment à
la Commune. La raison la meilleure en est sans doute son expérience
de 1848 : une fois de plus, il s'agissait d'une provocation visible
et conduite par les mêmes (dont Thiers). Il fut autant pour la Commune
qu'il pouvait l'être.
A. Laster : La Commune demandait la séparation de l'Eglise
et de l'Etat.
G . Rosa : Elle était demandée par Lamartine depuis
1834.
A. Ubersfeld : Toute l'affaire n'est pas juin 48, mais mai 1849. C'est
le moment de la révolte prolétarienne : une des raisons
de la réussite du coup d'Etat de 1851 est la peur de la bourgeoisie
qui en découla. Cette révolte, noyée dans le sang,
est loin d'être un événement mineur.
G. Rosa : On ne peut pas dire cela ; c'est une circonstance très
secondaire -et d'ailleurs une provocation grossière.
Cl. Millet : Il y avait eu 1832 et 1834, l'histoire se répète.
G. Rosa : Oui, et Hugo a une bonne raison de s'opposer aux insurrections
: il a pu observer que -1830 compris- la réaction finissait toujours
par l'emporter et qu'il n'y avait aucun progrès.
Cl. Millet : La presse d'après la Commune montre la société
française en proie à une haine terrible (on en trouve des
traces dans les écrits de Lucile Le Verrier).
A. Laster : Hugo a de la compréhension pour cette haine
et les Goncourt notent qu'il parlait à l'époque " avec
une surexcitation de prolétaire ".
Cl. Millet : Hugo s'identifie toujours à la victime.
Denis Sellem : Défenseur des hommes à terre, il met
surtout en garde contre les dangers d'une querelle intestine quand la guerre
est à nos portes.
A. Laster : La question se pose à nouveau en 1940 : est-ce
du patriotisme ou de l'anti-fascisme ?
G. Rosa : C'est une question sérieuse que la République
soit liée immédiatement à la défaite.
Cl. Millet : J'ai toujours été intriguée par
la question de la distribution des animaux du jardin des Plantes :
qui a eu droit à manger la girafe mythique ? Sûrement
les gens avec des appuis. Aux uns les arts, aux autres la girafe.
G. Rosa : Hugo dit " On mange de l'inconnu ".
Cl. Millet : On voit que le projet de travail collectif sur
le vieil Hugo resurgit de temps en temps.
G. Rosa : C'est bien la question de l'exil qui sépare puis
réunit Hugo et Vallès : Vallès ne reproche rien
à la poésie hugolienne jusqu'aux Châtiments.
La réconciliation a lieu lorsque les rôles sont inversés
-Vallès à Londres Hugo à Bordeaux-, puis semblables :
Hugo à Bruxelles, Vianden, Guernesey.
A. Laster : Qui dit que Vallès aime la poésie d'avant
l'exil ? Planche ne devait pas l'apprécier.
D. Charles : Cette affirmation est très commune à l'époque.
En revanche, Vallès aime Les Châtiments et il les cite
pour la première fois dans son texte sur Eugène Pottier en
1881.
A. Laster : Vallès inclut Les Misérables et Les
Contemplations dans sa liste, ce n'est pas le cas de Flaubert qui adore
La Légende des Siècles, mais pas Les Misérables.
Barbey d'Aurevilly n'aime rien sauf les Chansons des rues et
des bois.
A. Ubersfeld : Vallès a également des raisons politiques,
comme Planche, qui est libéral, contrairement à ce qu'on
imagine.
Prochaines séances
Le 23 janvier, communication de Florence Naugrette sur les coups
de théâtre chez Hugo.
En février, intervention d'Eric Vigner, metteur en scène
de Marion de Lorme.
Voeux
Nous transmettons -et retournons- les voeux de notre collègue
de Canton, Cheng Zenghou.
Joyeux Noël et bonne année à tous.
Sandrine Raffin
Equipe "Littérature
et civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université
Paris 7, 2 place Jussieu, 75005 Tél : 01 44 27 69 81.
Responsable de l'équipe : Guy
Rosa.