GROUPE HUGO


 

SEANCE DU 17 octobre 1998

 

Présents : Guy Rosa, David Charles, Florence Naugrette, Arnaud Laster, Bernard Degout, Philippe Andrès, Jacques Seebacher, Stéphane Mahuet, Franck Laurent, Bertrand Abraham, Josette Acher, Rouschka Haglund, Myriam Roman, Vincent Wallez, Corine Seror, Sylvie Vielledent, Anne Ubersfeld, Jean-Marc Hovasse, Delphine Gleizes, Valérie Presselin, Stéphane Desvignes, Krishnâ Renou, Maxime Del Fiol, Marguerite Delavalse, Florence Codet, Sylviane Robardey-Eppstein, Sandrine Raffin, Juliette Pennequin, Hélène Labbe, Marie Tapié.

Excusée : Ludmila Wurtz.


Informations

Nouvelles éditoriales et universitaires

Guy Rosa, après avoir rappelé le thème des recherches de Maxime Del Fiol, qui portent sur le modèle de l'orateur révolutionnaire, ouvre la séance en annonçant la publication chez Hachette (Classiques) des Châtiments, annotés par Chantal de Biasi, et, sur une information donnée par Mme Robardey-Eppstein, l'existence d'une thèse américaine sur le Théâtre en liberté, complétée ou résumée dans deux articles du même auteur, " Melodrama and Hugo's Mille francs de récompense " et " Victor Hugo's prophetic voice in Torquemada ".

Il fait part de la correspondance de Mme Sylvie Jeanneret, de l'université de Saint-Gall en Suisse, dont le sujet de la thèse d'habilitation porte sur le rôle de la parole dans les romans de Hugo.

 

Arnaud Laster annonce la publication au Luxembourg des actes du colloque Le théâtre dans le théâtre et rappelle l'importance, à propos du regard et de l'intensité du regard chez Hugo, du livre de Mabilleau, Victor Hugo, essai sur son oeuvre.

 

A propos du théâtre en général et de Marion de Lorme en particulier

Eric Vigner, metteur en scène de Marion de Lorme au Théâtre de la Ville du 6 au 30 janvier 1999, accepte de parler de son travail au groupe Hugo. Guy Rosa propose de l'inviter en février, après les représentations de janvier; le groupe semble donner son assentiment. La critique du Monde (11 et 12 octobre 98, p. 26) de la première de la pièce à Lorient, signée Jean-Louis Perrier et très élogieuse, laisse perplexes Anne Ubersfeld et Arnaud Laster. Guy Rosa signale que la brochure-programme éditée à cette occasion contient des textes de Henri Meschonnic, Anne Ubersfeld, Jean Maurel et lui-même. Il se laisse aller à un mouvement d'autosatisfaction publique en remarquant que le titre qu'il a donné à cette brève intervention " Marion de Lorme, un coup d'état théâtral ", reprenait, involontairement, celui de l'article du Globe consacré à la censure de la pièce et au refus de Hugo d'en échanger l'acceptation contre une pension et un poste: "Un coup d'état littéraire".

 

Arnaud Laster appelle à ceux qui l'auraient oublié (ou jamais su) que Hugo écrit " Marion de Lorme " : en trois mots.

 

Anne Ubersfeld revient sur la pièce : elle est le premier plaidoyer contre la peine de mort au théâtre : si Cromwell met en scène la mort du roi, Marion de Lorme évoque, avec violence, la mort par décision de justice.
Arnaud Laster pose la question - qui reste en suspens : aucun des présents n'est allé voir la comédie musicale de Plamondon et Cocciante, en ce moment au Palais des Congrès. A. Laster envisage de créer un ou une attaché(e) de presse pour le groupe, qui pourrait obtenir des places pour les différentes adaptations et reprises.
Anne Ubersfeld rappelle qu'au XIXème les motifs de la censure sont rarement avoués ; si bien qu'il n'est pas toujours aisé de savoir s'ils sont plutôt de mours que politiques.
Elle observe que, si l'on considère à long terme l'histoire du théâtre, les grands dramaturges se comptent sur les doigts d'une main par siècle, à la différence des poètes ou des romanciers. Arnaud Laster se rebiffe ; on s'interroge sur le sort de Voltaire, dont un mètre linéaire de tragédies, tout en haut des rayons, contemple les présents.

Où l'on parle de la chronologie Massin

La saisie informatique du troisième tome est achevée. Le tirage distribué des deux premiers provoque deux remarques d'A. Laster ( la date de la mort de Napoléon n'est pas la même dans la chronologie Massin et dans celle de la Correspondance ; faut-il signaler que la date de la naissance d'Adèle II est celle de l'anniversaire de la Saint-Barthélémy, le 24 août ? ). Un éventuel examen en séance des corrections à apporter est reporté.

Nouvelles musicales

Arnaud Laster annonce la sortie (le 1er novembre) sur CD d'un opéra de Giovani Pacini, Maria Regina d'Inghiltera, inspiré de Marie Tudor, et souligne l'importance et le succès d'un autre opéra, de Ponchielli , La Gioconda, tiré d'Angelo de Padoue, dont le grand air est bien connu. Ponchielli a également composé un Marion De Lorme, très bel opéra selon les historiens de la musique.

 

Rectificatif au compte-rendu de juin
Sylviane Robardey-Eppstein rectifie la réponse qu'on lui avait attribuée et qui est contraire à sa pensée, à propos de la figure de l'artiste: le discours méta-théâtral change effectivement la perception du grotesque. Franck Laurent complète cette intervention en affirmant que chez Hugo on ne trouve pas de représentation telle quelle du génie artistique, comme dans Chatterton, même si tous les personnages importants en sont des représentations à différents degrés. Un tel choix est étonnant compte tenu du contexte historique et littéraire.


Communication de Anne Ubersfeld, " Les manuscrits de théâtre de Victor Hugo " (voir texte ci-joint).


Discussions et interventions pendant et après la communication

Dates et datations

Jacques Seebacher précise que les dates les plus fréquemment inscrites en marge des manuscrits sont des dates symboliques : premiers du mois, fêtes, anniversaires. Il rappelle que la reconstitution jour par jour du calendrier de rédaction vaut autant pour le roman que pour le théâtre -même si le travail n'a été fait que pour Notre-Dame de Paris. En poésie, pas de tirets de rédaction quotidienne, mais la connaissance de la genèse des recueils peut s'appuyer sur plusieurs comptes de vers successifs (pas toujours justes, ce qui complique un peu les choses). Pour les romans, les paginations sont très utiles mais difficiles à manier : non seulement le système de pagination est parfois étrange (Hugo pagine souvent par séries de lettres : ABCD, puis AA, AB, AC, etc. et les intercalations sont encore plus déconcertantes : A', B' ou A1, B1, et donc AA' AB' ou AA1, AB1) mais les corrections sont souvent faites en surcharge et peu repérables à un oil innocent ( I transformé en J). L'identification du papier, enfin, est un élément important pour la datation - " était " serait plus juste dans certains cas puisque les films collés par les techniciens de la BN sur certains manuscrits menaçant ruine oblitèrent la couleur, le grain, certains caractères de transparence.

 

Mise au net ou manuscrit de travail ? Ecriture théâtrale, écriture romanesque

Franck Laurent se demande si l'écriture de Cromwell est programmatique, donc plus difficile, et moins spontanée : pour Anne Ubersfeld, elle est du même type que les autres pièces. Entre celles en vers et celles en prose la différence est infime, la prose nécessitant peut-être moins de corrections.
Jacques Seebacher est plus dubitatif qu'Annie Ubersfeld sur la nature même des manuscrits dont on dispose. Il tient pour très probable que les manuscrits dont on dispose ne soient qu'une mise au net à partir de brouillons détruits. La mise au net est quotidienne -et cela confirme l'intensité de l'écriture hugolienne, la force et l'énergie de la pensée comme de la rédaction- mais c'en est bien une : impossible de penser que les manuscrits enregistrent le premier jet. Or quelques unes de ces feuilles de brouillons ont été conservées (pour les romans): elles sont d'une écriture très rapide, difficile à déchiffrer, et le support est des plus aléatoires (des bandes d'abonnement à La Presse, par exemple). Il est vrai que ces feuilles sont très peu nombreuses ; mais cela s'explique par leur destruction -on sait que Hugo brûle du papier ou en jette à la corbeille- plus vraisemblablement que par l'inhomogénéité des processus, certaines pages demandant brouillon et d'autres non.
Guy Rosa souligne la nécessité de définir les termes de la discussion. " Brouillon " peut désigner une première rédaction complète ou des essais de phrases disjointes. Les brouillons connus relèvent nettement de la seconde catégories : on n'y voit aucune rédaction suivie mais, sur des pages entières ou dans des coins libres, des morceaux de phrases, souvent répétés trois ou quatre fois, pratiquement à l'identique et sans raison décelable. Doit-on appeler cela " brouillon " ou, comme le disent les spécialistes de l'ITEM, " main courante " ? Toujours est-il que, dans ces conditions, la " mise au net " n'est pas un simple recopiage, sans que l'on puisse dire non plus que Hugo écrit d'un seul jet.
A. Ubersfeld maintient sa position. Pour le théâtre, il n'existe aucun brouillon. On peut toujours imaginer qu'il en a existé mais la règle épistémologique de l'économie d'hypothèse s'y oppose. Jusqu'à preuve du contraire -mais il faut apporter cette preuve- Hugo conçoit son texte, sans l'écrire, pour pouvoir l'écrire sans brouillons.
Franck Laurent suggère qu'il s'agit d'une différence de mode d'écriture entre théâtre, spontanée, et roman, mûrie (que l'on considère le travail effectué sur Bug-Jargal ou Les Misérables). Elle tient, avec assez de vraisemblance, à la différence des genres : tout va vite au théâtre et se résout rapidement ; le roman s'étire sur des années. L'écriture théâtrale mime les effets qu'elle doit produire (G. Rosa).
Mais, observe J. Seebacher, la même intensité d'écriture est commune aux deux genres.
Arnaud Laster en tient pour des manuscrits de mise au net : René Journet refusait l'hypothèse du fil de la plume pour l'écriture poétique et affirme à plusieurs reprises que Hugo faisait souvent des brouillons préalables, selon un mode de composition presque mallarméen, où un noyau atomique de mots se développe peu à peu sur la page. Dans les romans mêmes, on peut en voir un exemple, ajoute J. Seebacher : le manuscrit de Notre-Dame de Paris comporte, au milieu d'un plan primitif bien établi datant du deuxième semestre 1830, des passages entiers rédigés directement, comme par exemple un dialogue entre Frollo et Esmeralda, repris ensuite intégralement.
Delphine Gleizes -dont c'est le métier, précise G. Rosa, puisqu'elle étudie la genèse des Travailleurs de la mer- fait observer que, dans ce roman, la donnée première de l'écriture apparaît souvent sous forme dialoguée, plus généralement " parlée ". Cette écriture romanesque est hautement théâtrale : dans les paperolles prédominent fragments de dialogue et données langagières telles quelles, qui concentrent une formidable puissance de scénario. L'écriture peut alors être mise au net sans chaînon manquant. Quant au débat en cours, on peut rappeler la formule de Hugo recommandant aux poètes de raturer peu : " faites des ratures dans votre cerveau ".
Guy Rosa jubile d'être en présence d'un " mélange des genres " spontané et génétique : le théâtre finit par s'écrire sous forme de roman (dans les didascalies) et le roman s'écrit d'abord comme du théâtre, en dialogues. Jacques Seebacher renchérit en constatant combien l'écriture romanesque croise l'écriture poétique, elle-même à l'origine de la philosophie....
Arnaud Laster, ouvrant le Grand Dictionnaire universel du XIXème de Larousse, précise qu'à l'époque " scénario " signifie " Théâtre. Mise en scène " . Pour l'adaptation en opéra de Notre-Dame de Paris, Esmeralda, Hugo a écrit un scénario très détaillé, presque contemporain de la fin de l'écriture du roman. Se serait-il produit des interférences entre les deux écritures ?
Franck Laurent met en garde contre les implicites idéologiques qui opposent une écriture de premier jet (impétuosité géniale aux yeux des uns, intempérance voire incontinence regrettable pour les autres) à la mise au net de brouillons (l'art..., besogne...).

 

Le problème des didascalies et de la mise en scène

Florence Naugrette s'interroge sur la fidélité de la mise en scène par rapport aux indications programmées dans l'écriture du texte : décor, mouvement et interprétation. Il semble que les précisions sur le jeu des comédiens prennent place avant même les répétitions, car l'encre et l'écriture sont les mêmes sur les manuscrits.
Mais cela, poursuite A. Ubersfeld, ne signifie pas que l'écriture théâtrale de Hugo ne soit pas dépendante de la représentation. C'est même sa limite et, plus généralement, l'une des difficultés du drame romantique est d'avoir été écrit à une époque qui le contrariait. Drame de l'histoire, le drame romantique ne met pas exclusivement en scène la sphère du pouvoir, mais offre des ouvertures sur des milieux divers, des classes sociales différentes. Cela selon un modèle romanesque -par accumulation des objets- et non selon le modèle shakespearien, qui représente directement la structure abstraite des conflits. De là des problèmes de dramaturgie : Cromwell a une structure simple mais des lieux et un personnel trop nombreux. Or leur résolution est entravée par l'esthétique scénique du XIXème siècle. Décorativiste (sans sens péjoratif), elle nécessite des décors somptueux, des détails de costume, quantité de précisions sur les mours, us, coutumes, etc. Et la force du drame tend à se perdre dans l'anecdote, le significatif dans l'exact. Les didascalies du théâtre de Hugo ne font pas sa valeur -loin de là ; leur respect aujourd'hui lui porterait tort.
A. Laster n'en convient pas. Il rappelle que Hugo voulait, pour ses drames, " s'associer la fascination de l'opéra ". Ni les éléments du décor ni les didascalies qui s'y rapportent ne sont superflus : au contraire, ils sont signifiants. La description de la maison secrète dans Ruy Blas, d'un goût semi-flamand de l'époque Philippe IV, rappelle l'alliance ancienne entre l'Espagne et les Pays-Bas. L'imprégnation du passé et de la succession des générations précédentes est d'abord présente dans le décor (J. Acher) avant d'être l'un des thèmes essentiels de l'intrigue.
Il n'empêche, répond A. Ubersfeld, que la pièce romantique la plus jouée et la plus accessible est Lorenzaccio, celle précisément qui est écrite dans une indifférence aux conditions contemporaines de la représentation telle que le lieu de l'action change exactement à chaque scène. Hugo écrit selon les critères du théâtre de son temps -du moins jusqu'à ce qu'il y renonce avec Les Burgraves-, et il est non seulement possible mais nécessaire de ne pas en tenir compte : la résurrection de Hugo au théâtre ne date que du plateau nu de Vilar.
Au reste, ajoute S. Robardey-Eppstein, les didascalies hugoliennes sont, la plupart du temps, symboliques -comme le montre un article de Thomasseau. Elles peuvent ne pas être suivies : elles étaient pour une époque et témoignent de son esprit, en s'offrant aujourd'hui à la créativité et à l'énergie des décorateurs (F. Naugrette). Finalement, metteurs en scène et critiques peuvent-ils trancher en érigeant le texte comme ouvre éternelle, parfaite et intouchable, et les didascalies et autres indications de costume comme des accidents pris dans l'histoire? Mais tout est daté, ensemble (A. Laster).
Etablir un texte est une chose, jouer une pièce une autre. Hugo lui-même fait confiance au talent des directeurs de théâtre et à leur goût au point de les autoriser à couper son texte (G. Rosa).

 

De l'utilité de la censure

Les rapports de censure sur Marion de Lorme et Hernani existent, comme sur la Esmeralda (F. Laurent). Pour Angelo, tyran de Padoue et pour Ruy Blas, Hugo a refusé de transmettre les textes : mais les directeurs de théâtre l'ont fait à sa place.

 

Des dénouements incertains
Il paraît étonnant à Guy Rosa et Anne Ubersfeld que, dans son théâtre, Hugo, hésite sur ce lieu littéraire décisif qu'est la fin : pour plusieurs pièces, il offre un dénouement au choix des distributeurs : Marie Tudor, Marion De Lorme, Mangeront-ils et même, plus surprenant encore pour Lucrèce Borgia.
A. Laster s'en étonne moins : la dramaturgie de Hugo ne préjuge pas du dénouement parce qu' il écrit des drames, genre où l'issue est incertaine parce qu'elle est ouverte, à la différence de la tragédie qui présuppose une fin tragique et du mélodrame qui appelle une fin heureuse.
Pour A. Ubersfeld, l'hésitation de Hugo tient au désaccord entre sa pensée essentiellement pessimiste et la pression du public ou de ses représentants ; les fins " adoucies " sont toujours demandées ou imposées à Hugo de l'extérieur : Juliette, par exemple, pour qui il change la fin de Marie Tudor.
A. Laster : Pour le Théâtre en liberté, il reste des variantes, même si Journet a opté pour une édition particulière.
D'autre part, l'inachèvement des Jumeaux peut obéir à différents schémas explicatifs, sans concurrence et sans épuisement du sens, que proposent Franck Laurent, Arnaud Laster et Anne Ubersfeld. Pour cette dernière, Hugo n'est pas supposé écrire la mort ou le sacrifice au nom de la raison d'Etat ; pour A. Laster , cette mise en écrit est surtout impossible à cause de la mort du frère réel, Eugène. La solution de F. Laurent est différente : Hugo commence sa pièce en peignant le tableau de la grandeur de la France en Europe tandis que la fin montre la déliquescence de la société française. Il est alors impossible pour lui de substituer aux questions sociales les questions européennes.
G. Rosa ne croit pas que l'indétermination des dénouements, phénomène structurel important (imagine-t-on une fin heureuse aux Misérables ou au Dernier Jour ?), puisse avoir une autre explication que structurelle et il en propose une  dans les identifications contradictoires que le théâtre de Hugo inflige au spectateur. Le thème de son théâtre, c'est bien connu, est la destruction de l'individu (individualité ou âme) par un système politique ou une organisation sociale. Le spectateur est invité à s'identifier à cette âme malheureuse, dont la situation image la sienne propre. En cela, Hugo ne diffère pas de Dumas ou de Vigny. Mais lui tient compte du fait qu'on assiste au théâtre en communauté, en tant que groupe. La salle est une communauté, un corps social avec ses règles, celles du costume par exemple, ses inégalités ordonnées, etc. Si bien que, du moins lorsque l'auteur s'en donne la peine (par le grotesque par exemple qui enregistre et produit la division de la conscience spectatrice, mais aussi bien en incarnant la puissance sociale dans des personnages chers à la salle : Richelieu ou François Ier), le spectateur se voit partagé entre ces deux identifications, entre le héros souffrant qui représente son moi, en butte à l'écrasement du groupe, et les autres spectateurs, corps social opprimant. Lui-même à la fois individu et société, le spectateur du théâtre de Hugo, subit bien pire que ce que l'auteur fait subir au héros parce qu'il est son propre bourreau.  La salle voudrait sauver le héros, et c'est bien elle, pourtant, qui l'écrase. Dans un dénouement, elle le sauve, dans l'autre, elle l'écrase. C'est d'ailleurs peut-être aussi la raison pour laquelle voir un spectacle de Hugo n'est pas une expérience très agréable. Le spectateur est dans une position grotesque. On ne se paie pas sa tête mais son bon cour.
A. Laster : Mais il ne faut pas oublier que Hugo veut également faire plaisir au spectateur, l'émouvoir ou susciter de la compassion dans cette identification même.
La raison fondamentale pour laquelle les dénouements des pièces de Hugo sont incertains tient, selon A. Ubersfeld, dans ce " quelque chose de dostoïevskien " qui caractérise le théâtre hugolien Le spectateur, comme l'auteur, ignore toujours de quel côté va tourner la pièce, et finalement de quoi l'être humain va être capable. La dramaturgie de Hugo n'est pas seulement une dramaturgie de la liberté, mais de l'incertitude.
F. Laurent répond et ajoute à G. Rosa que si, selon le William Shakespeare le théâtre constitue la foule des spectateurs en " peuple ", c'est peut-être plus celui de l'exil, non joué. En attendant, la salle possède effectivement un pouvoir collectif propre, bien réellement meurtrier: celui de " faire tomber " les pièces.
 

Sandrine Raffin

Equipe "Littérature et civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005 Tél : 01 44 27 69 81.
Responsable de l'équipe : Guy Rosa