GROUPE HUGO


 

SÉANCE DU 20 JUIN 1998

Présents : Anne Ubersfeld, François Maille, Jacques Seebacher, Mme Seebacher; Guy Rosa, Bernard Leuilliot, Claude Millet, Franck Laurent, Juliette Laurent, Gaspard Laurent, Ludmila Wurtz, David Charles, Myriam Roman, Marie-Christine Bellosta, Delphine Gleizes, Stéphane Mahuet, Valérie Presselin, Sylvie Vielledent, Chantal Georgel, Pierre Georgel, Philippe Andrès, Florence Naugrette, Olivier Decroix, Marguerite Delavalse, Sandrine Raffin, Mme Robardey-Eppstein, Bernard Degout, Carine Trévisan, Josette Acher, Krishnâ Renou, Bertrand Abraham, Denis Sellem, Jean-Marc Hovasse, etc., etc.

 Excusés : Hélène Labbe, Arnaud et Danielle Laster, Mme Haglund, Françoise Sylvos, Corinne Chuat, Tony James, Pierre Laforgue, Frédéric Di Serio, Evelyne Blewer, Jean-Pierre Reynaud, Yves Gohin, Françoise Chenet, Gabrielle Chamrat, Jean-Pierre Vidal, Agnès Spiquel, Carole Descamps, Jean et Sheila Gaudon, Géraldine Garcia.


Informations

* Myriam Roman est nommée Maître de conférences à Paris IV.

 

* L'édition GF des Châtiments, par Jean-Marc Hovasse, est sortie le 18 mai ; l'édition Gallimard, par Florence Naugrette, sortira le 18 août ; la réédition du Livre de poche, par Guy Rosa-Jean-Marie Gleize, sortira à la rentrée ; celle de Chantal De Biasi, chez Hachette, durant l'été, etc, etc.

 

* L'enregistrement électronique de la chronologie Massin, annonce Guy Rosa, est commencé et semble même devoir progresser assez rapidement : le premier volume est déjà fait. Sous cette forme la chronologie Massin sera, évidemment, publiable à la demande, interrogeable, corrigible et susceptible d'accroissements. Jacques Seebacher suggère de commencer par l'augmenter de la chronologie Gaudon, qui se trouve à la Maison Victor Hugo.


 Exposé de Mme Robardey-Eppstein: "Le métathéâtre hugolien" (Voir texte ci-joint).


Discussion

Guy Rosa : Il serait dommage et finalement peu logique, je pense, d'exclure de votre réflexion les phénomènes structurels.
Mme Robardey-Eppstein : Je tiens à ne pas les privilégier, mais je ne tiens pas à les exclure.

Guy Rosa : En insistant même sur les questions de structure, votre sujet de thèse pourrait presque se transformer en quelque chose comme : "les poupées russes chez Victor Hugo".
Jacques Seebacher : Tout Notre-Dame de Paris repose sur cette question des emboîtements. À l'époque de Cromwell, Hugo fait une liste des drames qu'il compte écrire. Quand il aura fini, annonce-t-il, il se consacrera à une grande oeuvre autour de Napoléon. C'est à la demande d'Amédée Pichot qu'il se décide à passer du théâtre au roman, qu'il inclut finalement le théâtre dans le roman. Les fameux mariages sont bien la dénonciation du théâtre comme genre. C'est en vue de la spéculation qu'il élabore la critique du spéculaire.

 

Guy Rosa : Je voudrais revenir aussi sur l'idée de theatrum mundi. Si elle est liée au postulat que tout est théâtre, je ne crois pas que cette vision soit celle de Victor Hugo.
Mme Robardey-Eppstein : Ce serait plutôt l'idée que "la vie est un théâtre". Certain fragment de Maglia le dit en toutes lettres.
Anne Ubersfeld : Oui, mais c'est Maglia qui parle. On ne peut pas élaborer une théorie là-dessus.
Guy Rosa et Annie Ubersfeld : Quand les choses deviennent théâtrales, dans l'oeuvre de Hugo, c'est au contraire plutôt mauvais signe.
Frank Laurent : À tel point que, dans la grande période de la création théâtrale, la plupart des figurations hugoliennes de l'artiste (Gringoire, Clément Marot, etc.) sont des personnages grotesques, des bouffons, des histrions.
Mme Robardey-Eppstein : C'est souvent aussi l'inverse, comme le prouve le personnage de Flibbertigibbet dans Amy Robsart.
Guy Rosa : Mais la bonne théâtralité, la véritable, on la trouve dans le théâtre lui-même.
Anne Ubersfeld : Je ne sais pas où se trouve le moi de l'auteur au théâtre. L'idée du théâtre, dans la tête d'un écrivain de théâtre, c'est l'idée du théâtre qui est autour de lui : on écrit pour le théâtre que l'on connaît. On écrit en fonction de ce que ses contemporains attendent du théâtre. Le théâtre est donc toujours une réponse à quelque chose. La question principale, la plus intéressante, me semble être : qu'est-ce que Hugo entendait du désir réel ou imaginaire de ses contemporains ? Qu'est-ce qu'il entend, qu'est-ce qu'il construit ? Il n'est pas forcément très intéressé par la représentation d'une philososphie baroque du monde.

 

Bernard Leuilliot : Les métaphores, c'est "le miroir de concentration" du monde. Or, sur ce point, le problème de la digression me semble être le même que celui de l'éventuelle représentation du théâtre dans le théâtre. Il met en question le problème du principal et de l'accessoire. En ce sens, il faudrait étudier attentivement "L'idylle rue Plumet et l'épopée rue St-Denis", cet épisode théâtralisé de la barricade dans Les Misérables, qui se termine précisément par "le rideau tomba".
Jacques Seebacher : On a parfois tendance à oublier que ce "miroir de concentration", c'est une allusion au four solaire : tous les rayons se réfléchissent au foyer de la parabole.
Bernard Leuilliot : C'est une référence aussi à la formule leibnizienne de la monade, sans doute arrivée à Victor Hugo par l'intermédiaire de Voltaire. Chaque point contient la totalité ; dans un point, on a tout. Il y a chez Hugo une réflexion sur les formes de la méconnaissance, autant que sur celles de la connaissance. Le théâtre -dans certains aspects- en est une.

 

Franck Laurent : Pour en revenir à la valeur de la théâtralisation pour Hugo, il suffit de prendre l'exemple limite des Châtiments. C'est là que la théâtralisation du monde est poussée à son maximum (cf. l'article célèbre d'Annie); on s'aperçoit alors clairement que l'idée de theatrum mundi ne fonctionne pas pour lui. Le monde de l'illusion, c'est celui de la mystification.
Guy Rosa : Est-ce que justement le théâtre dans le théâtre n'est pas un processus de déthéâtralisation ?
Florence Naugrette : Le théâtre dans le théâtre est loin d'être systématiquement une simple représentation du théâtre. Dans la perspective de cette étude, il me semblerait judicieux d'étudier face aux scènes de théâtre véritable -où la scène et la salle sont distinctes- celles où tout le monde est à la fois acteur et spectateur : la fête, le carnaval et, dans une certaine mesure, le tribunal. Ces épisodes, fréquents chez Victor Hugo (Mille francs de récompense est un exemple parmi tant d'autres, mais il conjugue exemplairement fête, carnaval et tribunal), créent toujours une espèce de malaise lors des représentations. Parce que le théâtre s'y confronte avec son envers.
Anne Ubersfeld : Cette structure du carnaval régulièrement reprise par Hugo est effectivement primordiale, comme dans tout le dernier acte de Lucrèce Borgia.
Mme Robardey-Eppstein : Ce que je voudrais étudier, c'est surtout la question et le processus de l'utilisation par Hugo de la terminologie théâtrale.

 

Franck Laurent : Il me paraît pour le moins périlleux aussi d'élaborer toute une théorie à partir d'un fragment de Maglia. On sait que Hugo divise sa propre identité en quatre voix, et que celle de Maglia, la plus grotesque, la plus auto-ironique, domine toutes les autres autour des années quarante. Or, c'est précisément aussi le moment où l'auteur est en plein jeu social, au sommet des honneurs. Maglia apparaît donc davantage comme une structure de défoulement que comme le porte-parole de Hugo.
Anne Ubersfeld : Hugo avait commencé d'écrire Les Jumeaux -pièce dans le premier acte de laquelle le théâtre est présent- pour contrer la glorification louis-quatorzienne entreprise par les gens du parti libéral. Il tentait par tous les moyens de démolir ce mythe, malgré sa position sociale.
Franck Laurent : Mais il n'achève justement pas cette pièce, contrairement au Rhin. Or, dans Le Rhin, Louis XIV est présenté en grand prince, en grand homme. Donc Hugo, même Hugo, est pris dans ce mouvement de glorification du siècle de Louis XIV orchestré par Louis-Philippe.
Franck Laurent rappelle alors que la première intervention expressément politique de Victor Hugo, c'est la plaidoierie, au tribunal de Commerce, contre la suspension du Roi s'amuse. Or, cette attaque en règle du régime n'est pas un texte littéraire, mais un discours au tribunal.

 

Cette allusion aux premières paroles ouvertement politiques de Victor Hugo permet à Guy Rosa de lancer l'idée d'une réédition refondue d'Actes et Paroles pour 2002. La difficulté d'une telle entreprise semble pratiquement insurmontable à Bernard Leuilliot, qui y avait déjà réfléchi : comment la présenter ? faudrait-il la rebaptiser OEuvres oratoires ? Pierre Georgel s'oppose fermement à l'idée de conserver le beau titre d'Actes et Paroles pour un livre qui ne respecterait pas scrupuleusement le texte de l'édition originale. Guy Rosa est tout à fait d'accord pour modifier -ou changer- le titre, pour refaire les textes de Meurice, pour joindre autrement qu'en notes dans une édition savante illisible tous les textes écartés par l'auteur (ou plus vraisemblablement encore par ses sbires), quitte à réécrire les textes de présentation...


Une fête immense marqua l'entrée d'Anne Ubersfeld dans sa quatre-vingtième année. Elle commença le 20 juin au matin par la visite de Bertrand Abraham, qui prépara l'arrivée du traiteur et l'ordonnancement des plats. Toute la journée du 20, sous un soleil de plomb, une foule innombrable défila dans la maison de Marines. Nourrissons, petits enfants, lycées, grandes écoles, universités, conservateurs de musées, associations françaises et internationales... Après que le professeur Rosa eut dit quelques paroles profondes, puis que Jacques Seebacher et Bernard Leuilliot eurent prononcé des toasts, suivis par un discours de Florence Naugrette qui offrit, au nom de tous, un collier digne de la Toison d'Or d'Hernani, Anne Ubersfeld prit la parole pour remercier tout le monde. Les toasts reprirent ensuite de plus belle. Ceux qui assistèrent à cette douce fête se souviennent qu'ils ne purent à plus d'une reprise réprimer des larmes d'émotion.

Jean-Marc Hovasse


 Equipe "Littérature et civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005 Tél : 0144 27 69 81.

Responsable de l'équipe : Guy Rosa.