Présents: Florence Naugrette, Guy Rosa, Jacques Seebacher, Krishnâ Renou, Stéphane Mahuet, Marie Tapié, Rouschka Haglund, David Charles, Josette Acher, Bertrand Abraham, Vincent Wallez, Franck Laurent, Arnaud Laster, Jean-Marc Hovasse, Myriam Roman, Olivier Decroix, Jean-Pierre Vidal, Delphine Gleizes, Sylvie Vielledent, Denis Sellem.
Excusés: Pierre Laforgue, Claude Millet, Ludmila Wurtz
*Guy Rosa annonce la publication chez Champion de l'ouvrage de Bernard Degout, Le Sablier retourné. Victor Hugo (1816-1824) et le débat sur le "Romantisme", coll. Romantisme et modernité, n°18 et fait circuler l'exemplaire qu'il a reçu. (et qu'il reprend mais le livre est déjà commandé par la Bibliothèque XIX°).
*A signaler également la publication en Angleterre de deux ouvrages:
-A Victor Hugo Encyclopedia, par John Andrew Frey, 350 p., Greenwood Press, £ 59,95.
-Victor Hugo à Guernesey, par Michel Le Briz, 180 p., International Scholars Publications, £ 47,95 (Ouvrage en français).
* Florence Naugrette et Arnaud Laster échangent leur point de vue sur la représentation de Lucrèce Borgia au T.E.P. Arnaud Laster est plutôt déçu (Etant arrivée en retard, je crains de ne pas savoir si Arnaud Laster était vraiment déçu...) Florence Naugrette est globalement convaincue par la mise en scène dont le parti pris est de faire jouer chaque personnage par plusieurs acteurs. Seul point faible, le dénouement ne fait pas apparaître les ambiguïtés de l'inceste, car il y a six Lucrèce Borgia, toutes présentes sur scène.
*Arnaud Laster a également vu Le Dernier Jour d'un condamné
au Théâtre de l'Alliance française. Cela vaut à
peine le déplacement. L'ensemble est assez ennuyeux et repose sur
une erreur d'interprétation. Le texte du Dernier Jour d'un condamné
est constitué de chapitres courts, clos sur eux-mêmes. La
mise en scène ne devait pas chercher à relier les scènes
entre elles. Une idée paraissait intéressante: toutes les
perceptions du condamné sont déformées par l'approche
de la mort. Mais ces hallucinations ôtent de la force au propos en
le déréalisant. Tous les arts du spectacle se trouvent aussi
mêlés, danse, marionnettes... Les scènes inspirées
par l'humour noir de Hugo sont en revanche plus réussies, notamment
celle où le gendarme demande au condamné de lui rendre visite
après son exécution pour lui révéler les numéros
de la loterie.
Guy Rosa considère que l'énonciation dans Le Dernier
Jour d'un condamné interdit toute représentation sur
scène. Le lecteur se trouve confronté au journal d'un mort
et la représentation, tout au contraire, montre le personnage en
scène, ce qui brise totalement l'effet voulu par l'écrivain.
* Guy Rosa donne lecture d'une lettre de Tony James à propos
d'Ymbert Galloix et de l'intervention de Bertrand Abraham:
"Je ne sais dans quel sens les lectures que je propose seraient "secondes",
mais le titre du livre que j'ai publié en octobre dernier est Vies
secondes (Gallimard, "Connaissance de l'inconscient",
1997)!
"Pour ce qui est d'Ymbert Galloix, le texte ne comportant pas de bibliographie,
il est impossible de savoir exactement ce qui a été lu. "Un
universitaire" reproche au conditionnel à l'auteur de ne pas avoir
cité Diaz. Je me permettrai, de mon côté, les observations
suivantes:
"1. Même si elles remontent à 1967, on ne saurait négliger
les pages que Bernard Leuilliot a consacrées à Littérature
et philosophie mêlées et à Ymbert Galloix dans
l'édition Massin (t. V, pp. 5-22).
"2. L'édition de Littérature et philosophie mêlées
que selon la première page du Bulletin "on connaît" (Klincksieck,
1976, 2 t.) comporte:
-un texte d'"Ymbert Galloix" (1834) avec les variantes du manuscrit
et de L'Europe littéraire;
-des notes plus substantielles que dans l'édition Laffont (voir
par exemple t. II, pp. 414-5, un rapprochement d'une partie du texte avec
des pages de critique contemporaines du Dernier jour.);
-des lettres d'Ymbert Galloix, de Hugo et de Sainte-Beuve à
son propos (lettres 7, 8, 9 & 10 de la partie Correspondance);
-des remarques (déjà "intratextuelles".) dans l'"Etude"
(t. 1) sur les rapports de l'art et du "réel" pour Hugo à
l'époque où il écrivait "Ymbert Galloix".
Enfin, réponse à la question posée p. 22: la première
visite du destinataire de la lettre, Charles Didier, à Victor Hugo,
étant le 25 novembre (loc. cit., t. II, p. 410), il est impossible
de penser que Hugo ait eu connaissance de la lettre avant cette date.
"3. Puisqu'il est question de "monomanie", et qu'il s'agit d'un mot
médical souvent approprié par des écrivains, je signale
à toutes fins utiles que le livre de Jean Goldstein, traduit désormais
en français sous le titre Consoler et classifier, l'essor de
la psychiatrie française Synthélabo, "Les empêcheurs
de penser en rond", 1997) comporte, pp. 209-264, une analyse de la mise
en place et du déclin de cette notion."
Bertrand Abraham signale en réponse que le mot " monomanie " se trouve dans le texte même de la lettre d'Ymbert Gallois (" Les gens vraiment amoureux sont des monomanes comme moi, qui ont une seule idée, laquelle absorbe toutes leurs sensations.") Il s'est contenté de le reprendre.
*Arnaud Laster signale une exposition sur les dessins de Hugo, qui se déroule actuellement aux Etats-Unis et qui y rencontre un grand succès. Le catalogue, bien illustré, se trouve à la Maison de Victor Hugo, place des Vosges.
*Denis Sellem aurait peut-être une réponse à la
question de Jacques Seebacher sur la ligne pleine. Un éminent sinologue
de ses amis lui a indiqué qu'il s'agissait peut-être du Yang
du Yi Qing. La ligne pleine s'oppose alors à la ligne discontinue
du Yin.
Denis Sellem signale par ailleurs qu'il animera une soirée Victor
Hugo à la mairie du XIe arrondissement, lundi soir à 19 heures.
*Franck Laurent signale pour finir qu'à l'occasion de la remise des prix de la Ligue des Droits de l'Homme, Claire Villiers, lauréate pour son action dans l'association A.C! (Agir contre le chômage), a cité les mots de Hugo qui trouvent ici une actualité toute particulière: " Vous voulez les pauvres secourus. Moi je veux la misère abolie "
Un travail sur Marion de Lorme conduit Guy Rosa à proposer
une légère correction au récit habituel de la bataille
d'Hernani, particulièrement à ses causes et à
ses circonstances. Le chapitre "Une lecture" du Victor Hugo raconté
rend compte de l'accueil initial fait à la pièce par les
professionnels : artistes et animateurs du milieu culturel. C'est un succès
sans aucune ombre. Seul Mérimée, au soir de la lecture faite
par Hugo chez lui devant un parterre très brillant -voir mondain,
aurait indiqué à Hugo que la fin de la pièce était
rude et qu'il valait mieux faire un Didier pardonnant à Marion.
Dès le lendemain, les directeurs des trois grands théâtres
se présentent chez lui, demandent la pièce et offrent à
son choix les trois "vedettes" du temps: Mlle Mars, Mlle Georges, Marie
Dorval. La pièce est reçue à la Comédie française
par acclamation, sans vote. On sait qu'avant même le début
des répétitions la censure interdit Marion de Lorme.
Mais avec des égards: on se contenterait de quelques coupes ou corrections;
Hugo refuse; finalement, après discussion avec les deux ministres
de l'Intérieur et entrevue accordée par le Roi en personne,
l'interdiction est maintenue mais Hugo se voit offrir en compensation le
triplement de sa pension (4000F s'ajoutant aux 2000 qu'il a déjà)
et une place du côté du Conseil d'État. On sait que
Hugo s'empresse de faire connaître par la presse (Le Globe)
son refus.
Lorsque Hugo présente Hernani, tout semble s'être
détraqué. La lecture chez lui, sans être un échec
complet, ne provoque guère d'enthousiasme et le VHR
n'en cache pas la raison: "Soir que cette pièce mordît
moins sur les invités que Marion, soit
qu'on voulut faire payer à son auteur le bruit glorieux qu'avait
fait Marions, Hernani fut froidement accueilli et écouté
jusqu'à la fin avec non moins de froideur." Pas de concours donc
des directeurs de salles. Même froideur auprès des Comédiens-français
qui, "circonvenus" ne tardent pas à saboter les répétitions;
Taylor en vient à craindre la défection, voire la trahison
de la claque. C'est ce qui détermine l'enrôlement des "jeunes
France".
Qu'est-ce qui a déterminé cette volte-face de l'appareil
artistico-culturel? Apparemment, beaucoup plus que le texte d'Hernani
(qui passe sans problème à la censure), la conduite de Hugo
dans l'affaire de Marion. Il a pris, envers les mours articulant
le pouvoir politique et l'élite culturelle (à laquelle il
appartient) une position de rupture que l'appareil culturel lui pardonne
moins encore que l'appareil politique. Inutile de le censurer une seconde
fois: tout le "milieu" (des grands artistes de la lecture privée
aux claqueurs) se chargera de faire tomber Hernani
(ce que le rapport des censeurs dit en langage noble mais clair).
Conclusion : la bataille d'Hernani s'est bien faite autour d'Hernani,
mais les combattants ont été choisis et alignés par
la censure de Marion. C'est elle qui fait basculer,
de fait sinon de droit, Hugo du côté de la dissidence artistique
et des rapins-voyous.
Du coup, Hernani est, à la lettre, 1830 anticipé,
parce que les enjeux autour de la pièce sont déjà
une partie (la plus visible) de ceux de 1830: la liberté, et particulièrement
celle de la presse et des "intellectuels".
Une question demeure cependant: comment a-t-il pu se faire que personne,
ni Hugo ni les auditeurs enthousiastes de la lecture privée, ni
les directeurs des salles, ni les acteurs du Théâtre-Français,
n'ait vu que Marion de Lorme n'était pas acceptable en l'état
et serait interdite? Il est vrai que personne n'avait non pus prévu
les ordonnances de juillet.
Arnaud Laster: Mais les comptes-rendus de Mme Hugo sont-ils vraiment
fiables?
Guy Rosa: Là, ils sont confirmés par tous les témoignages.
Jacques Seebacher: Pourquoi y a-t-il censure sur Marion de Lorme?
Guy Rosa: Cette pièce fait de l'aïeul de Charles X un portrait
scandaleux.
Franck Laurent: En quelle année cette censure intervient-elle?
Jacques Seebacher: Début 1829.
Franck Laurent: Donc c'est la fin du ministère Martignac.
Guy Rosa: Mais les deux ministères qui se sont succédé
ont la même ligne de conduite. Et c'est le second -théoriquement
le plus dur et le plus intransigeant- qui offre une compensation à
Hugo, ce que le premier n'avait pas fait -ou n'avait pas eu le temps de
faire.
Franck Laurent: On ne voit pas très bien quel est le reflet
de l'actualité dans Marion de Lorme, sinon les références
à la monarchie.
Arnaud Laster: J'ai lu un mémoire de maîtrise excellent
sur la réception de Marion de Lorme. On pourrait imaginer
pour la rentrée d'inviter cette étudiante à parler
de son travail ou tout du moins d'en résumer le contenu.
Jacques Seebacher: Dans la préface des Orientales, Hugo
se représente " entrant dans toutes les questions " au lieu de faire
de la littérature. Cela a dû en indisposer plus d'un!
Guy Rosa: Apparemment pas tant que cela puisqu'on fait fête à
Marion et que le ministère -celui qui
approuvera les ordonnances- offre une place politico-administrative à
Hugo. Curieusement, Hernani fait plus de concessions politiques
que Marion de Lorme (réserve faite des échos
bonapartistes qu'on peut entendre dans Hernani).
Mais la pièce a eu un accueil d'avance défavorable.
Franck Laurent: Dans Marion de Lorme, il y a Louis XIII, mais
il y a aussi Richelieu. Or sous la Restauration, c'est une personnalité
très positive, même dans les milieux libéraux.
L'intransigeance de Hugo comme homme de lettres et comme libéral
profond vis-à-vis du pouvoir politique est quelque chose de fort.
Guy Rosa: Effectivement. Et c'est largement sous-estimé. Aucun
bachelier n'ignore que Flaubert et Baudelaire ont été censurés;
de Marion, du Roi s'amuse,
des Châtiments et de tout le théâtre de
Hugo pendant presque tout le Second Empire, pas un mot. Hugo détient
pourtant un incontestable record de censure. Il craint même pour
Les Misérables, dont cela explique certaines procédures,
plus corrosives sans doute mais moins "censurables".
Franck Laurent: Si on insiste sur la censure de Flaubert ou de Baudelaire,
c'est que ce sont des ouvres de littérature pure - par opposition
au théâtre, aux pamphlets ou à la satire - qui sont
censurées.
Arnaud Laster: Et de plus ce sont des interdictions pour cause de moralité.
D'ailleurs Le Roi s'amuse pose aussi des problèmes pour les
mêmes raisons d'immoralité.
Jacques Seebacher lit le contenu de l'article d'août 1829, signé
Véron et intitulé " De l'audience accordée par le
roi Charles X à M. Victor Hugo ".
Jacques Seebacher: Dans le poème des Orientales, " Bounaberdi
", de quoi parle le poète? Comment peut-on utiliser tout le travail
de réflexion que vous menez à partir de la philosophie et
de la linguistique pour comprendre ce poème? Que fait en particulier
le cheval de la fin du poème?
Franck Laurent: " Bounaberdi " réagit avec le poème suivant
" Lui " qui est beaucoup plus clair du point de vue des thèses qu'il
soutient.
Jacques Seebacher: La seconde ode A la colonne est écrite
dans un intervalle de huit jours pendant lesquels Hugo interrompt la rédaction
de Notre-Dame de Paris. Dans le poème, il s'agit de peser
la poussière de Napoléon dans le socle de la colonne. Or,
à ce moment où Hugo s'apprête à écrire
la fin de son roman, le lecteur va devoir peser la poussière de
Quasimodo sous les piliers de Montfaucon. Épouvantable rapprochement;
d'un côté le génie, de l'autre son contraire. Ce décalage
éclaire l'ode A la colonne.
De même, le pauvre Arabe du Caire qui ne sait pas dire Bonaparte
et dit Bounaberdi en dit plus par ricochet sur l'énonciateur que
sur le grand homme de guerre. Le pauvre Arabe du Caire lançant à
son cheval cette injonction: " Allah! ", en appelle à la Djihad,
à cette guerre sainte qui est un effort que l'on fait sur soi pour
répandre la prophétie.
Franck Laurent: Cela va contre l'image habituelle d'un Bonaparte protecteur
de l'Islam en Égypte.
Jacques Seebacher: Hugo vide les figures mythiques habituelles; elles
deviennent des figures inspiratrices et initient un mouvement. C'est le
cas du cheval du pauvre Arabe du Caire, c'est aussi le cas du poème
" Mazeppa ".
Franck Laurent: Effectivement, à propos de cette façon
de vider la figure napoléonienne, il faut noter que Les Orientales
est le seul recueil dans lequel Hugo renonce à porter un jugement
sur Napoléon, à interpréter son rôle politique
au profit d'une seule célébration de sa grandeur. " Tu domines
notre âge; ange ou démon, qu'importe! " (" Lui ")
En ce qui concerne l'Arabe du Caire, il y a toujours eu une valorisation
de l'Arabe contre le Turc, valorisation des nomades sans État contre
les Ottomans. Ce sera la stratégie de Lawrence d'Arabie.
D'autre part, s'agissant de la structure d'énonciation dans
Les Orientales, il y a une évolution de la position du "
je ". Au début du recueil, on assiste à un arrimage du "
je " dans son contexte occidental, dans " Enthousiasme " par exemple. Puis
viennent des délégations de parole, des poèmes monodramatiques.
Dans le poème " L'enfant ", le poète est dans une situation
de témoin. A partir de là, la parole du poète intervient
en cours de route et réalise son ancrage dans le monde oriental
(" Les Djinns " par exemple ou " Nourmahal-la-rousse "). La situation d'énonciation
est donc variable et il convient de l'étudier dans son évolution
au cours du recueil.
Enfin, on a coutume de développer à propos du " je "
lyrique hugolien, et plus généralement du " je " lyrique
romantique, l'idée de subjectivité impersonnelle. Mais une
des grandes spécificités de Hugo, par rapport à Lamartine,
Vigny, Baudelaire, est la constitution d'un " je " biographique. Après
l'avoir surestimé au point de ne plus lire les textes, la critique
a souvent tendance, maintenant, à mettre entre parenthèses
l'aspect autobiographique des poèmes alors que dans des poèmes
comme " Ce siècle avait deux ans " ou dans l'ensemble des Contemplations,
cette approche est essentielle.
S'agissant de " Ce siècle avait deux ans ", on souligne souvent
l'articulation entre l'individuel et le collectif. Mais si l'on compare
les deux groupes centraux (strophes 4 et 5), de toute évidence,
l'insertion du " je " lyrique n'est pas la même. Dans la 4e strophe,
il s'agit vraiment d'une thématique individuelle, d'une figuration
de l'intimité tout entière dans l'approfondissement et la
clôture. Le vers " Le livre de mon cour à toute page écrit!
" dit bien la finitude de l'individu. Au contraire le groupe suivant, qui
retrace la carrière littéraire, entre en contradiction avec
ce " je " de l'intime. Il s'agit de la figuration d'une puissance évidente,
d'un " je " tourné vers l'extérieur et résonnant aux
sollicitations du monde. Le monde fait parler le poète de façon
inépuisable. Après l'âme gouffre, c'est l'âme
cristal.
Jacques Seebacher: Les Orientales portent la marque du problème international de l'Orient. Cela échappe souvent au lecteur moderne, mais les contemporains de Hugo devaient trouver dans le texte des allusions plus claires. Il n'est pas inintéressant de ce point de vue de consulter les délibérations de la Chambre des Pairs retranscrites dans le Lesur.
Guy Rosa: L'idée d'Olivier Decroix me semble être de déplacer
la question du " je " de ses propriétés vers les opérations
qui l'instituent, envisagées comme reproduisant des modèles,
plus ou moins fortement institutionnalisés. Elle est séduisante
et neuve : on limite trop souvent l'analyse du " je " à ses qualités.
Mais, quoiqu'il offre l'avantage d'un embrayage direct sur la rhétorique,
il y a peut-être d'autres modèles que le modèle judiciaire
qu'il ne faudra pas négliger: à côté du témoignage
et de la plaidoirie, la lettre, le prêche, le cours, la prière,
la proclamation, la confession... Ce sont des mécanismes d'interpellation
distincts et que Hugo peut ne pas employer purs. Il y a bien une confession
dans Ce siècle avait deux ans, mais
elle est épique, pas chuchotée du tout!
En ce qui concerne Althusser, on doit bien sûr considérer
que l'"interpellation" en sujet est la forme de l'idéologie. De
ce point de vue, tous les discours sont idéologiques. Mais idéologie
ne signifie pas forcément "public"; l'"intime" n'est pas moins "idéologique"
que le "public". Il faudra éviter de les opposer, du moins à
partir du seul Althusser.
Enfin, on ne peut pas faire l'économie de l'étude des
diffractions, divergences, biaisages, que sais-je. que produit la lecture
elle-même sur les modes d'interpellation fictifs employés
par les textes. Si le poème est une prière adressée
à Dieu, le lecteur n'est pas "interpellé" en tant que Dieu,
ni non plus en tant que Le priant lui-même à travers le texte.
C'est tout l'intérêt de la littérature, comme on a
déjà eu l'occasion.
Bertrand Abraham: A propos du poème " Bounaberdi ", je suis frappé
de la façon dont s'opère, par le biais des marques temporelles,
une façon intime de saisir l'historicité: " Souvent Bounaberdi...
". Cela rappelle la première méditation de Lamartine. Y aurait-il
une incidence?
Franck Laurent: Dans ce vers, on peut voir une forme d'aboutissement
de l'orientalisation du " je ": le poète parle à l'orientale,
comme le pauvre Arabe du Caire; Bonaparte devient le " sultan des Francs
d'Europe ". C'est la voix du pauvre Arabe et en même temps ce n'est
pas elle.
Bertrand Abraham: Je pense à un texte de Félix Guattari,
Le procès de subjectivisation qui est difficile mais qui
est peut-être plus intéressant à exploiter que la théorie
d'Althusser sur l'idéologie.
Prochaine séance chez Anne Ubersfeld à Marines, le 20 juin. On doit contacter Bertrand Abraham, qui centralise les informations, au 01.30.27.21.94.
Equipe "Littérature et civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005 Tél : 0144 27 69 81.
Responsable de l'équipe : Guy Rosa.