Présents: Ludmila Wurtz, Claude Millet, Jean-Pierre Vidal, David Charles, Guy Rosa, Anne Ubersfeld, Jacques Seebacher, Sylvie Vielledent, Stéphane Mahuet, Marie Tapié, Marguerite Delavalse, Myriam Roman, Jean-Marc Hovasse, Krishnâ Renou, Delphine Gleizes, Françoise Sylvos, Valérie Presselin, Florence Naugrette, Hélène Labbe, Olivier Decroix.
Excusés: Bertrand Abraham, Denis Sellem, Bernard Leuilliot, Franck Laurent, Philippe Andrès.
_ La thèse de David Charles est parue aux Presses Universitaires de France, coll. Ecrivains, 1997, sous le titre La Pensée technique de Victor Hugo, le bricolage de l'infini.
_ Le Groupe Hugo a reçu de Kevin Smith, en même temps que ses salutations, son article : "La réécriture d'un monument, Victor Hugo et la statue de Henri IV", Revue Paragraphe, Université de Montréal, 1996, numéro consacré à L'Oeuvre d'identité, Essais sur le romantisme de Nodier à Baudelaire.
_ Agnès Spiquel publie sa thèse chez Champion : La Déesse cachée. Isis dans l'ouvre de Victor Hugo.
_ Florence Naugrette annonce la publication d'un ouvrage de Graham Robb, Victor Hugo, éditions Picador, Angleterre, 682 p., 20 £, qui semble traiter surtout de l'engagement politique hugolien sous un angle biographique.
_ Jacques Seebacher effectue quelques recommandations de lecture, tout en poursuivant ses réflexions sur le gnosticisme. Vient de paraître aux éditions Stock un recueil d'articles de Stendhal (1822-1829) publiés dans des revues britanniques et donc retraduits par la suite en français. Ces textes, précise Guy Rosa, se trouvent ici, dans notre bibliothèque XIXe (9 volumes, ed. Keith Mc Watters, Presses Univ. de Grenoble, 19980-1995). Mais, reprend J. Seebacher, dans l'édition Stock, ils sont tous regroupés en un volume. Le ton de Stendhal est drôle, polémique, alors qu'il interroge les rapports entre littérature et politique sous l'angle de l'opposition entre ultras et libéraux. Les écrivains libéraux, Benjamin Constant en tête, ont toute la sympathie de Stendhal qui s'en prend aux ultras et autres "jésuites" nuisibles et " ennuyeux ". Béranger est mis au nombre des " grands poètes " -en cela Stendhal n'est nullement isolé à l'époque. Il concède Lamartine, et ignore Hugo. Le compte rendu de Han d'Islande tourne rapidement à la caricature...
Bref, il s'agit d'articles parfaitement tranchés et polémiques dont les vues s'appliquent aussi bien à la philosophie qu'à la littérature. La philosophie empirique anglo-saxonne (Locke, Hume, Bentham) est préférée à la philosophie allemande (Kant, Hegel) : obscure, fumeuse et camouflée derrière Platon par Cousin. Cousin se préoccupe de Procluce qui se situe dans la mouvance de la récupération gnostique judéo-alexandrine de Platon. Jacques Seebacher indique qu'il y a une cohérence entre cet intérêt pour le gnosticisme et la mode de la philosophie allemande et de la dialectique. [N.B. La traduction-adaptation de l'Esthétique de Hegel par André Aimé, se trouve aussi à la bibliothèque : elle date de 1840.]
Hugo, dans Notre-Dame de Paris, refuse de trancher le débat entre le progrès et la permanence. Il maintient ensemble les contradictions d'une époque qui à la fois annonce le triomphe futur du progrès, de la vérité, de l'imprimerie et en même temps affirme l'existence têtue, obsédante de la gueuserie, de la misère, de ce qui ne peut se comprendre ni se circonscrire par la rationalité.
Jacques Seebacher: Tout ce que vous dites me semble à la fois juste et profond. Mais vous adoptez une position qui n'est pas historique car vous parlez des connaissances de Hugo du point de vue du XXe siècle.
Guy Rosa: Mais prendre le présent comme point de vue sur le passé est une position historique -à vrai dire, il n'y en a pas d'autre.
Jacques Seebacher: Il est clair cependant que l'on doit envisager le point de vue ironique de Hugo dans Notre-Dame de Paris. Le personnage de Frollo est mis à distance dans ce livre qui parle de l'extinction du Moyen-Âge et qui montre comment la Renaissance s'est construite sur le vide qui lui préexistait. Victor Hugo assume le point de vue de 1830 et invente l'histoire des mentalités. La science a toujours été mêlée à l'idéologie, aux croyances devenues ensuite caduques. Frollo manifeste son unité de personnage dans ce mélange de science et d'idéologie. De même, il commet l'erreur fondamentale de se détourner de la nature, d'ignorer la femme, la vie.
Autre point important: je ne pense pas qu'il y ait de dichotomie chez Hugo. La notion de rythme que vous évoquez assure le lien. Thalès, Pythagore sont des géomètres du nombre et pas de l'espace. Le nombre n'est pas la seule numération mais aussi la répétition, d'où la notion de rythme. Pour Hugo, cette notion de rythme est comprise et intégrée. Mais il en est d'autres pour lesquelles il adopte un point de vue réducteur. Par exemple, il ne comprend pas l'arbitraire des systèmes de numération. Pour lui, le décompte des nombres s'effectue seulement en base décimale. D'autre part, l'emploi qu'il fait du binôme (ab)2 n'est jamais abouti.
Il faut distinguer aussi le nombre de la note. La confusion entre Orphée (l'homme de la note) et Hermès (l'homme du nombre) peut être préjudiciable de ce point de vue. Le nombre est explicatif, c'est la structure même; la note est ce qu'on en perçoit.
Enfin, le calcul infinitésimal est très important à l'époque de Hugo. Le rythme, le mouvement existent alors en connexion avec le calcul infinitésimal. C'est la compréhension du nombre du point de vue du rythme. On assiste au passage d'un système de proportions (Pythagore) à la pensée du mouvement par le recours à la diminution infinitésimale, à la dérivée.
Myriam Roman: J'ai voulu prendre appui sur les textes de Hugo écrits dans les années 60-65. A cette époque, d'après ce que dit Georges Gusdorf, se construit une opposition entre rationalisme et spiritualisme. Hugo refuse de rentrer dans cette alternative.
Jacques Seebacher: Oui, mais il faut se méfier des positions de Gusdorf qui n'aime vraiment pas Hugo. Cela fausse son jugement en la matière.
Claude Millet: D'autant qu'on peut dire qu'à la même époque que Hugo, il y a des gens importants, comme Michelet, Comte, qui refusent aussi cette opposition.
Anne Ubersfeld n'est pas d'accord avec l'idée qu'il y aurait systématiquement collusion au XIXe siècle entre la rationalité et le spiritualisme. Quoi que l'on dise, on ne peut évacuer le cartésianisme du paysage intellectuel français. Or, que fait Descartes, sinon séparer très clairement la science de la pensée religieuse.
D'autre part, l'idée selon laquelle l'espace ne serait pas une donnée pythagoricienne me paraît erronée. Au contraire, le nombre sert à comprendre l'espace ; le théorème de Pythagore...
Jacques Seebacher: Oui, le nombre sert à s'approprier l'espace; c'est par exemple le rôle de la trigonométrie.
David Charles: De toute façon, il y a chez Hugo un emploi parfois approximatif de certains termes mathématiques. La notion d'asymptote par exemple est utilisée de manière erronée dans cette phrase: "La civilisation est l'asymptote du bonheur", alors que ce devrait être l'inverse, puisque l'asymptote n'est pas la courbe mais la droite vers laquelle tend la courbe. De même l'expression "L'art c'est la nature plus l'humanité élevées au carré" peut laisser perplexe sinon qu'elle introduit en plus de l'addition, le facteur multiplicatif et réflexif.
Anne Ubersfeld: Une chose me semble absente des textes de Hugo que vous citez. C'est le rapport des arts du langage avec les arts qui n'impliquent pas le langage. Hugo semble résorber cette contradiction.
Claude Millet: Dans une des formules citées par Myriam Roman, on trouve une étrange confusion entre l'idée de découverte et l'idée d'invention. L'invention postule l'idée d'une intelligibilité ouverte. La découverte, l'idée d'une intelligibilité immanente. Dans quelle mesure, semble dire Hugo, toute invention n'est-elle pas plutôt la découverte de quelque chose qui préexisterait?
Myriam Roman: C'est vrai. D'ailleurs le rôle du hasard est fondamental comme instrument de découverte et de dévoilement.
Françoise Sylvos: Pour la plupart des romantiques, la découverte de l'Amérique n'est pas un hasard. Chez Schiller, dans un vers traduit par Nerval, on retrouve cette idée que Dieu a donné raison au génie en lui faisant rencontrer l'Amérique.
Ludmila Wurtz: Mais cela revient peut-être au même: le hasard est seulement remplacé par l'idée de providence, qui actualise le pressentiment, la prescience de l'existence de l'Amérique.
Claude Millet: Il y a chez Hugo un autre lieu de contradictions dans le triangle que forment l'art, la science et l'idéologie. Parfois on a l'impression que Hugo donne l'image de la collusion de la science et de l'idéologie, alors que l'art, lui, se tient à l'extérieur de cette alliance. Parfois au contraire, la science affirme sa capacité critique face à l'idéologie.
Anne Ubersfeld: La notion d'inconnaissable est elle aussi ambiguë chez Hugo. Sur le terrain scientifique, on se demande si l'inconnaissable est un état provisoire de la science ou si au contraire, la science viendra toujours buter sur quelque chose qu'elle ne connaîtra pas. Sur le terrain littéraire, on retrouve cette question: le lecteur ne peut jamais avoir véritablement la clef de l'oeuvre d'art; il y a là aussi une limite de l'inconnaissable.
Myriam Roman: Sur cette question de l'inconnaissable, on peut revenir à l'analyse que David Charles fait de L'Âne. La science doit toujours progresser vers son perpétuel ute;tendue sans contour ou comme un objet mythologique.
Delphine Gleizes: Il me semble d'ailleurs que la perspective diachronique adoptée dans l'histoire des sciences comme suite d'erreurs rectifiées se double chez Hugo de considérations spatiales. Si la science progresse, c'est aussi parce que le champ d'application de ses théories concerne un espace de plus en plus grand.
David Charles: A l'époque de Hugo, l'idée que l'histoire des sciences était cumulative était assez commune; mais l'idée de la science comme suite d'erreurs rectifiées, telle qu'elle apparaît chez Hugo est une innovation.
Guy Rosa: Je suggère de rapprocher la phrase "Le nombre se révèle à l'art par le rythme qui est le battement de coeur de l'infini" de celle du William Shakespeare à propos de Jean : " Jean fut un des grands errants de la langue de feu. Pendant la Cène sa tête était sur la poitrine de Jésus, et il pouvait dire : Mon oreille a entendu le battement de cour de Dieu. Il alla raconter cela aux hommes. "
Le 6 décembre 1997, Jean-Marc Hovasse parlera de Banville et Hugo.
Delphine Gleizes
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