GROUPE HUGO


SEANCE DU 18 OCTOBRE 1997

Présents: Guy Rosa, Myriam Roman, Marie Tapié, Jean-Pierre Vidal, Florence Naugrette, Claude Millet, Franck Laurent, Stéphane Mahuet, Delphine Gleizes, Sylvie Vielledent, Denis Sellem, Bertrand Abraham, Thanh Van Ton That, Olivier Decroix, Jean-Marc Hovasse.
Excusés : David Charles, Ludmila Wurtz.


Informations

* Le Groupe a reçu, avec le témoignage de sa fidèle sympathie, le tiré à part -déposé à la Bibliothèque- d'un récent article de Kevin Smith : " La réécriture d'un monument : Victor Hugo et la statue de Henri IV ", dans Paragraphes, 4° trimestre 1996, Montréal, L'ouvre d'identité-Essais sur le romantisme de Nodier à Baudelaire.

* Agnès Spiquel annonce la publication de sa thèse (déposée à la Bibliothèque), La Déesse cachée. Isis dans l'ouvre de Victor Hugo, Champion, 1997.

* Tony James publie Vies secondes, dans la collection "Connaissance de l'inconscient", chez Gallimard. Il y est très largement question de Victor Hugo. Le livre circule.

* Un nouveau Ruy Blas paraît en Folio, préfacé par Philippe Berthier. Rien à y redire, très certainement, sinon le vers faux de la couverture : " Bon appétit, Messieurs ! Ministres intègres ".

* Au colloque d'agrégation consacré à Nerval, les 28 novembre (à Paris 7, amphi 24, tour 24) et 29 novembre (rue d'Ulm), Franck Laurent parlera de "Angélique, lieux de culture, lieux d'écriture".

* Au colloque sur le XIXe siècle au musée d'Orsay (du 11 au 13 décembre), Ludmila Wurtz, au nom d'elle-même, de Claude Millet, de Franck Laurent et de David Charles, parlera du XIXe siècle dans les textes de l'exil et d'après l'exil. Jean-Claude Fizaine présentera, dans la même séance, le travail sur Napoléon le Petit dont il avait dit la substance devant le Groupe.


Exposé de Franck Laurent: La question du grand homme dans l'oeuvre de V. Hugo (Voir texte ci-joint).


Discussion

Guy Rosa : On n'a plus rien à dire, tant cet exposé est bien fait, complet, argumenté, incontestable et construit de manière presque académique.

Bertrand Abraham : Dans cette argumentation rigoureuse, la place des Burgraves me paraît néanmoins poser un problème. Est-ce que tu pourrais la préciser ?

Franck Laurent : Les Burgraves sont effectivement un cas à part, autonome. Considérons d'abord Hernani. Charles Quint montre explicitement que l'espace de la nation est insatisfaisant, insuffisant, trompeur : sa vision du peuple, c'est le peuple-océan, c'est-à-dire le peuple qui échappe aux organisations sociales. Dans Les Burgraves, il y a régression : Barberousse ne parle que de l'Allemagne ; son but est de constituer l'Allemagne comme une unité autonome face au reste de l'Europe. La vraie représentation du peuple, sinon pour Barberousse (il ne dit d'ailleurs pas le peuple, mais mon peuple), c'est Guanhumara -- qui rime avec Marat. Or, la figure de Guanhumara reste sans issue et sans utilité. Les Burgraves sont sur ce point une régression : Hugo refuse d'y aborder la question du peuple. Le dénouement des Burgraves paraît même incohérent.

Pierre Abraham propose une autre suggestion : de voir dans le nom même de Grantaire, dans Les Misérables, une façon de jouer sur le syntagme Grand homme ?

Guy Rosa : À propos de cette histoire fameuse des deux corps du roi, je me suis toujours demandé pourquoi, en regard de la formule consacrée "Le roi est mort, vive le roi !", la mort de Louis XVI a fait autant de bruit.

Claude Millet : Ce que Michelet dit dans L'Histoire de la Révolution française, c'est que la décapitation de Louis XVI a réinstauré la conception mystique des deux corps du roi, alors même que la figure du roi était d'elle-même en train de se laïciser. C'est là, selon lui, la cause majeure de l'échec de la Révolution.

Guy Rosa (à Franck Laurent) : Tu dis que l'Empire s'oppose à la dépersonnalisation du pouvoir. C'est très ingénieux et très juste, mais cette théorie semble mal s'appliquer à Don Carlos, qui trouve en devenant empereur une espèce d'impersonnalité -ou du moins renonce aux intérêts personnels du désir amoureux.

Franck Laurent : Je n'y crois pas du tout, à cette conception de Charles Quint grand empereur. Ce que Hugo cherche à représenter dans Hernani, c'est que Don Carlos a compris quelque chose de l'être de la société -- il a compris que cet être n'était pas gouvernable. On gouverne une pyramide hiérarchisée, on ne gouverne pas un océan ; on gouverne tout au plus sur l'océan, en faisant le métier de roi le plus honnêtement possible, rien de plus. Hernani ne figure pas la fondation d'un nouveau régime radieux.

Claude Millet : Il y a pourtant un vrai problème dans le renoncement de Hernani à Dona Sol. Hernani renonce à être à la fois homo et vir, et ce sacrifice de sa part privée est à la fois nécessaire -pas d'empire sans pardon- et catastrophique, puisqu'il va de pair avec l'impuissance du grand homme.

Guy Rosa : Hernani est bien dans ce sens plus problématique encore que Cromwell, qui, une fois associé à la Préface, disait déjà que le statut du grand homme historique est plus problématique que celui du génie et proposait, obliquement, de renoncer à l'un pour l'autre. Dernière remarque : est-ce que le moi du génie est si vide, si océanique ? Il y a quand même une grande différence entre le je génial et la foule. D'autre part, si le héros aristocratique disparaît après Bug-Jargal et Han d'Islande -comme le montre Myriam Roman dans sa thèse, il réapparaît dans les trois derniers romans. La dissolution du moi ne fonctionne vraiment que pour Jean Valjean, pas après. On a alors l'impression que les caractères du grand homme célèbre passent sur les grands hommes non célèbres comme Gilliatt, Gauvain, etc. Mais il s'agit tout de même d'un retour de l'héroïsme.

Myriam Roman : Dans Quatrevingt-Treize, tous les personnages sont héroïques.

Franck Laurent : Oui, mais cet héroïsme est fondé sur l'aptitude de certains individus à se dépouiller d'une part de leur individualité, à tirer un trait sur une partie de leur ego. C'est presque l'opposé de Napoléon, qui est un grand ego. Il y a certes des je d'exception, mais leur exception consiste à laisser parler la part d'infini qui est en eux. On pourrait dire la même chose en poésie : quand il y a un lyrisme tonitruant chez Hugo (le "Hugo-Juvénal"), tout est fait pour montrer qu'il ne dit pas je en son propre nom -- il est porte-parole.

Jean-Marc Hovasse

La prochaine séance, le 22 novembre, entendra un exposé de Myriam Roman : "L'art et la science au temps de William Shakespeare ". 


 

Jacques Seebacher -que nous remercions de cette attention- souhaite préciser ou corriger le compte rendu de son intervention, à la séance précédente, de la manière suivante :

Note sur le compte rendu des notes sur Notre-Dame de Paris

- Je ne crois pas chez Hugo à une connaissance approfondie des questions hermétiques, mais à une volonté claire et ferme de mettre en perspective les réalités intellectuelles du Moyen Age et celles de 1830, d'un néo-platonisme à quelques autres.

-Pierre Lombard, " le maître des sentences " n'est pas, lui, un hermétique. Théologien précurseur de Thomas d'Aquin, il fournit la base de tout l'enseignement ecclésiastique jusqu'au XVI° siècle, en organisant les " opinions " des Pères de l'Eglise. Mais pourquoi Hugo met-il le commentaire des Epîtres de St Paul à la date des Sentences ? Vérifications à suivre.

 - Les deux principaux informateurs pour l'histoire de Paris tiennent au XVII° siècle : Du Breul (1612) par sa fin et Sauval (1724) par son commencement. Ils assurent la continuité du jalonnement historique du XV° au XIX° siècle, et les rapports à la fois constitutifs et conflictuels de la maison de Bourbon et du pouvoir d'Etat. Tout un réseau de références et d'allusions dans Notre-Dame de Paris à cette sorte de soleil historique éclaire la question centrale : la prise du pouvoir de Louis XIV, sur le coup du " grand renfermement " des misères en 1656-1657, n'a guère été " classique " qu'un siècle. La chute des Bourbons en 1830 peut-elle faire rejaillir la veine d'un Rabelais et substituer enfin les questions " sociales " aux questions " politiques " ? La langue vieillie de Du Breul, et celle, décapée, de Sauval, peuvent-elles s'allier pour infiltrer de façon dynamique le style même de Hugo, en contournant la dérive académique des épigones du " Grand Siècle " ? En quoi l'éclipse de 1830 rend-elle compte de l'éclipse que fait, de tout le Moyen Age, la mort de Louis XI ? "


Equipe " Littérature et civilisation du XIX° ", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005. Tél : 0144 27 69 81. groupugo@paris7.jussieu.fr.

Responsable de l'équipe : Guy Rosa, rosa@paris7.jussieu.fr.