Présents: Ludmila Wurtz, David Charles, Jacques Seebacher, Pierre Laforgue, Myriam Roman, Guy Rosa, Denis Sellem, Florence Naugrette, Delphine Gleizes, Arnaud Laster, Anne Ubersfeld, Valérie Presselin, Jean-Marc Hovasse, Valérie Papier, Claude Millet, Philippe Andres, Franck Laurent, Krishnâ Renou, Hélène Labbe, Bertrand Abraham, Stephane Mahuet, Jean-Pierre Vidal, Sylvie Vielledent, Bernard Leuilliot, Olivier Decroix, Marie Tapié, Josette Acher, Vanessa Vynosias.
Excusés: Carole Descamps, Frédéric Di Sério, Frédérique Leichter, Gérard Pouchain, Kevin Smith (de retour aux States).
Il y a vingt-cinq ans a été publiée l'édition de la Pléiade de Notre-Dame de Paris et des Travailleurs de la mer. Les études faites à cette occasion avaient permis de dater page par page, au jour le jour, l'avancée de l'écriture du roman. On avait par ailleurs tenté de systématiser les analyses et les références de l'édition Garnier de M.-F. Guyard. Aujourd'hui, ce travail est repris en vue d'une édition qui soit adaptée à de jeunes lecteurs, entre quinze et vingt-cinq ans. L'édition prévue envisage de présenter en bas de page une annotation informative abondante : deux tiers de la page pour le texte et un tiers pour les notes.
A ce travail, on se rend compte assez vite, dès que l'on tente de clarifier certaines notions dont la compréhension pourrait être problématique pour le lecteur actuel, qu'il s'agit en fait de questions de la plus grande actualité en 1831. Par exemple, le terme "affinité" recoupe en grande partie des préoccupations de l'époque. Il s'agit à l'origine d'un terme employé en chimie, puis en sciences naturelles, d'après le Larousse du XIXe siècle qui renvoie à Cuvier et Saint-Hilaire. Par ailleurs, Goethe publie en 1809 Les Affinités électives; là aussi, le terme est employé pour des raisons naturalistes. Il était encore d'actualité autour de 1830. En 1831, Goethe publie son second Faust, et l'on peut comprendre sa fureur à la lecture de Notre-Dame de Paris, alors que le personnage de Claude Frollo reprend des réflexions qu'il a lui-même ébauchées.
On peut dire, telle serait du moins l'hypothèse, que toutes les notions qui demandent actuellement à être explicitées dans le texte, font référence à des problèmes d'actualité en 1830. On a souvent présenté Notre-Dame de Paris comme une façon de réécrire le roman historique, Hugo rehaussant son récit d'une certaine "couleur locale", composée de théories hermétiques et gnostiques tirées pêle-mêle de ses lectures. Mais il ne s'agit pas là, de toute évidence, de fantaisies. Notre-Dame de Paris se présente surtout comme la mise en ordre de questions sur l'hermétisme dont Hugo devait avoir une connaissance approfondie. Tout consiste à retrouver les sources qu'il utilise. On peut comprendre le mécanisme de ce traitement de l'information érudite en étudiant le fonctionnement des variantes et la correction de la documentation. Par exemple, Hugo utilise un livre de Pierre Lombard, inspirateur de la pensée hermétique du Moyen-Age. Le livre le plus connu de Pierre Lombard est le Livre des Sentences, imprimé en 1474 à Nuremberg. Il s'agit au XIXe siècle d'une rareté bibliophilique. Or Hugo ne fait pas référence à ce livre, mais à un autre moins connu de Pierre Lombard, la Glose sur les épîtres de Saint Paul, imprimée en 1535. Pourquoi ce choix? Hugo a-t-il cherché par ce biais à mettre en évidence celui qui apparaît de plus en plus comme "l'inventeur du christianisme"? Il est clair dans cette perspective que Notre-Dame de Paris a été, au moins pour une part, un livre de profonde remise en place des théories gnostiques.
De même, les deux chapitres non publiés en 1831 mais insérés dans l'édition de 1832, sont reliés par les figures de Dédale, Orphée et Hermès. Dédale, l'architecte qui mesure et construit le labyrinthe; Orphée celui dont le chant maîtrise le mouvement des animaux et des pierres. Notre-Dame de Paris fait figure d'édifice au sens herméneutique. C'est l'interprétation de toute une époque qui s'arrête, où il n'y a plus de peuple pour remplir la cathédrale. Le roman pose la question de la liquidation des systèmes gnostiques et herméneutiques.
Jacques Seebacher lance par ailleurs un appel pour savoir ce que serait en astrologie la "ligne pleine" évoquée par Claude Frollo et dans quel ouvrage Hugo aurait pu puiser cette information. Le retraitement par Hugo des informations lues dans les ouvrages du XVIIe siècle est tout à fait révélateur. Il y a là une façon de remodeler le style du Grand Siècle qui fait parfois de Notre-Dame de Paris un exercice brillant d'évacuation du XVIIe siècle dans le traitement historique du Moyen-Age.
Claude Millet: Y aura-t-il dans cette nouvelle édition en cours, la place pour citer des passages entiers du Sauval?
Jacques Seebacher: Pas de façon suffisante. L'idéal serait une édition en Pochothèque, comme pour Rabelais, où une page sur deux est consacrée entièrement aux notes.
Anne Ubersfeld tient à faire amende honorable : à la réflexion, c'est une excellente idée.
Franck Laurent: L'idée de départ est de savoir ce que peut apporter de plus une édition multimédia. Actuellement sur le marché, on trouve deux types de produits. D'une part, des CD-Roms destinés au grand public, qui ne sont en fin de compte que des anthologies de textes, maigrement illustrées et assorties d'un peu de son. D'autre part, des travaux à diffusion plus confidentielle et qui ont un intérêt avant tout pour les spécialistes: compression de texte, recherche par mots...
Il y a pourtant une spécificité du multimédia qui pourrait tout à fait convenir à un travail sur le théâtre hugolien dans la mesure où cela permettrait de présenter non seulement le texte, les variantes et l'édition critique mais encore des éléments graphiques comme des carnets de mise en scène, des dessins de costumes, des archives sonores, voire des images-mouvement. On peut envisager aussi un dossier de presse concernant la réception de l'oeuvre au XIXe siècle.
L'avantage du multimédia, c'est que toutes les informations ne sont pas données en même temps. Il y a autant de parcours de lecture que d'utilisateurs -encore qu'il faut les organiser. On peut donc concevoir, en fonction des publics, différents niveaux d'utilisation.
Guy Rosa: On pourrait, effectivement, par ce biais, mettre en évidence des spécificités du théâtre hugolien. Par exemple, pour reprendre une réflexion d'Eric Vigner, les changements brusques d'échelle. Hugo impose au décor de variations brutales qui font que les personnages se trouvent tour à tour dans un espace vaste ou confiné. Le XIXe siècle aimait les décors et les spectateurs venaient au théâtre pour voir des exploits de décorateurs : l'éruption du Vésuve, une bataille navale grandeur nature. Le multimédia permettrait de montrer ce genre de choses et comment elles se réalisent, ou disparaissent, au fil des mises en scène.
Anne Ubersfeld: Il est vrai qu'à l'époque on pouvait tout montrer, grâce au savoir-faire des décorateurs. Cela dit, il ne faut pas croire que l'on faisait des décors une utilisation abondante. Il y avait au grand maximum un décor par acte, souvent moins.
Claude Millet: Pourtant les spectateurs de mélodrame venaient avant tout pour voir les machines théâtrales rivaliser d'ingéniosité pour figurer incendies, batailles, inondations, monuments...
Anne Ubersfeld: Oui bien sûr, mais les machines spectaculaires ne représentaient qu'une petite partie du spectacle, étant donné les contraintes financières. Il me semble, pour revenir à cette question d'échelles dans le théâtre hugolien, que souvent Hugo fait coexister les deux dimensions à la fois. Dans le dernier acte d'Hernani par exemple, il s'agit à la fois d'un lieu clos et d'une ouverture sur la nature par la terrasse. Il y a donc une double spatialité imaginaire chez Hugo.
Claude Millet: Est-il vrai qu'on assiste au XIXe siècle à une véritable invasion de l'objet sur la scène théâtrale à l'époque romantique?
Anne Ubersfeld: Non. L'invasion de l'objet est plus tardive. Elle concerne le théâtre naturaliste, et même un peu avant autour des années cinquante et soixante. Encore la présence des objets est-elle variable. On les rencontre plus facilement dans les comédies; mais de toute façon pas en nombre proliférant, sinon leur présence ne veut plus dire grand chose.
Arnaud Laster: Pourrait-on retracer par exemple en ce qui concerne les décors, les circonstances du passage de la toile peinte au décor architecturé?
Anne Ubersfeld: Les deux coexistent souvent. La toile peinte utilise le décor architecturé.
Arnaud Laster: Hugo en tout cas semble concentrer l'action sur le praticable, comme le montrent les didascalies, dans Lucrèce Borgia, dans Les Burgraves...
Franck Laurent, reprenant la parole après une digression collective qu'on a beaucoup écourtée : il faut cependant prendre conscience des contraintes techniques des CD-Roms. Si l'on envisage d'inclure des images et surtout des images-mouvement qui prennent beaucoup de place sur le disque, il faudra restreindre les ambitions de ce travail et ne retenir qu'une ou deux pièces. D'autant que les lecteurs de CD-Roms des utilisateurs moyens n'ont pas une capacité indéfiniment extensible. Le CD-Rom doit avoir des paramètres qui le rendent lisible par un maximum de lecteurs.
Ces contraintes techniques font que l'équipe Hugo ne peut pas seule mener à bien ce projet. Il lui faut, ou bien prendre contact avec une maison d'édition, dans le style de ce qui se fait chez Hachette ou au Musée d'Orsay, ou bien faire appel à une équipe d'informaticiens. Dans les deux cas de toute façon, c'est une aventure qui requiert des fonds.
Guy Rosa appelle à la prudence et à la modération, voire à la résignation. L'expérience des Balzaciens avec la société Acamédia pour la publication de la Comédie humaine lève les illusions. On ne peut pas accepter de se rendre pieds et poings liés aux exigences d'un éditeur, qui ne seront pas les nôtres, mais il faut bien savoir que ce qui se passera y ressemblera beaucoup. Les contraintes commerciales s'opposeront nécessairement aux exigences scientifiques, parce que nous ne formons qu'un public dérisoire et que l'investissement dans un bon CDRom est colossal. Que répondre à un éditeur qui refusera nos analyses dramaturgiques sur la didascalie ou l'échelle des décors pour préférer une présentation plus classique sur les grands interprètes ou les grandes mises en scènes, sans autre argument que le ou les millions qu'il aura investi? Sauf à perdre beaucoup de temps en discussions et conflits internes -car, auprès de l'éditeur, cela ira plus vite- il faut tout de suite accepter de se lier à un éditeur dont nous savons que les préoccupations ne sont pas les nôtres.
Franck Laurent: De toute façon, on ne peut concevoir un CD-Rom sans passer par les contraintes de la diffusion. A moins de penser cela comme un CD-Rom à usage interne, confectionné avec l'aide des informaticiens de l'université.
Bernard Leuilliot: Nous n'imaginons même pas très bien quelles sont les possibilités du matériel. Il sera nécessaire d'être conseillés par des gens dont c'est le métier de concevoir de tels produits. Il faut faire coïncider nos idées avec les possibilités de mise en forme.
Claude Millet: On peut très bien concevoir une année de travail avec des informaticiens de l'université pour concevoir une maquette du projet et comprendre les tenants et aboutissants de techniques informatiques. Il est de toute manière très important de ne pas arriver chez un éditeur potentiel en n'ayant qu'une idée très vague de ce que nous voulons faire. Ce serait le meilleur moyen de perdre la partie.
Guy Rosa: Sans doute, à condition de ne pas éloigner la difficulté sans la résoudre en mêlant deux projets incompatibles. L'un, à usage interne, universitaire, et l'autre à destination d'un public plus large et nécessitant l'intervention d'une maison d'édition puissante. Car il y en a beaucoup de petites, qui font la chasse aux subventions, puis faillite.
Le choix semblant acquis pour une période assez brève d'information et de préparation d'un projet -mais non d'une maquette- suivie d'une prise de contact -aussi résolue mais réaliste que possible- avec les grandes maisons d'édition, G. Rosa pose la question de l'organisation interne de l'entreprise : confondue avec le Groupe Hugo ou distincte, mais liée à lui et dirigée -animée si l'on préfère- par qui ?
Anne Ubersfeld souhaite participer au projet mais pas en prendre la responsabilité. Claude Millet et Franck Laurent, auteurs de l'idée, voudraient trouver moyen de ne pas avoir deux noms et deux prénoms. Ce motif d'embarras semble léger aux autres.
Claude Millet (notant les noms des intéressés): Anne Ubersfeld, Florence Naugrette, Arnaud Laster, David Charles, Franck Laurent, Ludmila Wurtz, Krishnâ Renou, Bertrand Abraham (qui a des contacts avec des concepteurs de logiciels CD-Roms), Denis Bellem... La liste n'est pas exhaustive. Il est entendu que le groupe CDRom aura des réunions distinctes de celles du samedi et y informera tout le monde de la marche du progrès.
Guy Rosa souhaite que ce projet ne soit pas la seule entreprise collective prévue pour l'horizon du bi-centenaire. La chronologie hugolienne informatisée, d'après l'édition Massin pour commencer, était déjà discutée en 85 ! Le travail pourrait se faire en trois temps. Il faut d'abord trouver un logiciel adapté qui dispose de techniques pertinentes et commodes pour l'enregistrement et la recherche des données de la chronologie. Dans un deuxième temps il faut procéder à la saisie du texte dans les champs. Il peut paraître coûteux de rentrer les données manuellement ; l'expérience prouve que les scanner ne prend pas moins de temps (il faut rectifier les erreurs, sélectionner les segments de texte pour les redistribuer dans les différents champs, ajouter les compléments nécessaires ; bref, on a meilleur compte de tout saisir directement). Troisièmement, une fois la base de données écrite à partir de Massin, il faut mettre en place sa correction et son enrichissement continus. C'est la partie scientifique du travail, la plus compliquée pratiquement et intellectuellement. Massin ne donne pas les sources ; beaucoup se trouvent dans les fiches manuelles de J. Seebacher, qui sont en archives ici. Les ajouter progressivement est simple. Mais sur quelles bases trancher entre deux sources contradictoires ? à quel niveau d'extension arrêter le débordement de la chronologie strictement hugolienne par celle de l'histoire, des autres écrivains, des faits de civilisation, etc? Et, concrètement, comment concevoir un système de signatures et de mots de passe permettant d'identifier les interventions et de les autoriser sans que cela alourdisse les opérations et la base elle-même. Les scientifiques -qui écrivent les bases de données en chimie moléculaire ou celle du génome humain- connaissent bien ces questions, ont une longue pratique du travail d'équipe et des moyens. Pas nous. Il n'empêche que c'est parfaitement réalisable et d'un intérêt si évident qu'on s'étonne que le CNRS n'ait pas lancé l'entreprise depuis longtemps.
Ce ne devait pas être si évident que cela puisque seul M. Andres répond à cet enthousiasmant programme.
18 octobre: Franck Laurent "Le grand homme chez Hugo"
22 novembre
6 décembre: Jean-Marc Hovasse "Sur le tombeau de Théophile Gautier"
24 janvier - 28 février - 21 mars
25 avril - Bertrand Abraham, sur un sujet tenu provisoirement secret
16 mai: Compte rendu d'un DEA, en préparation à Rouen, sur le paysage chez Hugo
20 juin
Delphine Gleizes
Adresses : groupugo@paris7.jussieu.fr ; Equipe " Littérature et civilisation du XIX° ", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005. Tél : 0144 27 69 81.
Responsable de l'équipe : Guy Rosa, rosa@paris7.jussieu.fr.