Présents: Florence Naugrette, Myriam Roman, Delphine Gleizes, Guy Rosa, Jean-Marc Hovasse, Jacques Seebacher, Ludmila Wurtz, David Charles, Bertrand Abraham, Bernard Leuilliot, Claude Millet, Josette Acher, Krishnâ Renou, M. Fedi.
Excusés: Franck Laurent, Anne Ubersfeld qui est à Jérusalem mais invite le Groupe Hugo à Marines pour le 21 juin.
Guy Rosa signale la publication par Frank Wilhelm d'un article dans Die Warte intitulé "Du nouveau sur les relations amicales entre Victor Hugo et le Viandenois Adolphe Pauly". Hugo y apparaît comme partisan d'une "société où l'industrie et le mérite devraient l'emporter sur la fortune et le népotisme".
Le Groupe Hugo a reçu la lettre d'une correspondante brésilienne qui effectue des recherches sur la réception des Travailleurs de la mer au Brésil et demande qu'on lui envoie la bibliographie de la question. Qui veut s'en charger ?
Florence Naugrette nous indique que la pièce de Victor Hugo Mangeront-ils? dans une mise en scène de Laurent Rogero est représentée au théâtre de la Commune à Aubervilliers jusqu'au 10 juin.
Elle évoque aussi l'intervention de Bernard Fresson lors de la cérémonie des Molières qui a lu le discours fait par Hugo devant l'Assemblée le 10 novembre 1848 sur la réduction du budget des Lettres et des Arts; discours d'une actualité encore brûlante au moment où l'on évoque la situation des intermittents du spectacle.
Jacques Seebacher souhaite faire une mise au point sur l'utilisation des sources par Hugo. On ne peut, selon lui, parler de ces sources sans évoquer le contexte dans lequel elles sont utilisées. Ce contexte aimante et en quelque sorte vectorialise l'usage de la source ; l'ignorer -alors que Hugo, lui, le connaissait parfaitement, c'est, souvent, se méprendre sur le sens même de cet usage, ou sur l'un de ses sens, mais le plus précieux puisque c'est celui que Hugo avait présent à l'esprit sans pour autant, parfois, le rendre public. C'est par exemple le cas pour deux sources majeures de Notre-Dame de Paris, La Chronique scandaleuse de Jean de Roye et Histoire et Recherche des Antiquités de la Ville de Paris de Henri Sauval. En 1830, la fin des Bourbons a à voir pour le lecteur de l'époque avec la fin des Valois sous Louis XI. Dans ce contexte, le fait que Jean de Roye ait fait partie de la clientèle des Bourbons dont il était le secrétaire n'est pas indifférent. L'auteur de La Chronique scandaleuse donne à voir d'une façon tout à fait ahurissante la violence des affrontements entre les Bourguignons et les "Franciliens", affrontements jalonnés de massacres de villages entiers. Les conditions météorologiques, économiques et sociales dans lesquelles se déroulent ces violences sont partout soulignées. Le texte s'inscrit dans une continuité de catastrophes, de mortalité, de misère. De ce désordre émergent seulement deux points fixes sur lesquels prend appui le pouvoir des "Franciliens": la Touraine et le peuple de Paris. Or ce texte semble d'une importance capitale pour Hugo si l'on se fie, après les corrections effectuées par Jean Mallion, au registre de consultation des ouvrages de la Bibliothèque royale en date du 30 juin 1830, sur lequel figure le nom de l'écrivain.
Par ailleurs, Jacques Seebacher signale le plaisir qu'il a à lire actuellement un certain livre sur le légendaire chez Victor Hugo, beau livre dit-il, qui témoigne d'une grande maîtrise...
Bernard Leuilliot: Comment se fait-il, étant donné l'importance des travaux de Renouvier sur Hugo, que l'on n'ait jamais retrouvé nulle trace d'une relation, fût-elle épistolaire, entre eux? Renouvier a tout de même consacré deux livres à Hugo, Victor Hugo poète et Victor Hugo philosophe qui sont tous deux des recueils d'articles et de comptes-rendus, contemporains de la publication des grandes oeuvres : Les Travailleurs de la mer, L'Homme qui rit, La Légende des siècles. D'autre part, Renouvier a été pendant la Seconde République le coauteur d'un important manuel républicain d'instruction morale et civique et le signataire d'un projet de loi sur la réforme communale dont on retrouve l'écho direct dans un chapitre de Napoléon le petit, seul texte de Hugo qui soit un véritable programme politique. Comment penser que Hugo soit resté indifférent à ces publications ?
M. Fedi: Effectivement, on ne sait rien des relations de Renouvier et de Hugo. Les articles dont vous parlez, qui ont ensuite été insérés dans les livres Victor Hugo le poète et Victor Hugo le philosophe, ont été publiés dans la revue La Critique philosophique. Cette revue était celle à laquelle Renouvier collaborait assidûment, même après son changement de titre en 1890 où elle devint L'Année philosophique, dirigée par un fidèle ami de Renouvier, François Pilon.
Bernard Leuilliot: Autre question, de quoi vivait Renouvier?
M. Fedi: Renouvier avait à l'origine une formation de polytechnicien ; il n'a exercé dans aucun des corps ouverts par cette école et est également toujours resté en marge de l'institution universitaire. Apparemment, il ne vivait que de la publication de ses livres et, surtout sans doute, de sa collaboration, très abondantes, à différentes revues.
Claude Millet: En effet, il a toujours refusé son intégration dans l'Université.
Josette Acher: Il vivait de rentes. Agulhon signale que cela lui permettait d'être philosophe au sens du XVIIIe siècle, sans être contraint par la carrière universitaire.
Bernard Leuilliot: Pour ce qui concerne Walter Benjamin, il me semble que son approche de Hugo est assez sommaire, surtout si on la compare aux vues pénétrantes qu'il peut avoir sur Baudelaire. A se demander si Benjamin a vraiment lu Hugo, qu'il n'emploie, somme toute qu'en repoussoir à Baudelaire.
M. Fedi: C'est vrai, mais dans le prolongement des images chthoniennes que j'évoquais tout à l'heure, Benjamin est plus attentif à Hugo qu'à Baudelaire.
Bernard Leuilliot: De plus le corpus utilisé par Benjamin est très réduit, alors que l'on sent que Renouvier a beaucoup lu Hugo.
Claude Millet: Y a-t-il des textes de Renouvier sur le roman russe?
M. Fedi: Il doit y en avoir; il faudrait regarder dans les tables de La Critique philosophique. Malheureusement, cette revue est difficilement accessible ; ce sera peut-être plus aisé si je réussis à faire rééditer les textes.
Bernard Leuilliot: Voilà une collection qui serait un achat intéressant pour la Bibliothèque XIXe siècle. Michel Serres n'a réédité que l'Uchronie de Renouvier, dans sa collection des Textes philosophiques français chez Fayard
M. Fedi: Ce texte est pourtant le plus faible sans doute de Renouvier, du point de vue philosophique; mais il peut être intéressant du point de vue des idées philosophiques: il n'y aurait pas de développement linéaire de l'histoire mais une succession de points de bifurcation possibles.
Bernard Leuilliot: Il est vrai que la grande faille de la philosophie de Renouvier réside dans son style. Pourquoi la philosophie française de l'époque patauge-t-elle dans un verbalisme confus? Plus encore chez Renouvier que chez Comte...
M. Fedi: On a reproché à Renouvier son style et le décousu de ses ouvrages. Pour se défendre, il ne déployait pas beaucoup d'arguments et se contentait de répondre que pour lui la philosophie devait s'écrire comme ça.
Bernard Leuilliot: De toute façon, c'est aussi la même chose chez Bonald; cela manifeste l'impossibilité d'élaborer une pensée systématique qui est peut-être le trait de l'époque et de la pensée romantique.
M. Fedi: Renouvier apporte autre chose; il a un rôle inspirateur, notamment à travers la "théorie des trois mondes" que j'évoquais tout à l'heure. Elle offre la base, dit Renouvier lui-même, d'une grande épopée, qui aurait pu être chantée par Hugo...
Jacques Seebacher: Est-ce que cette épopée est le reflet d'une position pessimiste sur la nature humaine?
M. Fedi: Renouvier attend la libération humaine, mais avec un sens aigu de la durée et de la lenteur des processus sociaux : nous mourrons dans un état du monde qui ne sera pas encore régénéré. Pourtant Renouvier s'exclut d'une logique pessimiste.
Jacques Seebacher: Quelles sont les idées de Renouvier en matière d'éducation?
M. Fedi: Ce sont les règles et les principes de l'éducation laïque. Un cycle d'articles anonymes mais attribués à Renouvier, est paru dans La Critique philosophique sur ce sujet. On trouve par ailleurs d'autres éléments dans La Science de la Morale de 1869. Renouvier insiste sur le rôle de l'Etat dans le système éducatif. Comme je l'indiquais, Renouvier fait une distinction pragmatique entre état de paix et état de guerre telle qu'à ses yeux -et c'est l'essentiel de son écart par rapport à Kant- il n'y a pas d'idéalité possible dans les rapports des individus et de la société.
Bernard Leuilliot: Peut-on parler alors de néopositivisme?
M. Fedi: Il faudrait réserver ce terme à la nouvelle école italienne de Lombroso et Ferri.
Bernard Leuilliot: Renouvier lisait-il l'allemand?
M. Fedi: Non; cela a d'ailleurs conditionné sa compréhension des philosophes allemands, de Kant notamment. Etonnamment, les philosophes de l'époque lisaient plutôt l'anglais. Renouvier lisait Hume et Berkeley sans aucun problème.
Guy Rosa: Pourriez-vous préciser le statut de Walter Benjamin dans votre exposé? Est-il un objet d'étude au même titre que Renouvier ou un modèle pour votre démarche?
M. Fedi: J'ai tenté de mener de front les diverses pistes que vous évoquez. Mais je n'ai pas assumé de façon massive la position benjaminienne. J'ai essayé de montrer comment Hugo et Renouvier pouvaient s'inscrire dans une approche de type benjaminien.
Claude Millet: La distinction imposée par les titres des deux livres de Renouvier entre Hugo philosophe et Hugo poète n'est pas vraiment pertinente. Il aurait pu choisir par exemple une ligne de partage entre d'une part le fictionnel et le mythologique et d'autre part le discursif.
Bernard Leuilliot: Est-ce que cela n'est pas conditionné par les catégories de l'époque entre philosophes et poètes?
Claude Millet: Mais dans ces études cela reflète un certain arbitraire, d'autant que Renouvier parle de la philosophie de Hugo dans le volume sur le poète et inversement.
Jacques Seebacher: Cela participe aussi d'une stratégie éditoriale: il était impensable à l'époque d'évoquer la pensée philosophique d'un écrivain comme Hugo si l'on n'avait pas auparavant consacré un volume de facture plus traditionnelle à sa dimension poétique.
M. Fedi: De toute façon, les deux sont imbriqués; Renouvier va chercher la substance philosophique de Hugo dans ce qu'il y a de plus romanesque et de plus poétique. C'est cela qui est le plus intéressant.
Jacques Seebacher: Quelques remarques concernant le panthéisme
hugolien, question mal réglée. Je ne pense pas que Hugo soit
panthéiste, même si les passages que vous citiez du Satyre
peuvent le suggérer. Vous avez aussi cité "l'espace
infini" qui est l'évacuation de la substantialité dans
la notion d'espace. Il est alors difficile de présenter Le Satyre
comme une floraison spinoziste. D'autre part, on identifie le panthéisme
de Hugo au Satyre, mais le Satyre ne commence à chanter que
lorsqu'il a la lyre, autrement dit l'harmonie réglée qui
pourra mettre en conformité passé, présent et avenir.
Autre remarque concernant le Fatalisme et la notion d'Anankê. On
fait souvent dériver ces notions du romantisme à une époque
où l'individu se trouve seul devant un tout étranger qu'il
ne contrôle pas, auquel il ne peut plus participer et qui l'incite
donc à concevoir les événements de sa vie de façon
malheureuse. On pourrait évoquer d'autres conceptions de la fatalité.
Dans le Sauval, on note une seule apparition du terme fatalité dans
les deux premiers volumes. Sauval s'interroge alors sur le malheur de certaines
familles qui les entraîne à l'extinction. S'agit-il de fatalité?
Or Sauval ne reprend pas contre toute attente un providentialisme à
la Bossuet mais désigne la fatalité comme un poids, une obscurité
qui fait question, en rapport avec le mystère de la "foule".
Renouvier aurait-il été sensible à cette double conception
de la fatalité, d'une part comme construction architecturante, dramatique,
voire mélodramatique parfois et d'autre part comme obscurité
de la foule qui n'est pas encore devenue peuple et qui est encore indéterminée?
La Fatalité serait alors comme la focalisation historiquement datable
de la fascination pour le mal social; les deux éléments de
cette dialectique ne seraient qu'un jeu d'optique.
M. Fedi: Renouvier ne semble pas avoir eu sur ce point votre profondeur de vue. Il reste imperméable à toute idée de jeu de miroir ou de processus dialectique. Il interprète la fatalité chez Hugo à travers son propre système de l'histoire, en effectuant un rapprochement avec le triptyque Hegel-Saint-Simon-Comte.
Claude Millet: Dans ses pages sur l'écriture dramatique de Hugo, Renouvier critique aussi le pessimisme noir de la fatalité.
Jacques Seebacher: Hugo est plus proche de Renouvier que Renouvier ne le pense: la marginalité des gueux et la fatalité sont comme deux obscurités à côté de la lumière de l'histoire. Si l'on n'en tient pas compte, on ne peut pas comprendre ce qui se passe dans la rationalité historique.
M. Fedi: Renouvier n'a pas beaucoup parlé des gueux. Il analyse toujours la société dans ses fondements moraux et politiques.
Jacques Seebacher: Oui, mais il a longuement traité du problème de la peine de mort.
Claude Millet: La philosophie politique reste le point faible de Renouvier. De plus il ne reconnaît à Hugo que des opinions en la matière.
Arrivée de Franck Paul Bowman
Josette Acher: Pourriez-vous préciser le rapport entre Etat hégélien et Etat policier?
M. Fedi: Si on suit les catégories de Benjamin, Javert correspond à l'Etat hégélien. Mais cette Etat n'est pas totalitaire au sens où Benjamin l'entend pour les années trente en Europe, contrairement à ce qu'on lui fait dire çà et là. C'est pourquoi je préfère parler d'Etat hégélien plutôt que de totalitarisme hégélien.
Equipe " Littérature et civilisation du XIX°
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