GROUPE HUGO


SEANCE DU 22 FÉVRIER 1997

Présents : Jacques Seebacher, Anne Ubersfeld, Arnaud Laster, Françoise Chenet, Guy Rosa, Myriam Roman, Delphine Gleizes, Josette Acher, Valérie Presselin, Marie Tapié, Andrew Miller, Claude Millet, Franck Laurent, Françoise Sylvos, Thanh Van Ton That, Vanessa Vysosias, Pierre Abraham, Florence Naugrette, Jean-Marc Hovasse.

 


Informations

* Arnaud Laster donne une conférence à la Maison de Victor Hugo, le mardi 4 mars à 18h30, sur les adaptations cinématographiques de Notre-Dame de Paris. Au même endroit, une semaine plus tôt, M. Bruno Gaumetou (sic), Manager Formation Walt Disney Animation Montreuil (sic), aura parlé des techniques et de la réalisation du Bossu de Notre-Dame.

 

* Guy Rosa a reçu de Frank Wilhelm un article intitulé "La Figure et l'oeuvre de Marcel Noppeney (1877-1966) mort il y a trente ans".

 

* Delphine Gleizes se fait l'écho d'un appel de Philippe Régnier (Lyon) : pour un ouvrage sur la poésie populaire et les poètes ouvriers de la monarchie de Juillet, il demande, d’ici juin, cinq pages à un hugolien sur la théorie -ou la place- de la poésie populaire chez Victor Hugo dans ces années-là.

 

* Parmi des remarques partagées sur l'art d'Augustin Préault (à découvrir), sur l'exposition Théophile Gautier (à visiter), sur la représentation de Rodogune (à voir) et sur celle de Sertorius (idem), Anne Ubersfeld évoque une mise en scène de Mangeront-ils, et une de L'Intervention où le baron de Gerpivrac, contrairement à celui de la Comédie Française, était interprété par un tout jeune acteur.


Exposé de Françoise Chenet: Sur "deux vers qui sont peut-être du diable" (Les Misérables, II, 2, 2). (Voir texte ci-joint).

 


Au cours de l’exposé, dont Françoise Chenet a aimablement autorisé les interruptions, ou à sa fin, J. Seebacher et G. Rosa formulent deux remarques méthodologiques. L’une vise le contrôle des hypothèses, l’autre leur économie. D’une part elles doivent ne s’exposer à aucune objection matérielle : une association d’idées, par exemple, prêtée à Hugo et fondée sur le sens d’un nom ou d’un mot dans une langue étrangère n’est recevable que si l’on est certain que Hugo connaissait assez bien cette langue pour percevoir ce sens ou, à défaut, qu’un texte ou un interlocuteur l’en a informé. D’une manière générale, l’économie d’hypothèses est une règle épistémologique : entre deux théories la meilleure est celle qui en consomme le moins et entre deux hypothèses également coûteuses la meilleure est celle dont le pouvoir explicatif est le plus grand. En un mot, le droit d’inférer quoi que ce soit d’une simple possibilité n’est donné que si cette possibilité est matériellement établie et si le bénéfice du recours qu’on y fait égale au moins sa probabilité matérielle. En particulier toute hypothèse qui ne ferait que confirmer un sens lisible sans elle doit être écartée: son coût, même minime, est disproportionné puisque son bénéfice est nul. C’est à cette objection que s’expose plus d’une fois l’article brillant d’Alain Vaillant qu’on lira dans le prochain numéro de Romantisme.
Reste le cas, très troublant, des sens lisibles à l’auteur seul, tel celui porté par les allusions autobiographiques dans Les Misérables, irrepérables du vivant de Hugo à tout autre qu’à lui-même -la date du 16 février 1833 par exemple. J. Seebacher estime que, quoique le lecteur ne puisse les comprendre, il y est pourtant sensible à travers les inflexions, ténues mais nombreuses, qu’elles déterminent dans l’écriture du texte. La vérité biographique s’y cache, vague, ignorée, inconsciente, mais elle y agit moins comme un sentiment que comme un attrait, invisible mais réel.

 Jacques Seebacher, afin de démontrer l'utilité de revenir à la lecture des sources primitives (ou premières), indique qu'il vient de reprendre le Sauval (Henri), une des origines reconnues de Notre-Dame de Paris. Or, dans le premier livre de l'Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris, on s'aperçoit que Hugo a opéré un choix et n'a pas tout lu. Sauval, qui est rationalisant, anticlérical, appelle les gueux, dans son ouvrage, les "mauvais pauvres" -formule qui fournit le titre du dernier livre de la troisième partie des Misérables. À un endroit, Sauval oppose même à ces gueux "mauvais pauvres" les "bons pauvres", c'est-à-dire les moines. À partir de ce constat, on se trouve obligé de reprendre la documentation sur l'Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris. Hugo apparaît comme un extraordinaire lecteur, car chez Sauval, les gueux qui ont tout d'abord un statut purement pittoresque posent peu à peu le problème général de la pauvreté à Paris. Sauval tend même à une apologie plus ou moins critique du grand renfermement louis-quatorzien, celui-là même étudié par Foucault dans son Histoire de la folie à l'âge classique.
Devant l'augmentation du nombre des mendiants à Paris, qui se retiraient la nuit dans des espèces de squats (dont le principal se trouvait vers la porte Saint-Denis), la grande politique royale décida qu'il était dorénavant interdit à tout hôpital, à tout hôtel-Dieu, à toute organisation de les recevoir. Un Hôpital Général fut organisé, sur plusieurs sites, sous une seule administration réglée -longtemps après Manon Lescaut y sera internée. Les mendiants parisiens devaient alors choisir entre quitter Paris (puis sa banlieue) ou accepter de se faire enfermer dans ces hôpitaux où ils étaient astreints à une discipline religieuse stricte et surveillés par l'État. Nettoyé de ces scories, Paris pouvait alors (re)devenir la grande ville lumière.
Le problème de la misère et de l'interdiction de la mendicité, c'est la ligne de front du travail de Sauval; sur ses points stratégiques se placent les emprunts faits par Hugo à l’ouvrage; Notre-Dame de Paris intègre cette lecture critique, dont la portée va bien au-delà du pittoresque et de la couleur locale, mais à long terme Claude Gueux également, et Les Misérables. Relire les sources primitives est bien une nécessité.

Guy Rosa, revenant aux Misérables V, 5, 5 : La seule chose qui me paraît mystérieuse dans ce texte, c'est que Hugo a baptisé la cachette de Jean Valjean, dans la forêt de Montfermeil, "le fonds Blaru", "la clairière Blaru". Si l’on imagine sans trop de peine l’antiphrase ironique et la célébration qui datent le mariage de Cosette de la première nuit avec Juliette, quelle association d’idées a-t-elle pu conduire Hugo à nommer le lieu du trésor de Jean Valjean du nom de plume de Léonie?

 Françoise Chenet : Je me demande si Victor Hugo et Léonie Biard ne sont pas allés ensemble à Blaru, village qui se trouve sur la route de Villequier.

Guy Rosa : Ca complique encore les choses. De surcroît on dit toujours ce que je viens de dire, que Thérèse de Blaru est le nom de plume de Léonie, mais il n’apparaît pas au catalogue de la B.N. et Léonie d’Aunet signe de son nom ses livres. Est-ce le pseudonyme qu’elle prend dans les journaux? A quelle date? Aucun document, à ma connaissance, ne le précise; il serait amusant que ce surnom vienne des textes et non l’inverse.

 Jean-Marc Hovasse

 


P.S.1. La séance du samedi 22 mars sera consacrée à " Proust lecteur de Hugo " : Mme Than-Van Ton That, M.C. à l’Université de Reims, y parlera –"sous le contrôle" de Danielle Gasiglia-Laster.

P.S.2. Pierre Laforgue me pardonnera d’aboir oublié de signaler oralement son excellent article " Hugo et Chénier: un dialogue d’outre-tombe ", publié au n° 15 des Cahiers Roucher-André Chénier.

P.S.3. Par mon canal pour le moment (rosa@paris7.jussieu.fr) et bientôt par celui de la Bibliothèque 19° à Jussieu, le Groupe a accès au réseau Internet.
Je transmettrai à tous les questions, informations, remarques, qui me parviendront par cette voie.
Elle serait aussi plus rapide -et moins coûteuse- pour communiquer nos comptes rendus à ceux de nos correspondants, américains en particulier, qui disposent d’une adresse électronique et me la feront connaître.

G. R.


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