GROUPE HUGO
Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"

 Retour


Séance du 26 octobre 1996

Présents : Guy Rosa, Anne Ubersfeld, Jocelyne Pomedio, Colette Gryner, Delphine Gleizes, Valérie Papier, Myriam Roman, Jean-Marc Hovasse, Philippe Andres, Dorothée Van Beuzekom, Aurore Lecomte, David Charles, Ludmilla Wurtz, Marguerite Delavalse, Sandy Petrey, Bernard Degout, Pierre Laforgue, Bernard Leuilliot, Claude Millet, Franck Laurent, Josette Acher, Pierre Georgel.

Excusée: Florence Naugrette.


INFORMATIONS

- G. Rosa présente Aurore Lecomte qui, pour sa maîtrise, entreprend de construire le modèle permettant l'édition électronique des fragments de Hugo (avec donc le double classement (BN et Gatine) immédiatement accessible, la recherche par incipit et par date, l'indexation de tous les mots, etc.). On applaudit ce retour à la grande tradition philologique, avec laquelle renoue aussi Carole Descamps, en poste d'échange à l’Université de Pennsylvanie et qui a repris son travail sur le manuscrit de William Shakespeare.

 

- M. Jean Maurel vient de publier Chez Victor Hugo. Les Tables tournantes de Jersey à l'Ecole des lettres (École des loisirs) au Seuil, avec une belle Postface.

 

- M. Jean-Pierre Vidal, actuellement scientifique du contingent à La Flèche, se trouve dans l'impossibilité (militaire) d'assister aux réunions du Groupe. On lui cherche une marraine de guerre.

 

- M. Thomas Bouchet soutient sa thèse prochainement sur les journées du 5 et 6 juin 1832, ainsi que sur leur retentissement historique et littéraire. Cela fera l'objet d'une présentation au Groupe Hugo, lors de sa séance du 22 mars 1997.

 

- M. Frank Wilhelm nous fait parvenir le programme du son et lumière Les Misérables à Montreuil sur-mer, spectacle donné les 26, 27 et 28 juillet ainsi que les 2, 3 et 4 août 1996.

 

M. José-Manuel Losada-Goya nous fait part, depuis Oxford, de ses récentes publications

- La Leyenda de los siglos, de Victor Hugo. Extraits, (édition, traduction, introductions et notes), Madrid, Càtedra, coll. Letras Universales, n° 211, 1994, 322 p., ISBN : 84-3761291-8.

- "Victor Hugo o el màs sublime de los grotescos ; la recepcion de su teoria en España", in Tristàn y su angel Diez ensayos de literatura general y comparada, par José Manuel Losada-Goya, avant-propos de Daniel-Henri Pageaux, Kassel (Allemagne), Reichenberger Edition, 1995, p. 81-95 [X- 188 p. & 5 ill. ISBN : 3-930700-13- 1 ].

- "La poética del multilingüismo en Victor Hugo", Neohelicon. Acta Comparationis Litterarum Universarum, Budapest / Amsterdam, XXII, 1, 1995, p. 239-279.

- "Hamlet en Hugo y Mallarmé", Lenguaje y Textos (La Coruña), VIII, 1996, p. 121-127.

- "La antitesis poética del sepulcro en Victor Hugo", in De Baudelaire à Lorca, José Manuel Losada-Goya, Kurt Reichenbacher et Alfredo Rodriguez Lopez-Vasquez (éd.), Kassel (Allemagne), Reichenberger Edition, coll. "Problemata Literaria" n° 31-33, 1996, vol. 1, p. 5972 [3 vol., 951 p. ISBN: 3-930700-59-X].

 

M. Gérard Pouchain précise qu'il n'a pas "cosigné" le spectacle Juliette Drouet : une passion romantique mis en scène au Nouveau Théâtre Mouffetard par Jean-Pierre Hané, un de ses anciens élèves fidèles. Il s'est contenté d'accepter de l'avoir inspiré.

 

- Le dernier numéro de la RHLF contient un grand article de Pierre Laforgue sur Baudelaire et Hugo, dont le Groupe avait eu la primeur.

 

- Delphine Gleizes signale une exposition itinérante sur Victor Hugo, qui descend de Tokyo à Hiroshima. Elle en présente le catalogue, et chacun s'accorde à penser qu'il serait bon (quel qu'en soit le moyen) d'en obtenir un exemplaire pour la bibliothèque.

 

- L'été dernier à Neuchâtel, Anne Ubersfeld a vu trois spectacles de Hugo : Mangeront-ils ? L'Intervention et des lectures. Elle nous en parlera à la séance du samedi 14 décembre. Par ailleurs, elle nous encourage vivement à aller voir le Hamlet mis en scène par Philippe Adrien à la Cartoucherie- théâtre de la Tempête.

 

- Hier soir à la Bastille, la conférence-concert d'Arnaud Laster a enchanté un public nombreux. Le Groupe Hugo lui propose d'une seule voix d'en reproduire la substance à la séance du 14 décembre.

 

- Claude Millet annonce, sous sa direction, la résurrection de la série Victor Hugo chez Minard, interrompue après trois numéros il y a une dizaine d'années. Les prochains numéros porteront ou bien sur des questions, ou bien sur des œuvres, les annexes contiendront des textes hors-programme. Toutes les suggestions seront les bienvenues.

 

- Marguerite Delavalse pose une question : Le Groupe Hugo a-t-il prévu une manifestation spéciale au Viêt-Nam pour l'année de la francophonie (1997) ? Guy Rosa répond par un appel pour se rendre à Hanoï (qui ne tombe pas dans l'oreille de sourds), suivi par une longue histoire du caodaïsme, qui débouche sur une réflexion sur les pratiques de lecture collective des Misérables, et s'engage à écrire en ce sens à l'Ambassade de France à Hanoï (Paris 7 a des échanges avec cette Université).

 

- La nouvelle salle de l'équipe XIXème a été pompeusement inaugurée cette semaine : nous nous y réunirons lorsque nos livres y auront été transportés (chose retardée par un dépoussiérage amiante que les entreprises alléchées rendent ruineux (20 F. par livre».


 Communication de Pierre Laforgue : Épopée et histoire chez Hugo (1852-1862) (voir texte joint)


Discussion

Anne Ubersfeld : Tous les modèles de Hugo sont littéraires. Or, l'épopée n'est pas possible quand elle est déjà méta-littérature : Hugo en parle et s'y réfère, sans la pratiquer. La pluralisation du sujet pose un deuxième problème, que Hugo n'a jamais résolu, au théâtre en particulier. Enfin, le lien du sujet épique dans Les Misérables (Cambronne, Gavroche) avec la parole pose un troisième problème - il s'agit d'une parole infime, qui va jusqu'à l'aphasie avec Gavroche. Tout se passe comme si l'épopée se construisait sur cette parole non aboutie.

Bernard Leuilliot : L'utilisation de l'adjectif épique ou du substantif épopée n'est jamais bien claire (obscuritate rerum verba saepe obscurantur). Il s'agit tantôt d'une qualification morale qui emprunte sa métaphore à l'ordre esthétique, tantôt d'une catégorie proprement générique. Si c'est un genre, quelle est la règle de l'épopée ? Le merveilleux qui implique nécessairement l'intervention divine dans l'histoire humaine. Dans ce sens, Hugo n'a écrit qu'une seule et unique épopée : La Fin de Satan. Or, elle est inachevée. Hugo ne s'est pas heurté, comme on l'avance parfois, à l'impossibilité de penser la Révolution, mais à l'impossibilité de la dire en termes « providentialistes »: d'articuler ce qui se passe "sur terre" et ce qui se passe "hors de la terre".

Anne Ubersfeld : Cette définition est excessivement réductrice : le merveilleux est presque absent de L'Odyssée. L'épopée, c'est l'itinéraire d'un héros.

Bernard Leuilliot : Oui, mais qu'il s'agisse de L'Iliade, de L'Odyssée, ou même des Martyrs, c'est l'interprétation qui en est faite qui en tire la dimension du merveilleux.

Franck Laurent : On relève dans les premiers recueils la présence d'un merveilleux napoléonien. Le modèle, c'est indéniablement Les Martyrs.

Anne Ubersfeld : J'apporte un concept de plus : La Fin de Satan ne me paraît pas appartenir au merveilleux, mais au symbolique.

Claude Millet : Le merveilleux est une catégorie présente dans tous les débats sur l'épopée depuis le dix-huitième siècle, qui pose le problème de la présence de Dieu dans l’Histoire. Dans La Légende des siècles et dans La Fin de Satan, on assiste à un double mouvement. D'une part, on casse le merveilleux pour ouvrir l'épopée au prodige : là où la présence du merveilleux et l'apparition de l'ordre providentiel donnaient une dimension sublime au texte prend place le prodige, comme le poème "Choix entre deux passants" (Nouvelle Série de La Légende) le montre bien, D'autre part, on casse la mythologie pour déboucher sur une mythification de l'Histoire. Qu'est-ce que le prodige ? C'est l'événement qui ouvre l'Histoire à l'inconnu (dans Quatre-vingt- Treize, c'est la Révolution). Le prodige c'est, d'une certaine manière, le réel.

Quelle est la nature du rapport entre la satire et l’épopée ? Chez Barbier, chez Musset, l'opposition entre passé épique et présent dégradé (monarchie de Juillet) apparaît constamment. Le texte satirique du dix-neuvième siècle est toujours une anti-épopée. Hugo adjoint Dante à Juvénal ; l'épopée devient alors une sorte de satire visionnaire du mal. Les derniers vers de "Nox" :

Dressons sur cet empire heureux et rayonnant,

Et sur cette victoire au tonnerre échappée,

Assez de piloris pour faire une épopée !

montrent que l'épopée dans les Châtiments apparaît finalement plutôt du côté de l'énonciation que de l'énoncé. Louis-Napoléon n'a rien d'un héros épique, mais Hugo, oui.

Guy Rosa : Au lieu de discuter le sens que Hugo donne à l'épopée, il suffit de revenir à la préface de Cromwell où il la définit assez précisément.

Bernard Leuilliot : Mais cette définition est-elle valable pour toute l’œuvre de Hugo ?

Guy Rosa: Pourquoi ne le serait-elle pas ? Elle ne tient d'ailleurs pas compte du merveilleux ni du prodigieux et s'apparente d'assez près à celle de Hegel.

Bernard Leuilliot : Via Schlegel.

Guy Rosa : Sans doute. "Tout est simple, tout est épique", dit la Préface de Cromwell; cela donne contenu et suffisance à la présence de l'épopée. Laforgue vient de montrer, et il a bien raison, que la configuration épique du texte est entravée par une histoire contradictoire et dégradée. Mais si l'histoire est double, « réalité » et réel (ou idéal), son premier aspect interdit l'épopée, mais le second l'exige. Force est bien de constater qu'il y a de l'épique ; même si l'épopée est impossible, elle est écrite. Hugo problématise le genre, mais il ne l'efface pas. La Légende de 1859 est quand même une épopée et, dans Les Misérables, l’épique n'est pas ironique.

Franck Laurent : Pour expliquer l'idée d'une épopée purement ironique dans Les Misérables, on évoque quelquefois ces deux ratages que sont 1815 et 1832. Introduire l’épopée dans le roman tend simplement à exhiber la dualité quasi ontologique de l'Histoire. Donc je ne pense pas que le ratage de l’émeute de 1832 soit l’explication d'une éventuelle ironie. Les chapitres de Hugo sur 1832 ne sont d'ailleurs pas particulièrement ironiques.

Pierre Georgel : Certes, ce n’est pas sur le succès de l'action que l'on juge qu'elle est épique ou non.

Pierre Laforgue convient qu'il a tordu le bâton un peu fort pour le redresser. Mais il était si déformé!....

Anne Ubersfeld : L'épique, c'est le moment où se fait la rencontre entre une communauté et un individu qui la représente. Comment articuler l'aventure humaine du groupe et le fait que ce soit un être qui en soit le porteur ?

Guy Rosa : Les caractères par lesquels Hegel définit l'épopée sont les suivants : la jeunesse d'un monde et sa simplicité (l’unicité, la non-division). Ils entraînent les autres : monde évoqué dans sa totalité, manière particulière de traiter la nécessité et la fatalité. Elles apparaissent comme une loi immanente au monde et aux hommes, non comme s'imposant à eux de l'extérieur. Il y a aussi une morale épique : dans l'épopée, tout est bon, car chacun remplit pleinement sa nature. Cette définition caractérise assez bien l'épique chez Victor Hugo. Dans William Shakespeare le passage d'Homère à Job est bien celui de l'unité du monde à sa division : « L'un, Homère, est l'énorme poète enfant. Le monde naît... Homère a la candeur sacrée du matin. Il ignore presque l'ombre. [ ... ] L'autre, Job, commence le drame... par la mise en présence de Jéhovah et de Satan; le mal défie le bien, et voilà l'action engagée. » La Fin de Satan est un drame qui vise l'épopée.

Claude Millet : Entre 1857 et 1859, Hugo multiplie les essais de préface à La Légende des siècles. L'épique y est identifié à une littérature militariste. L'épopée est un genre belliqueux ; c'est une littérature du mal en ce sens qu'elle fait l'apologie de la guerre. C'est le sens du poème "Changement d'horizon" de La Légende de 77 (écrit en 1860), comme du poème "Enthousiasme" des Orientales: l'épopée est interrompue au profit de la promotion du lyrisme comme genre de la rêverie.

Bernard Leuilliot : Paulo minora canamus.

Claude Millet : C'est un peu plus que cela.

Tandis que Pierre Laforgue cherche une citation dans William Shakespeare, Bernard Leuilliot renouvelle l'expression de sa perplexité devant les textes théoriques de Victor Hugo: leurs affirmations gardent-elles sens hors d'eux? En extraire telle définition n'est pas plus juste que de prendre pour vérité tel discours d'un personnage romanesque. Et puis comment savoir, avec quelqu'un qui reproche aux mots d'avoir plus de contours que les idées?

La citation est trouvée (I, IV Shakespeare l’Ancien - 7):

"Eschyle est disproportionné. Il a de l’Inde en lui. La majesté farouche de sa stature rappelle ces vastes poëmes du Gange qui marchent dans l’art du pas des mammouths, et qui, parmi les iliades et les odyssées, ont l’air d'hippopotames parmi les lions. Eschyle, admirablement grec, est pourtant autre chose que grec. Il a le démesuré oriental."

Jean-Marc Hovasse


Equipe "Littérature et civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005 Tél : 01 44 27 69 81.
Responsable de l'équipe : Guy Rosa.