GROUPE
HUGO
Université
Paris 7 - Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX°
siècle"
Présents : Anne Ubersfeld, Jean-Claude Fizaine, Guy Rosa, Delphine Gleizes, Christine Cadet, Jean-Marc Hovasse, Carole Descamps, Arnaud Laster, Françoise Chenet, Sandra Rochemaure, Juliette Dablanc, Valérie Presselin, Ludmila Wurtz, David Charles, Jacques Seebacher, Bernard Leuilliot, Marguerite Delavalse, Florence Naugrette, Josette Acher, Myriam Roman.
Sandra Rochemaure travaille en maîtrise sur la genèse de Gavroche dans le manuscrit des Misérables ; Juliette Dablanc fait son D.E.A sur la manière dont les langages populaires (dont l'argot) sont traités dans les adaptations théâtrales ou filmiques des Misérables. Son sujet implique des comparaisons avec L'Assommoir entre autres.
Guy Rosa annonce la participation de Kevin Smith à la prochaine séance du Groupe. K. Smith fait une thèse sur les monuments parisiens au XIXème siècle et leur représentation, chez Hugo notamment.
— G. Rosa dépose à la Bibliothèque du XIXème l'excellent mémoire de maîtrise de Frédérique Leichter sur «Les Questions morales dans Les Misérables».
— Un dense (et riche) petit livre de Claude Millet sur La Légende des siècles vient de paraître chez
P.U.F, dans la collection «Études littéraires».
— A. Laster signale également la parution de l'article de Claude Millet sur «Renouvier et Hugo» dans le dernier numéro de Romantisme consacré à la philosophie française.
— G. Rosa a reçu la lettre d'un lecteur passionné de Hugo, M. Michel Drouin, recherchant qui aurait publié anonymement un article autour de 1941, et y aurait traité Hugo d'«imbécile». A. Laster et A. Ubersfeld suggèrent le nom de Claude Farrère. A. Ubersfeld a lu Les Civilisés de Claude Farrère et nous le signale comme un objet curieux : contre toute attente, ce n'est pas un éloge de la civilisation.
— G. Rosa nous annonce que G. Pouchain renonce à traiter dans sa thèse des caricatures dont Hugo fut l'objet, réservant le sujet pour un livre. A. Ubersfeld pense qu'il y aurait aussi un travail à faire sur Hugo caricaturiste.
— A. Laster transmet au Groupe quelques nouvelles concernant Hugo au théâtre :
* Un Hernani a été monté en grande banlieue. Mais la pièce n'a été jouée qu'une seule fois, en ouverture du Festival de Théâtre du Val d'Oise et A. Laster n'a pu la voir. Nous espérons qu'elle sera rejouée en un endroit plus facilement accessible.
* La Comédie française a repris Mille francs de récompense. A. Ubersfeld nous apprend que Jean-Yves Dubois a reçu le prix de la critique pour son interprétation.
G. Rosa nous signale un article au sujet de la pièce dans Le Journal de la Comédie française, très intéressant, même si on peut en discuter les conclusions. L'auteur part d'une note de Hugo dans les carnets : Hugo aurait écrit Mille francs de récompense à partir d'une obsession. L'idée est en effet pertinente ; l'interprétation proposée est en revanche moins convaincante. L'obsession de Hugo serait en effet celle, subversive, de l'impuissance du poète, de son inquiétude sur la fonction et la place de la littérature.
A. Ubersfeld ne croit pas non plus à cette lecture. Pour elle, l'obsession de Hugo est celle du voleur, sensible depuis Les Jumeaux jusqu'à Aïrolo dans Mangeront-ils ?.
A. Laster se demande si l'on ne pourrait voir à l'origine de Mille francs de récompense l'idée que Jean Valjean retourne au bagne in fine au lieu de mourir dans son lit. Dans un cas comme dans l'autre, souligne G. Rosa, sa fin est tragique et solitaire.
G. Rosa termine la discussion sur le sujet en citant un texte de Juliette rappelé dans l'article en question : Juliette propose à Hugo d'écrire des textes en parallèle, «Dieu par Toto, Pieu par
Jiju»...
— M. Delavalse nous signale que la 5ème chaîne diffusera du 27 novembre au 1er décembre à 9h25 une série d'émissions sur le XIXème siècle.
Les Misérables made in U.S.A.
La suite des Misérables est enfin écrite : Cosette crée un journal engagé avec l'argent de sa dot. A.
Laster, J. Seebacher et G. Rosa racontent à cette occasion l'entrevue qu'ils ont eue avec une journaliste du Washington Post. A la question : «Que pensez-vous du principe de donner une suite aux Misérables ?», J. Seebacher et A. Laster ont répondu qu'ils attendaient de voir la suite en question pour juger. G. Rosa et A. Laster ont tous deux suggéré d'exploiter le départ de Thénardier en Amérique. Ils se sont heurtés à la même réponse : l'esclavage est un sujet encore trop brûlant aux États-Unis.
B. Leuilliot pense qu'à partir du moment où un film se donne ouvertement comme une adaptation libre ou comme une suite imaginée, le procédé reste honnête. En revanche il y aurait beaucoup à dire sur les éditions pour la jeunesse, que l'on publie tronquées sans préciser que le texte n'est pas intégral.
A. Laster nous signale qu'un des ses étudiants travaille sur l'histoire des éditions des Misérables pour la jeunesse.
G. Rosa souligne une curieuse coïncidence dans l'histoire de l'édition pour enfants : dans les années cinquante, la collection rose de Hachette avait publié une version des Misérables qui faisait l'économie du quatuor Tholomyès et commençait directement sur la rencontre de Fantine et de la Thénardier. Dans le texte original des Misérables, Hugo écrit que Fantine raconte alors à celle-ci «son histoire, un peu modifiée» (I, I, 1), précision que l'éditeur supprima bien entendu. Et sans le savoir, il retrouva ainsi la première version du manuscrit...
La fusion de mythes contradictoires ?
G. Rosa nous fait part d'une — bonne — idée qui lui est venue sur la structure mythique des Misérables. Hugo juxtapose deux schémas mythiques : celui du bienfaiteur persécuté (Philoctète, Prométhée, le Christ) et celui du puissant déchu en raison de sa violence et racheté par un enfant (Œdipe et Antigone, Lear et
Cordelia). Or ce sont deux schémas incompatibles en principe et leur combinaison définit le statut impensable du misérable selon Hugo. Jean Valjean misérable, c'est le bienfaiteur exclu par sa violence. Un des sujets des Misérables se trouve être alors le lien des hommes avec les autres hommes, lien qui n'est pas obligatoirement social.
A. Ubersfeld souligne cependant la dimension politique et sociale de certains de ces mythes : Lear est Roi ; Eschyle écrit Prométhée au moment où les ouvriers du Céramique font triompher la démocratie à Athènes.
L'incendie, l'évêque et Pierre Larousse
J. Seebacher nous signale une rencontre inattendue qu'il a faite en consultant le Dictionnaire de P. Larousse au sujet de l'incendie au XIXème siècle. Avant l'entrée «incendie», on trouve en effet une entrée pour «L'incendiaire, ou la cure et l'archevêché». La pièce raconte comment une épidémie d'incendies paysans ravagea les environs de Caen au début de 1830, agitation sociale que la Révolution de 1830, le procès des ministres de Charles X, étouffèrent par la suite. La pièce oppose le personnage du curé, doué de toutes les vertus, à l'archevêque, qui représente le passé féodal dans toutes ses atrocités. Des élections risquent de porter au pouvoir un riche paysan libéral ; l'archevêque fait pression sur une jeune fille qui a fauté, pour qu'elle devienne une nouvelle Judith. Effectivement, la ferme brûle, et la jeune fille est jugée. Le curé dit alors à l'évêque : «Et vous, monseigneur ?». Ne serait-ce pas là que Hugo aurait puisé l'idée d'un évêque qui se comporterait comme un curé libéral ?
G. Rosa y voit en tout cas la confirmation du caractère scandaleux de Myriel : qu'il soit évêque et non simple curé. Quand à la question finale du curé à l'archevêque, il faudrait vérifier dans le texte même. Peut-être P. Larousse dans son résumé a-t-il été influencé en retour par Les Misérables.
De Diogène Laèrce au manuscrit de la Tourgue : nécessité de la bibliophilie.
J. Seebacher a noté des similitudes dans l'in quarto de Saint-Barhélemy dans Quatrevingt-treize et le Diogène Laèrce de
Mabeuf. Si quelqu'un trouve chez un libraire un Saint-Barthélémy de 1682 (? date donnée par Hugo en III, III, 1, § V), on pourrait arriver à des conclusions fort intéressantes. J. Seebacher nous invite à fréquenter assidûment les librairies et à ouvrir l'œil.
Par ailleurs, il apporte pour la Bibliothèque une série de catalogues de libraires anciens et nous invite à les dépouiller. La recherche en littérature possède aussi ses «travaux pratiques».
Saint-Barthélemy s'identifie à Nathanaèl (III, II, 10, § VI), termine J.
Seebacher, ce qui pourrait nous conduire à une relecture hugolienne du célèbre
«Nathanaèl, jette mon livre» des Nourritures terrestres. S'agirait-il d'un clin d'œil de Gide à Hugo ? Et de la revanche d'un protestant, ajoute A.
Laster.
Nous ne donnons ici qu'un bref résumé, sans reproduire les citations nombreuses qui ouvraient des pistes de recherche passionnantes.
Genet était un lecteur de Hugo : cela se voit à ses premiers poèmes, par une dislocation toute hugolienne de l'alexandrin. Cela apparaît très netttement dans Notre-Dame des Fleurs et dans Le Miracle de la rose. A. Ubersfeld nous propose une lecture comparée des «Fleurs» de Hugo (que Genet a probablement lu dans le volume des Misérables de l'Imprimerie Nationale, où le texte figure dans le reliquat), et de ces deux textes de Genet. Cette lecture à deux voix s'articule autour de cinq points :
1) l'identification du condamné à une fleur
2) le rapport de la fleur et de l'amour
3) la prolifération des fleurs dans le texte de Genet, l'efflorescence des roses. Comme chez Hugo, «la preuve se fait par les abîmes».
4) le détail précis des lilas, repris dans Le Miracle de la rose. Chez Hugo, une femme choisit un lilas blanc ; au moment de l'éxécution du condamné, une perle rouge se détache de la fleur. Chez Genet, Harcamone se pare de lilas.
5) l'amour, la fleur et la poésie comme contrepoids à l'horreur. La perspective de Hugo est ici légèrement différente car ce n'est pas celle de l'écriture comme chez Genet. Hugo veut montrer «cet immense besoin de fleurs qui naît au fond de la boue». En outre, chez Genet l'homosexualité n'est pas seulement un effet des prisons, c'est aussi de sa part une revendication.
Genet a ainsi trouvé dans le texte de Hugo une justification à l'ensemble de son écriture, la thématique des fleurs et du jardin comme contrepoint à l'horreur. Et ses thèmes ont d'autant mieux "pris racine" en lui qu'ils reposaient sur une expérience autobiographique : il y avait des fleurs à la colonie de Mettray. Cocteau fut sensible très tôt à l'importance du thème chez Genet, lui qui écrivait à son sujet le 10 février 1943 : «La moindre ligne y étincelle [...]. Les fleurs obscènes, les fleurs comiques [...], ces avalanches de fleurs jaillissent de partout.»
Formation embryonnaire des poètes dans l'incubation des prisons...
J. Seebacher : — L'omniprésence des fleurs et de la florasion n'est-elle pas aussi un souvenir de La Faute de l'abbé Mouret
G. Rosa : — Chez Zola, c'est plutôt l'arbre que la fleur.
A. Laster : — En tout cas l'expression «avalanches de fleurs» chez Cocteau vient de Hugo.
B. Leuilliot : — En dehors de l'édition de l'Imprimerie Nationale, et avant l'édition
Massin, où le texte de Hugo «Les Fleurs» a-t-il été publié ?
A. Ubersfeld : — Je ne sais pas, mais il est fort probable que l'édition de l'Imprimerie Nationale était à la bibliothèque de
Mettray.
B. Leuilliot : — Ne pourrait-on élargir l'enquête à l'intégralité de l'œuvre
hugolienne, voir comment Genet s'installe dans le style de Hugo et le renverse complètement, en se créant un style propre ?
J. Seebacher : — Genet est avec Aragon un des piliers de l'hugophilie de notre siècle, et même une résurrection de Hugo au XXème. On pourrait aussi rapprocher Pompes funèbres du Dernier jour d'un condamné. Les deux écrivains parlent de l'envers de la société, de l'exclusion, des réalités de la prison que personne ne veut regarder en face. Canal + a diffusé un documentaire sur l'audition de prévenus arrêtés en flagrant délit (Délits flagrants). On ne voyait que les auditions, et rien de la prison : le système carcéral est depuis la Révolution un système qui est là mais qu'on ne veut pas connaître.
B. Leuilliot : — Genet vit en quelque sorte ce que Hugo a écrit... Fascinante rencontre. Qu'est-ce qui s'est passé en cent ans pour que quelqu'un réalise dans sa biographie ce qui était chez Hugo à l'état de fiction, de refoulé ?
A. Ubersfeld : — L'instruction obligatoire et laïque...
J. Seebacher : — Il y a aussi le talent de Genet. Genet comme Hugo possède une écriture perverse, qui dit toujours tout autre chose que ce qu'elle a l'air de vouloir dire.
A. Ubersfeld : — Dans Le Miracle de la rose, Genet mêle en fait deux récits différents : une autobiographie exacte de ses souvenirs à Mettray et le récit onirique de l'exécution
d'Harcamone. Genet feint un rapport entre Mettray et la centrale de Fontevrault, alors qu'il n'y en avait aucun.
J-C. Fizaine : — L'écriture de Hugo n'est perverse que jusqu'à un certain point. Ses fleurs ne sont pas des «fleurs du mal».
G. Rosa : — Le Larousse indique que Mettray fut une maison d'éducation fondée en 1840, destinée à accueillir des mineurs condamnés, se substituant à la prison ou venant après la purgation de la peine.
J. Seebacher : — Jusqu'en 1906, un père de famille pouvait envoyer son enfant en maison de correction, de sa propre autorité. Cette instiution pouvait devenir un véritable «bagne d'enfants», où les mineurs étaient exploités sous prétexte de colonie agricole.
G. Rosa : — Pourtant en 1840, l'institution était progressiste, et un père de famille devait obtenir l'assentiment du procureur pour y envoyer son fils. Sans compter que le séjour ne pouvait durer plus d'un mois pour un enfant de moins de seize ans.
J. Acher : — La thématique se retrouve dans Les Thibault.
G. Rosa : — On trouve dans le Larousse la colonie du Petit Bourg, fondée en 1843, dont Hugo s'occupa un moment.
B. Leuilliot : — On peut encore voir sur le Causse les petits tas de caillloux qu'on faisait faire aux enfants d'une de ces maisons de correction.
F. Chenet a établi un relevé très précis des occurrences du mot «siècle» chez les contemporains de Hugo et a sélectionné :
— des articles de dictionnaires : Le Robert pour l'historique du mot ; la sixième édition du Dictionnnaire de l'Académie (1835) ; édition du Furetière de 1790 ; l'article «siècle» de L'Encyclopédie...
— dans la presse du XIXème : Le XIXème siècle est le titre d'une revue (de janvier à juin 1833) et d'un journal (quotidien, d'octobre à décembre 1841). Le journal intitulé Le XIXème siècle a pour rédacteur Eugène Pelletan et semble une émanation de groupe de Girardin ; il se rattache d'ailleurs à la même tendance politique que La Presse. La conclusion du Rhin, rédigée en octobre 1841 fait écho au prospectus du journal. C'est également le moment où Lamartine rompt avec le légitimisme. Le Siècle est une revue qui se situe dans le prolongement de l'idéalisme allemand. L'Appel contre l'Esprit du siècle, du père Marin de Boylesve (1851) a bien sa place en revanche dans le sottisier de Flaubert. (Voir ci joint les relevés établis par F. Chenet.)
J. Seebacher signale dans le dernier numéro de Romantisme un article important sur la philosophie allemande, la question de la synthèse et de l'analyse chez Schelling et Hegel.
G. Rosa ajoute à ces références la distinction entre époques critiques et époques organiques chez les saint-simoniens. il faudrait regarder aussi L'Introduction aux travaux scientifiques au XIXème siècle, de Saint-Simon, qui date de 1807.
J-C. Fizaine rappelle que La Revue du XIXème siècle est un titre qui réapparaît plusieurs fois dans le siècle, aux environs de 1840-41, puis sous le Second Empire. A. Laster consulte le Larousse du XIXème et découvre une rubrique consacrée à une Histoire du XIXème siècle. J. Seebacher énumère les titres inscrits dans le Catalogue collectif des périodiques de la B. N. («siècle», «Revue du XIXème siècle»). La Bibliothèque ne possédant que les tomes 3 et 4, nous ne pouvons malheureusement vérifier le nombre d'entrées pour «dix-neuvième siècle»...
A ajouter à la répartition du travail sur l'invention du XIXème siècle par Hugo, le volume Océan, dont se charge Christine Cadet.
Myriam Roman
Equipe "Littérature et
civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2
place Jussieu, 75005 Tél : 01 44 27 69 81.
Responsable de l'équipe : Guy Rosa
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