GROUPE HUGO
Université Paris 7 - Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"

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Séance du 18 juin 1995

Présents : Anne Ubersfeld, Redjep Mitrovitsa, Delphine Gleizes, Ludmila Wurtz, David Charles, Josette Acher, Pierre Laforgue, Guy Rosa, Marguerite Delavalse, Marie-Françoise Melmoux, Florence Naugrette, Jean-Marc Hovasse, Myriam Roman.
Excusés : Gabrielle Chamarrat, Pierre Georgel, Claude Millet, Franck Laurent, Christine Cadet, Frédérique Leichter, Arnaud Laster.


Hugo à Guernesey

Guy Rosa (ainsi sans doute qu'Arnaud Laster, dont l'avis nous aurait éclairés) a reçu messieurs Marc Michel et Iain Shepherd de l'Office du tourisme de Guernesey, accompagnés de l'un des responsables des Musées de l'île. Celle-ci a en projet le développement des activités culturelles et touristiques autour de la longue présence de V. Hugo, avec, bien sûr la collaboration de la Maison V.Hugo de Guernesey, qui dépend de celle de Paris, et donc en accord avec les responsables de la culture à la Ville de Paris. Les contraintes muséographiques qui pèsent sur Hauteville-House limitent ses initiatives en matière de conférences et d'exposition par exemple. Il s'agit donc d'y remédier. Pour tout un secteur d'activités la conformité du Musée de Guernesey aux normes internationales rend la chose aisée. On peut imaginer beaucoup de choses: accueil de chercheurs (René Journet avait signalé que Hugo avait probablement employé les ressources de la Bibliothèque de Guernesey beaucoup plus qu'on ne l'imagine; il pensait aussi que les fonds locaux, publics ou privés, recelaient nombre d'informations encore ignorées sur la présence de Hugo et des autres proscrits), organisation de conférences (bilingues !), exposition sur la correspondance de l'exil (sa surveillance policière, les réseaux mis en place par Hugo pour éviter l'ouverture de son courrier...etc. voir Pierre Angrand), visites guidées de la Maison plus approfondies et/ou organisées par thèmes, circuits hugoliens dans (la chose existe déjà mais peut sans doute s'améliorer ou se diversifier) et autour de l'île (G. Rosa rêve d'un circuit des écueils sur des vedettes rapides...) G. Rosa a assuré les responsables qu'il a rencontrés que les membres du Groupe, jeunes, dynamiques, inventifs, passionnés, ne leur refuseraient pas leur concours. Il peuvent même l'offrir et tous les hugoliens sont donc invités, s'ils le désirent, à se faire connaître directement auprès des responsables du projet. Toutes les idées seront les bienvenues.

Vous pouvez contacter :
Iain Shepherd ou Marc Michel
P. O. Box 23, St. Peter Port 114, Bd de Magenta
Guernsey, Channel Islands GY1 3AN 75010 Paris
Tél : (14 81) 72 66 11 Tél : (1) 42 85 04 25
Fax : (14 81) 72 12 46 Fax : (1) 45 26 24 93

Colloque à venir sur «Le XIXème siècle»: ... Plan de travail et devoirs de vacances

La Société des Études romantiques a lancé l'idée d'un grand colloque, par ses dimensions et ses ambitions: un "congrès", d'ici deux ou trois ans, sur le thème «L'invention du XIXème siècle». Le projet initial, précise G. Rosa, comportait trois sections :
1) L'invention du XIXème siècle par lui-même
2) L'invention du XIXème siècle par le XXème siècle
3) Ce qu'invente le XIXème siècle.

Après réflexion, il est apparu plus sage de réserver la seconde section pour un autre colloque. Une importante réunion des responsables ou des représentants de pratiquement toutes les équipes de recherches intéressées au XIX° siècle (y compris historiens, anglicistes, philosophes...) a eu lieu à l'initiative de la Société. Elle a posé le principe d'une préparation démultipliée du colloque, chaque équipe de recherche se chargeant d'une partie ou d'une sous-partie du programme. Dans ce plan de travail -qui n'est pas encore très précis ni confirmé- l'Équipe XIXème de Paris VII aurait en charge le travail préparatoire de la section : L'invention du XIXème par lui-même chez les auteurs littéraires. Une réunion de l'équipe XIX° elle-même -à laquelle participaient quelques uns des présents- a prévu de décomposer le travail en deux étapes :
  I. Chaque composante de l'Équipe (étant entendu que nous aurons à accueillir des chercheurs extérieurs à l'équipe de Paris 7 -et que, réciproquement, des membres de l'équipe de Paris 7 pourront travailler, s'ils le préfèrent, avec une autre équipe dont le sujet leur convient mieux) travaille indépendamment sur "son" auteur : nous préparons un «V. Hugo et le XIXème siècle», le GIRB fait de même avec Balzac, J.L. Diaz a proposé de parler de Sainte-Beuve, etc.
II. Puis nous confrontons, lors de réunions préparatoires, les XIXème siècles de chaque auteur afin de dégager des idées transversales et trouver une problématique d'ensemble.
Conclusion: il semble opportun, voire nécessaire et, en un sens, absolument indispensable que les hugoliens réfléchissent pour la rentrée au XIXème siècle qu'invente Hugo.

 

Réactions, précisions sur le sujet :

A. Ubersfeld voudrait savoir ce qu'on entend exactement par "XIXème siècle" ici, si on le détache d'une réalité historique, pratique (de ses événements historiques, de ses inventions).
Guy Rosa : — Notre partie concerne la manière dont le XIXème siècle en tant que tel (et non comme lieu chronologique commun à divers objets) est produit par les auteurs du XIXème. Hugo tient un discours sur le XIXème : dans William Shakespeare par exemple, il le définit comme le premier siècle d'une ère nouvelle où les penseurs dirigeront la société, et non plus les hommes de la force. La comparaison avec les autres écrivains nous dira ensuite si c'est une idée fréquente ou une spécificité de la pensée hugolienne.
A. Ubersfeld : — Mais pourra-t-on dissocier cela de ce que le XIXème siècle invente ? Je crains que les deux thèmes dégagés ne finissent par se rejoindre.
G. Rosa : — Que le XIXème siècle se pense comme tel est évident : dès 1807, Saint-Simon publie une Introduction aux travaux scientifiques du XIXème siècle, alors que le siècle vient à peine de naître. En 1834, paraît la première Histoire du XIXème siècle. Le colloque trouve son origine dans cette idée ainsi que dans ce sentiment que puisque nous approchons du XXIème siècle, l'image du XIXème est en train de se modifier. Tout le monde a l'air de penser que le XIXème constitue l'origine, l'archéologie du XXème.
P. Laforgue : — A titre de parenthèse, je rappelle qu'il y a dix ans un colloque s'était tenu sur le thème «V. Hugo et le XIXème siècle», qui avait donné lieu à une publication dans la RHLF. Il faut commencer par la relire.
A. Ubersfeld : — Comment va-t-on procéder au sein du Groupe Hugo ? Va-t-on créer des équipes de travail, se distribuer les textes ou les périodes ?
G. Rosa croit préférable de ne pas imposer de contrainte et laisser chacun libre de réfléchir à sa guise au sujet et d'inventer des idées neuves. Que tout le monde rassemble ses idées pour la rentrée !
D. Charles : — Hugo dit au sujet de la guillotine : «c'est incroyable de voir cela au XIXème siècle !» De nos jours, on dira : «on n'est pas au XIXème siècle», dans un sens opposé. On peut interroger les présupposés de chaque époque. La Révolution me semble avoir fondé l'idée de périodisation, à partir de l'Encyclopédie.
G. Rosa : — Auparavant le XVIIIème siècle avait constitué en siècle le XVIIème: le Grand Siècle.
A. Ubersfeld : — Quelle équipe sera concernée par l'astronomie, le cosmos chez Hugo ?
G. Rosa : — Il y aura sans doute des travaux sur l'inconscient, le magnétisme, la cosmologie, mais ces thèmes ne seront pas traités en fonction des auteurs. De même notre partie ne s'organisera pas autour de «V. Hugo et le XIXème siècle», mais trouvera un angle d'approche commun à plusieurs écrivains ; le XIXème comme continuité, par exemple (et l'exemple n'est pas bon) ou aussi bien comme rupture, selon ce que nous allons découvrir ! L'idée était qu'il fallait éviter d'accumuler les visions de chaque auteur sans adopter de perspective synthétique.
Pratiquement, sans doute les discussions se feront-elles en commun, et quelques-uns seront ensuite chargés de la rédaction. L'organisation du colloque est très lourde parce qu'elle mobilise toutes les équipes dix-neuvièmistes de France ; c'est aussi ce qui fait son ampleur et son ambition.
En ce qui concerne le XIXème chez Hugo, on trouve des représentations directes, dans Les Misérables et Les Travailleurs de la mer, La Légende des siècles. Mais on peut se demander dans quelle mesure les fables historiques (cf Notre-Dame de Paris) situées en amont parlent du XIXème. Et pourquoi le détour par une autre époque est-il alors nécessaire ?
A. Ubersfeld : — On risque de retrouver les conditions objectives du XIXème, ou de rencontrer les historiographes romantiques.
G. Rosa : — Cela ne serait pas inintéressant. Je ne crois pas que le XIXème se réduise pour Hugo à la somme de ses inventions ; il a valeur d'entité et constitue un objet propre.
A. Ubersfeld : — Le XIXème chez Hugo est un mythe.
G. Rosa : — Toute pensée synthétique n'est pas forcément mythologique.
A. Ubersfeld : — Qui dit mythe ne dit pas nécessairement objet non logique : le mythe peut être une construction intellectuelle.
G. Rosa : — Il faudra attendre les résultats de nos recherches sur Hugo et le XIXème pour trancher la question.

Entretien avec Redjep Mitrovitsa

R. Mitrovitsa fait part de son projet de monter un spectacle à partir des textes de Hugo recueillis par le poète contemporain André du Bouchet, extraits de La Légende des Siècles, Dieu, Les Contemplations, Les Travailleurs de la Mer, Océan, Post-scriptum de ma vie. Il y a aussi des passages des Tables. Leur point commun est que Hugo y parle de sa vision du cosmos, de son expérience de l'infini. A. du Bouchet a voulu «soustraire Hugo à la représentation de sa propre rhétorique», s'en tenir à ce qu'il appelle sa «percée», c'est-à-dire au caractère fulgurant de ses textes. R. Mitrovitsa raconte avec humour que lorsqu'il a lu ces extraits à des amis sans leur en nommer l'auteur, ils les identifiaient invariablement comme venant de Char, Mallarmé, etc., mais jamais Hugo ! Cependant, il s'agit d'un spectacle et l'extrême tension de ces textes n'est pas tenable longtemps telle quelle, sans variation. R. Mitrovitsa voudrait donc trouver un juste contrepoint au lyrisme cosmique de ces textes, un peu à la manière dont il avait travaillé, avec Vitez, le contraste du sublime et du grotesque.

G. Rosa suggère Les Chansons des rues et des bois, et L. Wurtz approuve, d'autant plus que c'est le principe même de construction du recueil. A. Ubersfeld pense «Aux Lavandières», à L'Art d'être grand-père ; J. Acher à Magnitudo parvi ; V. Dufief à La Forêt mouillée ; P. Laforgue aux chansons de Gavroche...

Vous m'excuserez d'arrêter ici mon compte rendu de la journée, car chacun se mit alors à ouvrir les tomes de l'édition Massin qu'A.Ubersfeld, prévoyante, avait justement installés sur la table. Nous nous évadâmes, seul ou en petit groupe, au rythme enjoué des facéties hugoliennes...

Je précise toutefois que ces activités poétiques furent suivies d'un buffet délicieux et fort copieux : «la salle à manger était une fournaise de choses gaies» (Mis, V, 6, 2)…

Bonnes Vacances ! La prochaine réunion du Groupe est fixée le samedi 23 Septembre.

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Quand L'Homme qui rit inspire un thriller américain....

[...] le plus atroce de tout, c'était le visage de la fille. C'était un énorme hématome violacé, le nez écrasé, enfoncé profondément dans la cavité faciale, la bouche ouverte d'une oreille à l'autre en une plaie de sourire qui vous grimaçait à la figure comme si elle voulait en quelque sorte tourner en dérision toutes les brutalités infligées au corps. Je sus que ce sourire me suivrait toujours et que je l'emporterais dans la tombe. (James ELLROY, Le Dahlia noir, [1987], Éditions Rivages / Thriller, 1988, p. 92)

Que le visage grimaçant de Betty Short (c'est le nom de la victime d'un effroyable meurtre commis à Los Angeles, qui défraya la chronique en 1947), rappelle celui de Gwynplaine, ce n'est pas fortuit. J'ai eu la surprise de découvrir que la solution romanesque que le romancier James Ellroy imagine à ce fait divers demeuré inexpliqué passait directement par L'Homme qui rit : au terme d'une enquête qui est aussi, comme le veut le genre du thriller, une descente aux enfers et un parcours initiatique, le narrateur / inspecteur de police et le lecteur découvrent que les meurtriers torturaient la jeune femme en relisant à haute voix des passages du roman de Hugo.

L'Homme qui rit ne dévoile pas seulement la clé de l'énigme et l'identité des coupables (mais je vous laisse la plaisir de la découverte !), il propose aussi des pistes d'accès à ce roman noir, très noir : un prologue — avant la découverte du corps— raconte la formation du "duo" que le narrateur, Dwight Bleichert, forme avec son coéquipier, Lee Blanchard. Ces deux anciens boxeurs devenus policiers et amis sont contraints de combattre l'un contre l'autre dans un combat particulièrement sanglant (pour cause de spéculation effrénée sur les paris...) Le match évoque d'autant plus celui d'Helmsgail et de Phelem-ghe-madone que chacun des combattants se voit doté d'un surnom allégorique (M. Glace et M. Feu). La société américaine libérale de l'après-guerre semble atteinte —mutatis mutandis— de la même érosion des valeurs et de la même perversité que l'Angleterre de Hugo : corruption généralisée, allant du malade mental, prêt à s'accuser du meurtre de Betty «pour se rendre intéressant» au policier véreux, en passant par le milliardaire escroc (les mythes du «self-made man», de la conquête de l'Ouest, de Hollywood sont démontés avec une cruauté sans pareille). Contrairement cette fois-ci au roman de Hugo, les "héros" et la victime n'échappent pas à la médiocrité ambiante. Pourtant, comme Gwynplaine, Betty Short mutilée porte le masque qui révèle l'aliénation de toute une société ; elle est à la fois bouc émissaire et intercesseur. Et tout compte fait, Betty réussit là où Gwynplaine échoue. Le roman se termine par un passage en «plein ciel» (tant pis, je vous raconte la fin !) :

En approchant de Boston, l'avion fut englouti par les nuages. [...] C'est alors que je fis appel à Betty ; un souhait, presque une prière. Les nuages s'ouvrirent et l'avion descendit, avec sous lui une grande ville de lumière, au crépuscule. Je demandai à Betty de m'accorder mon passage en toute sécurité en retour de mon amour.

THE END

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Myriam Roman


Equipe "Littérature et civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005 Tél : 01 44 27 69 81.
Responsable de l'équipe : Guy Rosa .