GROUPE HUGO
Equipe de recherche "Littérature et
civilisation du XIX° siècle"
Présents : Florence Naugrette, Anne
Ubersfeld, Arnaud Laster, Françoise Chenet, Valérie Papier, Delphine Gleizes,
Hélène Labbe, Sophie Charleux, Jean-Marc Hovasse, Jim Phillips (étudiant
américain, de l'Université de Duke, en Caroline du Nord, qui travaille en
thèse sur les dessins de Hugo, plus particulièrement pendant l'exil), Colette
Gryner, Jean-Claude Nabet, Cécile Laplassotte, Guy Rosa, Josette Acher,
Frédérique Leichter, Pierre Georgel, Marguerite Delavalse, Claude Millet,
Ludmila Wurtz, David Charles, Franck Laurent.
Excusées : Agnès Spiquel, Laure
Esposito.
La soutenance de Florence Naugrette sur "La mise en scène du théâtre de Hugo de 1870 à 1993", aura lieu le 7 décembre, à 9h, à La Sorbonne, en salle Bourjac.
*Ce soir sur France 3 à 23h45 Victor Hugo à Jersey, émission musicale, composée de mélodies sur les textes de Hugo.
*Pour ceux qui souhaiteraient voir Lucrèce Borgia,
mis en scène par Jean-Luc Boutté, Arnaud Laster rappelle que le Service
Culturel de Paris III propose des places à un tarif préférentiel pour les
représentations du
-samedi 29 octobre : 1ère catégorie. 140 f.
-jeudi 24 octobre et dimanche 27 octobre : 2ème
catégorie. 85 f. Téléphoner au responsable du Service culturel (Jean-
Christophe), du lundi au jeudi, entre 10h à 15h au 45.87.40.65
Anne Ubersfeld et Arnaud Laster, qui ont déjà vu la pièce,
nous apportent leurs commentaires et nous font part de leur consternation devant
la mise en scène de Jean-Luc Boutté. Seul l'œil est vraiment satisfait, précise
Arnaud Laster, qui relève la beauté des costumes. Anne Ubersfeld approuve en
déplorant l'absence de grotesque dans la mise en scène, si ce n'est sous la
forme de rires intempestifs. En outre, le metteur en scène a souvent commis des
contresens dans son travail de l'énonciation : ainsi, dans la scène entre
Gubetta et Lucrèce, Gubetta parle du fond de la scène, si bien qu'on ne
l'entend pas; ailleurs Lucrèce vient parler à l'avant-scène, alors que ses
paroles n'ont de sens que dans le dialogue auquel elles appartiennent. Ajoutons
que l'actrice qui interprète Lucrèce la joue à la manière d'un "monstre
1900 déchaîné ". Enfin, elle est plutôt laide, ce qui fait perdre à la
pièce tout son sens ! Cependant la scène conjugale de l'acte II reste sublime.
Arnaud Laster précise que c'est une scène qui réussit toujours, quelle que
soit la mise en scène.
Anne Ubersfeld remarque que le public réagit généralement
bien aux pièces de Hugo. La discussion se déplace alors pour porter sur la
mise en scène de Marie Tudor par Daniel Mesguisch : Arnaud Laster trouve
l'interprétation de Marie Tudor aussi mauvaise que celle de Lucrèce Borgia;
A. Ubersfeld, tout en convenant que Mesguisch. a fait un contresens complet sur
le drame de Hugo, lui reconnaît cependant le mérite d’une véritable mise en
scène. Arnaud Laster objecte qu'il y a tout de même des mises en scène qui se
sont pas soutenables. Florence Naugrette défend Mesguisch dans la mesure où le
public appréciait la pièce.
Retour à Jean-Luc Boutté : Arnaud Laster relève un des
contresens de la mise en scène, à propos de la chanson de Gubetta: les
interventions des moines étaient préenregistrées avec accompagnement musical.
Or le texte de Hugo précise qu'il s'agit de plain-chant. Cet exemple lui fait
penser au sous-titrage des opéras, que permet la technique moderne et qui
constitue une épreuve merveilleuse pour le metteur en scène. Souvent
d'ailleurs, le texte proteste contre la mise en scène.
Débat sur la mise en scène d’un opéra... : pour A.
Ubersfeld, moins la mise en scène est visible dans un opéra, plus la beauté
des voix s'en trouve mise en valeur; si les voix sont splendides, que la mise en
scène soit manquée est en fait secondaire (cf. Sémiramis de Rossini
aux Champs-Élysées). Arnaud Laster n'est pas entièrement d'accord et cite
l'exemple d'un Siegfried où la taille respective des protagonistes principaux -
un tout petit Siegfried pour une immense et imposante Brunehilde - était tout
de même très gênante.
... et les mensurations des comédiens : Pour continuer sur
le même ton, A Ubersfeld se souvient de la première représentation de Tristan
et Ysolde à Bayreuth, où les deux chanteurs ne faisaient pas moins de 300
kg à eux deux. Pour revenir à Lucrèce Borgia, Arnaud Laster rappelle
que Mlle George avait un physique plutôt massif. Mais un très beau visage,
ajoute A. Ulbersfeld.
Guy Rosa voudrait exprimer son avis, mais se plaint d'être
sans cesse interrompu. Il parvient quand même à se faire entendre : les mises
en scènes historiques des drames hugoliens lui semblent très utiles pour les
questions qu'elles soulèvent sur la conception dut théâtre au 19ème.
Lucrèce Borgia a eu du succès à l'époque, alors que la pièce
comprend de nombreuses invraisemblances. Quelle était donc la conscience
spectatrice ? Comment mettre en scène l'invraisemblance ? Les metteurs en
scène, selon Guy Rosa, choisissent deux partis contraires : décaler la pièce
façon Vitez, en refusant une mise en scène réaliste, ou, comme Boutté, jouer
la pièce de manière réaliste, comme si les personnages possédaient une
psychologie. Arnaud Laster et Anne Ubersfeld interviennent alors de concert pour
souligner que ce n'est pas vrai pour le début de la pièce : les amis de
Gennaro entrent en scène sur fond vert, et chacun débite alors son texte en
s'agitant, de manière mécanique, sans s'adresser aux autres.
Allez voir quand même le Lucrèce Borgia. de Boutté,
conclut Arnaud Laster, qui ne voudrait pas décourager les spectateurs
potentiels. Anne Ubersfeld ajoute que le texte de Hugo est magnifique et
particulièrement riche de significations, surtout dans la grande scène
conjugale.
Françoise Chenet a découvert l'existence d'un certain
Émile-René Babeuf, libraire et fils de Gracchus. Le personnage se trouve à la
B.N. sous deux entrées : à René, comme éditeur poursuivi et arrêté de la
Revue Le Nain tricolore (1816), et à Émile, comme l'auteur du Procès
des ex ministres et du Procès de la conspiration dite républicaine, de
déc. 1830. parmi les accusés, un certain Jules-Théophile Sanbuc, né à
Toulouse en 1804, rousseauiste. L'ouvrage raconte le procès de la Société des
Amis du Peuple que Hugo donne comme matrice de toutes les sociétés secrètes
et qui est l’un des modèles de l’A.B.C. Un des locaux de cette société se
trouvait en outre rue des Grès (comme le café Musain), au n° 22. Les membres
de cette société fréquentaient l'Hôtel de Sorbonne, tenu par le sieur Mazeau.
Émile-René Babeuf est également l'éditeur d'un Voyage
aux Pyrénées, par J. P. P*** (1789), que la B.N. identifie comme étant un
certain Picquet. L'ouvrage est réédité dans une version refondue et
augmentée, par Babeuf, "premier libraire-éditeur de l'Encyclopédie du
commerce, quai de l'Ecole, n° 10". Or cet ouvrage est une source
apparente du Voyage aux Pyrénées de Hugo, en outre l'ouvrage est cité
par Abel Hugo dans La France pittoresque. Babeuf se retire à
Lyon, on perd sa trace à partir de 1848; il serait mort en 1871. On trouve une
notice sur lui dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier
français.
Guy Rosa résume cette découverte en soulignant qu'elle
établit un lien entre le nom de Mabeuf et la profession de libraire.
Pierre Georgel souligne non sans malice que dans Mabeuf, le
"bœuf" est tout aussi important. Fr. Chenet approuve en rappelant que
Mabeuf a failli s'appeler Babeuf. Oui, poursuit P. Georgel, mais un Babeuf sans
"o", comme émasculé. Car Mabeuf est tout sauf une image de la
virilité triomphante. Josette Acher rappelle que d'après le Journal
d'Adèle ou le Victor Hugo raconté, la seule faute d'orthographe que
commettait Hugo était d'écrire "bœuf" sans "o".
Guy Rosa en profite pour évoquer la question posée lors de
la séance suivante ("Enfants, voici les bœufs qui passent") et
proposer une explication: comme on n'explique pas aux enfants la différence
entre un taureau et un bœuf, on leur apprend à se méfier de tout ce qui est
cornu !
Claude Millet nous lit la fin d'une nouvelle de Mérimée
datée de 1843 : le personnage principal en est une pauvre lorette, Arsène
Guillot, figure de la misère féminine. La nouvelle se termine sur une tombe au
Père-Lachaise, et le nom de l'héroïne, "ligne tracée au crayon d'une
écriture très fine".
P. Georgel nous apprend qu'au XIXème, il existe une
typologie précise des inscriptions, dotée d'une signification sociale nette :
l'inscription au crayon ou au charbon sur une tombe témoigne du milieu social
modeste de la famille. Le matériau périssable renvoie au dernier degré de
l'échelle sociale.
Guy Rosa demande dans quel roman des Goncourt se trouve un
passage horrible sur la fosse commune ? Pierre Georgel pense qu'il s'agit de La
Fille Elisa.
Quelques précisions sur les communications du 3 décembre :
-A. Ubersfeld parlera de la lettre de Mlle Baptistine.
-Philippe Régnier montre que Myriel est socialisant, et que
les contemporains pouvaient reconnaître les positions du catholicisme social et
de la religion saint-simonienne.
A. Ubersfeld souligne que personne n'a encore vraiment
étudié ce que Myriel devait à Lamennais. Guy, Rosa, qui a eu connaissance de
la communication de Ph. Régnier, précise que la communication prend justement
le contre-pied de cette perspective en laissant de côté le catholicisme
politique, qu'il soit républicain ou contre-républicain, pour tirer l'évêque
du côté de Combeferre. Le travail de Ph. Régnier est d'autant plus
intéressant qu'il montre à quel point l'écart entre Myriel et un évêque
normal est encore plus grand qu'on ne l'avait dit.
Françoise Chenet précise que le sens (tu mot panthéiste à
l'époque était différent d'aujourd'hui : les saint-simoniens, par exemple
étaient "panthéistes".
La communication de Ph. Régnier, ajoute Guy Rosa, nous
apprend que les fromageries de Pontarlier sont sans arrêt citées dans la
littérature socialiste, comme modèle de système associatif.
-Françoise Chenet parlera des jardins.
Guy Rosa approuve cette orientation: il a lui même écrit
une note dans son édition des Misérables, où il prolonge l'analyse de
Jean Delabroy dans "L'accent de l'histoire. 1848 dans Les Misérables".
Jean Delabroy montre qu'entre 1848 et 1862, Hugo passe d'une conception de la
continuité de histoire à une philosophie de la discontinuité. Or, c'est une
même métaphore qui apparaît en 1848 comme en 1862 pour signifier la marche de
l'histoire, mais dotée de deux significations différentes. En 1848, la
métaphore biologique renvoie à la germination, à la circulation de la sève;
en 1861, le "nœud" interrompt la continuité des fibres. Les jardins
dans Les Misérables, ajoute G. Rosa, signifient le retrait de l'histoire
(cf. Mabeuf, Pontmercy, l'évêque).
Fr. Chenet annonce qu'elle montrera comment Les
Misérables sont une contre-géorgique, ou une "contre-georgique"
si l'on veut jouer avec le prénom de Georges Pontmercy, qui n'a pas été
choisi au hasard. Elle dégagera les rapports étroits qui unissent le colonel
et l'évêque.
G. Rosa : Jean Delabroy a remarqué un détail amusant :
Mabeuf cultive des poires ... (louis-philippardes, sans doute).
P. Georgel précise que le jardinier est une figure du
retraité, ce qui recoupe deux images constantes à l'époque, celle du soldat
laboureur, au début du siècle, et à la fin du siècle, celle du petit jardin
(le banlieue : dernier carré de terre qui résiste à l'extension des villes
tentaculaires, l'appoint d'un paysan devenu ouvrier. Le jardin se dote alors,
pour le soldat comme pour le soldat d'industrie, de valeurs nostalgiques. Chez
Signac, directement lié au mouvement anarchiste, le tableau véhicule des
revendications sociales et politiques : la campagne est envahie par les
banlieues.
Franck Laurent rappelle qu'un chapitre des Lieux de
mémoire, dans un des volumes consacrés à la nation, traite de la figure
du soldat chauvin jusqu'à Pétain.
P. Georgel ajoute qu'en effet la France de Pétain est une
France désarmée, hors de l'histoire.
G.Rosa remarque que J. Valjean ne jardine pas après
l'épisode du couvent.
Fr. Chenet note qu'il apporte toutefois de l'eau pour la
maison de la rue Plumet
Cosette, elle, arrose les, carrés de fraises dans le jardin
de la rue des Filles-du-Calvaire, et propose à son père d'avoir lui aussi son
coin de terre. Dans Les Travailleurs de la mer, Déruchette arrose mais
ne cultive pas pour ne pas abîmer ses mains. Il semble que le geste essentiel
soit celui d'arroser. Dans sa communication, Fr. Chenet parlera du rapport avec Candide.
-Jean Gaudon parlera de La France pittoresque dans Les Misérables : il remarque entre autres, que les emprunts de Hugo ne concernent pas les propos du narrateur mais les discours des personnages. Un effet de citation est ainsi naturellement obtenu, en faisant réellement une citation. L'emploi de La France pittoresque dans Les Misérables diffère de celui du Rhin. G. Rosa montre que J. Gaudon ouvre une voie importante, non encore explorée par la critique hugolienne. Il serait par exemple intéressant de préciser ce que Hugo emprunte -à L’Histoire de dix ans de Louis Blanc, et la manière dont il le fait.
-Nous ne connaissons pas la communication de Kathryn Grossman,
mais elle a eu la gentillesse de faire parvenir un exemplaire de son livre au
Groupe Hugo. Myriam Roman (qui espère traduire le moins inexactement possible
la pensée de Mme Grossman) donne ici un compte-rendu de son ouvrage :
Représenter la transcendance dans "Les
Misérables" Le, Sublime romantique de Victor Hugo, Southern Illinois
University Press, 1994
K. Grossman présente en introduction son travail sur Les Misérables par rapport à son étude précédente des premiers romans de Hugo (Les romans de Jeunesse de V.H. : vers une poétique de l'harmonie, 1986), où elle insistait sur la fonction unifiante dévolue au poète. Les Misérables marquent une rupture avec cette esthétique de l’harmonie et de l’unité, pour promouvoir une esthétique de la transcendance, du sublime, qui est dépassement du chaos, perception d'un ordre dans le désordre.
L'étude de K. Grossman met à jour l'entrelacement des thèmes, et la convergence des niveaux de lecture (moral, politique, esthétique...). Le choix de la couverture de l'ouvrage, une version fractale du célèbre dessin de Hugo, "Vianden à travers une toile d'araignée", témoigne symboliquement de cette perspective critique, qui insiste sur la récurrence / répétition de motifs identiques.
Deux écrits théoriques servent à fonder la lecture que K. Grossman fait du Sublime dans Les Misérables : La Métaphore Vive, de Paul Ricœur (1978) et Le Sublime romantique : Études sur la structure et la psychologie de la transcendance, de Thomas Weiskel (1976). Mme Grossman distingue à partir de ces réflexions deux catégories de sublime :
-le Sublime "négatif", qui se joue sur un axe métonymique, naît d'un défaut de signification, et repose sur des images horizontales privilégiant la contiguïté et l'extension (le corps, les formes de l'esclavage et de la dépendance par exemple...)
-le Sublime "positif" qui concerne l'axe métaphorique, prend appui sur un trop-plein de signification, s'exprime par des images de verticalité, de substitution, de ressemblance, de rédemption.
L'analyse des Misérables est divisée en cinq chapitres. Les trois premiers sont consacrés aux personnages, que K. Grossman répartit suivant trois catégories :
-Chapitre premier "Le chaos et la structure des bas-fonds" : sur les misérables, dans les deux sens du terme, miséreux ou criminels, auxquels sont associés le thème métonymique de la dévoration, et l'esthétique de l'inarticulé (pour les miséreux) ou d'une littérature populaire de consommation (pour les criminels : Mme Thénardier lit Ducray-Duminil ; Thénardier se masque en Genflot)
-Chapitre second "Déconstruire l'ordre : la fragilité de l'autoritarisme" : sur les bourgeois (Gillenormand) ou les représentants de l'ordre bourgeois (Javert), politiquement liés a la monarchie et esthétiquement au néo-classicisme. Complémentaires des misérables, ils sont eux-aussi liés à l'axe métonymique.
-Chapitre troisième "Martyrs et saints : l'exemplarité sur le modèle familial" cette catégorie de personnages, au contraire, se situe sur l'axe métaphorique de la religion et de la transcendance. Politiquement. ils sont liés a la République et à la Révolution : esthétiquement, ils incarnent le génie romantique.
-Chapitre quatrième "République, Révolution, Résurrection : les stratégies de l'utopie dans Les Misérables" : sur les positions politiques et historiques dans les digressions en particulier. sur l'image d'un Dieu représentant le Sublime métaphorique romantique.
-Chapitre cinquième "Utopie et Génie: Le Sublime poétique et esthétique de Hugo" : mise à jour de six topoï récurrents dans Les Misérables : les rapports entre l'identité du moi et le lieu; les murs et les portes; les textes et les personnages lecteurs; les ruptures et les liens : les correspondances entre le macrocosme et le microcosme: les rapports entre être et devenir.
-Parenthèse: A. Ubersfeld revient un instant au personnage
de Myriel : pour elle, ce qui est important est moins le rattachement de Myriel
a un courant religieux, social ou politique, que justement l'impossibilité de
lui affecter un groupe de référence. Myriel est une sorte d'aérolithe de la
charité, dont la morale évangélique est sans rapport avec quelque clan
historique que ce soit, comme elle est sans rapport avec la hiérarchie
catholique ou les opinions politiques de l'évêque, qui est monarchiste.
G. Rosa rappelle cependant que les textes saint-simoniens que
cite Ph. Régnier proposent une image du prêtre bien proche de celle de Mgr
Bienvenu.
Claude Millet cite la lettre de Haubert à Mme Roger des
Genettes où Flaubert accuse Hugo d'avoir puisé dans toutes les idéologies.
-France Vernier montrera que les personnages sont pluriels : ce ne sont pas des sujets individuels, mais des personnages répondant a une loi universelle qu'ils affirment ou dont ils relèvent.
-Guy Rosa précise les chapitres auxquels il se consacrera plus particulièrement : "L’onde et l'ombre", l'Orion; "Les initiés et les mineurs"; L'égout et le fontis, intéressant car il unit les mines et l'océan. Le fil directeur de son analyse sera la question suivante: la société est-elle continue, se perçoit-elle comme une totalité ? ou au contraire, à côté de la société proprement dite, la misère forme-t-elle une contre-société, un lieu situé en dehors ?
-Jean Maurel commence sa communication par un commentaire du dessin "Miseria".
- Cl. Millet nous expose, la passionnante thèse d'ensemble de
son article, intitulé "L'amphibologie, le
génie, le passant, la philosophie, l'opinion dans Les Misérables", qui propose une vision nouvelle du roman hugolien.
Le roman hugolien, explique-t-elle, n'est pas un roman
dialogique. Le dialogisme en effet, renvoie chez Bakhtine a une idéologie
anti-absolutiste, proche d'un relativisme, ce qui n'est pas du tout le cas chez
Hugo, auteur que l'on pourrait qualifier d'"absolutiste". On ne petit
pas dire que dans Les Misérables, il n'y ait pas de langage de la
vérité, ni de lieu stable de l'énonciation. Le projet d'un roman
philosophique et populaire, pédagogique, suppose une puissance d'affirmation :
la démocratie, dit Hugo dans Philosophie. Commencement d’un livre. est
une affirmation.
Dans Les Misérables, le narrateur se confond avec
l'auteur, la philosophie de l'auteur entretient des rapports avec la philosophie
des personnages, cependant ce rapport n'est pas dialogique, mais amphibologique.
L'amphibologie se manifeste dans les rapports entre auteur / personnages,
extérieur / intérieur, immanence / transcendance, continuité /
discontinuité. "Je" n'est pas seulement un passant, mais un génie.
L'opinion dans Les Misérables repose sur une combinatoire à quelques
termes (bonapartisme / anti-bonapartisme; révolutionnaire /
anti-révolutionnaire, etc.); or chaque position des personnages combine des
éléments de manière plus ou moins aberrante, sans qu’il s'agisse de
représenter les lieux communs de la société. La philosophie du texte
elle-même entre dans cette combinatoire.
La conclusion de Claude Millet est que le roman hugolien unit
ainsi à la fois étroitement le réel (parce qu'il contient bien toutes les
opinions d’une époque) et l'utopie. En cela, il est un roman républicain,
qui repose sur la présomption que toutes les consciences représentent une
opinion valable. Mais on comprend bien pourquoi il fut mal accepté des
républicains, car toujours à la limite des discours anti-républicains
(bonapartisme par exemple). Le texte est ainsi à la fois polyphonique et à
énonciation stable. Les Misérables ne sont ni un roman à thèse, ni un roman
déconstruit; mais bien les deux à la fois.
A. Ubersfeld approuve en remarquant que la démarche
hugolienne est proprement dialectique.
Conversion et conscience dans Les Misérables :
Guy Rosa relance la discussion par une réflexion sur les
conversions dans le roman. R. Ricatte remarquait qu'il y avait beaucoup de
conversions. Or, remarque G. Rosa, elles ne sont pas homogènes : elles peuvent
être politiques, sociales, morales. La structure de la conversion n'existe pas
que dans le domaine moral.
A. Ubersfeld donne ainsi l'exemple de la
"conversion" de Marius à son père.
Oui, dit G. Rosa, Enjolras lui-même change d'opinion, avant
son discours sur la barricade (d’ailleurs on peut mesurer son évolution en
opposant ce discours avec le portrait initial d'Enjolras).
Javert, ajoute Fr. Chenet, connaît son chemin de Damas :
mais refuse de se convertir.
Arnaud Laster note que Hugo appelle cela des
"révolutions".
Guy Rosa souligne qu'un des modèles de la conversion semble
être Saint-Paul, tel qu'il est présent dans William Shakespeare (où il
n'apparaît, d'ailleurs, que pour la conversion). Pour G. Rosa, on parle souvent
abusivement de rachat et de rédemption dans Les Misérables; Jean-Pierre
Jossua a montré que les personnages de Hugo restent souvent sur le seuil du
divin, dans une attitude d’hésitation et d'attente, et qu'ainsi il n'y a pas
de rédemption dans Les Misérables. Guy Rosa ajoute qu'il semble plutôt
y avoir une structure dominante : "arracher des griffes de" (la
nécessité, le mal...). Il y a plus de libération et de délivrance que de
rachat ou de sacrifice.
A. Ubersfeld souligne qu'il serait intéressant d'étudier la
délivrance dans Les Misérables.
G. Rosa ajoute quelques réflexions sur la manière dont se
produit la conscience : Myriel fait un pari sur l’âme de Jean Valjean;
l'auteur a d'ailleurs fait le même pari dans "Le dedans du
désespoir". Ce pari est un pari sur la résurrection de l'âme. Or cette
résurrection commence par une dépossession. Myriel commence par déposséder
J. Valjean de son âme. cf. la scène de Petit- Gervais : Valjean fait une
action dont il "n'était déjà plus capable"; il s'apparaît à
soi-même comme un fantôme. Or, c'est cela qui produit la conscience.
Curieusement, ce que J. Valjean voit en accédant à la conscience de soi, c'est
la disparition de sa propre image remplacée par celle de l'évêque.
Paradoxalement donc, la conscience de soi n'est pas la conscience de soi :
-soit ce n'est pas moi que je vois
-soit ce n'est pas moi qui regarde (cf. La Légende des
Siècles, "La Conscience") Le tribunal d'Arras met en scène ce
scénario : un soi qui est un non-soi (Champmathieu). La scène se termine par
un acte de conscience. Le "miroir dans lequel M. Madeleine regarde ses
cheveux". c'est le miroir que l'on met devant la face d'un mort. La
conscience de soi, c'est la conscience de soi comme non-soi, ou la conscience
d'un autre à la place de soi.
A. Ubersfeld relève le moi "fantôme", qui
désigne un soi mort. On revient au problème de la conversion, puisqu'il s'agit
de passer par la mort. Que signifie ce regard de soi sur son propre fantôme?
Cette interrogation se rattache au poème "Apparition" des Comtemplations.
Fr. Chenet fait remarquer qu'Enjolras connaît moins une
conversion qu'une évolution.
G. Rosa considère en effet que le temps est une notion
centrale dans la position du problème : il y a des conversions brutales, et
d'autres qui incluent une évolution. Et les conversions elles-mêmes
enclenchent une évolution (cf. Marius). Les Misérables reposent sur-
une psychologie de la conversion.
La psychologie de la conversion, souligne A. Ubersfeld,
suppose un choc d'abord, une évolution ensuite.
Arnaud Laster note que Lucrèce Borgia connaît aussi une
conversion, mais elle ne dure pas.
Guy Rosa abonde en ce sens en notant que dans une certaine
mesure, c'est la même chose pour J. Valjean, qui n'est pas si bon que cela.
Un beau sujet serait a traiter, propose A. Ubersfeld,
"La mort dans Les Misérables."
Le mot de la fin revient a Franck Laurent qui vient de découvrir que Le Dictionnaire des Misérables, ouvrage collectif publié sous le pseudonyme d'Hubert de Phalèse, possède une entrée a "ressort a pompe", mais rien pour "république" !
Myriam Roman
Equipe "Littérature et
civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2
place Jussieu, 75005 Tél : 01 44 27 69 81.
Responsable de l'équipe : Guy Rosa.