GROUPE HUGO
Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"

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Séance du 22 octobre 1994

Présents : Florence Naugrette, Anne Ubersfeld, Arnaud Laster, Françoise Chenet, Valérie Papier, Delphine Gleizes, Hélène Labbe, Sophie Charleux, Jean-Marc Hovasse, Jim Phillips (étudiant américain, de l'Université de Duke, en Caroline du Nord, qui travaille en thèse sur les dessins de Hugo, plus particulièrement pendant l'exil), Colette Gryner, Jean-Claude Nabet, Cécile Laplassotte, Guy Rosa, Josette Acher, Frédérique Leichter, Pierre Georgel, Marguerite Delavalse, Claude Millet, Ludmila Wurtz, David Charles, Franck Laurent.
Excusées : Agnès Spiquel, Laure Esposito.


Annonce

La soutenance de Florence Naugrette sur "La mise en scène du théâtre de Hugo de 1870 à 1993", aura lieu le 7 décembre, à 9h, à La Sorbonne, en salle Bourjac.

A voir

*Ce soir sur France 3 à 23h45 Victor Hugo à Jersey, émission musicale, composée de mélodies sur les textes de Hugo.

*Pour ceux qui souhaiteraient voir Lucrèce Borgia, mis en scène par Jean-Luc Boutté, Arnaud Laster rappelle que le Service Culturel de Paris III propose des places à un tarif préférentiel pour les représentations du
-samedi 29 octobre : 1ère catégorie. 140 f.
-jeudi 24 octobre et dimanche 27 octobre : 2ème catégorie. 85 f. Téléphoner au responsable du Service culturel (Jean- Christophe), du lundi au jeudi, entre 10h à 15h au 45.87.40.65

 

Discussion autour du Lucrèce Borgia. monté, par Jean-Luc Boutté

Anne Ubersfeld et Arnaud Laster, qui ont déjà vu la pièce, nous apportent leurs commentaires et nous font part de leur consternation devant la mise en scène de Jean-Luc Boutté. Seul l'œil est vraiment satisfait, précise Arnaud Laster, qui relève la beauté des costumes. Anne Ubersfeld approuve en déplorant l'absence de grotesque dans la mise en scène, si ce n'est sous la forme de rires intempestifs. En outre, le metteur en scène a souvent commis des contresens dans son travail de l'énonciation : ainsi, dans la scène entre Gubetta et Lucrèce, Gubetta parle du fond de la scène, si bien qu'on ne l'entend pas; ailleurs Lucrèce vient parler à l'avant-scène, alors que ses paroles n'ont de sens que dans le dialogue auquel elles appartiennent. Ajoutons que l'actrice qui interprète Lucrèce la joue à la manière d'un "monstre 1900 déchaîné ". Enfin, elle est plutôt laide, ce qui fait perdre à la pièce tout son sens ! Cependant la scène conjugale de l'acte II reste sublime. Arnaud Laster précise que c'est une scène qui réussit toujours, quelle que soit la mise en scène.
Anne Ubersfeld remarque que le public réagit généralement bien aux pièces de Hugo. La discussion se déplace alors pour porter sur la mise en scène de Marie Tudor par Daniel Mesguisch : Arnaud Laster trouve l'interprétation de Marie Tudor aussi mauvaise que celle de Lucrèce Borgia; A. Ubersfeld, tout en convenant que Mesguisch. a fait un contresens complet sur le drame de Hugo, lui reconnaît cependant le mérite d’une véritable mise en scène. Arnaud Laster objecte qu'il y a tout de même des mises en scène qui se sont pas soutenables. Florence Naugrette défend Mesguisch dans la mesure où le public appréciait la pièce.
Retour à Jean-Luc Boutté : Arnaud Laster relève un des contresens de la mise en scène, à propos de la chanson de Gubetta: les interventions des moines étaient préenregistrées avec accompagnement musical. Or le texte de Hugo précise qu'il s'agit de plain-chant. Cet exemple lui fait penser au sous-titrage des opéras, que permet la technique moderne et qui constitue une épreuve merveilleuse pour le metteur en scène. Souvent d'ailleurs, le texte proteste contre la mise en scène.
Débat sur la mise en scène d’un opéra... : pour A. Ubersfeld, moins la mise en scène est visible dans un opéra, plus la beauté des voix s'en trouve mise en valeur; si les voix sont splendides, que la mise en scène soit manquée est en fait secondaire (cf. Sémiramis de Rossini aux Champs-Élysées). Arnaud Laster n'est pas entièrement d'accord et cite l'exemple d'un Siegfried où la taille respective des protagonistes principaux - un tout petit Siegfried pour une immense et imposante Brunehilde - était tout de même très gênante.
... et les mensurations des comédiens : Pour continuer sur le même ton, A Ubersfeld se souvient de la première représentation de Tristan et Ysolde à Bayreuth, où les deux chanteurs ne faisaient pas moins de 300 kg à eux deux. Pour revenir à Lucrèce Borgia, Arnaud Laster rappelle que Mlle George avait un physique plutôt massif. Mais un très beau visage, ajoute A. Ulbersfeld.
Guy Rosa voudrait exprimer son avis, mais se plaint d'être sans cesse interrompu. Il parvient quand même à se faire entendre : les mises en scènes historiques des drames hugoliens lui semblent très utiles pour les questions qu'elles soulèvent sur la conception dut théâtre au 19ème. Lucrèce Borgia a eu du succès à l'époque, alors que la pièce comprend de nombreuses invraisemblances. Quelle était donc la conscience spectatrice ? Comment mettre en scène l'invraisemblance ? Les metteurs en scène, selon Guy Rosa, choisissent deux partis contraires : décaler la pièce façon Vitez, en refusant une mise en scène réaliste, ou, comme Boutté, jouer la pièce de manière réaliste, comme si les personnages possédaient une psychologie. Arnaud Laster et Anne Ubersfeld interviennent alors de concert pour souligner que ce n'est pas vrai pour le début de la pièce : les amis de Gennaro entrent en scène sur fond vert, et chacun débite alors son texte en s'agitant, de manière mécanique, sans s'adresser aux autres.
Allez voir quand même le Lucrèce Borgia. de Boutté, conclut Arnaud Laster, qui ne voudrait pas décourager les spectateurs potentiels. Anne Ubersfeld ajoute que le texte de Hugo est magnifique et particulièrement riche de significations, surtout dans la grande scène conjugale.

 

Une nouvelle source pour le personnage de Mabeuf

Françoise Chenet a découvert l'existence d'un certain Émile-René Babeuf, libraire et fils de Gracchus. Le personnage se trouve à la B.N. sous deux entrées : à René, comme éditeur poursuivi et arrêté de la Revue Le Nain tricolore (1816), et à Émile, comme l'auteur du Procès des ex ministres et du Procès de la conspiration dite républicaine, de déc. 1830. parmi les accusés, un certain Jules-Théophile Sanbuc, né à Toulouse en 1804, rousseauiste. L'ouvrage raconte le procès de la Société des Amis du Peuple que Hugo donne comme matrice de toutes les sociétés secrètes et qui est l’un des modèles de l’A.B.C. Un des locaux de cette société se trouvait en outre rue des Grès (comme le café Musain), au n° 22. Les membres de cette société fréquentaient l'Hôtel de Sorbonne, tenu par le sieur Mazeau.
Émile-René Babeuf est également l'éditeur d'un Voyage aux Pyrénées, par J. P. P*** (1789), que la B.N. identifie comme étant un certain Picquet. L'ouvrage est réédité dans une version refondue et augmentée, par Babeuf, "premier libraire-éditeur de l'Encyclopédie du commerce, quai de l'Ecole, n° 10". Or cet ouvrage est une source apparente du Voyage aux Pyrénées de Hugo, en outre l'ouvrage est cité par Abel Hugo dans La France pittoresque. Babeuf se retire à Lyon, on perd sa trace à partir de 1848; il serait mort en 1871. On trouve une notice sur lui dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français.
Guy Rosa résume cette découverte en soulignant qu'elle établit un lien entre le nom de Mabeuf et la profession de libraire.
Pierre Georgel souligne non sans malice que dans Mabeuf, le "bœuf" est tout aussi important. Fr. Chenet approuve en rappelant que Mabeuf a failli s'appeler Babeuf. Oui, poursuit P. Georgel, mais un Babeuf sans "o", comme émasculé. Car Mabeuf est tout sauf une image de la virilité triomphante. Josette Acher rappelle que d'après le Journal d'Adèle ou le Victor Hugo raconté, la seule faute d'orthographe que commettait Hugo était d'écrire "bœuf" sans "o".
Guy Rosa en profite pour évoquer la question posée lors de la séance suivante ("Enfants, voici les bœufs qui passent") et proposer une explication: comme on n'explique pas aux enfants la différence entre un taureau et un bœuf, on leur apprend à se méfier de tout ce qui est cornu !

 

Un écho des Misérables dans Mérimée :

Claude Millet nous lit la fin d'une nouvelle de Mérimée datée de 1843 : le personnage principal en est une pauvre lorette, Arsène Guillot, figure de la misère féminine. La nouvelle se termine sur une tombe au Père-Lachaise, et le nom de l'héroïne, "ligne tracée au crayon d'une écriture très fine".
P. Georgel nous apprend qu'au XIXème, il existe une typologie précise des inscriptions, dotée d'une signification sociale nette : l'inscription au crayon ou au charbon sur une tombe témoigne du milieu social modeste de la famille. Le matériau périssable renvoie au dernier degré de l'échelle sociale.
Guy Rosa demande dans quel roman des Goncourt se trouve un passage horrible sur la fosse commune ? Pierre Georgel pense qu'il s'agit de La Fille Elisa.

 

Lecture des programmes des deux journées sur Les Misérables (voir photocopies ci- jointes) :

Quelques précisions sur les communications du 3 décembre :

 

-A. Ubersfeld parlera de la lettre de Mlle Baptistine.

 

-Philippe Régnier montre que Myriel est socialisant, et que les contemporains pouvaient reconnaître les positions du catholicisme social et de la religion saint-simonienne.
A. Ubersfeld souligne que personne n'a encore vraiment étudié ce que Myriel devait à Lamennais. Guy, Rosa, qui a eu connaissance de la communication de Ph. Régnier, précise que la communication prend justement le contre-pied de cette perspective en laissant de côté le catholicisme politique, qu'il soit républicain ou contre-républicain, pour tirer l'évêque du côté de Combeferre. Le travail de Ph. Régnier est d'autant plus intéressant qu'il montre à quel point l'écart entre Myriel et un évêque normal est encore plus grand qu'on ne l'avait dit.
Françoise Chenet précise que le sens (tu mot panthéiste à l'époque était différent d'aujourd'hui : les saint-simoniens, par exemple étaient "panthéistes".
La communication de Ph. Régnier, ajoute Guy Rosa, nous apprend que les fromageries de Pontarlier sont sans arrêt citées dans la littérature socialiste, comme modèle de système associatif.

 

-Françoise Chenet parlera des jardins.
Guy Rosa approuve cette orientation: il a lui même écrit une note dans son édition des Misérables, où il prolonge l'analyse de Jean Delabroy dans "L'accent de l'histoire. 1848 dans Les Misérables". Jean Delabroy montre qu'entre 1848 et 1862, Hugo passe d'une conception de la continuité de histoire à une philosophie de la discontinuité. Or, c'est une même métaphore qui apparaît en 1848 comme en 1862 pour signifier la marche de l'histoire, mais dotée de deux significations différentes. En 1848, la métaphore biologique renvoie à la germination, à la circulation de la sève; en 1861, le "nœud" interrompt la continuité des fibres. Les jardins dans Les Misérables, ajoute G. Rosa, signifient le retrait de l'histoire (cf. Mabeuf, Pontmercy, l'évêque).
Fr. Chenet annonce qu'elle montrera comment Les Misérables sont une contre-géorgique, ou une "contre-georgique" si l'on veut jouer avec le prénom de Georges Pontmercy, qui n'a pas été choisi au hasard. Elle dégagera les rapports étroits qui unissent le colonel et l'évêque.
G. Rosa : Jean Delabroy a remarqué un détail amusant : Mabeuf cultive des poires ... (louis-philippardes, sans doute).
P. Georgel précise que le jardinier est une figure du retraité, ce qui recoupe deux images constantes à l'époque, celle du soldat laboureur, au début du siècle, et à la fin du siècle, celle du petit jardin (le banlieue : dernier carré de terre qui résiste à l'extension des villes tentaculaires, l'appoint d'un paysan devenu ouvrier. Le jardin se dote alors, pour le soldat comme pour le soldat d'industrie, de valeurs nostalgiques. Chez Signac, directement lié au mouvement anarchiste, le tableau véhicule des revendications sociales et politiques : la campagne est envahie par les banlieues.
Franck Laurent rappelle qu'un chapitre des Lieux de mémoire, dans un des volumes consacrés à la nation, traite de la figure du soldat chauvin jusqu'à Pétain.
P. Georgel ajoute qu'en effet la France de Pétain est une France désarmée, hors de l'histoire.
G.Rosa remarque que J. Valjean ne jardine pas après l'épisode du couvent.
Fr. Chenet note qu'il apporte toutefois de l'eau pour la maison de la rue Plumet
Cosette, elle, arrose les, carrés de fraises dans le jardin de la rue des Filles-du-Calvaire, et propose à son père d'avoir lui aussi son coin de terre. Dans Les Travailleurs de la mer, Déruchette arrose mais ne cultive pas pour ne pas abîmer ses mains. Il semble que le geste essentiel soit celui d'arroser. Dans sa communication, Fr. Chenet parlera du rapport avec Candide.

 

-Jean Gaudon parlera de La France pittoresque dans Les Misérables : il remarque entre autres, que les emprunts de Hugo ne concernent pas les propos du narrateur mais les discours des personnages. Un effet de citation est ainsi naturellement obtenu, en faisant réellement une citation. L'emploi de La France pittoresque dans Les Misérables diffère de celui du Rhin. G. Rosa montre que J. Gaudon ouvre une voie importante, non encore explorée par la critique hugolienne. Il serait par exemple intéressant de préciser ce que Hugo emprunte -à L’Histoire de dix ans de Louis Blanc, et la manière dont il le fait.

 

-Nous ne connaissons pas la communication de Kathryn Grossman, mais elle a eu la gentillesse de faire parvenir un exemplaire de son livre au Groupe Hugo. Myriam Roman (qui espère traduire le moins inexactement possible la pensée de Mme Grossman) donne ici un compte-rendu de son ouvrage :
Représenter la transcendance dans "Les Misérables" Le, Sublime romantique de Victor Hugo, Southern Illinois University Press, 1994

K. Grossman présente en introduction son travail sur Les Misérables par rapport à son étude précédente des premiers romans de Hugo (Les romans de Jeunesse de V.H. : vers une poétique de l'harmonie, 1986), où elle insistait sur la fonction unifiante dévolue au poète. Les Misérables marquent une rupture avec cette esthétique de l’harmonie et de l’unité, pour promouvoir une esthétique de la transcendance, du sublime, qui est dépassement du chaos, perception d'un ordre dans le désordre.
L'étude de K. Grossman met à jour l'entrelacement des thèmes, et la convergence des niveaux de lecture (moral, politique, esthétique...). Le choix de la couverture de l'ouvrage, une version fractale du célèbre dessin de Hugo, "Vianden à travers une toile d'araignée", témoigne symboliquement de cette perspective critique, qui insiste sur la récurrence / répétition de motifs identiques.
Deux écrits théoriques servent à fonder la lecture que K. Grossman fait du Sublime dans Les Misérables : La Métaphore Vive, de Paul Ricœur (1978) et Le Sublime romantique : Études sur la structure et la psychologie de la transcendance, de Thomas Weiskel (1976). Mme Grossman distingue à partir de ces réflexions deux catégories de sublime :
-le Sublime "négatif", qui se joue sur un axe métonymique, naît d'un défaut de signification, et repose sur des images horizontales privilégiant la contiguïté et l'extension (le corps, les formes de l'esclavage et de la dépendance par exemple...)
-le Sublime "positif" qui concerne l'axe métaphorique, prend appui sur un trop-plein de signification, s'exprime par des images de verticalité, de substitution, de ressemblance, de rédemption.
L'analyse des Misérables est divisée en cinq chapitres. Les trois premiers sont consacrés aux personnages, que K. Grossman répartit suivant trois catégories :
-Chapitre premier "Le chaos et la structure des bas-fonds" : sur les misérables, dans les deux sens du terme, miséreux ou criminels, auxquels sont associés le thème métonymique de la dévoration, et l'esthétique de l'inarticulé (pour les miséreux) ou d'une littérature populaire de consommation (pour les criminels : Mme Thénardier lit Ducray-Duminil ; Thénardier se masque en Genflot)
-Chapitre second "Déconstruire l'ordre : la fragilité de l'autoritarisme" : sur les bourgeois (Gillenormand) ou les représentants de l'ordre bourgeois (Javert), politiquement liés a la monarchie et esthétiquement au néo-classicisme. Complémentaires des misérables, ils sont eux-aussi liés à l'axe métonymique.
-Chapitre troisième "Martyrs et saints : l'exemplarité sur le modèle familial" cette catégorie de personnages, au contraire, se situe sur l'axe métaphorique de la religion et de la transcendance. Politiquement. ils sont liés a la République et à la Révolution : esthétiquement, ils incarnent le génie romantique.
-Chapitre quatrième "République, Révolution, Résurrection : les stratégies de l'utopie dans Les Misérables" : sur les positions politiques et historiques dans les digressions en particulier. sur l'image d'un Dieu représentant le Sublime métaphorique romantique.
-Chapitre cinquième "Utopie et Génie: Le Sublime poétique et esthétique de Hugo" : mise à jour de six topoï récurrents dans Les Misérables : les rapports entre l'identité du moi et le lieu; les murs et les portes; les textes et les personnages lecteurs; les ruptures et les liens : les correspondances entre le macrocosme et le microcosme: les rapports entre être et devenir.

-Parenthèse: A. Ubersfeld revient un instant au personnage de Myriel : pour elle, ce qui est important est moins le rattachement de Myriel a un courant religieux, social ou politique, que justement l'impossibilité de lui affecter un groupe de référence. Myriel est une sorte d'aérolithe de la charité, dont la morale évangélique est sans rapport avec quelque clan historique que ce soit, comme elle est sans rapport avec la hiérarchie catholique ou les opinions politiques de l'évêque, qui est monarchiste.
G. Rosa rappelle cependant que les textes saint-simoniens que cite Ph. Régnier proposent une image du prêtre bien proche de celle de Mgr Bienvenu.
Claude Millet cite la lettre de Haubert à Mme Roger des Genettes où Flaubert accuse Hugo d'avoir puisé dans toutes les idéologies.

 

-France Vernier montrera que les personnages sont pluriels : ce ne sont pas des sujets individuels, mais des personnages répondant a une loi universelle qu'ils affirment ou dont ils relèvent.

 

-Guy Rosa précise les chapitres auxquels il se consacrera plus particulièrement : "L’onde et l'ombre", l'Orion; "Les initiés et les mineurs"; L'égout et le fontis, intéressant car il unit les mines et l'océan. Le fil directeur de son analyse sera la question suivante: la société est-elle continue, se perçoit-elle comme une totalité ? ou au contraire, à côté de la société proprement dite, la misère forme-t-elle une contre-société, un lieu situé en dehors ?

 

-Jean Maurel commence sa communication par un commentaire du dessin "Miseria".

 

- Cl. Millet nous expose, la passionnante thèse d'ensemble de son article, intitulé "L'amphibologie, le génie, le passant, la philosophie, l'opinion dans Les Misérables", qui propose une vision nouvelle du roman hugolien.
Le roman hugolien, explique-t-elle, n'est pas un roman dialogique. Le dialogisme en effet, renvoie chez Bakhtine a une idéologie anti-absolutiste, proche d'un relativisme, ce qui n'est pas du tout le cas chez Hugo, auteur que l'on pourrait qualifier d'"absolutiste". On ne petit pas dire que dans Les Misérables, il n'y ait pas de langage de la vérité, ni de lieu stable de l'énonciation. Le projet d'un roman philosophique et populaire, pédagogique, suppose une puissance d'affirmation : la démocratie, dit Hugo dans Philosophie. Commencement d’un livre. est une affirmation.
Dans Les Misérables, le narrateur se confond avec l'auteur, la philosophie de l'auteur entretient des rapports avec la philosophie des personnages, cependant ce rapport n'est pas dialogique, mais amphibologique. L'amphibologie se manifeste dans les rapports entre auteur / personnages, extérieur / intérieur, immanence / transcendance, continuité / discontinuité. "Je" n'est pas seulement un passant, mais un génie. L'opinion dans Les Misérables repose sur une combinatoire à quelques termes (bonapartisme / anti-bonapartisme; révolutionnaire / anti-révolutionnaire, etc.); or chaque position des personnages combine des éléments de manière plus ou moins aberrante, sans qu’il s'agisse de représenter les lieux communs de la société. La philosophie du texte elle-même entre dans cette combinatoire.
La conclusion de Claude Millet est que le roman hugolien unit ainsi à la fois étroitement le réel (parce qu'il contient bien toutes les opinions d’une époque) et l'utopie. En cela, il est un roman républicain, qui repose sur la présomption que toutes les consciences représentent une opinion valable. Mais on comprend bien pourquoi il fut mal accepté des républicains, car toujours à la limite des discours anti-républicains (bonapartisme par exemple). Le texte est ainsi à la fois polyphonique et à énonciation stable. Les Misérables ne sont ni un roman à thèse, ni un roman déconstruit; mais bien les deux à la fois.
A. Ubersfeld approuve en remarquant que la démarche hugolienne est proprement dialectique.

 

Conversion et conscience dans Les Misérables :

Guy Rosa relance la discussion par une réflexion sur les conversions dans le roman. R. Ricatte remarquait qu'il y avait beaucoup de conversions. Or, remarque G. Rosa, elles ne sont pas homogènes : elles peuvent être politiques, sociales, morales. La structure de la conversion n'existe pas que dans le domaine moral.
A. Ubersfeld donne ainsi l'exemple de la "conversion" de Marius à son père.
Oui, dit G. Rosa, Enjolras lui-même change d'opinion, avant son discours sur la barricade (d’ailleurs on peut mesurer son évolution en opposant ce discours avec le portrait initial d'Enjolras).
Javert, ajoute Fr. Chenet, connaît son chemin de Damas : mais refuse de se convertir.
Arnaud Laster note que Hugo appelle cela des "révolutions".
Guy Rosa souligne qu'un des modèles de la conversion semble être Saint-Paul, tel qu'il est présent dans William Shakespeare (où il n'apparaît, d'ailleurs, que pour la conversion). Pour G. Rosa, on parle souvent abusivement de rachat et de rédemption dans Les Misérables; Jean-Pierre Jossua a montré que les personnages de Hugo restent souvent sur le seuil du divin, dans une attitude d’hésitation et d'attente, et qu'ainsi il n'y a pas de rédemption dans Les Misérables. Guy Rosa ajoute qu'il semble plutôt y avoir une structure dominante : "arracher des griffes de" (la nécessité, le mal...). Il y a plus de libération et de délivrance que de rachat ou de sacrifice.
A. Ubersfeld souligne qu'il serait intéressant d'étudier la délivrance dans Les Misérables.
G. Rosa ajoute quelques réflexions sur la manière dont se produit la conscience : Myriel fait un pari sur l’âme de Jean Valjean; l'auteur a d'ailleurs fait le même pari dans "Le dedans du désespoir". Ce pari est un pari sur la résurrection de l'âme. Or cette résurrection commence par une dépossession. Myriel commence par déposséder J. Valjean de son âme. cf. la scène de Petit- Gervais : Valjean fait une action dont il "n'était déjà plus capable"; il s'apparaît à soi-même comme un fantôme. Or, c'est cela qui produit la conscience. Curieusement, ce que J. Valjean voit en accédant à la conscience de soi, c'est la disparition de sa propre image remplacée par celle de l'évêque. Paradoxalement donc, la conscience de soi n'est pas la conscience de soi :
-soit ce n'est pas moi que je vois
-soit ce n'est pas moi qui regarde (cf. La Légende des Siècles, "La Conscience") Le tribunal d'Arras met en scène ce scénario : un soi qui est un non-soi (Champmathieu). La scène se termine par un acte de conscience. Le "miroir dans lequel M. Madeleine regarde ses cheveux". c'est le miroir que l'on met devant la face d'un mort. La conscience de soi, c'est la conscience de soi comme non-soi, ou la conscience d'un autre à la place de soi.
A. Ubersfeld relève le moi "fantôme", qui désigne un soi mort. On revient au problème de la conversion, puisqu'il s'agit de passer par la mort. Que signifie ce regard de soi sur son propre fantôme? Cette interrogation se rattache au poème "Apparition" des Comtemplations.
Fr. Chenet fait remarquer qu'Enjolras connaît moins une conversion qu'une évolution.
G. Rosa considère en effet que le temps est une notion centrale dans la position du problème : il y a des conversions brutales, et d'autres qui incluent une évolution. Et les conversions elles-mêmes enclenchent une évolution (cf. Marius). Les Misérables reposent sur- une psychologie de la conversion.
La psychologie de la conversion, souligne A. Ubersfeld, suppose un choc d'abord, une évolution ensuite.
Arnaud Laster note que Lucrèce Borgia connaît aussi une conversion, mais elle ne dure pas.
Guy Rosa abonde en ce sens en notant que dans une certaine mesure, c'est la même chose pour J. Valjean, qui n'est pas si bon que cela.


Un beau sujet serait a traiter, propose A. Ubersfeld, "La mort dans Les Misérables."

 

Le mot de la fin revient a Franck Laurent qui vient de découvrir que Le Dictionnaire des Misérables, ouvrage collectif publié sous le pseudonyme d'Hubert de Phalèse, possède une entrée a "ressort a pompe", mais rien pour "république" !

 

Myriam Roman


Equipe "Littérature et civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005 Tél : 01 44 27 69 81.
Responsable de l'équipe : Guy Rosa.