Présents : Guy Rosa, Jacques Seebacher, Anne Ubersfeld, Bernard Leuilliot, Bertrand Abraham,
David Charles, Véronique Dufief, Franck Laurent, Claude Millet, Colette Gryner,
Sophie Charleux, Myriam Roman, Delphine Gleizes, Laure Esposito, Valérie Presselin,
Valérie Papier, Véronique Avignon, Marguerite Delavalse, Ludmila Wurtz.
Présentations
Sophie Charleux travaille en maîtrise sous la direction de M. P. Hamon, sur L'Homme qui rit. Valérie Presselin fait une thèse, sous la direction de Jean Delabroy, sur "Le modèle d'Orphée vers 1820". Valérie Papier étudie, elle aussi sous la direction de Jean Delabroy, "L'intime dans les quatre recueils de Juillet". Delphine Gleizes se propose d'étudier, dans Les Travailleurs de la Mer, les rapports entre la genèse du texte et le corpus d'illustrations (y compris les prolongements cinématographiques. On rappelle le film de Walsh, Sea Devil, dont le titre est audacieusement traduit en français par La belle espionne ). Véronique Avignon fait un mémoire sur "La préciosité des romantiques", sous la direction de M. Crouzet (dont on rappelle la préface à Promontorium Somnii).
Rectific - hâtif
On signale de grossières erreurs dans le compte-rendu de septembre: on y lit, en effet, que "tous les poèmes de la première édition des Fleurs du Mal datent d'avant 1850"; B. Leuilliot corrige: la plupart des poèmes, pas tous! Pire encore: on fait dire à B. Leuilliot dans le même compte-rendu que "la notice de Hugo dans le Tombeau de Théophile Gautier donne raison à Baudelaire". Il s'agit, bien entendu, du poème de Hugo ("C'est mon tour; et la nuit remplit mon il troublé / Qui devinant, hélas, l'avenir des colombes, Pleure sur des berceaux et sourit à des tombes."), non d'une notice.
Le compte-rendu d'octobre n'est pas moins fantaisiste: il rebaptise le livre de L. Calvié sur l'interprétation de la Révolution Française par les intellectuels allemands de la première moitié du XIXème siècle: Le renard et les raisons. Le titre original en est: Le renard et les raisins (ils sont trop verts, dit la secrétaire).
Mais le compte-rendu de novembre n'est pas en reste: l'auteur de l'Annuaire historique de la France et des français, c'est Lesur, bien sûr, et non Lessure.
-Le 3 février 94. dans le cadre du séminaire de MM. Crouzet et Noiray et de Mme Michel intitulé "La passion au XIXème siècle", P. Laforgue fera une intervention sur "Amour et passion dans La Fin de Satan" (amphi Guizot, 10h).
-On signale la publication dans Les Lettres Romanes de "Mouvance, mutation et progrès dans Notre-dame de Paris", de Fernande Bartfeld.
-Le compte-rendu du colloque sur "Victor Hugo et l'Europe" sera publié par F. Wilhelm dans les pages culturelles du Luxemburger Wort.
-J. Seebacher signale le bel article de J. Gaudon sur Hugo à Cotterets paru dans les pages touristiques du Monde.
-Michel Bretenou a publié un article intitulé "Hugo rêveur de mots" dans l'Hommage à Michel Liouré.
-G. Rosa a fait une magnifique conférence à l'Association des Amis de Stendhal, qui tendait à prouver que le Waterloo de La Chartreuse de Parme et celui des Misérables avaient plus de points communs qu'on ne le pense.
-Seebacher fait un rapprochement inattendu entre Hugo et B. Tapie: à lire les débats parlementaires, on ne se rend pas compte de ce qu'a pu être la situation d'un orateur comme Hugo, homme de droite passé à gauche et vomi par des parlementaires qui le considéraient, décidément, comme un poète et non comme un des leurs. B. Tapie joue, selon J. Seebacher. le même rôle de bouc-émissaire: il est taxé de démagogie comme Hugo, ce qui permet aux autres députés de se faire un habit de probité candide et de lin blanc. On rappelle l'article de Veuilliot qui raconte que, dès 1848, on disait à Hugo au sein du Parti de l'Ordre: taisez-vous, vous voyez bien que vous êtes ridicule! G. Rosa se demande si lAssemblée, à travers Hugo, ne réglait pas des comptes avec Lamartine. Au Sénat, Hugo, seul de son espèce, était placé dans les listes alphabétiques des votes non pas, à H. mais à V. Cela signifie, confirme A. Ubersfeld, qu'on le considérait au Sénat comme "le Poète", et non comme l'homme-représentant.
Calendrier
-Le 18 juin, Frédérique Remandet fera une intervention sur "La légitimité des institutions".
-Jean-Marc Hovasse, dont les lettres d'exil racontent davantage la Belgique de Baudelaire que celle de Hugo, confirme qu'il fera son exposé le 28 mai.
-Le 19 mars... est un "samedi de la modernité". On se donne rendez-vous à Caen pour participer à la journée d'étude organisée par P. Barbéris; le Groupe Hugo se tiendra donc le 12 mars, si toutefois cette date convient à J.-C. Yon et à G. Malandain, dont l'intervention sur "létat de la situation critique de Châtiments" serait dès lors prévue le 12 au Groupe Hugo et le 19 à Caen. Tout cela est très compliqué; mais il en faut plus pour déconcerter un hugolien. (N.B. Bernard Leuilliot souhaite être, en janvier, en possession de l'intitulé de toutes les interventions prévues à Caen.)
J. Seebacher rappelle le livre de V. Jankelevitch, Le "je ne sais quoi" et le "presque rien"
A. Ubersfeld signale, dans l'exposé de Véronique, la confusion de deux sortes de citations, celles commençant par "on" et celles commençant par "je". L'emploi de "je" montre que Satan est parfois sujet, alors que l'usage du "on" par Hugo pour désigner une connaissance, ou une absence de connaissance, renvoie à la position d'une collectivité. Pour B. Abraham, "je ne sais quoi" renvoie à un ancrage du "je" qui est encore une position de maîtrise, alors que "on ne sait quoi" est du côté du mystère du "on". Le "on", rétorque A. Ubersfeld, est une personne, même si elle est collective; ce n'est pas une abstraction. C'est aussi une non-personne, répond C. Millet : le "on" signale une désindividualisation. On peut dès lors distinguer trois phases dans la progressive détermination du monde et dans léchappée du chaos. "on ne sait quoi"; "je ne sais quel ", dont le sujet est Lucifer; et enfin "j'attends ...", où Lucifer s'affirme en tant que sujet.
J. Seebacher : l'indéfinition pose des problèmes complexes. Un bon exemple en est lemploi de "mal" en français; dans la phrase du Pater:. "délivrez-nous du mal", on linterprète comme un mal médical ou moral, alors qu'en saine théologie, il s'agit d'un masculin, le Mauvais, c'est-à-dire Satan, le Malin. Cela provient de la dérive laïciste et moraliste du christianisme français, qui a entraîné une désymbolisation religieuse.
De même, dans la préface des Misérables, le prolétariat, la faim et la nuit sont désignés comme trois causes de dégradation sociale pour, respectivement, l'homme, la femme et l'enfant. "Prolétariat" renvoie à une analyse socio-économique, la "faim" est un euphémisme pour dire la prostitution: c'est une première indétermination dans la détermination. La "nuit", enfin, change radicalement de registre; elle désigne l'ignorance, c'est-à-dire l'absence de "lumière" ou de science; il y a, peut-être, un satanisme de l'ignorance.
Il ne faut pas oublier qu'il y a un statut personnel, non mythique, de Satan dans la théologie catholique. L'indétermination qui marque Satan chez Hugo constitue une interrogation sur ce caractère personnel du Mal. Notre sentiment de la permanence du Moi est la preuve fondamentale chez Hugo d'une immanence, de l'existence de Dieu: La Fin de Satan est une grande machine expérimentale pour dissiper l'identité singulière de Satan. Il ne faut pas qu'il y ait permanence du Moi de Satan, parce que s'il n'y a pas de "fin" de Satan, il n'y a pas de fin possible à la misère.
Autrement dit, résume G. Rosa, si le mal est indéterminé, et non pas personnel, on peut le dissoudre. Or, la tradition religieuse affirme l'existence personnelle de Satan. B. Leuilliot précise qu'un concile a condamné explicitement comme une hérésie la seule idée qu'il puisse y avoir un jour réintégration de Satan, rachat du Mal. D'autre part, l'idée que la création ne peut être que satanique traîne au XIXème siècle, c'est un cliché gnostique.
Dans la pensée gnostique, poursuit F. Laurent, il ne petit y avoir création que s'il n'y a plus fusion de lEtre. Mais, dit A. Ubersfeld, l'idée de la création comme fait du Mal est également une hérésie.
Le "on ne sait quoi" est intéressant, poursuit A. Ubersfeld, parce qu'il pose la question de la personnalité de celui qui est devant le mal."On ne sait pas et il faut savoir" est une proposition très différente de"je ne sais pas". Le problème qui est posé est celui de l'extension de la conscience.
V. Dufief: si l'on doit avoir accès à un savoir, celui-ci ne peut s'élaborer que dans un dialogue. Il y a comme un transfert de responsabilité, il s'agit de mettre l'objet à connaître sur le plan d'un interlocuteur; l'objet du savoir devient sujet. Cet échange perpétuel de rôles dans le processus de la connaissance, ce dialogue, est la création même.
A. Ubersfeld: il y a une situation fantasmatique récurrente chez Hugo: essayer de communiquer avec quelqu'un d'inconscient, à travers le sommeil, avec le désir de le réveiller.
F. Laurent revient sur la préface des Misérables : tous les critiques des Misérables saccordent à dire que la misère sociale est une fatalité artificielle créée par la société, et non une nécessité divine. Il est donc possible de mener une action utile visant à sa résorption. Cela est à garder en mémoire quand on réfléchit à lontologisation du mal dans La Fin de Satan. Certes, Hugo dit que l'homme est abruti par le prolétariat, qui est une réalité sociale, la femme par la faim, qui est une nécessité naturelle, et l'enfant par la nuit, qui nest plus de l'ordre de l'humain ni du concret. Mais la préface dit bien qu'il faut lire tout cela dans le cadre d'une misère sociale artificielle. Aussi, parler de la "contemplation paisible du mystère" est-il dangereux.
A. Ubersfeld rappelle à ce propos que La Fin de Satan se termine par la prise de la Bastille.
B. Leuilliot: Hugo fait, dans La Fin de Satan, le choix de l'épique et du merveilleux. Dès lors, il lui devient nécessaire de trouver un lien de causalité entre ce qui se passe du côté de l'Histoire et ce qui se passe du côté de l'épopée. L'impossibilité de dire les mêmes choses en vers et en prose, c'est-à-dire de traiter en vers ce qui peut être dit dans le roman, est peut-être à l'origine de l'impossibilité où il s'est trouvé de finir le livre.
A. Ubersfeld: il ne faut pas aller trop loin dans le sens de l'ontologisation, car Hugo n'écrit pas un poème philosophique. V. Dufief estime qu'il ne faut pas non plus sous-estimer son rôle. Il y a un mystère qui reste irréductible. Hugo, remarque F. Laurent, est en permanence pris dans cette difficulté: où s'arrête le mystère des choses et où commence la fatalité artificielle de la misère sociale?
B. Leuilliot: la pensée paradoxale telle que V. Dufief la décrit ressemble fort à l'humour, qui se substitue aux premières conceptions hugoliennes du grotesque. la Fin de Satan pourrait être un poème humoristique. Il y a peut-être en arrière-plan une expérience de l'humour comme pensée paradoxale.
V. Dufief trouve cette hypothèse un peu difficile à manier à cause de la tonalité générale du livre et plus largement, à cause de l'idée qu'on se fait de l'épopée. Sur un plan strictement définitionnel, lui répond B. Leuilliot, ce que vous dites pourrait cependant constituer une définition de l'humour.
C. Millet revient sur le problème du "on". On ne peut forcer le texte en faisant du "on" une figure du "je" poétique. La formule: "je ne sais quel + nom" pose la question de l'inconnaissable, non celle de l'indicible. Ce serait un coup de force d'identifier le savoir et la création poétique. En effet, le "on ne sait quoi" ne peut se traduire en "je ne peux dire".
V. Dufief: La Fin de Satan pose le problème en termes extrêmes. On est à la limite. Le propos tenu par la Sibylle à l'égard des quêteurs d'absolu qui essaient de nommer Dieu revient à poser la question de savoir si nommer, c'est connaître. C. Millet: cela montre bien que Hugo est conscient de la différence.
V. Dufief: c'est une mise en garde; la Sibylle avertit que le Poète, en nommant les choses, ne s'approprie pas pour autant le réel. Si Dieu existe, c'est à lui que revient ce pouvoir.
J. Seebacher remarque que les locutions "je ne sais quel + nom" et "je ne sais quoi de + adjectif" ont en commun d'être partitives. Dire "je ne sais quel loup" montre que l'animal appartient à l'espèce "loup", mais s'en distingue radicalement. Quand on le désigne par son nom propre, poursuit V. Dufief, l'élément s'intègre à l'ensemble; le "je ne sais quel" permet d'éviter cette intégration. A. Ubersfeld: on sait que cela est, mais on ne connaît pas la nature de la chose.
J. Seebacher: dans la préface des Misérables, l'enfant, qui est lumière, est atrophié par la nuit; la femme, qui est objet de désir, crève de ce "désir" qu'est la faim; l'homme, qui est fait pour être le maître de l'univers et commander aux animaux, est dégradé par le prolétariat. Dans les trois cas, il y a retournement. Si la dose d'horreur et d'indistinction qui est dans la misère était arrachée de la conception personnelle du Mal, on verrait alors très bien ce qu'il faut à l'homme, à la femme, à l'enfant: il suffit de retourner ce qui les opprime. Mais si on ne dissipe pas la personnalité du Mal, on ne peut rien faire en économie sociale.
A. Ubersfeld remarque que "je ne sais quoi" est moins fréquent que "on ne sait quoi". Ce dernier représente une connaissance imparfaite: il y a un réel, nous le savons; mais il est confus. Le travail consiste à réduire cette confusion. Dès lors, on voit que la confusion est objective"on ne sait quoi" affirme autant qu'il nie, à la différence de "je ne sais quoi", qui ne concerne que la conscience du Poète. Il y a un travail nécessaire du "on" pour remettre le réel en ordre.
V. Dufief: on ne peut prendre conscience du mystère que dans l'intersubjectivité.
J. Seebacher: Hugo écrit dans la Préface de 1822 des Odes que la poésie consiste à voir sous les choses plus que les choses. C'est une conduite philosophique: faire apercevoir le monde tel qu'il est et non tel qu'on croit qu'il est. La projection des fantasmes permet de montrer que l'obscurité du monde vient aussi de nous.
G. Rosa pense. lui, que lorsque Hugo dit "on ne sait" ou "je ne sais", cela vaut par antiphrase, et qu'en fait on sait très bien. "On ne sait quel" est le contraire et la même chose que "un de ces", locution qui est spécifiquement romanesque-réaliste, puisqu'elle relie la particularité romanesque de ce qui est narré au savoir et à l'expérience du lecteur. Hugo reconnaît d'ailleurs quil emploie trop souvent "un de ces". "Un de ces" affirme que l'élément fait partie de la classe; il en va de même pour "on ne sait quel". "Un de ces" renvoie à une doxa; "on ne sait quel" efface au contraire la doxa et incite à défaire les catégories avec lesquelles on pense habituellement.
Quant à la claire distinction entre misère et souffrance, elle n'est pas si claire que cela chez Hugo: qu'on se réfère à la subdivision 7 des Fleurs. Pour F. Laurent, cette magnification de la misère est, pour Hugo, un souvenir de sa jeunesse.
F. Laurent fait une mise au point: la rationalité est une vérité ou une pensée paradoxale. Il est possible que Hugo donne au mot "rationalité" le sens de "logique", parce qu'il écrit en plein positivisme. Ce n'est pas une raison pour faire, nous, la même chose. La doxa n'est pas une opinion irrationnelle. La mathématique depuis Platon donne des modèles pour penser ce qui est a priori irreprésentable. De ce point de vue, si la poésie est pensée, c'est parce qu'elle est sur le même terrain que la mathématique. Badiou ne définit-il pas la raison comme par essence paradoxale et la vérité comme ce qui fait du trou dans le savoir? Nous ne devons pas assumer le virage positiviste qu'on aperçoit chez Hugo.
Ludmila Wurtz
Equipe "Littérature et civilisation du 19° siècle"
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