Présents :
Arnaud Laster, Guy Rosa, Caroline Raineri, Laure Esposito, David Charles, Bertrand
Abraham, Véronique Dufief, Marguerite Delavalse, Claude Millet, Franck Laurent,
Josette Acher, Corinne Chuat, Colette Gryner, Hélène Labbe, Ludmila Wurtz.
- Hugo fait son cinéma... Le 21 novembre, à la Cinémathèque du Palais de Tokyo, diffusion de la version intégrale des Misérables de Raymond Bernard; le 22 novembre, diffusion, à la Vidéothèque, de la version de Notre-Dame de Paris de Delannoy, adaptation et dialogues de Jacques Prévert; le 28 novembre, à la Vidéothèque encore, The Hunchback of Notre-Dame (Le Bossu de Notre-Dame), de Dieterle: ce cinéaste allemand réfugié aux Etats-Unis transforme le roman de Hugo en un film anti-raciste au prix d'une sérieuse édulcoration de l'intrigue.
- Au Théâtre de Saint-Maur, Mangeront-ils ?, dans une mise en scène de Jean-Simon Prévost, à partir de la fin novembre; l'interprétation de la pièce de cet ancien comédien éveille d'autant plus la curiosité qu'il a joué le rôle du roi il y a quelques années. A. Laster signale qu'il est possible de bénéficier de tarifs intéressants en passant par le Service Culturel de Paris III (45 87 40 65 - demander Jean-Christophe Boissonnade; ou s'adresser directement à A. Laster) et propose une "opération commando" pour le 5 décembre.
- A partir du 18 décembre, la Comédie Française reprend Le Roi s'amuse, dans une mise en scène de Jean-Claude Boutté qui suscita, naguère, de longues et ardentes discussions au Groupe Hugo...
- On rappelle la mise en scène de Marie Tudor de Daniel Mesguisch, en janvier; ce cycle de représentations donnera lieu à une journée de discussion à laquelle le metteur en scène souhaite que participent des spécialistes de Hugo.
- A noter dans nos tablettes: le 8 avril, une représentation du Roi s'amuse à Censier, par la Compagnie Jolie Môme, dont A. Laster s'est fait le (très) chaleureux porte-parole. En relation avec cette représentation, une répétition publique a eu lieu le 29 novembre à Gennevilliers, initiative trop rare pour ne pas être saluée.
- Un peu de musique, enfin: le 6 décembre, à l7h, le pianiste André Garrode joue la sonate Appassionata de Beethoven et Mazeppa de Liszt.
- Alors qu'il n'avait jusqu'à présent réussi à faire enregistrer que l'air de Claude Frollo, A. Laster, invité à participer à une émission radiophonique de Damian, a fait écouter un autre air tiré de la Esmeralda de Louise Bertin: la simplicité, l'austérité de la partition la distinguaient des productions contemporaines diffusées au cours de la même émission. On attend avec impatience l'enregistrement de l'opéra dans son intégralité: Louise Bertin est la seule femme au XIXème siècle dont on ait joué une uvre à l'opéra de Paris. On rappelle, à ce propos, que c'est Berlioz lui-même qui a dirigé toutes les répétitions de cet opéra, dont il a également écrit une analyse.
- A fuir à toutes jambes: une représentation de Angelo, Tyran de Padoue au Centre Culturel du Ministère des Finances, parrainée par l'Association des anciens élèves de l'ENS, a plongé A. Laster dans une profonde affliction.
-V. Dufief fait circuler de main en main les copies les plus originales d'élèves dijonnais à qui elle a proposé, en sujet libre, "Hugo et vous". Entre autres: un calligramme où les titres de Hugo sont assemblés de manière à figurer la silhouette du poète.
- B. Abraham rappelle l'intitulé exact de la thèse à laquelle il travaille sous la direction de Philippe Hamon: "Lintertextualité et le fonctionnement textuel dans les romans hugoliens".
- G. Rosa rappelle deux points importants de l'exposé: le livre représenté est une image du livre contenant; cette image intervient dans la nature même du livre contenant. Mais, se demande G. Rosa, suffit-il de figurer des livres qui représentent le livre qui les contient pour affranchir le livre du rapport universel à la réalité? B. Abraham lui répond qu'il n'avait aucunement l'intention de nier l'articulation du texte hugolien au réel historique et social. Dans ce cas, poursuit G. Rosa, quelle est l'efficacité, quant au texte hugolien, des images du livre: restent-elles de simples images ou leur fonction dépasse-t-elle celles d'images ?
B. Abraham: il s'agit de la représentation des processus par lesquels Hugo déborde, dans sa production, l'ensemble des textes autres qu'il utilise. Il n'y a pas de figure idéale de l'Auteur dans les romans hugoliens; le caractère régressif des figurations du scripteur chez Hugo a été souvent souligné: mais il y a une représentation idéale du Livre, qui se fait toujours par le rassemblement de textes autres.
- V. Dufief remarque, à propos des romans de Mlle de Scudéry représentés dans Han d'Islande , que la monumentalité du livre figure aussi, par contre-coup, la frivolité du personnage qui offre le roman; une preuve en est que le même personnage, Frédéric, offre un roman et ...un perroquet. Dans Han d'Islande , les personnages de Frédéric et d'Ordener s'opposent: le savoir de Frédéric a une fonction sociale et une valeur marchande, il représente la richesse des hommes qui détiennent le pouvoir. Ordener, l'homme à la plume noire, se dessaisit au contraire des emblèmes du pouvoir et de la richesse avant de se lancer dans la quête du savoir: avant d'entrer dans le château, il donne au passeur la boucle qui attachait la plume à son chapeau.
D'autre part, poursuit V. Dufief, la distraction de Schumacker pendant qu'Ethel lui lit un passage de Léda révèle l'indifférence de Schumacker à la vérité mythique de son propre personnage: Ethel, au contraire, en a l'intuition. De même, la façon dont Schumacker lacère son livre de chevet préfigure l'épisode de Quatrevingt-treize; enfin, c'est en vain que Schumacker essaie de lire son histoire dans Plutarque: il a besoin de l'aide d'Ordener d'Ethel et de Han pour y parvenir. Schumacker parle par maximes, il s'enferme dans son pessimisme: il doit pourtant finalement reconnaître que c'est une impasse, et que sa fille Ethel a vu des choses pour lesquelles il était aveugle.
Aussi V. Dufief discute-t-elle l'interprétation qui fait de la figuration du roman de Mlle de Scudéry un programme dérisoire possible pour la lecture de Han : il ne s'agit pas, pour Hugo, de se démarquer de façon parodique avec le roman précieux, mais de déjouer un contre-sens possible: Hugo prévient de cette manière d'éventuelles critiques portant sur le mauvais goût de son style "frénétique". Sans cesse, Hugo souligne les fondements esthétiques de la démarche de connaissance qui fonde son livre. Ainsi, le monstre: sa présence montre qu'Ordener cherche à connaître ce qu'il y a de plus sombre et de plus mystérieux dans sa conscience. Alors que Frédéric est du côté de la représentation de la littérature comme accessoire, comme signe de coquetterie, Ordener, lui, fait du roman un moyen de la connaissance de soi.
De même, V. Dufief met en doute l'interprétation du gouverneur comme "archi-lecteur": le gouverneur apostille les plaquettes à tort et à travers, il fait des lapsus en pagaille, il est, enfin, en partie responsable de la catastrophe. B. Abraham reconnaît que le gouverneur ne remplit pas le programme de l'archi-lecteur.
Pour conclure, V. Dufief estime que s'il y a une anankè qui subsume les autres, c'est celle du cur humain. Il y a réalisme, non pas au sens où il est impossible d'enfermer le réel dans le livre, mais dans la mesure où il y a un réalisme de la psyché, l'autre versant du réel. Dans La Fin de Satan, il y a de nombreuses références au livre, à l'acte d'écrire: il s'agit d'une réflexion mythographique sur le pouvoir créateur du Verbe, et sur l'utilisation perverse qu'en fait Satan, repérée comme une des origines du mal sur terre. La mise en abyme du livre dans les romans hugoliens est à mettre en relation avec la réflexion philosophique de Hugo, par des moyens littéraires, sur la création: comment, avec des mots, peut-on donner accès à l'inconscient, à ce qu'il y a en nous de plus irrationnel?
- F. Laurent rappelle que la scène où un jeune couple lit ensemble est un démarcage, récurrent dans la littérature romantique, d'un épisode de L'Enfer de Dante: Francesca d'Arimini et Paolo deviennent amants à l'issue d'une lecture à deux.
D'autre part, continue F. Laurent, on trouve une préfiguration possible de l'opposition entre architecture et imprimerie développée dans Notre-Dame de Paris dans la préface des Orientales, où Hugo fixe pour programme à la littérature romantique de devenir l'une de "ces belles églises d'Espagne". Cela permettrait de complexifier l'opposition entre l'architecture comme livre de pierre "territorialisé" et l'imprimerie comme éparpillement abstrait du livre. Dans la préface des Orientales, Hugo imagine une littérature qui resterait monumentale, mais ne serait plus territorialisée, au sens où elle regrouperait des signes architecturaux hétérogènes. Il s'agit d'un autre genre de déterritorialisation, plus du tout, celui-là, sous le signe de l'aérien abstrait.
Enfin, remarque F. Laurent à propos d'un développement de B. Abraham sur le père Mabeuf, le personnage de Mabeuf est associé, dans Les Misérables, à la mise en circulation économique du livre. Jamais les scènes d'achat de livres ne sont décrites, en revanche, l'aspect monétaire des transactions est lui, longuement décrit. Cela fait songer F. Laurent à une phrase de la Conclusion du Rhin, où Hugo explique que le budget des Etats du Pape est quasi illimité, dans la mesure où celui-ci peut vendre autant d'indulgences qu'il le désire; tant qu'il y a une plume, il y a de l'argent: "Propos de pape ou d'écrivain", dit Hugo.
D'autre part, ajoute F. Laurent en s'adressant à B. Abraham, tu dis qu'avec Mabeuf le texte entre dans l'épique, et que cette entrée de Mabeuf dans l'épique constitue un retour au livresque. Or, le livre qu'écrit Mabeuf n'appartient pas au genre épique; il ne lit pas non plus Plutarque (même si la mère Plutarque n'est pas loin...); et, d'autre part, je ne crois pas que l'entrée des Misérables dans l'épique constitue forcément un retour au livresque, et rien de plus. J'ai parlé, précise B. Abraham, d'une "traversée" du livresque. Les personnages des Misérables parlent sans cesse de leur propre faire en termes théâtraux. Mais cette accumulation de références épiques livresques, rétorque F. Laurent, aboutit à la conclusion que les combats de géants n'ont pas plus de valeur que le combat du pioupiou ou de l'étudiant: la véritable épopée est là. Certes, reconnaît B. Abraham, le livresque n'est pas un point d'aboutissement. Hugo convoque le livresque à l'intérieur de son livre pour le détruire: il montre par là que son livre est au-delà du livresque. Mais j'avais l'intention de traiter de cette connexion du textuel avec l'univers dans un chapitre distinct. Tout signe est connecté à l'univers sur un mode étranger au mode normal du signe: il y a là une notion d'immanence à retravailler sur la base de concepts deleuziens. La conceptualisation deleuzienne a de nombreux rapports avec Hugo.
- C. Millet: l'exposé pose la question du rapport de Hugo et de sa génération à la notion de "culture". On a abandonné au XIXème siècle l'idée d'une "bibliothèque de l'honnête homme" qui serait encyclopédique, mais l'idée n'est pas encore née d'une "culture générale". Le Dictionnaire Encyclopédique Larousse définit la culture comme "l'application de l'esprit à une chose", jamais n'apparaît l'idée de la culture comme communauté intellectuelle. On peut concevoir, au XIXème, le rapport singulier de chaque individu à un auteur, mais en aucun cas le partage des livres par une communauté d'individus. On peut donc faire l'hypothèse que Hugo et sa génération pouvaient penser, après Voltaire, le partage du livre dans sa singularité, mais pas le partage d'une collection de livres. Pour nous qui sommes formés par l'école, il est au contraire évident que ce qui se partage, ce sont les livres.
- G. Rosa remarque que le livre n'est jamais familier chez Hugo: c'est un objet étrange. Ce qui met sur la piste de la différence entre le livre et la trace. D'autre part, G. Rosa se demande si le lieu d'édition et le nom de l'éditeur font encore partie du paratexte. Pour B. Abraham, ils ont une fonction ambivalente: inscrire le livre dans la monumentalité, et le faire fonctionner comme texte.
G. Rosa souligne d'autre part le fait que parmi les livres de Giliatt, il y a un Rousseau dépareillé, qu'il a reçu en héritage; Claude Gueux, lui, a hérité d'une paire de ciseaux et d'une édition de l'Emile dont il dit qu'elle ne lui sert à rien. C. Chuat signale que la famille basque qui accueille Hugo dans le Voyage dans les Pyrénées possède, elle aussi, un ouvrage de Rousseau. A. Laster rappelle à son tour que l'un des jalons du Massacre de Saint-Barthélemy, dans Quatrevingt-treize, a pour titre "Le gamin ennemi des Lumières" où, à la fin des Misérables, Gavroche procède à "l'attaque du poste de l'Imprimerie Royale".
- A. Laster tient à applaudir les véritables trouvailles de cet exposé. Il signale également la forte présence des livres dans le théâtre de Hugo. L'article de Danièle Gasiglia-Laster sur Les Deux Trouvailles de Gallus, inclus dans le numéro "Femmes" de la série Hugo parue chez Minard, recense une série de livres: Homère, Grotius, Polybe, la Genèse, que Nella lit à son père; Margarita, elle, lit des romans: changer ses choix de lecture revient à la pervertir. Mais, si le désir de savoir est constamment mis en scène par Hugo, il est toujours travaillé par l'ironie: là réside l'intelligence de Hugo. F. Laurent remarque que tout ce que dit Hugo sur le fonctionnement de l'écriture, sur la culture, dans ses textes théoriques, n'a pas d'équivalent clair dans la mise en scène romanesque: les thèses qu'il défend en théorie y sont au contraire tournées en dérision. L'Ane constitue peut-être un point de jonction, dans la mesure où il dissocie la littérature comme accumulation vaine de savoir et une littérature qui serait "autre chose"...
Ludmila Wurtz
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