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Séance du 19 octobre 1991

Présents : Lorène Bergeron, Myriam Roman, Carole Descamps, Anne Ubersfeld, Christian Porcq, Agnès Spiquel, Guy Rosa, Jean-Pierre Reynaud, Cécile Reynaud, David Charles, Arnaud Laster, Danielle Gasiglia-Laster, Véronique Dufief (et son chien Gabrielle), Florence Naugrette, Jean-Claude Nabet, Josette Acher, Hélène Cellier, Catherine Treilhou-Balaudé, Bertrand Abraham, Hélène Lazar, Marguerite Delavalse, Géraldine Garcia, Franck Laurent, Ludmila Wurtz.


 

Informations

Anne Ubersfeld rappelle la mise en scène de Marie Tudor de Daniel Mesguich, à Lille, ainsi que celle du Roi s'amuse de Jean-Luc Boutté à la Comédie Française. Elle signale que le rôle de Triboulet sera tenu par Roland Bertin, le sublimissime acteur qui a joué dans la mise en scène d'Antoine Vitez de La Vie de Galilée. Elle signale également que Mangeront-ils se jouera les 3, 4, et 5 novembre au Théâtre Clavel.

 

Arnaud Laster annonce, le 11 février, une soirée Whitman à la Maison de la Poésie, à l'occasion du centenaire de la mort du poète.

 

Le 31 octobre, FR3 diffusera un mystérieux Misérables. Anne Ubersfeld regrette vivement que la mise en scène de Marcel Bluwal ait été détruite. Voulant la diffuser à Paris III à l'occasion du centenaire de la mort de Hugo, elle ne l'a pas retrouvée à l'INA. Sans doute cette version montrait-elle trop de drapeaux rouges... Arnaud Laster ne partage pas l'enthousiasme d'Anne Ubersfeld pour la version de Bluwal.

 

Véronique Dufief propose aux membres du Groupe Hugo qui ont le pied marin de louer, au printemps, des bisquines cancalaises pour visiter les îles anglo-normandes. Apprenant que les bisquines sont des bateaux à voiles, Guy Rosa décline; d'ailleurs la Maison Victor Hugo est obstinément fermée, assure-t-il.

 

Diverticule

Mlle Myrto Constantarakos, professeur à l'Université de Londres, recevra nos compte-rendus du Groupe Hugo. Elle a travaillé, sous la direction d'Arnaud Laster, sur la représentation des classes populaires dans Les Misérables et dans les premiers romans de Pasolini.

 

Agnès Spiquel demande à la cantonnade des informations sur la présence de Hugo dans les articles du Larousse.

 

V. Dufief se propose pour un exposé le 14 décembre 91: "Dire la poésie de Hugo". G. Rosa rappelle qu'il y a eu à l'UFR une soirée sur la diction en poésie: Jacques Seebacher et lui y étaient en désaccord, le premier proposant de lire Hugo avec douceur, discrétion, le second estimant au contraire que la force et l'énergie étaient nécessaires à la diction de Hugo. Et c'est parti:

J.-P. Reynaud intervient: quand il y a enjambement, faut-il couper les vers selon la cellule rythmique ou selon le sens? Vitez pensait qu'il fallait lire d'une voix "blanche", selon les cellules rythmiques.

A. Ubersfeld: comment pourrait-on décider dans l'ensemble et dans l'abstrait? L'une des caractéristiques de la musicalité de Hugo est, précisément, d'être très variée.

A. Laster rappelle qu'au moment de la représentation de Marion Delorme, Hugo, dans sa correspondance, discute de la diction et dit qu'il faut au moins deux éclats de voix.

J.-P. Reynaud ajoute que dans Ruy Blas, cela apparaît même dans une didascalie: "d'une voix éclatante".

A. Ubersfeld: il y a des choses à murmurer, et d'autres à claironner.

G. Rosa rappelle qu'il ne faut pas confondre la diction du théâtre et celle de la poésie. L'objet de son désaccord avec Jacques Seebacher était, plus précisément, la question de l'énonciation dominante chez Hugo.

Pour A. Laster, il n'y a pas d'énonciation dominante.

J.-P. Reynaud: et il y a la litote qui consiste à dire tout bas ce qui est très fort.

A. Ubersfeld: La poésie est une énonciation parlée. Hugo ne pouvait prévoir comment nous entendrions. Même les enregistrements d'il y a cinquante ans ne nous conviennent plus du tout, ils ne sont plus possibles.

A. Laster: chaque année, au Panthéon, en commémoration du 22 mai 1885, Jeanne Sully disait des textes de Hugo. On en a gardé des enregistrements: c'est de la grande éloquence, avec effets de cape. Ce n'est plus possible aujourd'hui.

A. Ubersfeld: même la façon de dire de Gérard Philipe n'est plus possible.

F. Naugrette: Apollinaire a enregistré Le Pont Mirabeau de deux manières différentes, mais qui correspondent aux deux manières différentes dont il a écrit ce poème.

C. Porcq: il ne faut pas chosifier la poésie. Il y a toujours différentes manières de la dire.

J.-P. Reynaud: Dans l'article de Hugo sur les Méditations de Lamartine, qui se trouve dans Littérature et philosophie mêlées, Hugo dit que le poète est "celui qui sonne grand".

Mais, dit A. Laster, l'emphase est un mauvais service que rendent beaucoup de comédiens à Hugo.

G. Rosa: parce qu'ils n'ont pas assez de force en eux.

J.-P. Reynaud: Si on enregistre un morceau de piano pianissimo et qu'on l'amplifie, on obtient un fortissimo. Mais le résultat obtenu n'est pas du tout le même que quand on joue fortissimo à l'origine. Rosa a raison: il y a une manière de parler fort qui est emphatique. Mais la force peut aussi être donnée par une diction basse.

G. Rosa: Hugo n'est pas un écrivain litotique.

A. Laster: Journet écrivait pourtant que c'était un écrivain "concis". Ce serait d'ailleurs un beau sujet: "La litote chez Hugo". Un exemple dans William Shakespeare : "Sa fille n'avait pu le suivre."

A. Ubersfeld: de toutes façons, la force n'est pas l'équivalent du bruit.

A. Laster: Arthur Rubinstein recommandait aux pianistes de jouer le plus fort possible avec le pied sur le pianissimo.

J.-P. Reynaud: Mais Cortot dit que si l'on frappe trop fort, les cordes sont comme paralysées.

 

Arnaud Laster fait part de sa surprise: un magazine - que nous ne nommerons pas - a intitulé l'un de ses numéros de l'été "Hugo superstar". Anne Ubersfeld remarque que, dans la catastrophe actuelle des idéologies, l'image du grand-père idéologue de la Troisième République est une "image de marque" importante. Le retour à Hugo dont témoigne le titre du magazine n'est pas étonnant. A une question de Christian Porcq, elle répond que c'est l'exemplarité de l'homme, non celle de l'œuvre, qui est à l'origine de ce phénomène. On se cherche actuellement des pères, des ancêtres. Guy Rosa s'interroge: Renan, Pasteur sont aussi des personnalités exemplaires. Pourquoi Hugo? Question de popularité, sans doute. David Charles renchérit: un sondage dans le Monde révèle que Hugo est le poète le plus connu des 16-18 ans, bien que les jeunes filles citent davantage Baudelaire. Jean-Pierre Reynaud remarque avec mélancolie que les jeunes connaissent tous Hugo, mais qu'ils écrivent son nom avec un "t"...

Véronique Dufief insiste: la popularité de Hugo a gagné le Québec. Les Misérables était publié en feuilleton, cet été, dans le quotidien montréalais La Presse. Objet d'un scandale, Henri Bourassin a été vilipendé dans la presse québécoise sous le titre "le misérable". Véronique Dufief y voit une indéniable allusion au roman.

 

Revenant à la séance du mois dernier, Christian Porcq maintient son objection à propos des Indes noires de Verne: la mine, au début du roman, va rouvrir. Le sens du roman en dépend.

 

Catherine Treilhou-Balaudé a lu dans l'Europe Littéraire du 19 avril 1833 (cote Z 1052 à la B.N., p. 89) un article intitulé: "La condition des hommes condamnés aux travaux d'intelligence", traitant du travail intellectuel sous le rapport industriel, de l'intellectuel comme salarié. Tout l'intérêt de cet article réside dans son approche de la condition sociale et financière de l'intellectuel salarié, et dans son évocation de la nécessité d'une législation du travail intellectuel. Anne Ubersfeld remarque que Hugo n'a jamais été troublé par ce problème. S'inscrivant dans la transformation régulière de la littérature-marchandise, il a joué le jeu de la littérature mercantile, sans gémir, à la différence de tous les autres, et notamment de Balzac.

Josette Acher : mais Hubert Galois meurt de faim.

Guy Rosa: justement parce que ce n'est pas un salarié rétribué.


Communication de Annie Ubersfeld  : «L'auto-censure de Hugo pour Le Rois s'amuse  (voir texte joint)


Discussion

J.-P. Reynaud: il y a, à propos de l'auto-censure, un flottement de sens. En effet, il existe la censure du Même et de l'Autre. Y a-t-il une censure "intérieure" chez Hugo?

A. Ubersfeld: pas du tout.

J.-P. Reynaud: il n'y a donc pas de véritable auto-censure. Mais alors, pourquoi Hugo censurait-il, puisque le public venait toujours, même seulement pour siffler?

A. Ubersfeld: pour permettre une autre représentation.

J.-P. Reynaud: il y a donc une censure tactique, ponctuelle, sur des problèmes de mots, et une censure stratégique.

A. Ubersfeld: oui, Hugo se censure de manière à pouvoir dire encore des choses au public.

J.-P. Reynaud: mais en 1882, Hugo pouvait tout dire. En 1832, c'était différent, il sentait qu'il ne le pouvait pas encore; il n'avait pas encore écrit Châtiments. En 1882, on va vers l'auto-censure profonde, psychique.

G. Rosa: c'est la thèse de J. Seebacher sur Les Misérables : seule une auto-censure psychologique permet d'expliquer l'inachèvement.

A. Ubersfeld ne croit pas du tout à l'auto-censure psychique de Hugo. C'est le rapport au public qui explique ses censures. Hugo voulait faire jouer une tragédie grotesque en cinq actes et en vers à la Comédie Française, dont le héros devait être grotesque, et un drame en prose d'une dignité égale à la tragédie des Atrides au Théâtre Saint-Martin. C'est un projet de travail croisé: utiliser la forme tragique pour dire le grotesque, et la forme grotesque pour dire le tragique. C'est un résultat toujours recherché, jamais obtenu. Lucrèce Borgia a eu un grand succès, mais c'est seulement une tragédie en prose, le public était déjà habitué à cette forme.

A. Laster: Tout de même, il y a du grotesque dans Lucrèce Borgia. A. Ubersfeld: c'est un monstre, ce n'est pas la même chose.

A. Laster: tu dis que le grotesque, c'est le rire et la mort. Mais dès lors qu'on montre la difformité, même sans le rire, c'est déjà le grotesque pour Hugo.

A. Ubersfeld: la pluie des cercueils dans Lucrèce Borgia, c'est programmé pour faire rire, pour faire rire de l'horrible.

 

G. Rosa déclare que quand il entend le mot "grotesque", il sort son revolver. Non qu'il ait quelque chose contre le grotesque: mais on en parle trop au Groupe Hugo. Il s'interroge: les éléments choquants et censurables, nous les sentons comme tels. Comment se fait-il que, si longtemps, on ait trouvé Hugo pompeux, ennuyeux, ronflant, alors que la part de Genêt en Hugo (et la part de Hugo en Genêt) nous est sensible?

A. Laster: parce que les metteurs en scène se sont toujours efforcés de gommer le grotesque, de rester dans le classicisme. Un des moyens de supprimer le "heurté": l'emphase.

F. Laurent: la réputation de Hugo, c'est moins d'être pompier dans le classicisme que d'être pompier dans le mélodrame.

A. Laster: la parodie est la nouvelle manière de travailler des metteurs en scène.

A. Ubersfeld: les metteurs en scène ont toujours misé sur le mélodrame. Vacquerie disait de manière mélodramatique, donc fausse: "Je suis ta mère", dans Lucrèce Borgia. Pour les spectateurs au théâtre, il n'y a pas de grotesque, il n'y a que du comique involontaire. Mais il faut penser que Hugo a "programmé" ce comique involontaire.

J.-P. Reynaud: mais il y a aussi des fautes de goût. (Tollé général.) Dans Ruy Blas, quand le comédien dit: "Triste flamme, éteins-toi" et qu'il avale du poison, c'est une faute de goût. Hugo n'a pas vu la syllepse.

A. Laster: non, ce sont des pointes baroques.

J.-P. Reynaud: Hugo confond métaphore et métonymie dans Les Misérables : il dit que "il pleut des hallebardes" est une métonymie. C'est révélateur. Il y a aussi de la bêtise dans le génie.

G. Rosa: dans Chaos vaincu, dans L'Homme qui rit, faire rire n'est pas l'intention de Ursus auteur, mais cela ne nuit pas au sens.

A. Laster: de toutes façons, dans toute belle image, il y a quelque chose de lisible. C'est Reynaud qui est un clacissiste impénitent. Et puis, il y a des rires qui ne sont pas pertinents. Certaines mises en scène parodiques ne sont pas justes, légitimes.

J.-P. Reynaud: mais il y a goût et mauvais goût. Le goût est une question de proportion. Selon Hugo, l'Iphigénie de Racine est une énorme faute de goût, parce que la proportion et la clé de la fable sont faussées.

A. Ubersfeld: mais "goût" n'est-il pas employé par Hugo "cum grano salis"? Pour se moquer de ceux qui parlent de goût?

J.-P. Reynaud est indigné.

F. Laurent: tout ce que dit Hugo du comique provoqué par le grotesque n'est pas positif. Le rire populaire est souvent le signe de l'aliénation populaire. Le rire peut être porteur d'une impression très négative: les rieurs de Gwynplaine, par exemple. Tout se passe comme si le rire n'était pas sain pour Hugo, au moins jusqu'au Théâtre en Liberté. "D'une bouche qui rit, on voit toutes les dents".

G. Rosa: le réglage comique de son texte par Hugo en fonction de la représentation est discutable.

J.-P. Reynaud: on laissait beaucoup de liberté aux directeurs de théâtres. Les coupures étaient tolérées par les auteurs, ils en donnaient l'autorisation implicite.

G. Rosa: cela vaut pour les illustrations, pour le réemploi de genres à la mode: Hugo pense à son public. Sans que ce soit pour autant de la complaisance pour le public: on a trop tendance à imaginer Hugo comme un sujet totalement libre, alors qu'il était soumis à des contraintes matérielles.

A. Laster: pour La Esmeralda, Hugo a accepté beaucoup de censures, de coupures. Mais le soir de la représentation, il a distribué le livret non censuré aux artistes.

A. Ubersfeld: c'est une raison de plus pour ne pas croire à l'auto-censure psychologique.

 

Dernière minute

Claude Millet soutiendra sa thèse le 2 décembre à Paris 7, amphithéâtre 56 B, à 14H30.

Camille Aubaud soutiendra sa thèse le 9 décembre à Paris 7, à 9H00.

 Ludmila Wurtz


Equipe "Littérature et civilisation du 19° siècle"
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