GROUPE
HUGO
Université
Paris 7 - Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX°
siècle"
Présents : A. Ubersfeld, L. Wurtz, D. Charles, S. Haddad, C. Porcq, A. Spiquel, P. Laforgue, V. Dufief, A. Laster, P. Georgel, G. Rosa, J.C. Nabet, J. Delabroy, C. Millet, F. Laurent, S. Emerich, J. Acher, B. Abraham.
G. Rosa présente une nouvelle venue, qui a fait une thèse sur le théâtre de Salacrou et s'intéresse au Paris de VH.
C. Lélafollet vient de soutenir un D.E.A. sur Les épibiographies de VH, 1870-1885. Peut-être pourrait-elle venir nous faire ici-même, l'année prochaine, une communication sur ce sujet.
Plusieurs hugoliens nous adressent leurs salutations et amitiés, notamment Sandy
Petrey, et quelqu'un qui nous envoie des poèmes d'un certain Marcel
Nopenay. A. Ubersfeld ne peut résister au plaisir de lire un pastiche de VH par ledit auteur, dont on retiendra ce vers impérissable :
"Victor Hugo n'est pas un sport que l'on pratique."
Une étude vient de paraître sur VH et les poètes luxembourgeois.
Le catalogue du fond de notre bibliothèque sera désormais à disposition, ici-même, avant le premier tome du dictionnaire Larousse. Notons que 684 livres comportent le nom de Hugo, soit comme auteur, soit dans le titre.
V. Dufief apporte un complément d'information à son exposé du 23 mars dernier : Dans un article intitulé "le contour et l'infini", in Actes du Colloque de Dijon, VH et les images, 1989, J.P. Reynaud rapprochait déjà la 1ère partie du Promontorium Somnii et l'extrait de la Préface philosophique des Misérables sur l'intuition (p. 510, Philosophie, Tome "Critique" de l'édition Laffont), dans une perspective un peu différente de celle que j'ai moi-même retenue. Ayant marché sur ses traces sans le savoir, je vous renvoie à ce très bel article pour prolonger le débat.
A. Laster rappelle que l'Intervention, qui s'est donnée dans une petite salle du XXème arrondissement, sera reprise, à partir du 27 mai, au théâtre du Guichet Montparnasse, pendant tout le mois de juin. Le metteur en scène, tout jeune, a accepté de revoir sa conception, preuve de belle ouverture, notamment en renonçant à faire parler Eurydice de façon patoisante, moyennant quoi, ce spectacle devrait être fort sympathique. Allez-y ! (de toutes façons, ça ne dure qu'une heure...)
J. Delabroy transmet un appel au secours de M.H. Girard, comparatiste travaillant sur Gautier : où se trouve le mot de Courbet citant VH :
"Otez sa forme à Homère, vous avez Bitaubé"
G. Rosa et P. Georgel, en un éclair, apportent la réponse : c'est dans "But de cette publication", p. 52 du tome "Critique" de l'édition Laffont.
A. Spiquel, à propos de l'épisode où Gavroche intervient dans la conversation des commères, demande ce qu'est le veau de Pontoise. D'aucuns rappellent que J. Seebacher avait une belle théorie sur la question. G. Rosa suggère d'interroger Frantexte, en associant "veau" et "Pontoise".
C. Millet voudrait bien savoir ce que veut dire VH quand il proclame "nous, socialistes de 1828". C'est, nous dit G. Rosa, une référence au Dernier jour d'un condamné, et à la nécessité de "remplacer les questions politiques par les questions sociales" (Littérature et philosophie mêlées).
F. Laurent demande ce qu'on sait des lectures de VH durant cette période. Entre autres choses, avait-il lu Fourier ? Selon P. Georgel, Mme Hugo l'avait lu ou en avait entendu parler, car elle le cite dans le VHR. G. Rosa ajoute qu'on trouve mention de Fourier chez VH dans L'année 1817 et qu'il existe une association hugolienne intéressante de Sade, Fourier et Loyola.
Dans l'émission télévisée consacrée au cinquantenaire des éditions Laffont, le 2ème volume de la correspondance de VH est le seul ouvrage dont il ait été question, de façon très élogieuse d'ailleurs, ce qui est amplement mérité.
Lamartine et VH ont été cités, en tant que promoteurs de la République, comme héros, aux côtés de Jeanne d'Arc par notre nouveau 1er ministre.
C. Millet revient sur l'opposition entre matérialisme et spiritualisme : le second n'est pas le contraire du premier, comme l'a bien dit P. Laforgue, c'est l'idéalisme qui est l'envers du matérialisme.
J. Delabroy : L'exposé est passé d'un "reste" à un "résidu", les deux n'étant pas tout à fait superposables, puisqu'on peut même voir entre eux une certaine antinomie. C'est dans ce passage de l'un à lautre que VH a travaillé. Au début on note une insistance sur "reste" : c'est l'atome, l'unité primordiale. Voilà pour le spirituel, qui demeure quelque chose d'impossible à défigurer. L'atome insécable, c'est l'étincelle divine. Néanmoins, le reste logique d'une opération métaphysique n'est pas sur le même plan que la réflexion sur la matière : le résidu dit autre chose que l'atome spirituel. En d'autres termes, ce que VH appelle "la chose", ce n'est pas l'âme. Il y a deux dénouements des Misérables : l'un aboutit à l'âme (ce qui n'est guère étonnant), l'autre aboutit à la chose qui essaie de dire ce que l'âme ne peut dire ( ce qui est nettement plus probématique).
G. Rosa : Cependant, l'exposé essayait d'établir un rapport entre "reste" et "résidu".
A. Ubersfeld : Si on suit Jean, on va retourner à un dualisme dont VH essaie de se débarrasser. D'autre part, Genet semble bel et bien avoir utilisé les Fleurs. Dans ce cas, où les a-t-il trouvées ?
P. Laforgue : Dans l'édition de l'Imprimerie Nationale.
A. Ubersfeld : Dans quel tome ?
G. Rosa : Le texte est réparti dans plusieurs volumes et commence au tome II, 1902.
A. Ubersfeld : Que Genet l'ait lu, c'est d'autant plus vraisemblable, que le principal objet des vols de Genet, c'était les livres.
C. Porcq : Lorsque VH écrit : "Un nom, c'est un moi.", il aborde la question de l'identité aliénée. Il y a là un véritable problème psychologique : qu'est-ce que l'unité d'un moi ?
P. Laforgue souligne le fait que Jean Valjean a plusieurs identités.
A. Ubersfeld tente de répondre "de manière tout à fait hésitante, qui ne sera ni philosophique, ni psychologique, ni psychanalytique" : jusqu'à "Buvard, bavard", il existe une sorte d'illusion d'identité chez Jean Valjean, sous forme de sentiment d'un progrès du moi. Il y aurait une unité dans le progrès intérieur. Mais, dans ce nouvel épisode, quels effondrements ! C'est cela que l'on pourrait qualifier de "fracture". "Buvard, bavard" est une reprise symétrique de la "tempête sous un crâne". Mais, dans le 1er épisode, le sentiment du moi n'était pas mis en question, la résolution de la fracture se faisait au niveau inconscient du rêve, alors qu'ici, c'est la construction du moi qui s'effondre.
J. Delabroy : Le moi mis en question n'est pas le même dans les deux épisodes. Dans le 1er, il s'agit, pour Jean Valjean, de trancher entre une identité fictive et une identité réelle, alors que, dans le 2nd, la fracture s'ouvre définitivement : Jean Valjean accepte de ne plus être un sujet.
G. Rosa : Pourtant, le faux-moi est tout aussi vrai que le vrai. Il n'y a plus de commune mesure entre le galérien récidiviste et Jean Valjean. Celui-ci ne coïncide plus avec une telle identité légale.
A. Laster : Qu'est-ce, dans ce cas, que le vol de Petit-Gervais, sinon une récidive ?
G. Rosa : Aux deux épisodes commentés précédemment, il faut en ajouter un 3ème, celui, au moment du mariage de Marius et Cosette, où l'on peut parler, à propos de Jean Valjean, d'agonie de l'identité.
A. Ubersfeld : Disons aussi que la fracture est involontairement ressoudée au moment de la sortie de l'égout. Jean Valjean sauve Marius pour de bon : le moi n'est pas arrêté dans son progrès.
J. Acher : Il y a deux identités différentes : l'une, légale, et l'autre, intérieure.
A. Ubersfeld : Oui, mais, pendant la "tempête sous un crâne", le problème est d'assumer ou non le moi en progrès initié par la rencontre avec l'évêque.
A. Laster : Le tournant décisif me paraît plutôt se faire avec Petit-Gervais.
A. Ubersfeld : Une conversion ne vient pas à bout du vieil homme aussi facilement. L'épisode de Petit-Gervais prouve que la conversion a été déclenchée par la rencontre avec Monseigneur Myriel.
A. Laster : Ah ! L'enjeu est important ! Je ne suis pas du tout d'accord !
G. Rosa se pose en arbitre espiègle : "Celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas..."
P. Laforgue : Les chapitres "Buvard, bavard" et "Immortale jecur" ne sont pas comparables.
A. Ubersfeld abonde dans ce sens et ajoute que dans "Buvard, bavard", c'est véritablement le problème du désir qui est posé.
F. Laurent : Ce que révèle "Buvard, bavard", c'est la faillite de l'inscription de Jean Valjean comme sujet social. A Partir du moment où Cosette n'existe plus, Jean Valjean n'existe plus.
A. Ubersfeld : Ce n'est pas l'identité sociale de Jean Valjean comme père par rapport à Cosette qui est en cause ici, c'est l'identité de l'homme désirant par rapport à l'objet de son désir.
P. Laforgue cite un passage à l'appui des propos d'A. Ubersfeld.
G. Rosa : C'est une impression vague, mais il y a tout de même dans les Misérables, des résidus irrécupérables ( car P. Laforgue "récupère" les résidus, - mais comme VH le fait aussi, c'est une opération légitime). On a un exemple de résidu vraiment résidu dans le passage cité par P. Laforgue sur la chiffonnière.
J. Delabroy : On pense à Restif de la Bretonne. Dans L'homme aux lapins, le personnage principal est un ancien militaire poussé à la clochardise. Grâce à de la salade récupérée, il élève des lapins, cet élevage permettant une économie politique de l'ordure.
J.C. Nabet : Il faudrait opposer la récupération utilitaire du résidu et la réintégration dans un circuit économique à l'utilisation de résidus, par exemple pour les barricades, à des fins tout à fait contraires.
A. Ubersfeld : La notion même de résidu est paradoxale : le résidu est à la fois vrai et pas vrai, récupérable, et non récupérable.
G. Rosa : Ce que dit P. Laforgue des chapitres abandonnés est convaincant en un sens, et en un autre sens pas du tout. Il existe en effet des éléments de ces chapitres qui sont récupérés et rayonnent. Néanmoins, ils sont bel et bien abandonnés.
P. Laforgue : On a affaire à une usine de retraitement des reliquats.
G. Rosa : Le plus surprenant, dans ces abandons, c'est celui des Fleurs.
P. Georgel : N'oublions pas le projet qu'avait VH d'un livre sur l'âme...
G. Rosa : Il l'aurait gardé pour un autre ouvrage ?... Pourtant, le passage s'intègre très bien au texte. Par ailleurs que dire des personnages résiduels ? Fantine en est un, mais elle est fonctionnelle. Or, il existe aussi des personnages résiduels qui ne sont pas fonctionnels, comme la soeur de Jean Valjean. Il y a donc, à certains endroits, un degré de résiduel plus opaque que ne l'a dit P. Laforgue.
A. Ubersfeld formule une hypothèse pour l'abandon du chapitre des Fleurs : Ce qui était à craindre - et on l'a effectivement reproché à VH - c'était une identification de la misère et de la délinquance. Or, ce rapport était très présent dans le roman. VH a peut-être craint que le passage des Fleurs n'ajoute à ce poids-là.
P. Laforgue : Il n'y a en effet qu'un bon pauvre dans les Misérables : Marguerite, la voisine de Fantine. De plus, ce développement sur la misère était très long.
B. Abraham : On pourrait opposer un traitement carnavalesque du résidu (Cf. Bakhtine) à un traitement philosophique ou ontologique, sachant bien que les deux sont liés en permanence, comme dans l'épisode sur les chiffonniers.
A. Laster : VH dit-il lui-même ce que Gozela rapporte dans Balzac en pantoufles. Balzac aurait fait à VH tout un exposé sur la récupération du guano.
G. Rosa : C'était un thème de l'époque.
C. Millet : Oui, telle était la politique de l'hygiène du IInd Empire.
A. Ubersfeld demande des précisions sur la carnavalisation.
B. Abraham : Dans l'épisode des chiffonnières, il existe un discours collectif qui s'oppose au mot final de Gavroche - "arrêtez de parler politique" -. La carnavalisation est un moyen de repenser le lien entre les deux formes de résidus.
J. Delabroy : Un enjeu esthétique considérable concerne le statut que le roman donne aux objets migrants. Dans le roman pré-socialiste d'Eugène Sue, les objets migrants gardent leur intégrité, ce qui n'est pas le cas chez VH, qu'on pourrait donc qualifier de post-socialiste. D'autre part, le texte sur le linceul de Marat est vraiment fascinant. Il est superposable au dernier chapitre des Misérables. Ce qui est dit du linceul de Marat (il est laissé à sa disparition imminente, et non réintégré à un circuit de sens) est valable aussi pour la tombe de Jean Valjean. Le roman s'achève non sur l'âme, principe éternel, mais sur une chose.
A. Ubersfeld : Superposition, oui, mais avec une opposition radicale, celle de l'écriture : sur la tombe, il y a une inscription en vers.
J. Delabroy : Les vers ne sont pas bons.
A. Ubersfeld : Ils n'ont pas besoin d'être bons. Le roman non plus. Ces vers renvoient au statut métaphorique de l'écriture.
A. Laster : Non, ces vers ne sont pas minables. Bien sûr, ce n'est pas de la "poésie poétique", mais dans le style qui est le leur, ils ont droit de cité.
A. Ubersfeld : Ils ne sont pas bons, et en même temps, ils sont sublimes : c'est du prosaïsme à la Rimbaud.
P. Laforgue : Une note finale de VH relance la dialectique du résidu.
A. Ubersfeld : Hugo est un grand homme.
Il y eut d'autres petits bavardages, mais ce mot d'Annie mérite bien d'être le point d'orgue de la séance !...
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Responsable de l'équipe : Guy
Rosa.