Présents :
C. Treilhou-Balaudé, L. Wurtz, K. Carmona, A.R.W. James,
C. Porcq, G. Malandain, A. Spiquel, P. Laforgue, P. Georgel, V. Dufief, J.-C.
Nabet, M.-F. Melmoux, D. Charles, J. Acher, A. Ubersfeld, G. Rosa, A. Laster,
H. Cellier, C. Aubaud, S. Haddad, C. Millet, F. Laurent, S. Emmerich.
A. Laster veut rectifier les appréciations injurieuses du précédent compte rendu visant la lecture poétique donnée par Louis Arbessier à la Comédie Française: son anticléricalisme n'était pas "papelard" et son humanisme n'était pas "de bon ton" puisqu'il rapprochait courageusement les pratiques de l'Inquisition de celles d'un Barbie.
Une discussion s'engage à propos de Berlioz, Mozart, etc. dont les secrétaires de séance -peu musicologues, Ils l'avouent-, s'efforcent de retenir (que:
- le 15 décembre prochain, 150ème anniversaire du Requiem de Berlioz;
- sur les relations entre Berlioz et Hugo, détails dans le numéro 12 de Romantisme (1976): "Berlioz et Hugo" par A. Laster;
- un article -de A.R.W. James- sur Berlioz poète, dans un ouvrage collectif sur Les Troyens, Cambridge University Press;
- le Requiem de Mozart fut effectivement un complet échec lorsqu'il fut joué aux Invalides pour la cérémonie du retour des cendres. Insuccès que Hugo n'a pas tort de relever et qui pourrait s'expliquer par la ''wagnérisation'' de Mozart au 19ème siècle;
- il n'y a pas lieu de rectifier le précédent compte rendu pour ce qui concerne la mise en musique de poèmes de Hugo par Debussy;
- prime est promise à qui trouvera la source de l'anecdote selon laquelle, à l'écoute de Rigoletto, Hugo aurait dit que c'était une merveille. Hugo y admirait la superposition des voix - et regrettait que le théâtre ne puisse pas employer le même moyen. Et A. Ubersfeld fait observer qu'effectivement, Hugo semble être le premier à avoir fait se répondre plusieurs personnages par fragments de vers. La chose a aussi été notée par Butor.
C. Porcq: une lettre, inédite, de Verne du 21 décembre 48 annonce qu'il sera présenté à Hugo, par le directeur d'un théâtre, et qu'il l'aurait déjà été sans le contretemps du déménagement de la famille Hugo. C'est là une confirmation de ce qu'on pouvait déduire de la correspondance déjà connue de Verne.
P. Hamon demande à quel(s) nom(s) on fait référence lorsque l'on parle de criminologie, au milieu du 19ème siècle. Sans répondre exactement à la question, le savoir spécial de Tony James et de Christian Porcq leur permet de signaler plusieurs références en matière de criminologie psychiatrique: le docteur Marc, Esquirol, Georget et ses Etudes sur la folie, un ouvrage collectif récent sur les Monomanies instinctives, et, de Diane Goldstein, Console and classifie, sur la profession psychiatrique en France au 19ème siècle.
L'Intervention, (mise en scène, par Solal et sa Compagnie du Libre échange au Théâtre Clavel, diversement appréciée par ceux qui l'ont vue) sera reprise au Guichet Montparnasse du 28 mai au 30 juin.
Le numéro Femmes des Cahiers V. Hugo chez Minard, dirigé par Danielle Laster, est en correction d'épreuves. Il devrait paraître dans quelques semaines, en même temps qu'un autre numéro, consacré à la critique hugolienne pour les années 1981-83.
Au colloque Expériences limites de l'épistolaire: lettres d'exil, d'enfermement, de folie, qui se tiendra à Caen du 16 au 18 mai, deux communications concerneront Hugo: celle de Jean Gaudon: "La correspondance du premier exil de Hugo à Bruxelles" et celle de Bernard Leuilliot: "La correspondance du second exil de Hugo". Françoise Chenet interviendra elle aussi sur un beau sujet, quoique non hugolien: "La lettre de tranchée".
On regrette de ne signaler que trop tard pour les lecteurs de ce compte rendu la conférence de Jean Gaudon à la Maison de Balzac, ce même samedi 20 avril, sur la correspondance de Hugo.
C. Porcq, que le propos d'A. Spiquel a fait songer à Kafka, demande comment articuler la folie à ce parcours vers "la lumière qui pense", vers la "Religion-Science".
A. Spiquel ne voit pas que la folie y soit directement impliquée, sinon par l'incompréhension calomnieuse: "Une connaissance trop profonde de la réalité dans un vivant paraîtrait aux autres vivants folie, la science complète aurait un air de démence, et l'infortuné qui parviendrait à se rencontrer face à face avec le Grand Inconnu sur le sommet des choses ne redescendrait du Sinaï que pour entrer à Bedlam. Ne jetons pas la sonde trop avant." Mais Tony James attire l'attention sur ces textes nombreux -Promontorium somnii par exemple, mais aussi telle lettre de Hugo à sa femme à propos de leur fille où il se représente comme gardant un pied sur la rive mais tendant la main à sa fille emportée par la folie- où "létat de rêve", le "somnambulisme", la "songerie", l'"effarement" apparaissent comme contigus à la méditation, à la pensée, à la contemplation. Voir aussi le grand texte de William Shakespeare: "Tout homme a en lui son Pathmos . Il est libre d'aller ou de ne point aller sur cet effrayant promontoire de la pensée d'où l'on aperçoit les ténèbres."
J. Acher, se souvenant de ce texte, cité récemment par Jean Delabroy, qui pose l'équivalence de la divinité et du manque - déesse - deesse", demande de quel côté est le manque: de Vénus et du désir ou d'Isis. A. Spiquel le place franchement du côté d'Isis: la nature est ce qui échappe toujours; Vénus s'offre. [on se tait; mais la femme s'atteint-elle plus aisément que léquation? qu'en pensent les physiciens? Et puis Dea, dans L'Homme qui rit n'est guère accessible. Ni plus ni moins, en fait, que Josiane.]
Mais Tony James attire l'attention sur la précocité, dans l'uvre de Hugo, de la méditation sur la formule de Pascal du cercle qui a son centre partout et sa circonférence nulle part. Elle apparaît, mais à propos du peuple, dès Littérature et philosophie mêlées.
A. Ubersfeld ne croit pas que l'on puisse simplement confondre l'hypothèse et l'intuition. Celle-ci est illumination, celle-là construction d'éléments existants et déjà pensés -qui demande à être vérifiée, mais construction néanmoins. L'hypothèse est un pré-calcul. Le poème de Toute la lyre "Le calcul, c'est l'abîme..." montre qu'on aurait tort de sous-estimer la capacité de la pensée scientifique à atteindre le vrai, y compris celui de "l'abîme".
Contestations diverses: ce texte est anti-positiviste; le nombre brise l'unité du réel, perceptible à la seule intuition; William Shakespeare établit distinctement la différence entre la vérité scientifique, toujours provisoire et imparfaite, et l'absolu, atteint d'emblée par le génie.
Annie résiste: ce texte dit aussi qu'on ne fera pas l'économie du calcul. Il y a un spinozisme de Hugo; le réel a deux faces: l'étendue et la pensée; la pensée, c'est le nombre et le ciel étoilé, l'étendue. G. Rosa, pour mettre tout le monde d'accord, voit dans ce texte une manière de récuser la distinction kantienne entre "noumène" et "phénomène" -le mot vient en tête du texte et lorsqu'on ne sait rien sur Kant, on sait tout de même cela. Autrement dit, lorsqu'elles sont revêtues, Isis est phénomène et Vénus est noumène. Mais le désir -et les moyens- de les voir nues, c'est-à-dire "dans l'absolu", est le même. Seulement ce texte-ci, dans l'effort pour penser une "religion-science", part de la science, de l'hypothèse; d'autres partent de la religion, de l'intuition.
C. Porcq note que Hugo a inventé le mot "refoulement" avec son sens exact. A. Ubersfeld, outre qu'elle ne voit pas le rapport, répond que Hugo s'est également abstenu de mettre le "moi" en haut plutôt qu'en bas ou au centre... [Cependant, une relecture du texte me fait tomber sur ce passage singulier, un peu plus loin: "L'ornithorynque est un griffon. L'épiornis est l'oiseau Bock des Mille et une Nuits [...] Ces vastes plumes [dois-je souligner? voir A. Ubersfeld, Y. Gohin] démontrent une envergure d'aigle colossal et c'est à tort que la science moderne, volontiers amie de la petitesse, et de l'hypothèse diminuante, avait déclaré l'épiornis brévipenne [on n'ose souligner].
"Un autre oiseau gigantesque, le moa, est également mis en évidence par les fossiles. Une patte dépasse la hauteur de l'homme (fémur: un pied six pouces, anglais; tibia: trois pieds trois pouces; métatarse: un pied huit pouces; orteil: dix pouces). La zoologie est aussi illimitée que la cosmographie." Réponse rêveuse aux accusations d'"hypertrophie du moa" ]
G. Rosa se demande s'il y a lieu de repérer un "moi" de la nature? Si elle est en continuité avec l'homme et avec Dieu, le moi humain et ce "moi de l'infini" ne suffisent-ils pas? Annie Ubersfeld: Mais c'est le même! G. R.: Justement!
Claude Millet désigne le risque de la pratique consistant à expliquer un texte par un autre: on annule la nécessité propre de chacun et lon risque de forcer la cohérence d'une pensée peut-être moins systématique et plus exploratoire qu'on ne la fait.
Cela lui vaut des réponses indignées; et le temps manque pour venir à son secours. Dommage, car la question est d'importance.
Annie Ubersfeld demande s'il n'y a pas deux types de dessins: ceux d'information, succédané de la photo, et les uvres de l'imaginaire. Hugo leur réservait-il un sort différent? Et a-t-il le sentiment d'aller contre les codes de l'esthétique dominante de la même manière dans les deux cas?
Pierre Georgel ne récuse pas la distinction; Hugo ne fait pas de différence entre les deux catégories de dessins lorsqu'il s'agît de les montrer à l'entourage immédiat; quant aux codes, Hugo ne distingue pas lorsqu'il avoue qu'il les transgresse: "Mes dessins sont un peu sauvages...".
C. Porcq voudrait que l'on fasse une part plus grande, dans la communication parcimonieuse de ces uvres, à l'impossibilité de les reproduire convenablement.
P. Georgel croit avoir montré que la conduite de Hugo ne répond pas à cet obstacle technique, puisqu'il accepte, dans plusieurs cas, la transposition, surveillée et approuvée -à juste titre, apparemment- par lui-même. La correspondance avec Chenay est à cet égard très instructive: Hugo voit la difficulté, mais il connaît les moyens de la tourner. La pratique était d'ailleurs générale.
A. Ubersfeld: Hugo a-t-il vu les impressionnistes?
P. Georgel: on n'en sait rien. A. Laster: On sait du moins -ou est-ce encore une légende?- qu'il appelait Mallarmé "Mon cher poète impressionniste". P. Georgel: Effectivement... et il est assez vraisemblable que P. Burty, l'un des rares critiques tôt favorable aux impressionnistes, lui a parlé d'eux. On a dit qu'il avait vu des gravures de Manet. A. Laster: En tout cas Manet est très hugophile; il le défend contre Baudelaire. Le milieu bruxellois a vraisemblablement été point de croisement.
Après l'explication précise de la technique de l'aquateinte [qu'on me permette d'en réserver le privilège à ceux qui l'ont entendue], une discussion sur le "moi dans l'entrecroisement des regards" aboutit à l'idée que le flou entretenu dans la destination des dessins correspond à celui qui existe autour de l'intimité.
Propos que P. Georgel corrige: il n'a pas dit cela. il a voulu montrer que, si la communication "réservée" des dessins peut s'expliquer par des raisons extrinsèques -amateurisme nuisible à l'image du "poète-mage", culpabilité liée aux plaisirs de l'image, etc..., elle se comprend par la nature même des dessins. L'intimité qui préside à leur production, le non-professionnalisme délibéré de leur technique qui a moins valeur polémique que de refus des codes, leurs propriétés sensuelles, etc ... se perdraient ou s'exposeraient au contre-sens dans l'exposition au public. Ce ne sont pas des objets publics soustraits au regard par je ne sais quel caprice ni non plus, pour l'essentiel, par des motifs de circonstances; ils sont, par eux-mêmes, objets pour la consultation -non pour la diffusion. En réglementant leur communication, Hugo ajuste celle-ci à leurs propriétés.
A cet égard, le cas du dessin du pendu -sur lequel T. James vient d'attirer l'attention en rappelant que Némo en a affiché la reproduction dans le Nautilus- est exemplaire. Car, à l'origine, c'est une uvre bouleversante et bouleversée, mais pas le "réquisitoire" qu'il devient une fois publié. or, ce changement de statut s'accompagne d'une véritable correction: par la légende et par la date. Il en va de même du Dernier Jour d'un condamné, qui ne prend valeur de "réquisitoire" qu'une fois assorti de ses préfaces; à ceci près que le texte pouvait avoir sens dans son premier état et être imprimé, alors que la seule publication du dessin suffisait à en modifier la signification.
G. Rosa tente de dire les perspectives que lui a ouvertes la communication de P. Georgel. Car sa méthode et ses conclusions sont transposables à luvre elle-même. Elles valent pour les textes en général -et l'on peut dire que c'est la première publication du Dernier Jour qui oblige Hugo à entériner par les préfaces le sens dévié qu'elle a suffi à lui donner; surtout, beaucoup de textes connaissent la même communication "réservée" que les dessins: uvres inachevées, fragments, carnets et agendas, "journaux" (Choses vues, Journal de ce que j'apprends...) et toute la correspondance, à commencer par le cas ambigu de celle des voyages.
Cette identité de la question de la communication -ou de lénonciation- se marque dans le sort finalement réservé aux textes et aux dessins. Sort curieusement identique et inverse: le dépôt à la BN a donné statut de texte reproductible aux dessins, mais, inversement, d'uvre graphique aux écrits. Lorsqu'on a vu les manuscrits, on sait bien que quelque chose manque à la lecture de l'imprimé. Le testament a accrédité l'impression des dessins et discrédité celle des textes.
Claude Millet revient sur la question de l'intimité. Si, avec Husserl, on distingue une écriture indicative, destinée à l'information, et une écriture expressive, liée au sujet lui-même, comment peut-il y avoir information dans une "écriture" intime?
P. Georgel: Les dessins de Hugo sont effectivement destinés au regard dautrui, mais cet autre n'est pratiquement jamais précisément identifié. Dans quelques cas, rares, le destinataire est connu et -c'est cela qui importe- pris en compte dans l'uvre elle-même; la plupart du temps, la destination n'est pas individualisée -ce qui ne veut pas dire qu'elle est floue: c'est l'ensemble des proches et surtout des personnes à qui peut être matériellement ménagé un accès adéquat aux dessins.
A qui, par exemple, la série des "La Sorcière" est-elle destinée?
P. Georgel. Effectivement, P. Burty écrit quelque part que "V. Hugo vient d'achever une série de dessins... pour ses petits enfants." Manière de parler pour un écho de presse. En réalité, Hugo, dans ce cas comme dans les autres, très vraisemblablement, commence la série sans lui donner de destination et sans même savoir qu'elle fera série. C'est la poursuite du travail, combinée au regard de ceux à qui il est montré en cours de route, qui finit par donner à l'ensemble sa clôture en même temps que son "public".
G. Rosa rappelle que le problème de la destination se pose de la même manière pour les textes. C'est par une illusion qu'on parle du "public" comme de l'universalité du genre humain. En même temps que cet horizon lointain, l'écrivain a présent à l'esprit un destinataire plus concret. Il publie pour lui et règle matériellement -format, prix, illustration, "préparation" par la presse, etc.- la communication du texte qui lui est adressé, mais non pas destiné. Cela passe d'abord par une communication étroite: public des lectures à haute voix, envois dédicacés. Et, dans certains cas -mais nombreux- le texte change de statut selon son destinataire: exemple fameux, La nuit du 16 février 1833, que nous lisons par dessus l'épaule -douce- de Juliette.
A dire vrai, cette "double destination" est inhérente au texte littéraire -voire à toute uvre d'art- et constitutive de sa littérarité.
C. Porcq demande si Hauteville-House, autre uvre plastique et, dans ce cas, mini-exposition des dessins, était visitable.
Pas à la connaissance de P. Georgel. Mais il est exact que Hugo a encouragé la diffusion d'une série de cartes postales dont H.-H. était le sujet. Il a également encouragé l'ouvrage de Charles, publié anonyme, Chez Victor Hugo par un passant, qui était illustré.
Arnaud Laster: Schuller aurait parlé de la "furie" de Hugo dans ses dessins -dans une lettre à Hetzel. Etait-il très bien informé, puisque c'est le terme que Hugo emploie lui-même pour désigner sa manière; ou est-ce Hugo qui aurait repris la formule de Schuller à son compte, comme il le fait souvent, retournant en qualification exacte, voire élogieuse, une critique qui lui est faite?
P. Georgel pense que c'est plutôt Schuller qui manie un lieu commun, général contre les romantiques.
Annie Ubersfeld songe au Journal de Gauguin à Tahiti. Et P. Georgel en reste rêveur, trouvant le rapprochement judicieux, en même temps qu'embarrassant.
Revenant au Pendu de Némo, T. James demande s'il existe d'autres exemples d'une présence romanesque de l'uvre graphique de Hugo.
Personne n'en connaît, mais P. Laforgue signale que le "Hugo-Tête-d'Aigle" d'Eviradnus peut renvoyer aux propres dessins de l'auteur.
Claude Millet note, pour conclure, qu'une différence radicale demeure entre l'intime rimbaldien et l'intime hugolien: ce dernier garde sens même auprès d'un lecteur étranger, celui-là refuse la communication hors du cercle de l'intimité.
L. Wurtz et G. Rosa
Le 25 mai, Pierre Laforgue nous dira La rose et le résidu (Les Fleurs) et, le 22 juin, Ludmila Wurtz fera entendre Les Voix de la vérité.
L
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