GROUPE HUGO
Université Paris 7 - Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"

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Séance du 19 mai 1990

Présents: P. Laforgue, A. Spiquel, G. Gerstman, C. Millet, J.-C. Nabet, S. Emmerich, S. Petrey, G. Malandain, V. Dufief, S. Haddad, H. Cellier, C. Aubaud, D. Provata, A. Ubersfeld, G. Rosa, A. Laster, D. Laster, F. Chenet, J. Acher, F. Laurent.
Excusés: F. Naugrette, D. Charles.


Agenda d'Arnaud Laster


Compte rendu de la communication de Philippe Hamon «La description de l'indescriptible» (voir texte joint).


Discussion

.A. Ubersfeld : Le passage du visible au confus apparaît comme une narrativité fondamentale de la description hugolienne, mais elle a deux modalités opposées. L'une est celle, flagrante, du Titan : "Tant de réalité que tout devient fantôme" l'autre, comme dans la vision de Dante, va en sens inverse: du réel pauvre ou vide à une surréalité visionnaire.
.P. Hamon : Ces textes sont soumis à deux sortes de structures: dans L'Egout de Rome on assiste à l'aventure d'une parole, à la narrativisation du dire, ailleurs à une narrativisation du dit. Dans tous les cas, le trajet du différencié à l'indifférencié peut en effet s'inverser.
.A. Ubersfeld : Ce mouvement n'est pas gratuit; il a un sens. Il y a toujours un narrateur à qui ce processus arrive : le sujet est montré comme objet de sa propre vision. Dans La Vision de Dante, il s'agit de la vision d'un mort, ceci explique peut-être la différence.

 

.G. Malandin : Chez VH, le passage par le noir, puis l'inversion sont liés à l'acte même de la contemplation. Si on retrouve cette structure chez d'autres, c'est bien gênant.
.P. Hamon : Le texte de Baudelaire que nous avons cité (Paysage) est ironique, alors que VH est sérieux. Il y a donc des différences. Cela dit, il faut s'y faire: c'est le métier des sémioticiens que de rechercher ce qui assimile les types de discours -et par là les auteurs les plus différents; celui des historiens de la littérature ou des "critiques" demande juste le contraire qui est d'enregistrer des différences.
.C. Millet : Une des spécificités de la description hugolienne me semble se trouver dans le fait que le diffus gagne le spectateur. Le travail de la confusion contamine le descripteur qui y devient ON de "je" qu'il était, et souvent un ON qui ne peut pas exister.
.G. Rosa : C'est comme ça que le texte produit Dieu.

 

.C. Millet : Est-ce que l'architecture permet réellement un travail de structuration lorsque ce qui est décrit n'existe pas ?
.P. Hamon : Le problème, c'est que le langage n'est jamais flou.
.G. Rosa : Effectivement, Hugo le dit dans je ne sais quel fragment: l'inconvénient des mots, c'est qu'ils ont plus de contours que la pensée.
.A. Ubersfeld : Dans la Pente de la Rêverie, il n'y a pas vaporisation à proprement parler, mais effondrement de l'architecture, ce qui en un sens revient au même.
.F. Chenet : Chez T. Gautier (Voyage en Russie), le paysage se dissout, car il neige, mais il y a au milieu une concrétion de glace. La double structuration des textes -positive/négative- se retrouve donc souvent.
.A. Laster : Les hugoliens ne sont pas du tout frustrés de voir que la description fonctionne de la même façon chez les autres, surtout quand ils viennent après VH. On sait que la Pente de la Rêverie a fasciné Baudelaire.
.P. Hamon : Cela expliquerait que la reprise par Baudelaire soit ironique.

 

.S. Petrey : Dans L'Egout de Rome, la description reçoit une valeur particulière de sa date: "césars pourris" n'a pas le même sens selon qu'il est ou non placé à côté de "avril 1853". Peut-on envisager la possibilité d'une sémiotique historique?
.P. Hamon : Ce phénomène particulier échappe au point de vue sémiotique. On peut écrire une histoire des formes descriptives et plus généralement des formes discursives, mais pas des sens qu'elles sont susceptibles de produire.

 

.A. Laster : La photographie pose un problème historique : La Pente de la Rêverie date de 1830, or la photographie n'existe pas encore.
.P. Hamon : Si. Mais c'est simplement en 1839, qu'Arago, dans une séance solennelle présente et "donne au monde" l'invention française de la photographie. De toute manière l'invention de la "chambre obscure" date du XVI° siècle.
.C. Millet : Et il y a toutes sortes de petits appareils analogues: les boîtes à miroirs en particulier.
.P. Hamon : Voir une anthologie des textes critiques sur la photographie qui vient de paraître par A. Rouillé aux éditions Macula).
.A. Laster : N'oublions pas que VH avait rendu visite à Arago à l'Observatoire, comme en témoigne Promontorium Somnii.
.C. Millet conclut ce petit débat en rappelant que la première photographie date de 1817.
.A. Ubersfeld invite à ne pas vouloir une filiation directe de Hugo à Baudelaire, ni non plus de la technique photographique à la structure poétique mise en évidence par Philippe Hamon. Les thèmes traités sont "dans l'air" et, d'une certaine manière, la littérature, souvent, précède le discours scientifique.

 

.G. Rosa revient à la question du référent irréel ou absent. Il croit avoir compris que le paradigme latent est, d'ordinaire, tout à la fois un objet concret et le (ou les) mot(s) qui lui correspondent dans la langue. La négativité de la prétérition est donc toute différente de celle qui tient à l'inexistence même de l'objet. Quand Verne fait une description négative, il y a bien une réalité descriptible, ignorée du personnage mais visible -et souvent vue- par une autre instance. Cela lui permet, dans Le Tour du monde en 80 jours de dire que la vitesse et la machine néantisent le réel et que Fog, personnage nébuleux par excellence, porte un walkmann et vit dans une bulle (là est la modernité du texte). Dans nos textes de Hugo, c'est le paradigme lui-même qui manque. La question qui se pose est donc de savoir s'il se passe la même chose selon que le paradigme décliné appartient ou non au référent. On a dit que "tout" fait office de pantonyme; or ce n'est pas la même chose de dire: "tout cela, c'est une maison" et "tout cela, c'est ....." -quoi au juste? rien, puisque ce n'est rien, donc: "tout cela, c'est tout cela". Dans ce dernier cas le texte s'engage dans une circularité indéfinie qu'on retrouve souvent chez VH et qui lui est peut-être particulière. Ce qu'elle a d'original en tout cas se mesure par le contre-exemple du Satyre où la description a un objet défini, même s'il est très vaste, et s'arrête sur l'identification du "tout": Place à Tout, je suis Pan".
.P. Hamon : Le sémioticien peut adopter soit une position souple (le référent n'est pas neutre: décrire un brouillard n'est pas décrire une maison), soit une position dure (l'acte de décrire est dans la déclinaison d'un paradigme, quel qu'il soit, indépendamment des objets décrits).
.G. Rosa : Sans doute, mais quand le référent est "rien", cela pose problème. "Rien" n'est pas seulement quelque chose qui se trouve ne pas exister mais pourrait exister, c'est ce qui n'a d'autre caractère que de ne pas être. Le paradigme du nul est non-constructible. Première conséquence: il y a d'autant plus de mots qu'il n'y a pas de référent; seconde: dans La Pente de la rêverie on passe du spatial au temporel -le "rien", c'est "l'éternité"; troisème: on retourne sur lui-même ce regard visionnaire du vide: "une prunelle".
.A. Ubersfeld : Dans le Titan, des instances positives et des instances négatives sont juxtaposées. Or, quand on a une négation grammaticale, elle peut ou non avoir valeur de dénégation. Chez VH, c'est très rare : il n'y a pas de dénégation, alors qu'il devrait y en avoir une.
.P. Hamon : En effet, la préposition "sans" apparaît très souvent. Il faudrait faire une typologie précise de l'espace privatif et organiser un peu le champ de la négation. Ceci dit, la position métaphysique qui consiste à dire :"il y a de l'indicible" est inquiétante pour le sémioticien.
.A. Ubersfeld : Pourtant VH dit : Je vois des choses que je peux parfaitement décrire et appréhender et qui deviennent vapeur.
.C. Millet : L'horreur du zéro est un problème ontologique chez VH.

 

.A. Laster : A propos de la réception de la description à l'époque, il semble bien qu'il y ait eu, dès le XIXè siècle une révolte de la critique académique contre la description.
.A. Ubersfled: Particulièrement contre la description hugolienne de l'indescriptible à laquelle on reproche les papillonnements, la fatigue visuelle, le trouble qu'elle entraîne. Et aussi de pouvoir être "sautée": en esthétique classique, le lecteur doit être contrôlé par le texte, s'il est libre d'agir comme bon lui semble, c'est que le texte lui-même est mauvais.

 

.C. Millet revenant à la question précédente: Hugo ne fait là qu'explorer une aporie du langage. Il veut que tout vocable implique existence et que le mot même qui la récuse commence par la poser; "rien" signifie: il existe quelque chose qui n'existe pas.

 

.A. Ubersfeld : Il faudrait tout de même rappeler que paradigme ne veut pas dire champ sémantique : le paradigme implique une contrainte syntaxique. Si je fais la description d'une maison, il y a un référent. Mais si je décris le rien, il faut fabriquer à l'aide du langage un paradigme du rien, car il n'y a pas de paradigme référentiel du rien. Ce que VH fabrique, c'est un ensemble flou dont les référents ne sont qu'analogiques par rapport au paradigme du rien.
.P. Hamon : Tout cela rejoint une idée que j'ai plusieurs fois indiquée. On décrit des choses mais on définit des concepts. Toute la tradition philosophique et rhétorique (voir les articles Définition et Description de l'Encyclopédie) oppose ces deux opérations. La poésie de VH est définitionnelle plus que descriptive peut-être.


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Responsable de l'équipe : Guy Rosa.