GROUPE
HUGO
Université
Paris 7 - Equipe de recherche "Littérature et
civilisation du XIX° siècle"
Présents: P. Laforgue, G. Gerstmann, A. Spiquel, A. Laster, D. Laster, S. Pertey, F. Chenet, S. Haddad, J. Acher, Franck Laurent, V. Dufief, P. Georgel, F. Naugrette, Y. Gohin, J.-C. Nabet, G. Rosa. Absents excusés : J. Seebacher, A. Ubersfeld, C. Millet.
. Hernani au Ranelagh; F. Naugrette commente : Il n'y a que deux acteurs sur scène: Don Ruy, la duègne et le roi sont des marionnettes immenses, hideuses figures de l'autorité. Hernani semble se battre contre des géants. L'idée est forte et spectaculaire: elle souligne 'inhumanité des instances non-individuelles -au bénéfice surtout de l'épiphanie de Charles-Quint qui sort homme de son cocon de Don Carlos. L'exécution la gâche en grande partie: il fallait que la voix des personnages-marionnettes ne sorte pas de leur bouche; on emploie des hauts-parleurs. Mais il fallait aussi que le spectateur sache qui parle. Solution: la marionnette dont la voix se fait entendre bouge au moment où elle prend la parole. Mais comme les marionnettes ne savent pas faire autre chose que lever et abaisser l'avant-bras, le comique est vite atteint. Un détail a peut-être été emprunté à Vitez -si ce n'est pas aux publicités de parfums pour "hommes": l'empereur apparaît torse nu lorsqu'il sort du tombeau de Charlemagne. Dans l'ensemble cette représentation n'est nullement indifférente: elle prouve que le texte de Hugo autorise plus d'invention scénique que ne le laisse imaginer le poids de la tradition.
.Un Ruy Blas sera-t-il donné à Avignon cet été? toujours est-il que celui du TEP sera repris. Bonne chose, dit-on, car le mérite de cette mise en scène est de laisser fonctionner la pièce dans son dispositif originel. L'affaiblissement des rôles de Don Salluste et de Don César, de Don Guritan aussi, -si faciles qu'ils tirent d'ordinaire à eux l'attention- rend toute leur valeur à ceux de Ruy Blas et de la Reine: l'accent se retrouve placé sur le drame et cela marche! Si l'on ne s'identifie pas à eux, au moins on croit assez en eux pour qu'ils soient réellement émouvants. Tristesse de les voir séparés et de voir Ruy Blas mourir. On avait fini par les aimer.
. Le Musée d'Orsay va projeter les 31 mai et 16 juin prochains les films d'Antoine : Quatrevingt-Treize et Les Travailleurs de la Mer. A la Télévision prochainement, Les Misérables, avec Gabin, Berbard Blier (Javert) et Bourvil, excellent Thénardier.
D'ici un an, un Gavroche, en dessin animé, où les traits du héros ressemblent beaucoup à ceux que lui donnent les dessins de VH, sera visible à la vidéothèque.
. A. Laster, s'apprète à publier Les Misérables dans la collection "Lire et voir les classiques" de Presses-Pocket.
. Chantiers est paru.
. P. Georgel exprime l'humble voeu que se poursuive la préparation de l'Index, non sans reconnaître que, n'ayant lui-même aucun index à donner, ce souhait lui est sans doute plus aisé. G. Rosa explique notre retard. La première étape consiste dans l'enrichissement et la correction des listings. Travail important si l'on veut le faire correctement. Lors de la phase finale, on ajoutera les notices individuelles. C'est la phase intermédiaire qui pose actuellement problème car ses modalités n'ont pas été précisément mises au point avec l'éditeur. G. Rosa a déjà envoyé à l'éditeur un listing corrigé -pour exemple. Mais on a laissé sans réponse sa question de savoir si ce travail avait été fait ou non selon les normes. D'autre part, nous ne savons pas encore à quel niveau sera effectuée la "fusion" des index partiels. Il serait, pour la science, utile de disposer d'un index par texte; les gens de Laffont préféraient un listing corrigé et en ordre alphabétique par volume. La décision est toujours suspendue à une réunion de travail avec les informaticiens, que Laffont devait organiser. On comprend que ce n'ait pas été fait tant que le dernier volume de textes n'était pas sorti; il faut espérer qu'on n'attendra pas le dernier volume de la correspondance!
. Mme Journet a chargé Guy Rosa de faire le nécessaire pour que, conformément au souhait de René Journet, ses notes, papiers de travail, fichiers, etc. soient mis à la disposition des chercheurs. Trois solutions: la B.N, la Maison de V. Hugo, cette salle elle-même. Avec ce désintéressement dont il a déjà fourni de nombreux exemples mais qui surprend toujours (sic!), G. Rosa propose de retenir la solution du Musée de la Place des Vosges. Notre Groupe ne réunit pas la totalité des hugoliens et certains d'entre eux, se sentiraient -à tort mais qu'y faire?- écartés de l'accès à ces documents s'ils étaient archivés à Jussieu. La proposition rencontre l'accord du Groupe. Ajoutons que depuis cette réunion la démarche a été faite auprès du Conservateur de la Maison V. Hugo et qu'elle a reçu son chaleureux accord.
. A. Laster cite quelques extraits significatifs de l'émission télévisée récemment consacrée à la famille Hugo. On a pu y voir, effectivement, l'auteur de V. Hugo, L'enterré vivant, M. R. Pividal, développer les idées et découvertes des autres en communiquant la conviction qu'il s'agissait des siennes.
. P. Georgel précise à propos de Valentine Hugo, que c'est elle, première femme de Jean Hugo puis maîtresse de Breton, grande prêtresse du culte familial et elle-même artiste, qui a fait connaître au cercle surréaliste toute une série de dessins de VH jusque là inconnus et très mal appréciés, presque cachés par les héritiers, notamment les "taches". Certains passages de Breton sur l'art de Hugo ne peuvent s'expliquer que par là et la relative sympathie des surréalistes envers Hugoemprunter cette voie pour une bonne part.
Y. Gohin, qui aurait peut-être quelques réserves à faire sur des détails du début, se dit en accord avec la conclusion de S. Petrey: la Révolution est en question dans Claude Gueux au moins autant que la peine de mort et l'oppression plus que la misère. Si bien qu'il y a une contradiction, dans une pensée qui s'élabore, entre le récit et la réflexion.
Que représente Claude Gueux ? C'est à la fois un individu et un représentant de la masse des prisonniers. Il faut voir les choses en termes politiques (et pas seulement sociaux), et même religieux. Le directeur n'est par un "exploiteur" quoiqu'il soit lié aux industriels qui exploitent le travail des prisonniers, c'est un petit tyran: " [...] un homme bref, tyrannique, obéissant à ses idées, toujours à courte bride sur son autorité[...] Il était fier d'être tenace et se comparait à Napoléon. Ceci n'est qu'une illusion d'optique....Il y a de par le monde beaucoup de ces petites fatalités têtues qui se croient des providences."
Sa mort est celle de l'oppresseur. Elle est justifiée comme telle: au directeur, souverain de droit, symbole d'un pouvoir temporel, s'oppose Claude Gueux, souverain de fait, détenteur d'un pouvoir spirituel. "[...] pour contenir les prisonniers, dix paroles de Claude valaient dix gendarmes. Claude avait maintes fois rendu ce service au directeur. Aussi le directeur le détestait-il cordialement. Il était jaloux de ce voleur. Il avait au fond du coeur une haine secrète, envieuse, implacable, contre Claude, une haine de souverain de droit à souverain de fait, de pouvoir temporel à pouvoir spirituel." Il ne suffit donc pas de dire que la dénonciation de la justice apparaît dans le fait que les ouvriers s'érigent en tribunal; il faut ajouter qu'elle s'opère à travers l'idée que la prison est un système d'oppression. La situation de tyrannie détermine une révolte spirituellement juste. D'ailleurs l'exécution se solde par une petite émeute.
Si bien que Claude Gueux est un livre ouvert. Il ne faut pas négliger sa postface qui est un plaidoyer contre la peine de mort, bien sûr, mais aussi une interrogation: jusqu'où peut-on aller dans la révolte? Quelle est la quantité de droit contenue dans l'insurrection? Dans les Châtiments, on retrouvera le même déchirement: l'appel au meurtre n'y est évité que de fort peu. On peut aussi se reporter à Quatrevingt-Treize, où Gauvain tue, indirectement, en laissant Lantenac poursuivre sa carrière. Il s'en fait justice en acceptant la loi républicaine.
A une question concernant ce que Hugo pouvait savoir de la réalité de l'affaire Claude Gueux, G. Rosa répond en renvoyant aux travaux de J. Seebacher: le dossier judiciaire a disparu du greffe du tribunal de Troyes; peut-être avait-il été communiqué à Hugo qui se trouva en relation directe non seulement avec ce greffier, mais aussi avec les personnalités qui formèrent, avant l'exécution, une sorte de "comité de soutien Claude Gueux".
J. Acher rappelle que la question juridique immédiate à laquelle est lié Claude Gueux est celle des circonstances atténuantes: en 1832, une réforme pénale en avait introduit la notion de manière très restrictive; Hugo plaide pour son élargissement.
G. Rosa revient sur l'appréciation de l'acte du héros par le texte. Il n'est pas certain que le texte approuve le jugement et le meurtre de façon si pleine et si entière. La cour de justice formée par les prisonniers est dans une certaine mesure dérisoire : elle est à la fois supérieure et inférieure à celle à laquelle elle fait référence. Aucune n'est préférée à l'autre. De plus, s'il est vrai qu'aucun prisonnier n'élève la voix pour protester, c'est aussi parce que Claude Gueux exerce sur ses camarades un ascendant excessif et que n'aurait pas une président de tribunal sur des jurés. Le texte vise à donner au crime la valeur d'un acte de justice et à l'exécution du héros celle d'un meurtre, mais cette inversion des représentation ne peut s'apprécier qu'en fonction de celles, implicites, dont il prend le contre-pied.
Il n'y a pas d'objectivité d'un texte lorsqu'il s'agit d'appréciation: il a sûrement pour nous un sens tout différent de celui qu'il avait pour les lecteurs de l'époque parce que son univers de référence n'est plus le même. A l'époque, le caractère ignoble, monstrueux, du crime de Claude Gueux ne fait de doute pour personne. Si bien que le bâton se trouve tordu en sens inverse par rapport à l'attente du lecteur. Le fait que la cour de justice qui condamne le directeur soit constituée par des prisonniers la rend dérisoire et aggrave le crime mais d'abord jette un doute redoutable sur la véritable cour de justice. Le sens est sûr: assassinat des deux côtés; et c'était déjà beaucoup de le faire admettre au lecteur. Quant à inverser les qualifications: acte de justice du côté de Claude Gueux, meurtre de celui des juges, je ne crois pas que Hugo ait voulu aller jusque là et cette hypothèse ne s'offre qu'à des esprits -les nôtres- sur lesquels le texte hugolien a déjà opéré son travail. Bref la position de Hugo n'est pas dite parce que tout l'effort du texte est de la produire dans la conscience du lecteur par le heurt du texte et de ses convictions antérieures.
Cette ambiguïté -telle qu'on a plus affaire à une problématisation du jugement (celui du lecteur et, en un autre sens, celui des tribunaux) qu'à l'affirmation d'une thèse- s'augmente encore du fait qu'il s'agit ici d'un cas particulier : l'histoire est vraie, ce qui modifie la position d'appréciation du lecteur. Il ne doit pas seulement lire le texte, mais également le référer à la réalité (avec tous les effets que cela risque d'entraîner: car Hugo sait bien qu'il "enjolive" Claude Gueux -"brute râblée"- et que le lecteur peut le savoir aussi; si bien que le "il enjolive" n'est pas un risque couru par le texte, mais bien un de ces sens).
Peut-être est-ce la raison pour laquelle V. Hugo n'inclut pas ce roman dans ses Oeuvres complètes avant l'édition Furne de 1841: le texte pouvait être perçu, dans son rapport à la réalité contemporaine, comme un article plus que comme un "roman".
F. Chenet confirme la thèse de S. Petrey en rappelant que, dans les années 1842-1845 et dans la presse "de gauche", VH est ordinairement désigné comme "l'auteur de Claude Gueux".
J. Acher : A qui s'adresse VH quand il écrit Claude Gueux ? Aux juges, aux gens qui font les lois. C'est là une différence capitale par rapport aux oeuvres de l'exil et d'après l'exil.
Confirmation de G. Rosa : dans toutes les éditions en forme de livre, Hugo tient à souligner le phénomène de réénonciation qui a marqué le destin de cet écrit: retiré et expédié à tous les députés de l'Assemblée par un négociant du Hâvre. A ce titre,il aurait pu être intégré dans Actes et paroles.
A. Laster : Claude Gueux a une valeur matricielle par rapport à des personnages comme Ruy Blas ou Cimourdain. Il est curieux de constater comment, à partir de faits divers retravaillés, s'est constitué un modèle pour d'autres personnages typiquement hugoliens. F. Chenet précise: Claude gueux appartient à un paradigme de personnages charismatiques.
P. Georgel revient sur la question de l'appréciation: la peine de mort -ou, plus exactement l'assassinat- n'est pas "justifiée", mais expliquée seulement. S. Petrey : les mots "juste" et "justice" sont pourtant prononcés plusieurs fois.
G. Rosa : mais avec une valeur de dérision. P. Georgel : Le processus est identifié à une mécanique, en ce sens condamnable.
A. Laster : La question se complique du fait que la postface est, elle, épouvantablement conformiste. On veut espérer qu'elle a aussi une dimension ironique. Toujours est-il que Hugo en remet le texte dans la bouche du "comte Néant, sénateur" des Misérables.
P. Georgel : Le suicide de Claude Gueux a été peu évoqué. Pourtant son action est une impasse qui ne fonde rien et débouche sur la destruction. Y a-t-il un auto-châtiment dans ce suicide ?
A. Laster : Ruy Blas et Cimourdain prolongent la réflexion dans une perspective révolutionnaire.
Cela dit, on alla déjeuner, en acceptant d'enthousiasme l'offre faite par Annie Ubersfeld d'accueillir à la campagne la dernière séance de l'année, en juin.
Equipe "Littérature et
civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2
place Jussieu, 75005 Tél : 01 44 27 69 81.
Responsable de l'équipe : Guy Rosa.