Présents :
non noté
Nous ont honorés de leur présence Messieurs Friedman, de l'université de Jérusalem, et Cheng Zeng Hou, de l'université de Nankin.
Monsieur Friedman a fait une communication au colloque sur "Le Rire", intitulée De la Fête des fous à la damnation: les Rires de Notre-Dame de Paris.
M. Cheng Zeng Hou, à Paris pour six mois, prépare une anthologie, Victor Hugo et la critique, deuxième volume d'un travail sur la littérature du XIXème siècle, le premier volume étant une anthologie de textes d'une trentaine de poètes français de Nodier à Péguy.
L'édition "Bouquins''
Les collaborateurs de l'édition des uvres complètes sont invités à vérifier pour la prochaine séance s'ils ont bien en leur possession les listes correspondant au(x) texte(s) qu'ils ont édité(s). Dans le cas contraire, ils sont priés de le faire savoir au plus tôt, soit à J. Seebacher, soit à G. Rosa. A partir de cette date, on considérera comme close la liste des listes manquantes,
Guy Rosa se demande s'il doit rappeler que le travail lié à l'index fait statutairement partie du travail de l'édition des textes. Car seuls
Claude Gely, Bernard Leuilliot et Nicole Savy ont déjà rendu les listes corrigées des noms figurant dans les textes qu'ils ont publiés dans Poésie I. Il est maintenant nécessaire qu'ils cessent assez rapidement d'être isolés et chacun, à commencer par les deux "responsables" de la collection, est enjoint de suivre avec ardeur leur exemple.
Les listes corrigées devront être remises en décembre 1988. Ce délai semble très court, l'expérience montre, en réalité, que la correction des listings, impressionnants et dissuasifs au premier abord, est en fait rapide et facile -du moins au stade du travail où nous en sommes. Il faut en effet rappeler que l'objet de ce premier travail est seulement de permettre la fusion des listings partiels en un index par ordre alphabétique. Il est donc essentiel de corriger les listes de manière à éviter les confusions entre les noms. Soit "Charles". S'il est laissé tel quel se retrouveront ensemble, à la fusion, Charles-Quint, Charles X, Charles-le-Chauve, Charles Hugo, Charlemagne, Charles Ier Stuart... et quelques autres. Or il est hors de question, -ce serait recommencer le travail-, d'aller identifier chaque Charles une fois la fusion opérée. En revanche, il est de peu d'importance que les annotateurs complètent le listing en ajoutant au nom "voir Charles X" ou "-> Charles X" ou "-> X" ou "voir comte d'Artois" ou même "je-crois-bien-que-c'est-de-Charles-X-qu'il-est-question-mais-ce-n'est-pas-absolument-certain" car, après la fusion, il sera facile de réunir en une seule rubrique les références placées sous le nom "comte d'Artois" et celles à Charles X. donc, ne pas se poser de question métaphysique, mais avoir en vue le résultat de la fusion des listes en un index alphabétique.
J.-C. Fizaine, par exemple, estime que notre projet de renvoyer à "Dieu" tous les noms de la divinité est pernicieux parce qu'ils sont de nature et figurent dans des contextes tels qu'ils ne se confondent pas avec le nom de Dieu. C'est sans doute vrai, mais on en discutera après et il sera toujours temps de supprimer la mention "voir Dieu" à la rubrique "Incréé (l')" Pour le moment, le seul problème est de distinguer les Charles. Lorsqu'il y a difficulté ou incertitude (ainsi un Rémy dans un poème du tome 1 dont on doit comprendre que Hugo désigne ainsi la cathédrale de Reims qui ne porte pourtant pas ce nom), la conduite raisonnable est d'isoler le nom par un commentaire quelconque (dans ce cas, par exemple: "nom faussement attribué à la cathédrale de Reims") de manière qu'il ne soit pas noyé dans les 300 autres références à saint Rémy. Pour briser la sidération provoquée par les listings, ci-joint, une page spécimen et une nouvelle photocopie des conseils pratiques concernant la correction des dites listes.
L'index uvre par uvre que, petits malins, nous avons demandé semble être trop coûteux pour Laffont. La fusion des listings, l'index proprement dit, sera donc fait soit tome par tome soit sur l'ensemble de la collection. On renouvellera cependant la demande d'un index par texte.
Jacques Seebacher rappelle par la voix de Guy Rosa qu'il convient de profiter de la relecture des textes que demande la correction des listings pour préparer la table d'errata.
L'édition des uvres complètes est repartie, après une interruption due à l'intercalation du premier volume de la correspondance (apporté par G. Rosa, montré, admiré). Les deux derniers volumes d'Océan et Chantier seront publiés en février 1989
M. Cheng Zeng Hou a répondu à nos questions concernant la diffusion et la réception de l'uvre de Hugo en Chine. Hugo plus précisément le romancier Hugo, est très populaire aujourd'hui en Chine. Tous ses romans, y compris ceux de jeunesse, ont été traduits. Un certain nombre d'entre aux ont même été l'objet de plusieurs éditions: ainsi du Dernier Jour d'un condamné, de L'Homme qui rit (deux éditions), de Notre-Dame de Paris (trois éditions). Il n'existe qu'une seule édition des Misérables. L'ensemble de ces éditions des romans de Hugo a été très apprécié du grand public.
En revanche, la poésie est très peu traduite. A l'occasion du centenaire, une anthologie, celle de M. Cheng Zeng Hou, rassemblant une centaine de poèmes a été publiée. Deux autres anthologies poétiques sont parues depuis, avec plus ou moins de succès. On peut dire la même chose du théâtre, peu traduit, les grands drames des années 1830 mis à part. Le théâtre, en liberté est totalement inconnu. La raison de cette faible diffusion du théâtre et de la poésie de Hugo tient au fait qu'il est très difficile pour les universitaires de convaincre les éditeurs d'accepter le risque de publier du théâtre ou de la poésie, ces formes littéraires étant peu commerciales. Il est d'autre part difficile de trouver des metteurs en scène susceptibles de monter une pièce de Victor Hugo. Enfin, le Hugo voyageur, chroniqueur, journaliste de son temps est totalement ignoré, de même que le dessinateur. M. Pimpano, sinologue éclairé, a proposé à M. Cheng Zeng Hou de faire en Chine une exposition de dessins de Hugo. M. Cheng Zeng Hou y songe sérieusement.
Arnaud Laster rappelle qu'on (Aragon) a dit par le passé que Les Misérables avaient été publiés à cinq millions d'exemplaires en Chine. M. Cheng Zeng Hou, qui connaissait cette rumeur, affirme qu'elle est totalement fausse: il n'y avait, à l'époque où Aragon a propagé cette affabulation, aucune traduction intégrale des Misérables. En Chine circulaient alors plusieurs éditions abrégées, souvent traduites de l'anglais, du roman. Le tirage le plus important de ces éditions abrégées a atteint les 200000 exemplaires. L'erreur d'Aragon vient sans doute du fait qu'il travaillait d'après des sources indirectes, et qu'il n'y avait aucune relation entre les hugoliens français et chinois.
La première traduction complète des Misérables est parue il y a cinq ans. Le traducteur a vécu en France dans les années 20, puis est retourné dans son pays. Ce n'est qu'à la fin de sa vie qu'il a entrepris cette traduction des Misérables. Il est mort avant de l'avoir achevée, et c'est son épouse qui s'est chargée de la mener à bien. Cette traduction au reste semble fautive, et rend mal le texte original. M. Cheng Zeng Hou espère la parution en un seul volume (contre cinq dépareillés) d'une nouvelle traduction, illustrée de surcroît, l'an prochain.
Le poème Les Pauvres Gens est assez connu. Guy Rosa (sur le souvenir d'une intervention au colloque de Montpellier, en 85) fait mention d'une version des Pauvres Gens démarquée et adaptée à la vie chinoise, sans nom d'auteur, qui figurait dans les manuels scolaires de l'école primaire dans la Chine des années 50.
Cette remarque appelle certaines précisions historiques de M. Cheng Zeng Hou. En ce qui concerne Les Pauvres Gens, ils ont été édités deux fois avant la révolution culturelle, et six ou sept fois depuis. De manière plus générale, dans les années 50, la Chine s'est engouée pour la littérature venue d'U.R.S.S. Pouckine était alors en vogue, non Hugo. On reconnaissait à ce dernier la valeur littéraire de son uvre, mais son humanitarisme, jugé vicieux par l'idéologie communiste, fit l'objet de vives critiques politiques. L'analyse de la réception de Hugo en Chine doit nécessairement démarquer nettement la réception avant/pendant/après la révolution culturelle. De 1951 à 1965, Hugo était "mal vu". L'auteur des Misérables et de Quatrevingt-treize était certes tenu pour un très grand écrivain, mais Quatrevingt-treize en particulier était fortement critiqué parce que le personnage de Lantenac est décrit avec trop de sympathie. Néanmoins, Hugo continua d'être publié pendant cette période, et c'est alors que parurent les deux premiers volumes des Misérables, et des traductions de Quatrevingt-treize, du Dernier Jour d'un condamné, et de Bug-Jargal: bref, on était contre, mais on publiait.
A cette époque, et aujourd'hui encore, Balzac était préféré à Hugo (et à Zola) parce que Engels a fait l'éloge de la valeur historique et sociale de ce romancier. C'est pourquoi l'uvre complète de Balzac a été la première à être traduite en chinois De la même façon, on préférait Tolstoi à Hugo, parce que l'humanitarisme du romancier russe était compensé par l'admiration que lui a témoignée Lénine dans tous ses écrits.
Toutefois, la critique officielle n'exprimait pas l'opinion du grand public. Aux yeux de celui-ci, Victor Hugo n'était pas "mal vu". Notre-Dame de Paris en particulier était beaucoup lue. L'adaptation cinématographique de Jean Delanoye, avec Antony Queen et Gina Lolobrigida (Arnaud Laster signale que le dialogue était de Jacques Prévert) remua les foules, de même que l'adaptation abrégée du roman pour la télévision chinoise. A la même époque fut créée une Esmeralda version chinoise à l'Opéra de Pékin. Arnaud Laster nous apprend que La Esmeralda a été un ballet très populaire en Union Soviétique et que, par ailleurs, Les Misérables ont récemment été adaptés en comédie musicale par des anglais. C'est le spectacle de R. Hossein, mais revu et corrigé. Plusieurs compositeurs français ont été mis à contribution, dont un Schonberg qui n'est pas Arnold. Cette adaptation a rencontré un succès gigantesque à Londres, Broadway, et quantité d'autres capitales occidentales; elle va bientôt être montée à Paris.
Pour revenir à la Chine, beaucoup de choses restent à faire pour l'uvre dramatique de Hugo: Le vieux traducteur qui a édité les six ou sept pièces parues en Chine a malheureusement traduit les pièces en vers en prose. Plus généralement, l'entreprise de traduction est, selon M. Cheng Zeng Hou, trop souvent réservée à de vieux professeurs qui ne sont pas forcément les plus aptes à assumer cette tâche. Ainsi Notre-Dame de Paris est à nouveau traduite, mais cette seconde traduction n'est pas vraiment meilleure que la première.
Il reste donc beaucoup à faire. Mais pour entreprendre des travaux d'envergure, il faut en Chine trouver des personnalités de dimension à la fois politique et littéraire, et intéressées. (L'auditoire signale à M. Cheng qu'il ne s'agit pas là d'un phénomène purement chinois.) En 1952, au moment du cent cinquantième anniversaire de la naissance de V. Hugo, il se trouve qu'une personnalité influente et hugophile signa un éditorial sur Hugo dans Le Peuple, un des journaux officiels les plus importants. Son intervention donna à cet anniversaire un dynamisme que le centenaire n'a pas connu en 1995. "Nous sommes trop petits", dit, non sans humour, M. Cheng Zeng Hou en parlant des universitaires chinois, pour organiser sans l'appui de personnalités influentes de brillantes commémorations.
Cependant, à Pékin et dans deux autres villes chinoises des cérémonies ont célébré le souvenir du poète. J. Gaudon a été invité à participer à un colloque organisé par l'association des rencontres culturelles, qui chaque année permet de réaliser des rencontres pour célébrer les anniversaires des écrivains du monde entier.
Guy Rosa demande si les universitaires et en général les intellectuels sont en relation avec leurs homologues des autres pays d'Asie. M. Cheng Zeng Hou dit que non, sauf en ce qui concerne les japonais. Les échanges culturels entre la Chine et le Japon sont très dynamiques. Les sinologues japonais sont même parfois mieux documentés que les chinois sur la culture chinoise. Mais il ne connaît aucun hugolien japonais.
M. Cheng Zeng Hou a parlé ensuite de son propre travail. Il a publié une anthologie d'une centaine de poèmes de Hugo en maintenant deux principes: un principe de traducteur et un principe d'éditeur. Comme éditeur, M. Cheng Zeng Hou a choisi de faire faire au grand public "les premiers pas" dans la connaissance de la poèsie hugolienne en lui présentant les poèmes de Hugo les plus connus dans la France d'aujourd'hui et dans celle du XIXème siècle. Ainsi ont été exclus les textes rares: Dieu ou La Fin de Satan, et en général toute l'uvre posthume. Arnaud Laster fait remarquer qu'il y avait deux stratégies envisageables: celle de M. Cheng Zeng Hou, historique et sociale, et une autre, qui aurait consisté à choisir les poèmes susceptibles de plaire au grand public chinois d'aujourd'hui. M. Cheng Zeng Hou répond qu'en effet le deuxième terme de l'alternative proposée par A. Laster était envisageable, mais qu'il ne regrette pas son choix, qui permet d'initier le lecteur chinois à un Hugo plus historique.
L'anthologie de M. Cheng Zeng Hou, publiée à 190000 (?) exemplaires en 1986, a remporté plus de succès à Hong Kong qu'en Chine. Les critiques en Chine sont peu nombreuses, et portent surtout sur les écrivains et traducteurs chinois déjà très célèbres; il faut d'autre part que les journalistes critiques connaissent la langue d'origine. Ces deux raisons font que les critiques sur les traductions de Hugo se font en Chine essentiellement entre professeurs de littérature française.
En revanche, cette anthologie a connu un grand succès à Hong Kong, en particulier parce que le directeur d'un journal important, amateur de littérature étrangère, apprécie la manière de traduire de M. Cheng Zeng Hou. Celui-ci a donc bénéficié d'un article très élogieux, et écrit depuis régulièrement dans ce journal.
Si la manière de traduire Hugo de M. Cheng Zeng Hou fait l'objet d'éloges dans un grand quotidien de Hong Kong, c'est parce qu'il s'est imposé un principe exigeant et difficile pour ses traductions. En effet, M. Cheng Zeng Hou s'attache à initier le lecteur chinois à une prosodie qui n'a aucun équivalent dans la poésie chinoise. Il lui semble le vers - mesure et rime - est un des éléments essentiels - et des étrangers à la culture chinoise - à faire passer dans une traduction de poésie française. Ainsi un poème de Victor Hugo, traduit en langue chinoise par M. Cheng Zeng Hou, est toujours rimé, et reprend de surcroît le type de rimes choisi par Hugo. M. Cheng Zeng Hou s'est attaché également à donner un équivalent du compte syllabique des vers français, en particulier de l'alexandrin, traduit en vers de quatorze caractères monosyllabiques, la césure tombant à la septième syllabe.
Dans des conditions de travail difficiles, M. Cheng Zeng Hou a traduit selon ces principes une centaines de poésies de Hugo pour son anthologie: des poèmes des Odes et ballades, des Orientales, des Feuilles d'automne, des Rayons et des ombres, des Chants du crépuscule et des Voix intérieures; figurent également des poèmes des Châtiments, des Contemplations, et de La Légende des siècles, et un ou deux poèmes des Chansons des rues et des bois. M. Cheng Zeng Hou a beaucoup insisté sur L'Année terrible pour deux raisons: la première est que ce recueil est inspiré par le patriotisme, et que tout uvre inspirée par l'amour de la patrie peut émouvoir dans son cur de patriote le public le plus lointain, le plus étranger à cette patrie; la deuxième est que Hugo est le seul écrivain (avec Rimbaud, mais celui-ci est moins prolixe) qui ait fait de la Commune matière à poésie. Enfin quatre ou cinq poèmes de L'Art d'être grand-père (dont La Mise en liberté et Le Pot cassé, illustré) et deux ou trois poèmes des Quatre vents de l'esprit sont traduits dans cette anthologie. Aucun extrait de L'Ane, de Religions et Religion, ni du Pape ou de La Pitié suprême pour les raisons déjà données.
M. Cheng Zeng Hou dit de son choix qu'il est peu personnel, courant, et pas chinois. A. Spieckel demande quel aurait été le choix chinois. M. Cheng Zeng Hou pense que d'une certaine manière son choix n'avait pas pour but d'être chinois, mais que, dans la place donnée par exemple à L'Année terrible, il rejoint les intérêts du lecteur chinois. D'autre part M. Cheng Zeng Hou est à la recherche de textes qui comme Le Pot cassé évoquent la civilisation chinoise, et de renseignements sur la salle à manger de Juliette, dont il identifie difficilement les motifs chinois. A Guernesey, les pirates qui passaient rapportaient quantité d'articles chinois que Hugo pouvait se procurer facilement
Il y a cinq ans, M. Cheng Zeng Hou a donné une version intégrale du texte: Au capitaine Butler (sac du Palais d'Eté, vol. Politique, p. 527). J. Gaudon, au moment du centenaire, a proposé que la France offre une grande stèle portant l'inscription du texte original et de la traduction devant l'emplacement du Palais d'Eté qui est aujourd'hui un jardin public. M. Cheng Zeng Hou, qui a rencontré le responsable du Palais d'Eté, pense qu'il faudrait faire un grand nombre de démarches et rassembler beaucoup d'argent pour réaliser ce projet. G. Rosa fait remarquer qu'il serait par ailleurs étonnant que la France dépensât de l'argent pour commémorer un de ses méfaits.
Les participants se sont interrogés sur l'intérêt de Hugo pour la civilisation chinoise, et en particulier pour le bouddhisme. On en a peu de traces, même dans les ébauches de poèmes pour La Légende des siècles des années 60-70. En revanche, tous se souviennent du passage de L'Homme qui rit qu'évoque A. Laster, où le travail des comprachicos est comparé à ce qu'on savait faire de mieux en Chine en matière de "moulage de l'homme vivant". La discussion s'est achevée sur cette note joyeuse.
Claude Millet
Equipe "Littérature et civilisation du 19° siècle"
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