Présents :
(non noté)
Après avoir salué Gabrielle Malandin -qui rend ce matin à Nerval ce qui est à Nerval-, Jacques Seebacher, souffrant, et Annie Ubersfeld -sous les Tropiques, nous échangeons des
.Parait au Japon une nouvelle revue, en français, «Equinoxe», dont le numéro d'automne 1987 contient un article de notre ami, confrère, etc. Inagaki.
.J. Acher informe B. Leuilliot, qui en prend bonne note, que le «Mémorial de Sainte-Hélène» raconte, à propos de Charette, une histoire fort proche de celle de Lantenac face à Halmalo.
.Pierre Georgel revient de la vente de la seconde partie de la collection G. Renan (?). Etait à l'encan un album fait pour Juliette, offert par Hugo le Ier janvier 1840. En tête un poème manuscrit de Hugo, puis une soixantaine de dessins sans ordre apparent, collés dans l'album par Juliette vraisemblablement , dessins très divers au nombre desquels plusieurs caricatures. Il s'agit d'un document important pour le dessin hugolien, assez mystérieux quant à la manière dont il a été constitué. Les quelques textes -de Hugo, de Juliette, de Louis Kock aussi- qu'il comprend semblent, eux, moins intéressants. Fort heureusement la Maison V. Hugo a disposé des moyens -non négligeables (plus de 1 million de Francs)- de l'acheter. (Ne pas oublier de prendre rendez-vous avant de venir à la Bibliothèque.)
.Le numéro Hugo de «Romantisme» -déjà décrit- semble promis à beaucoup d'éclat. Aux lecteurs des présentes qui se trouveraient avoir des compte-rendu en retard, salut -et qu'ils travaillent à force pour finir vite. .P. Georgel annonce la publication, en juin, des Actes du Colloque où il nous avait si fastueusement et convivialement invités, à Dijon.
.A. Laster annonce aussi celle de ceux de celui de la Société de littérature comparée.
.Et c'est fait pour le livre intitulé« Manuscrits modernes,» «Hugo de l'écrit au livre, études réunies et présentées par» «B. Didier et J. Neefs», Presses Universitaires de Vincennes, qui reprend la matière du colloque tenu à Saint-Denis.
.P. Georgel toujours -dont on dirait qu'il est à la fête, s'il ne devait bientôt se mettre à la peine- dit ses regrets du retard apporté à la publication du catalogue-livre «Hugo» «et la photographie». Ce sera au plus tard l'an prochain -150ø anniversaire de la naissance de la photographie.
.A. Laster assure qu'il y a en préparation, à Orsay, un film sur l'atelier photographique de Jersey. .Il demande à ma conscience de remédier à mon inculture: le nom du personnage de Gautier l'avait fait penser à Me i a moon ("moi je une lune") et non au barbarisme que j'avais inscrit.
Pierre Georgel précise que, contrairement à ce que le Bulletin paroissial avait annoncé, il est demeuré dans le domaine de l'histoire de l'art élargie. La matière de cette intervention vient de la rencontre de deux anciennes préoccupations avec le volume «Histoire»: la question d'une part de la mise en abyme dans la peinture (cf «La Peinture dans la peinture», Musée des Beaux-Arts de Dijon, 1983 -récemment réédité, et augmenté), celle d'autre part du retentissement de l'invention de la photographie sur l'imaginaire et sur les conduites de représentation. Cette communication correspond au "pré-print" d'une contribution au volume d'hommage à Max Milner, sous presse chez Corti.
.En réponse à une question générale, P. Georgel estime que le "miroir de concentration" de la «Préface» de «Cromwell» désigne, pour autant qu'il renvoie à un objet précis, ce qu'on appelle "miroir de sorcière": le réflecteur arrondi, couvrant un champ de près de 180ø, dont on voit plusieurs modèles sur les murs de Hauteville-House (d'autres aux carrefours routiers, en Suisse).
.B. Leuilliot signale le poème III,54; p. 293 de «Toute la» «Lyre»: " L'optique / N'a-t-il pas ses aspects et ses illusions?[...] où une distinction, curieuse mais pertinente, est faite entre le masculin et le féminin -voir la note 78. Il ajoute que les lettres de jeunesse témoignent effectivement de l'intérêt de Hugo pour la physique, et qu'elles permettent aussi de suivre les réapparitions successives de ces troubles oculaires qui lui firent prédire un jour par Sainte-Beuve qu'il serait bientôt aveugle et conseillaient le port de "conserves". La vue, chez Hugo, n'est pas toujours euphorique ni sûre.
(En l'absence de J. Seebacher je me permets de signaler pour lui l'étiologie souvent vénérienne des troubles oculaires.)
Quant à la question de l'abandon d' «Histoire d'un crime» pour «Napoléon le Petit», il faut y revenir en écartant toutes les raisons locales et matérielles -même invoquées par Hugo. Elles ne tiennent guère: ni celle de la longueur -l'essentiel était fait, ni celle de la difficulté d'éditer -«Napoléon le Petit» comporte moins de mises en cause individuelles mais est, dans l'ensemble, plus violent. En réalité, le passage de l'un à l'autre n'est pas tranché -comme l'aurait fait une décision prise sur des considérations matérielles-, mais c'est l'écriture même d' «Histoire d'un crime» qui invente et nourrit celle de «Napoléon» «le Petit» avant que Hugo ne renonce à celui-ci pour celui-là. Cette transition se comprend: Hugo découvre l'insuffisance du point de vue du témoignage. S'y tenir, se vouer à la transcription des faits, aboutit à souscrire à l'état des choses: à un constat d'impuissance. Il fallait, pour condamner l'Empire, un autre point de vue: une perspective où la réalité du nouveau pouvoir pouvait se trouver menacée -et non plus seulement exposée. Ce point de vue, «Napoléon le Petit» l'adopte. Mais, en 1877, la publication d'«Histoire d'un crime» redevient possible parce que les faits eux-mêmes viennent de mettre le texte dans la perspective qui lui était nécessaire: réalité du danger, invalidité historique. Il n'était pas facile d'être à la fois Fabrice à Waterloo et juge de l'histoire.
.Leuilliot -toujours, décidément- estime que le "saugrenu" des faits rapportés dans les passages étudiés par P.G. leur vient moins de leur propre nature que de leur accumulation et de leur discontinuité. Il s'agit là -P.G. ne l'a-t-il pas dit? de l'effet-année-1817. De même au chapitre de «Quatrevingt-Treize» "Les rues de Paris en ce temps-là". Ici le sens est préservé, mais on est au bord où il pourrait basculer et se perdre. C'est, aussi, contre cette menace d'une perte du sens, perceptible dans ces fragments, qu'il faut se protéger en adoptant une autre position du sujet. .G. Rosa tente de dire, abstraitement, ce qu'il a compris: que la métaphore de la photographie -et au-delà d'elle l'usage de nombreuses autres métaphores optiques- ne se comprend pas seulement en termes de modalités de la perception, telles qu'objectivité, clarté, précision, etc..., mais aussi comme un déplacement, ou mieux encore: une multiplication du sujet observant. Capter photographiquement n'est pas seulement -et pas principalement peut-être- capter mieux parce que le regard est épuré, mais capter mieux parce que mon regard est partagé ou partageable.
P. Georgel, venant au secours, confirme que c'est bien là ce que disent les derniers développements de son intervention. Et Rosa de reprendre pourtant qu'un "témoin" est un "je", mais un "je" interchangeable; lil de l'objectif est bien un oeil (donc un regard) mais un oeil autre qui double ou remplace le mien. La manière de regarder importe ici moins que la pluralité du point de vue. En ce sens la substitution du "je" à Joanny n'est pas une infraction mais une exécution de la métaphore photographique: je regarde où tu photographies -à moins que ce ne soit l'inverse.
Par ailleurs il demande à P.G. -et obtient- l'autorisation de retenir, comme sujet de mémoire de maîtrise ou autre, son excellente idée d'aligner toutes ces images de l'écriture: écho, trace, empreinte, alluvion, eau filtrant goutte à goutte, qui impliquent une totale disparition du sujet et coexistent pourtant chez Hugo avec l'affirmation la plus forte de la dimension démiurgique ou carrément créatrice de l'art.
Enfin, accord complet de Carine Trévisan et G.Rosa avec la proposition de Georgel selon laquelle le travail de Hugo sur ces fragments pour «Histoire d'un crime» est -avec «Littérature et philosophie mêlées», mais ce sont les seuls exemples- prototypique de ce qu'aurait été «Choses vues» si Hugo en avait effectué lui-même le montage en une série d'effets d'incohérence voulue et calculée.
.B. Leuilliot est plus réservé sur cette conclusion: il croit, non sans raisons mais sans moyen de le démontrer ni même peut-être de le rendre tout à fait probable, que Hugo vers 1851 prémédite dans les textes "Choses vues" une autobiographie qui aurait sans doute été bien plus singulière qu'on ne l'imagine. Beaucoup de ces fragments en effet, et souvent les plus longs, sont manifestement rédigés après coup -ce que tend à effacer leur classement selon l'ordre chronologique des faits rapportés.
.P. Georgel reprend la parole pour quelques compléments. -On oppose d'ordinaire, et à juste titre, le flou des positions de Hugo dans les années 45-50 à la solidité des convictions d'après 1852. Ces notes -et leur usage- apportent une légère correction: demeure, chez Hugo, la capacité à s'abstenir de la démonstration et à observer d'un oeil curieux, rêveur.
-On en est, à la date du coup d'Etat, au tout début de la presse illustrée: «L'Illustration» existe déjà. Mais rien, ni dans la presse, ni dans la peinture, ni dans les autres formes graphiques n'offre l'équivalent des images offertes ou suggérées par nos fragments d'«Histoire d'un crime». Il faudra Constantin Guys -qui est un journaliste: il sera correspondant de presse pendant la guerre de Crimée- pour que soient inventées non pas les techniques de saisie sur le vif mais leur application à la réalité historique. C'est ce que voit très bien Baudelaire. La représentation du fugitif et de l'instantané existe depuis longtemps, mais elle ne s'applique encore qu'aux objets de la nature ou aux images offertes par l'imaginaire. En matière historique, Courbet emploie les formes les plus visibles de la peinture d'histoire à des sujets qui en étaient réputés indignes -et cela fait scandale; l'inverse: faire entrer l'histoire dans les formes fluides du fugitif, c'est Guys qui le propose pour la première fois.
Et s'il fallait désigner une forme picturale proche, esthétiquement, de l'imagerie de nos fragments, ce ne pourrait être que ce que l'on appelle alors "macédoine": des dessins qui juxtaposent, sans séparation, des sujets sans rapport entre eux. Cette forme, née des carnets d'esquisses des artistes, était devenue un genre, sous la Restauration, avec sa diffusion par la gravure. Mais son objet restait exclusivement circonscrit au domaine de la vie privée et des murs. L'imagerie hugolienne écrite -ce n'est pas vrai des dessins- précède en ceci -mais d'assez peu- l'invention picturale.
Guy ROSA
Equipe "Littérature et civilisation du 19° siècle"
Bibliothèque Jacques Seebacher, Grands Moulins, Bâtiment A, 5 rue Thomas Mann, 75013 Paris. Tél : 01 57 27 63 68; mail: bibli19@univ-paris-diderot.fr. Bibliothécaire: Ségolène Liger ; responsable : Paule Petitier
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