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Séance du 19 juin 2010

Présents : Josette Acher, Patrice Boivin, Brigitte Braud-Denamur, Françoise Chenet, Pierre Georgel, Delphine Gleizes, Jean-Marc Hovasse, Caroline Julliot, Arnaud Laster, Loïc Le Dauphin, Bernard Leuilliot, Ayako Murakami, Yvette Parent, Martine Pitault, Guy Rosa, Denis Sellem, Vincent Wallez.


Informations

Nomination

Guy Rosa annonce celle de Jean-Marc Hovasse comme directeur de recherche au CNRS (= professeur dans la hiérarchie des grades de cet organisme). Il avait déjà, depuis son habilitation, la possibilité de diriger des thèses; cette promotion, outre l'honneur mérité (et la rémunération majorée, mais encore bien peu attractive), lui donnera une assise plus solide pour la direction de son équipe et, peut-être, pour ajouter aux collaborations dont elle dispose celle avec notre groupe.

 

Adaptations musicales de Hugo 

Arnaud Laster salue la nouvelle mise en scène de la comédie musicale tirée des Misérables, jouée au Châtelet jusqu’au 4 Juillet : il y a vu nombre de trouvailles ingénieuses, notamment la scène des égouts et celle du suicide de Javert, qui a donné lieu à des effets saisissants. Il a également beaucoup apprécié l’utilisation qui a été faite des dessins de Hugo, pour laquelle il était a priori sceptique.

Il rappelle néanmoins quelques points discutables de l’adaptation, en particulier des ajouts de la version anglaise pour le prologue et l’épilogue :

Le laïus de Myriel, sermonnant Javert au nom des martyrs et de la passion du Christ semble très plaqué. Il rappelle à ce propos que, contrairement à ce que prétend Barbey d’Aurevilly, le Conventionnel G. n’a jamais voté la mort du roi. Bernard Leuilliot pense que cette scène de bénédiction de Myriel ne vient pas du texte de Hugo, mais d’une illustration de Brion. Il rappelle à propos de Barbey que Hugo ne l’appréciait guère, et ne l’appelait que « Barbey d’Aurevilly, Manche » – et pas seulement à cause de son origine géographique...

  Arnaud Laster n’est pas convaincu non plus par la réapparition finale de Fantine, sous forme d’ange venu chercher Jean Valjean, souligné lourdement par une chanson qui dit en substance que tout s’arrange au ciel, même si la vie est dure... Il pense que ce serait un ajout de la version américaine. C’est là pour lui forcer le texte. Guy Rosa rappelle que le texte mentionne bien un ange, même s’il n’est indiqué nulle part qu’il s’agisse de Fantine. La discussion s’engage sur l’ambiguïté du texte littéral : « Sans doute, dans l’ombre, quelque ange immense... ». Il faudrait s’interroger sur le sens de ce sans doute : « sans aucun doute », ou « peut-être » ? Pierre Georgel estime de toute façon qu’il est réducteur d’incarner cette puissance supérieure dans un personnage précis. 

 

Autre adaptation heureuse, qui a enthousiasmé les membres du Groupe Hugo qui ont pu y assister : La Forêt mouillée, présentée en version concert à l’occasion du festival Hugo et égaux, organisé comme chaque année par Arnaud Laster. Ils ont été très sensibles au mélange, qui fait vraiment sens, entre l’académisme de la partition et de l’interprétation de ténor classique de celui qui jouait le poète, et le joyeux mélange de musique de variétés amené par les autres personnages. L’intelligence du texte, perceptible dans la manière dont a été faite l’adaptation, permet de faire saillir de nombreux éléments de sens, par forcément perceptibles à la lecture. Bernard Leuilliot, en particulier, a eu une véritable révélation : le moineau de cette pièce, c’est Gavroche. Guy Rosa rappelle que cette métaphore est déjà présente dans le texte des Misérables. Arnaud Laster estime en effet que, pour lui, c’est la deuxième fois qu’une musique s’avère si révélatrice du sens du texte. La première fois, c’est, comme il l’analyse dans son article « Le sens qui vient à la chanson », lorsqu’il a pu entendre la version de Liszt de la chanson « Gastibelza ». Un lecteur moderne, qui a plutôt en tête la version goguenarde de Georges Brassens, ne peut plus comprendre ce poème comme le comprenait Verlaine : un cri de jalousie exacerbée, d’amour fou et de souffrance. Arnaud Laster souhaite que ce spectacle d’une grande qualité soit repris très vite, dans une version mise en scène, comme cette adaptation a vocation à l’être, mais il a bien conscience de la difficulté à monter un tel projet.   

 

Lexicographie

Guy Rosa s’interroge sur le sens précis de la tournure employée par Hugo à propos des Misérables : « Tant que... Tant que.... Des livres de la nature de ceux-ci pourront ne pas être inutiles ». Cela signifie évidemment qu'ils ne sont pas inutiles; mais cela pourrait-il signifier qu’il y a un moment où ils le deviendront ou bien qu'ils ne le seront jamais tant qu'il y aura des hommes -perspective peu réjouissante et peu compatible avec l'idée de progrès pourtant contenue dans la structure Tant que ? Delphine Gleizes remarque qu’en fait, Hugo ne dit rien des modalités concrètes d’action du livre, mais Guy Rosa pense que cette idée est justement sous-entendue par le « Tant que... ». Il y aurait une recherche à faire sur l’emploi de cette conjonction chez Hugo.


Communication de Pierre Georgel : Idées et pratiques de Hugo en matière d'illustration (texte non communiqué)


Discussion

Questions techniques

BERNARD LEUILLIOT : J’ai une question sur les techniques de reproduction : Hugo parle de « cliché » au moment de l’impression des Misérables : qu’entend-on exactement par là ?

PIERRE GEORGEL : Le « cliché », c’est la matrice, le bloc dans lequel sont disposées les lettres en relief qui serviront à imprimer une page. C’est seulement avec l’arrivée du stéréotype qu’on pourra imprimer en une seule fois image et texte sur la même page. Avant, il fallait au moins deux passages – les caractères étant en relief, les images non. 

GUY ROSA : Il s’agit du moulage de la page en caractères séparés, probablement en carton, qui sera ensuite fondu en plomb pour l’impression.

 

Sur des dessins, gravures et peintures évoqués pendant la communication

ARNAUD LASTER : Pouvez-vous nous préciser quels étaient les vers choisis en épigraphe pour les dessins de Huet et de Doré que vous nous avez montrés ?

PIERRE GEORGEL : Le « Poème à l’arc de triomphe ». On peut remarquer que l’épigraphe est parfois choisie par Hugo après-coup – c’est le cas pour l’aquarelle de Boulanger représentant la maison de ses fiançailles, à Gentilly. Il rajoute après-coup des vers de son poème.

GUY ROSA : Quelle est la scène qu’on peut voir dans le livre que tient Léopoldine, sur son portrait de 1836 ? Le choix de cette image précise est sûrement révélateur.

PIERRE GEORGEL : C’est un livre d’Heures enluminé, qui appartenait à Hugo. On dirait une mort de la Vierge.

ARNAUD LASTER : C’est la première fois que je remarque, sur le frontispice des Odes et Ballades, la différence de typographie entre les deux termes du titre : Ballades est en bien plus gros caractères.

JEAN-MARC HOVASSE : À propos de la dédicace à Marie Nodier, à qui Hugo s’adresse comme à une petite fille. N’était-elle pas enfant au moment du voyage aux Alpes ? Cela pourrait expliquer ce ton. À moins qu’elle ait eu elle-même une petite fille qui s’appelait aussi Marie. 

PIERRE GEORGEL : en tout cas, elle n’était plus une enfant au moment de la dédicace. Il faudrait creuser la question.

ARNAUD LASTER : Il y a un article de Vincent Gille sur Brion dans le catalogue de l'exposition « Les Misérables, Roman inconnu ? »

PIERRE GEORGEL : Il y a aussi sur ce sujet un excellent article de Gaudon dans Lire « Les Misérables ».

 

L’illustration est interprétation

BERNARD LEUILLIOT : J’ai été très sensible à l’analogie que vous avez faite entre traduction et illustration. Tous les problèmes théoriques qui se posent dans la traduction, prise entre la littéralité et les Belles infidèles, se retrouvent avec l’illustration. Il était très pertinent de citer ici le texte de Hugo sur les traducteurs.

ARNAUD LASTER : Quand Hugo dit qu’il refuse de voir les illustrations avant la publication, cela me fait penser à son attitude pour le Victor Hugo raconté... Contrairement à ce qu’on a dit,  comme quoi il aurait dicté la plus grande partie du texte. Guy, tu as vu les manuscrits du Victor Hugo raconté...

GUY ROSA : Il n’y a guère de traces de l’écriture de Hugo. En revanche, beaucoup d’interventions de Charles et de Vacquerie, qui a d’ailleurs quasiment tout réécrit.

PIERRE GEORGEL : On peut remarquer qu’Hugo emploie le terme d’illustration en italique, car à l’époque il est encore perçu comme un néologisme. Pour le journal d’Adèle, il y a un précédent : quand Hugo raconte ses souvenirs à Dumas, qui prend des notes. C’est sûrement ce qui s’est passé avec Adèle.

BERNARD LEUILLIOT : Il y a des éléments qui ne peuvent venir que de Hugo lui-même.

ARNAUD LASTER : Oui, mais il lui a laissé ensuite la liberté d’écrire ce qu’elle voulait, sans intervenir. Cela m’évoque un souvenir personnel : lorsque j’ai écrit mon livre sur Paroles, Prévert n’a pas voulu le lire avant qu’il soit publié. Il l’a ensuite lu avec attention, et annoté, mais seulement quand il était déjà achevé.

PIERRE GEORGEL : C’est presque une position éthique : l’auteur est respectueux du jugement et de l’interprétation d’autrui. Victor Hugo savait qu’une bonne illustration, comme une bonne interprétation, pouvait lui révéler quelque chose sur lui-même.

BERNARD LEUILLIOT : Pourrait-il s’agir d’une coquetterie de Hugo ? Est-il possible qu’il ait en fait regardé les éditions en cours de publication. Aragon a toujours clamé que Paulhan avait éhontément caviardé sans son accord Les Voyageurs de l’Impériale pour qu’il puisse être publié pendant l’occupation, alors que tout indique qu’il l’avait en fait lu.

PIERRE GEORGEL : Je pense aussi qu’il se protégeait. Les artistes sont parfois envahissants. Il vaut mieux parfois ne pas leur ouvrir trop grand sa porte. 

 

Relations entre Hugo et les dessinateurs

GUY ROSA : Il est quand même étonnant que quelqu’un que l’image intéresse tant, qui est lui-même si compétent en la matière, car il aime le dessin et dessine très bien, s’intéresse si peu à la question de l’illustration de ses propres œuvres. Surtout quand on se souvient à quel point il peut être précis sur des questions de typographie ou de coquilles...

PIERRE GEORGEL : Ce n’était pas sa priorité, contrairement au texte lui-même. Pour lui, les illustrations faisaient partie des « produits dérivés », pas de l’œuvre elle-même. Il ne s’agit pas d’indifférence, plutôt d'une hiérarchie d’importance. Ce qui est fondamental pour lui, c’est le texte de l’édition princeps. Sans compter la générosité de caractère dont il fait preuve.

BERNARD LEUILLIOT : Oui, on le voit aussi dans sa réception des caricatures, très libérale.

PIERRE GEORGEL : Il donne toujours son autorisation, de bonne grâce, pour être caricaturé. Il peut même se montrer enthousiaste devant certains dessins qui l’égratignent.

VINCENT WALLEZ : Peut-on imaginer que Hugo ait fait un choix, parmi plusieurs gravures ou illustrateurs qui lui étaient proposés ? Pourrait-on retrouver ainsi des illustrations non utilisées ?

PIERRE GEORGEL : Il est sûr qu’il y a eu choix, au moins de la part des éditeurs. Tout se faisait en plusieurs étapes : d’abord, des croquis, proposés aux éditeurs. Parfois les éditeurs sont très directifs, ils indiquent d’avance quels passages ils souhaitent illustrer, parfois ils laissent la liberté à l’illustrateur. C’est plutôt sous cette forme d’ébauche qu’on peut retrouver des projets non aboutis. À l’étape de la gravure, c’est plus improbable.

DELPHINE GLEIZES : Parfois, le dessin s’effectue à même le bois pour la gravure.  

 

Hugo dessinateur

PIERRE GEORGEL : À ce propos, je voulais signaler que le dessin dit du « frontispice du Rhin », souvent rattaché à ce projet d’édition illustrée, n’est pas forcément conçu par Hugo comme un frontispice. On connaît au moins cinq dessins de Hugo intitulés « souvenirs du Rhin », auquel le « frontispice » en question peut très bien se rattacher.

DENIS SELLEM : Vous avez parlé du goût de Hugo pour les illustrations. On peut considérer que son habitude de faire des dessins dans sa correspondance en est un indice.

GUY ROSA : Hugo s’illustre lui-même abondamment en marge de ses manuscrits. Connaît-on des exemples où il illustre, en marge d’éditions imprimées, les œuvres d’autres auteurs ?

PIERRE GEORGEL : Pas de façon privées, mais je parlerai lors de ma prochaine communication de Hugo illustrateur d’autres auteurs. Il s’agit toujours de commandes, comme pour un poème de Vacquerie. Il y a aussi eu un bibliophile, Paul de Saint-Victor, qui lui a demandé d’illustrer un de ses propres ouvrages. Il lui est aussi arrivé de dessiner sur des imprimés. Dans le  Guide du Voyage à Falkenberg, il fait beaucoup de petits croquis, qui participent pleinement de ses notes.

 

Le Rhin

BERNARD LEUILLIOT : Il est étrange que le livre de Hugo qui appelle le plus l’illustration, le Rhin, n’ait pas été illustré.

PIERRE GEORGEL : Comme je l’ai évoqué dans ma communication, Le Rhin se situe de ce point de vue à un moment de creux : À cette époque, il y a très peu de nouvelles éditions illustrées, hormis de médiocres éditions à quatre sous, et, bien sûr, les rééditions. L’édition Perrotin de Notre-Dame de Paris fait figure d’exception. 

FRANÇOISE CHENET : Il y a eu un projet d’édition illustrée du Rhin.

PIERRE GEORGEL : Oui, en 1853, un projet d’édition avec photographies des lieux concernés, qui auraient été prises par Charles. Mais il a été abandonné – trop onéreux. Dans une lettre de 1857, Hugo mentionne une proposition pour une édition illustrée du Rhin, mais il n’y a pas eu de suite. 

 

Les éditions illustrées de Hugo et d’autres auteurs

BERNARD LEUILLIOT : Je me souviens que pour l’édition des Œuvres romanesques croisées d’Aragon, illustrées par André Masson et Giacometti, la place de l’illustration était très importante, car l’image renvoyait souvent à une phrase très précise du texte. 

PIERRE GEORGEL : Tout dépend du rapport et de la révérence au texte. Pour les illustrations symbolistes, par exemple, où l’autonomie de l’image s’affirme, la place n’est pas fondamentale.

BERNARD LEUILLIOT : Dans les éditions Hetzel de Jules Verne, les illustrations sont placées avant le passage concerné, pour susciter la curiosité du lecteur, et son envie de découvrir la suite. Ce procédé n’a d’ailleurs pas été respecté pour la reprise en poche de ces éditions.

PIERRE GEORGEL : Au départ, cela viendrait plutôt d’une contrainte technique : la place des illustrations devait être prévue d’avance. Il est intéressant de voir que cette contrainte est réutilisée dans une stratégie proche de celle du roman-feuilleton – un effet d’annonce qui crée le désir de lecture.

VINCENT WALLEZ : Cela n’a rien d’étonnant. Les Jules Verne ont paru en feuilleton, notamment dans le Magasin pittoresque d’éducation et de récréation.  

GUY ROSA : Y a-t-il une différence dans l’illustration de Hugo et celle de ses contemporains ?

PIERRE GEORGEL : Ce n’est pas l’écrivain le plus illustré. Balzac, notamment, l’est beaucoup plus.

BERNARD LEUILLIOT : Même avant l’édition Furne ?

PIERRE GEORGEL : Peut-être pas ; mais, ce qui est sûr, c’est qu’il y a beaucoup de réutilisations dans l’édition Furne. C’était un procédé courant : dans l’édition Hugues, des gravures romantiques sont réutilisées.

JEAN-MARC HOVASSE : À propos de l’édition Hugues, il est très difficile de reconstituer une série cohérente. Il y en a avec nom d’éditeur, d’autres sans...

PIERRE GEORGEL : Il y a un bon article d’Anaïs Lepage sur les éditions à quatre sous, dans le Bulletin du bibliophile.  

BERNARD LEUILLIOT : Pour Balzac, les illustrations sont le plus souvent des « types » (= portrait en pied et hors contexte d’un personnage). On peut d’ailleurs remarquer que la typologie employée pour les illustrations ( scène / type / site ) pourrait parfaitement s’appliquer au texte littéraire.

PIERRE GEORGEL : Contrairement à Hugo, Balzac est beaucoup intervenu dans le choix des illustrations. On peut donc supposer dans ses éditions, suite à ses choix, un infléchissement de la norme, qui répartit de façon à peu près égale les différents types d’illustrations.

 Caroline Julliot


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