Présents :Brigitte Braud-Denamur, Françoise Chenet, Pierre de Galzain, Christophe de Galzain, Pierre Georgel, Jean-Marc Hovasse, Arnaud Laster, Loïc Le Dauphin, Bernard Leuilliot, Claude Millet, Christine Moulin, Ayako Murakami, Yvette Parent, Marie Perrin, Guy Rosa, Denis Sellem, Agnès Spiquel, Vincent Wallez, Judith Wulf.
La prochaine séance aura lieu le samedi 6 février : Guy Rosa nous parlera des rapports de Hugo avec l’édition.
Un changement de dates est à noter : la séance de mars se tiendra le samedi 20 mars et non le vendredi 19 mars. Patrice Boisvin fera une communication sur la religion des tables. La séance du 10 avril est pour l’instant vacante.
Guy Rosa indique la sortie d’un nouveau livre sur «Adèle II».
Bernard Leuilliot souligne qu’une de ses lectures récentes lui confirme ce que certains pensaient déjà : il y aurait bien quelque part une pièce inédite de Hugo –Un frère de Gavroche – qui aurait été un moment en possession de Jean Hugo.
Claude Millet annonce que la première de Mille Francs de récompense, mise en scène par Laurent Pelly, a eu lieu au Théâtre national de Toulouse. Jean-Claude Fizaine recommande vivement cette mise en scène. Pour des informations plus complètes, voir la rubrique « actualité » du site du Groupe Hugo.
Guy Rosa signale qu’Angelo, tyran de Padoue, mis en scène par Christophe Honoré et présenté à Avignon cet été, est donné à Créteil la semaine qui vient.
Et que la comédie musicale Les Misérables arrive à Paris en mai, au théâtre du Châtelet, en provenance de Londres mais, semble-t-il avec une nouvelle mise en scène. Bernard Leuilliot raconte que la longue vie de cette comédie a obligé à avoir beaucoup de comédiennes pour le rôle de Cosette, les petites actrices grandissant trop vite. Il a eu aussi un jour l’occasion, à Madrid, de voir Jean Valjean joué par un comédien qui s’appelait Ruy Blas. Loïc le Dauphin signale que la scénographie de Paris serait faite à partir des propres dessins de Hugo.
Pierre de Galzain annonce qu’il jouera en appartement « Le Petit Roi de Galice » le vendredi 5 février à 20h 30. On connaît cette formule, maintenant mise en oeuvre également par le Théâtre de l’aquarium qui joue de la sorte les entretiens de Giono avec Jean Amrouche. Pour le « Petit Roi de Galice » contacter Caroline : caroline.p.s@wanadoo.fr ou 06 75 04 46 66; 30 ter avenue Daumesnil, 5 étage. Il y aura un apéritif collectif formé des contributions de chacun. Pierre de Galzain ajoute qu’il interprétera à Château-Thierry, au Palais des Rencontres, un autre poème extrait de La Légende des siècles : « La Confiance du marquis Fabrice », les 26, 27 et 28 février prochains.
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Pierre de Galzain expose au Groupe Hugo sa conception du théâtre hugolien, et des rapports que peut entretenir La Légende des siècles avec le théâtre, question sur laquelle porte la discussion qui suit.
Mais citons d'abord avec Pierre de Galzain ce fragment de Hugo :
Ce livre a été écrit, l’esprit de l’auteur étant pour ainsi dire sur une des frontières les moins explorées et les plus vertigineuses de la pensée, au point de jonction de l’élément épique et de l’élément dramatique, à cet endroit mystérieux de l’art qu’on pourrait appeler, s’il était permis de citer de si grands noms à propos d’une œuvre si obscure, le confluent d’Homère et d’Eschyle ; lieu sombre où le Romancero rencontre Job, où Dante se heurte à Shakespeare qui écume.
Extrait d’un projet de préface de 1857 ; Françoise Lambert, La Légende des siècles (fragments), p. 129 ; Flammarion, 1970.
CLAUDE MILLET : J’aurais aimé vous entendre parler de la théâtralité de La Légende des Siècles en fonction de votre travail de metteur en scène et de comédien. Qu’est-ce que cela veut dire pour vous mettre en scène ces vers ?
PIERRE DE GALZAIN : Le premier piège serait de penser que ces vers sont théâtraux : or ce n’est pas le cas, il faut arriver à dépasser la narration et la situation des personnages. Et puis ces vers procèdent d’abord d’un silence.
CLAUDE MILLET : Oui, mais concrètement ?
PIERRE DE GALZAIN : Pour moi, c'est très concret !
CLAUDE MILLET : J’aurais bien aimé vous entendre parler de la possibilité de mettre en scène « Welf, Castellan d’Osbor » (Nouvelle série, VIII) ou « Aide offerte à Majorien, prétendant à l’empire » (Nouvelle série, V), car c'est à ces textes que l’on pense d’abord spontanément quand on évoque la question de la théâtralité de La Légende des Siècles.
PIERRE DE GALZAIN : Oui, effectivement, ce sont des scènes de théâtre.
CLAUDE MILLET : Pouvez-vous alors nous expliquer pourquoi, lorsque vous avez eu envie de monter une pièce de La Légende des Siècles, vous avez préféré choisir un poème narratif comme « Le Petit Roi de Galice » (Première série) plutôt que des poèmes dialogués comme « Suprématie » (Nouvelle Série, II) ou « Abîmes » (Nouvelle série, XXVIII), que vous avez par ailleurs évoqués ?, ou plutôt que les petits scènes que je viens d'évoquer, "Aide offerte à Majorien" et "Welf" ? Ces derniers semblent en effet, avec leurs formes dialoguées, a priori plus adaptés au théâtre.
PIERRE DE GALZAIN : Les textes narratifs en disent autant sur les personnages que sur l’environnement décrit. C'est pourquoi ces textes peuvent être plus facilement pris en charge par un comédien. Il pourra avoir une vision d’un personnage de l’intérieur, il sera le Titan, par exemple.
CLAUDE MILLET : Si on reprend l’exemple du Titan : la narration a une plasticité (ce qui n’est pas très original) qui permet en effet d’accéder à l’intériorité du personnage, ce que permet le régime épique ou romanesque. Cette intériorité, ombreuse chez Hugo, est au point d’intersection avec le mystère du monde : « Phtos est à la fenêtre immense du mystère ». Est-ce le défi de l'adaptation de vers de ce type qui vous intéresse ?
PIERRE DE GALZAIN : Oui, c'est exactement cela que je tente d'exposer sur la scène.
BERNARD LEUILLIOT : Avec Hugo et La Légende des siècles, on est à la veille en quelque sorte de ce que tentera de faire Mallarmé avec L’Après-midi d’un faune de Mallarmé, théâtre avorté (1875). Mais cela ne marche pas et ne pourra jamais être joué, car Mallarmé est trop occupé à subvertir les catégories du dramatique et de l’épique. Il est à la recherche d’un récitatif qui serait à la fois dramatique, épique et lyrique.
BERNARD LEUILLIOT : Il faut aussi faire attention aux références à Shakespeare chez Hugo. Il faudrait plutôt parler chez lui de poétique du nom propre plutôt que de références précises aux auteurs qu’il évoque : Cervantès, Dante, Shakespeare, Eschyle etc. On ne peut vraiment dire qu’il lit Shakespeare qu’à partir du moment où son fils le traduit. Avant, il ne connaissait Shakespeare qu’en adaptation en prose (donc sans alternance des vers et de la prose), adaptation qui a ensuite elle-même donné lieu à une adaptation en vers, sans même revenir au texte anglais ! En Grande-Bretagne même, les pièces de Shakespeare qui sont jouées se trouvent être loin du texte.
PIERRE DE GALZAIN : Je ne suis pas d’accord : il y a bien le théâtre des Anglais à Paris sous la Restauration. Et le Cromwell de Hugo a été influencé par le Jules César de Shakespeare : le passage d’une citation d’un texte à l’autre l’atteste.
BERNARD LEUILLIOT : Cet écho, il est fort probable qu’il ne vienne pas directement de Shakespeare, mais de Voltaire, qui a lu Shakespeare. Je veux juste dire qu’on doit être très prudent quand on parle de Shakespeare chez Hugo, avant la traduction de son fils. On ne sait jamais s’il pense à des textes précis.
Je voulais aussi signaler que lorsque Hugo fait référence à la Terreur, ce n’est pas seulement dans le cadre de la réception tragique du texte (terreur et pitié) : il pense d’abord et surtout à 93. Et puis l’idée que les événements les plus horribles ont toujours un côté dérisoire, c'est aussi dans Voltaire. Je pense que, contrairement à ce que certains voudraient aujourd’hui nous faire croire, le romantisme ne commence pas avec la fin du siècle, au contraire ! Pour le comprendre, il faut remonter au xviiie siècle. Il faudrait commencer par voir ce que dit Voltaire de Shakespeare dans Les Lettres anglaises par exemple.
CLAUDE MILLET : S’appuyer sur l’édition ne varietur pour La Légende des siècles est un tort, dans la mesure où elle efface la logique des séries, annule en particulier la différence entre les Première et Nouvelle série. La Première série, celle de 1859, est très narrative, du côté de la narration et de l’épique, de la "petite épopée", alors que la Nouvelle série, celle de 1877, qui entend embrasser comme une histoire des formes et des genres, et multiplie les prosopopées et poèmes monodramatiques, a par son caractère polyphonique suscité le commentaire suivant de Paul de Saint-Victor, qui me semble très significatif : « c'est une lutte de jactances. » Les deux textes ne posent donc pas les mêmes problèmes lorsqu'on réfléchit à la théâtralité de La Légende des siècles ou à la possibilité de son adaptation théâtrale.
PIERRE DE GALZAIN : Excusez-moi, mais je ne suis pas d’accord. Les poèmes narratifs de la Première série sont très théâtraux. Par exemple, dans « La confiance du marquis Fabrice », on a l’impression que la narration n’est là que pour permettre au personnage de s’exprimer.
CLAUDE MILLET : Dans la Nouvelle Série, la fusion entre "l'élément dramatique" et "l'élément épique" est simplement plus évidente.
BERNARD LEUILLIOT : Mais il faudrait surtout du narratif conçu pour un comédien, voilà la performance. C'est cela qu’a essayé de faire d'abord Mallarmé dans L’Après-midi d’un faune.
PIERRE GEORGEL : Est-ce que Mallarmé voulait que son texte soit déclamé ou mis en scène ?
BERNARD LEUILLIOT : Le texte a d'abord été conçu pour être mis en scène, mais Mallarmé a dû renoncer, faute de théâtre preneur.
CLAUDE MILLET : La théâtralité de La Légende des siècles a été souvent remarquée. La Comédie-Française a ainsi, en collaboration avec l’Ircam, fait une journée de lecture en 2002 intitulée « Un jour de légende ». On se rendait compte que le texte portait très bien ce passage à la scène.
BERNARD LEUILLIOT : J’ai un jour assisté à un spectacle, à Strasbourg, où les comédiens occupaient toute la scène avec La Légende des siècles.
AGNÈS SPIQUEL : Pierre, tu as réussi, je le sais car j’ai assisté à l’une de tes représentations, à résoudre le problème de lire ces textes au théâtre. Est-ce que tu pourrais nous en parler davantage ?
PIERRE DE GALZAIN : Pour « La confiance du marquis Fabrice », j’ai imaginé que l’âme de Fabrice était au purgatoire, sur un plateau, dans une sorte de no man’s land. C'est là qu’il se rejoue ce drame dont il n’est pas tout à fait innocent : il a commis un péché de naïveté. C'est en se rejouant ce drame que l’acteur peut porter tout cela. C'est en entendant la « musique de fond » du personnage que je peux rejouer l’histoire. Le personnage est dénudé. Et c'est à ce moment-là qu’on a du théâtre.
AGNÈS SPIQUEL : Et pour « Le petit roi de Galice », que t’es-tu dit pour pouvoir le porter ?
PIERRE DE GALZAIN : J’ai eu l’idée que deux pèlerins allaient vers Compostelle et que l’un faisait jouer à l’autre ce drame.
CLAUDE MILLET : La théâtralité est donc alors fictionnalisée (que ce soit du théâtre est rendu vraisemblable par une fiction de théâtre).
PIERRE DE GALZAIN : Je rêve d’une semaine de représentations où l’on ferait appel à différents metteurs en scène et plasticiens qui mettraient chacun à leur manière en scène des textes de La Légende des siècles, comme « Les chevaliers errants », par exemple, dans le noir.
BERNARD LEUILLIOT : Il y a eu une tentative semblable avec L’Orlando Furioso de l’Arioste par Ronconi. J’ai vu le moment où Sartre allait se faire écraser…
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