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Séance du 30 mai 2008

Présents : Josette Acher, Stéphane Arthur, Véronique Cantos, Bénédicte Duthion, Jean-Claude Fizaine, Pierre Georgel, Delphine Gleize, Jean-Marc Hovasse, Arnaud Laster, Danièle Gasiglia-Laster, Franck Laurent, Bernard Le Drezen, Claude Millet, Yvette Parent, Marie Perrin, Jean-Pierre Reynaud, Guy Rosa, Denis Sellem, Agnès Spiquel, Anne Ubersfeld et  François Maille, France Vernier, Vincent Wallez, Judith Wulf.


Informations

Manifestations : concert, opéra, théâtre

Arnaud Laster fait part de la sortie (CD) d’un opéra créé par Roberto Alagna à partir du Dernier jour d’un condamné. L’opéra, dont le livret et la musique furent composés par les trois frères Alagna,  fut créé en juillet 2007 au théâtre des Champs-Élysées, et repris à Valencia en Espagne au cours du festival Victor Hugo et Égaux. Arnaud Laster rappelle qu’il en a analysé le livret : l’originalité par rapport au texte de Hugo réside dans la juxtaposition d’un condamné du xixe siècle, celui de Hugo, et d’une condamnée d’aujourd’hui, qui adopte une partie du texte du condamné. Cette mise au féminin s’explique par la volonté d’avoir une cantatrice. Pince sans rire, Guy Rosa s’étonne qu’on n’ait pas pensé à imaginer une histoire d’amour entre les deux, et regrette que l’on porte à la scène un texte dont la caractéristique réside dans l’impossibilité de toute communication (brouhaha de contestation). Jean-Claude Fizaine est attristé de voir que seul Britten ait osé (mais son homosexualité l’explique peut-être) mettre en scène uniquement un homme, dans l’opéra Mort à Venise. Danièle Gasiglia-Laster répond que le principe revendiqué était « l’universel » et qu’aujourd’hui, le point de vue féminin est tout aussi important que le point de vue masculin. Arnaud Laster insiste sur l’élargissement de la portée du texte et rappelle que Robert Badinter a apporté un soutien sans réserve à cette œuvre qui permet encore de nos jours de militer contre la peine de mort.

 

Jean-Claude Fizaine rapporte la création à Montpellier le 8 décembre 2007 d’une œuvre musicale à partir de poèmes de Victor Hugo, "Chants de Guernesey opus 35" - par Richard Dubugnon. Ce compositeur né en 1968 est artiste en résidence à l'orchestre et opéra de Montpellier. La création a eu lieu au Corum de Montpellier, pendant le festival "Présences" de Radio France. L'Orchestre national de Montpellier était dirigé par Alain Altinoglu, premier chef invité, et l'interprète était la soprano Ana Maria Labin

 

Arnaud Laster annonce la « création mondiale de la version concert » de La Esméralda de Louise Bertin, sur le livret de Hugo, dans le cadre du Festival de Radio France, le 23 juillet prochain, à l’opéra Berlioz de Montpellier. Cette création « concert » prolonge celle donnée lors du festival Victor Hugo Hugo et Égaux (conférence à 11heures le matin d’Arnaud Laster). Des places à tarifs réduits sont proposées à ceux qui passeraient par le festival.

En outre une représentation de Mille francs de récompense (mise en scène Stéphan Meynet), se tiendra à Lyon les 19 et 20 juin prochain, au théâtre de la Tête d’Or. Renseignements au 04 78 62 96 73.

 

Enfin Francis Huster crée un spectacle qui « par la voix de Hugo nous raconte Waterloo » à la Gaîté Montparnasse à partir du 4 juin.

 

Bénédicte Duthion rappelle qu’on peut voir à Rouen une performance intitulée « Gavroche dans la rue », constituée d’extraits des Misérables et de textes d’Antonin Artaud, et visant prioritairement un public de collégiens.

 

Journées d’études, publications :

Claude Millet annonce la tenue d’une nouvelle journée d’études consacrée à l’anti-romantisme, le 6 juin prochain. Plusieurs membres du groupe Hugo y interviendront : Franck Laurent parlera du rapport entre anti-romantisme et discours colonialiste, Bernard Le Drezen étudiera plus particulièrement le discours de certains orateurs politiques autour de 1848, Dominique Dupart analysera des discours de Lamartine. Arnaud Laster regrette de ne pouvoir venir – il est d’autant plus intéressé par la question qu’il a déjà consacré un article à la question de l’anti-romantisme dans les manuels de l’enseignement scolaire.

 

Dans le cadre du programme d’agrégation 2008-2009, une journée d’études consacrée à Ruy Blas et à Hernani se tiendra le 15 novembre à Paris VII. Une autre, issue d’une collaboration entre Paris III et Paris IV, consacrée au même thème, aura lieu le 13 décembre à l’amphithéâtre Guizot de la Sorbonne. Enfin la Société des études romantiques annonce pour le 10 octobre la tenue d’une journée des préparateurs, sans doute aux Grands Moulins (Paris VII).

 

Claude Millet présente également le premier numéro (« Émotions ») de la revue Écrire l’Histoire,  qui vient de paraître aux éditions David Gaussen, et qu’elle co-dirige avec Paule Petitier. Nombre de collègues du Groupe Hugo, ou proches de celui-ci, collaborent à cette revue, dont la vocation reste cependant d’être transdisciplinaire et trans-séculaire : David Charles, Jean-Philippe Chimot, Dominique Dupart, Franck Laurent, Muriel Louâpre, France Vernier… Claude Millet enverra bientôt une présentation de la revue (et un bulletin d’abonnement) aux membres du Groupe Hugo. Elles remercient tous ceux qui soutiendront cette entreprise en s’abonnant, ou en abonnant les institutions, bibliothèques, etc., auxquelles ils sont liés…

 

Surtout, elle rappelle l’événement que constitue la parution de Choses vues à travers Hugo, Hommage à Guy Rosa, aux Presses Universitaires de Valenciennes. Ces études, réunies par Claude Millet, Florence Naugrette & Agnès Spiquel, ne sont pas seulement un hommage mais constituent un véritable ouvrage de référence sur Hugo. Guy Rosa, très  content de l’hommage n’approuve pas moins l’ouvrage de référence. Son homogénéité résulte de la conjonction de ces deux aspects. Quant à la qualité, elle reflète sans doute l’excellence des études hugoliennes, mais la dépasse peut-être. Voir, si ce n’est pas une illusion vaniteuse, que les auteurs ont donné le meilleur d’eux-mêmes, lui a fait grand plaisir. Il signale enfin l’exceptionnelle réussite de la quatrième partie dont les éléments se complètent et se répondent en un vrai festival d’histoire littéraire.

 

Divers :

Delphine Gleize signale qu’elle a découvert, lors d’un vide grenier, une édition Massin à vendre, mais qu’il faut se déplacer à Lyon si l’on est intéressé. La contacter (le cas échéant via Claude Millet)

 

Olivier Bara aura soutenu son habilitation à diriger les recherches le 3 juin à l’Université de Lyon II

 

La communication de Céline Micout, consacrée à la Bibliothèque de Hauteville House, est reportée à la rentrée.


Communication de Claude Millet : Le mouvement des idées : drame et éloge lyrique dans la poésie de Victor Hugo avant l'exil (voir texte joint)


Discussion

 

Claude Millet : Ces « idée(s) quelconque(s) » peuvent ne pas apparaître comme très excitantes, mais la poésie doit être scénarisée par des idées connues qui doivent pouvoir émouvoir l’ensemble de la communauté.

 

Tripartition des « idée(s) quelconque(s) » et ironie involontaire de l’énonciation

Jean-Claude Fizaine : Je suis toujours émerveillé par l’extraordinaire subtilité des interprétations que permet Hugo... J’aime beaucoup ce que tu as fait, qui est autre chose. Le texte doit recourir à des ressources simples, fortes. On retrouvera le même traitement dans Châtiments. Les images simples sont aussi sinon plus importantes que le traitement biblique ou prophétique.

Franck Laurent : Tu es un peu modeste sur ta tripartition quand tu dis « ça ne marche pas avec beaucoup de poèmes de Napoléon. » Même « Bounaberdi » est un héros oublié ! Il y a une manière de scénariser la geste napoléonienne, et ta tripartition ramasse beaucoup.

Quant à la question de l’ironie involontaire ou pseudo-involontaire de l’énonciation, lors de l’éloge du tyran, il y a des cas de « désambiguïsation », par exemple « Napoléon II » (Chants du Crépuscule), qui est dans un premier temps dramatique (dans un passage qui rappelle le despote oriental, « l’avenir est à moi !») puis lyrique (« Non, l’avenir n’est à personne !/ Sire ! l’avenir est à Dieu ! »). De même plus tard dans La Légende des Siècles avec « Inscription », poème d’auto-inscription funéraire et d’éloge qui fonctionne à la lecture comme dénonciation.

Claude Millet : ou encore « Sultan Mourad » où le dispositif est plus net.

 

La poésie comme équivalent de la cérémonie funéraire

Franck Laurent : La bonne poésie s’appuie sur des idées solides et communes, mais il y a toujours chez Hugo une manière originale de rajouter sa patte. Par exemple l’idée des « héros oubliés » devient une épopée des vaincus, et dans cette « idée », il n’y a pas seulement l’éloge et la déploration des vaincus, mais aussi la volonté de faire de la poésie l’équivalent même de la cérémonie funéraire qui n’a pas été faite (sunt lacrymae rerum) : la poésie doit enterrer les morts qui n’ont pu l’être.

Claude Millet : Oui, Hugo fait référence, pour évoquer « le poète dans les révolutions » à Electre et non à Chrysotémis, qui essaie de s’accommoder du présent, et veut oublier les morts.

 

Liaison entre les idées de Hugo et leur individualisation dans une figure

Anne Ubersfeld : Il est frappant de constater l’individualisation des idées de Hugo. En effet c'est toujours un personnage, un nom qui représente quelque chose. Il faut l’image d’un homme, une figure, pour mettre en mouvement une idée. C'est que la pensée historico-politique de Hugo se croise avec son esthétique dramatique, où chaque particularité de l’idée est intégrée à une figure.

 

Héroïsation des victimes : entre tradition et modernité

Guy Rosa : L’héroïsation des victimes n’est pas une idée si neuve ni si moderne, le martyre ne date pas de la Révolution.

Claude Millet : Oui mais il y a quand même un nouveau regard sur les victimes, me semble-t-il. Par exemple dans les tableaux de Delacroix, qui marquent une évolution de la peinture d’histoire - cf. « le massacre de Chio » et ses corps d’enfants, de femmes et de vieillards nécrosés.

Franck Laurent : Et « Le Cuirassier blessée » de Géricault  ?

Pierre Georgel : Il est beaucoup plus douteux que ce dernier soit perçu comme victime ou martyr…Et puis il ne faut pas oublier que le titre d’un tableau de Delacroix est « La Grèce sur les ruines de Missolonghi » et non la « Grèce expirant », comme on le dit parfois.

France Vernier : Il faut distinguer les victimes des vaincus et des martyrs. Les victimes sont passives, alors que les martyrs ont revendiqué et désiré leur mort, et que les vaincus ont pu être héroïques et auraient pu gagner, si la fatalité ne s’en était pas mêlée.

En ce moment, il faut bien constater comme une « mode » des victimes en tant que victimes.

 

Rapport entre inventio, rhétorique, scénario et personnages

Guy Rosa : Tu as beaucoup parlé de scénarios ; je vois dans ton trio –despote, héros oublié, victimes– des personnages, Annie Ubersfeld vient de le dire, plus que des scénarios.

Claude Millet : Ce sont des personnages qui portent les scénarios, d’où la banalité (voulue) des rapports.

Guy Rosa : D’autre part, je ne suis pas absolument certain que, dans le passage de la préface de décembre 1822 cité, le mot « idées » ne désigne pas ce qu’il désigne aussi dans  la préface de juin –« … jugée du haut des idées  monarchiques et des croyances religieuses ». L’oppositin entre les « idées » et les « mots » le laisse penser. Quant à ce que tu appelles « idées » leur extrême généralité et leur banalité me semble tenir au fait qu’elles correspondent exactement à ce que la rhétorique classique appelait de ce nom et rangeait dans la catégorie de l’inventio. C’était effectivement des « idée(s) quelconque(s) » et banales, des moyens de mise en œuvre du sens et non le sens  lui-même. Les personnages que tu identifies relèvent de cette banalité. Ce qui n’est pas banal en revanche c’est de faire parcourir au même individu historique un chemin où il s’assimile successivement à ces trois personnages, ou encore le retournement de l’ode en satire. Bref, je me demande si le niveau où tu mets l’originalité de Hugo, les quasi scénarii, est le plus approprié et si elle ne se trouve  pas plutôt à l’articulation entre les idées proprement dites –la position politique, idéologique, religieuse, morale aussi– et les personnages scénarisés.

Claude Millet : Oui, tu as vraiment raison, j’aurais dû approfondir la question de la rhétorique. Mais en 1820 le fonctionnement est le même qu’en 1840, et dans une France qui se perçoit comme traumatisée, cette problématique de l’oubli du héros victime, du tombeau manquant, de la faillite du rapport entre vivants et morts comme rapports éthiques, voilà les idées larges, simples, fondamentales, et non les concepts raffinés, qui ont force de frappe sur les contemporains.

France Vernier : La rhétorique est de toute manière la mise en ordre de l’idée connue.

 

À bâtons rompus

Josette Acher : On pense bien sûr en écoutant cette communication aux trois âges dans la Préface de Cromwell. Hugo y parle du drame en fonction du théâtre, mais pas de la dramatisation des Odes, chronologie oblige.

Franck Laurent : Il me semble que la notion de drame, dans la Préface, permet justement de sortir de la logique chronologique pour dire qu’il y a du drame partout.

Jean-Claude Fizaine : Il faudrait comparer les odes hugoliennes à celles de Claudel, et voir si ta tripartition marche avec elles. On ne peut pas scénariser n’importe quoi.

Jean-Pierre Reynaud : Chateaubriand disaient que les poètes sont comme les oiseaux, n’importe quoi les fait chanter !

 

Contradictions entre énoncé (démocratique) et énonciation (« impérieuse »)

Delphine Gleize : Le scénario de la victime et la poétique compassionnelle actuelle sont paradoxalement le symptôme d’un dysfonctionnement démocratique -ou républicain. Car les victimes ainsi victimisées perdent leur statut de citoyens à part entière : on pleure leurs malheurs au lieu de réclamer au nom de leurs droits et de la justice. Il y aurait ainsi, pour en venir à Hugo, une contradiction entre d’une part l’ouverture démocratique de l’énoncé, et d’autre part une pratique d’élection de l’énonciation.

Claude Millet : Il y a en effet une vraie contradiction chez Hugo, contradiction que l’on retrouvera jusqu’à la fin de sa vie. Ou quand le compassionnel se met à fonctionner d’une manière qui ne permet plus de penser Hugo penseur humaniste de la démocratie.

Delphine Gleize : Oui. Ou, pour formuler autrement : quel peut être le modèle d’énonciation pour une voix poétique qui dénonce le despote mais qui par sa voix est elle-même impérieuse ?

 

La question de  l’énonciation et de « l’ironie involontaire »

Arnaud Laster : Je ne suis pas d’accord avec le terme « d’ironie involontaire » que tu as employé précédemment, Franck. Peux-tu préciser ?

Franck Laurent : Je parlais bien évidemment de l’ironie involontaire de la part du courtisan ! Pas de la part de Hugo !

Arnaud Laster : Je pense au « chant de fête de Néron », qui est d’une ironie cinglante. L’originalité de ce type d’ode est de dire quelque chose à quoi on ne pense pas.

Franck Laurent : Béranger aussi fait souvent cela. [Et tout le monde en est baba, car personne n’a jamais lu une ligne de Béranger.] Est-ce qu’il y aurait une tradition de ce type d’énonciation dans la poésie classique ? En tout cas il est difficile de l’expliquer aux étudiants.

Arnaud Laster : Oui, ce genre de texte attire les malentendus. Ainsi pour le personnage de Torquemada. Un chercheur encore récemment voyait ses tirades comme une sorte de jubilation hypocrite au bord de la sénilité. Or Torquemada n’a rien d’un Tartuffe, il est tout à fait sincère et passionné.

Franck Laurent : Et puis il ne faut pas oublier pour Hugo la question de la grandeur du mal !

France Vernier : On présuppose toujours qu’il y a collaboration active de l’auditeur et de l’écrivain. Dans le drame, le spectateur est complice par sa présence. Mais cela peut ne pas fonctionner.

 Marie Perrin


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