Présents : Josette
Acher, Stéphane Arthur, Chantal Brière, Ludmila Charles-Wurtz, Delphine Gleizes, Jean-Marc Hovasse, Caroline Julliot,
Hiroko Kazumori, Miranda Kentfield, Mathieu Liouville,
Claude Millet, Claire Montanari, Florence Naugrette, Yvette Parent, Marie
Perrin, Myriam Roman, Agnès Spiquel, Choï Young.
Un article de Franck Laurent intitulé « Hugo, un peuple sans territoire » vient de paraître dans le recueil De la puissance du peuple publié par le Groupe dEtude du Matérialisme Rationnel aux éditions « Le Temps des cerises ».
Vincent Wallez signale la parution dun ouvrage écrit par larrière-arrière petit-fils de Victor Hugo, Les Hugo. Témoignage, paru en avril 2007 aux éditions du Rocher. Josette Acher rappelle le procès quavait intenté Pierre Hugo à un auteur qui avait inventé une suite aux Misérables.
Chantal Brière conseille la lecture dun texte de Huysmans, sur les dessins de Hugo, paru à lorigine dans La Jeune Belgique, en mars 1890. On peut le consulter sur le site internet, en anglais, consacré à Huysmans, http://www.huysmans.org .
Une étudiante de lENS de Lyon, Keti Irubetagoyena, montera le Cromwell de Victor Hugo les 25, 26, 27 mai et les 1, 2, 3, et 10 juin à Lyon. La pièce sera jouée à Paris ensuite les 16 et 17 juin dans les jardins de lHôpital Saint-Louis.
Guillaume Drouet a envoyé le programme du premier colloque dethnocritique, « Regards croisés sur lethnocritique », qui a eu lieu à Metz du 30 mai au 1er juin.
Paule Petitier organise le 15 juin une journée détude sur lanimal du XIXème siècle. Il y aura, plus tard, une autre journée détude, ainsi quun colloque et une publication sur le sujet.
Un colloque portant sur « le théâtre côté texte : le public de la publication » se tiendra à Rouen du 22 au 24 mai.
Florence Naugrette commente le programme. Les communications porteront sur les différents supports qui permettent de publier le théâtre. Certaines pièces de Dumas ont dabord paru dans le Magasin théâtral, revue surtout lue par les professionnels du théâtre ; elles ont ensuite été publiées en volumes séparés, puis dans les uvres complètes. Florence Naugrette explique que la présentation du texte théâtral varie en fonction de ses supports. Dans le Magasin théâtral apparaissaient de nombreux points de suspension, qui marquaient la respiration des acteurs. Ces points de suspension sont remplacés par des points dans les recueils.
La dernière journée du colloque sera consacrée à lédition théâtrale contemporaine.
Agnès Spiquel souligne le grand intérêt qua eu la journée détude sur les usages idéologiques de lanti-romantisme le 4 mai 2007. Son organisatrice, Claude Millet, explique que les communications de cette journée seront publiées sur un nouveau site internet, en anglais également, www.accedit.com, nouveau site qui présente toutes les garanties de sérieux scientifique. Il permet déditer au fur et à mesure les actes dun colloque ou dune journée détudes sans attendre que toutes les communications soient remises à lorganisateur.
Claude Millet annonce en outre quelle fera paraître, dans la revue Textuel de Paris VII un ensemble de textes sur les usages poétiques de lanti-romantisme, ainsi quun volume sur les usages politiques de lanti-romantisme (éditeur à préciser).
Agnès Spiquel rappelle que Delphine Van de Sype soutiendra sa thèse le 6 juin à 14h à luniversité Valenciennes sur Dieu.
Claude Millet annonce que la bibliothèque a reçu une subvention conséquente pour enrichir son fonds. Elle pourra ainsi acheter les copies des manuscrits de Hugo qui lui manquent encore. Les autres suggestions dachats sont les bienvenues.
La bibliothèque devrait en outre être déménagée et installée dans des locaux plus grands au second étage des Grands Moulins, à proximité de la B.U.
Dans ses Mythologiques, Claude Lévi-Strauss se livrait à une comparaison entre le phénomène du roman-feuilleton au XIXe siècle et le mode de transmission du mythe dans les civilisations primitives. Il soulignait alors la spécificité de ce « genre littéraire qui tire sa substance dégradée de modèles, et dont la pauvreté saccroît à mesure quil séloigne des uvres originales ». Dans ce processus, « la création procède dimitations dénaturant progressivement leur source », la structure de la forme narrative se « dégrad[ant] en sérialité[2] ». Sintéresser aux représentations des Bohémiens dans les adaptations de Notre-Dame de Paris, cest constater la prégnance de ce mécanisme à un double niveau : en tant que mythe, limaginaire construit autour des Bohémiens obéit à cette logique de sérialité qui altère et trouble la représentation en même temps quelle en renouvelle la signification ; en tant quadaptation, les versions successives de luvre de Victor Hugo se conforment à une loi de filiation tout autant signifiante que pour le roman-feuilleton. En effet, plus lon séloigne chronologiquement de luvre source et plus le travail original dinterprétation cède le pas devant une logique de reproduction. Ces mécanismes ne sont pas pour autant frappés du sceau de la stérilité. Au contraire, les adaptations, tout comme le mythe, senrichissent de la répétition et du jeu d« écart différentiel » qui se fait jour dans leur succession. Avec le développement du septième art, chaque décennie, en amenant son lot dinnovations techniques, engendre un renouvellement des formes et des fables. Aux courts-métrages des premiers temps qui ne retenaient de luvre quun morceau de bravoure, comme la danse dEsmeralda[3], ont succédé les longs métrages muets[4] et les premières superproductions. Lavènement du parlant[5], puis de la couleur[6] renchérissait par rapport aux versions antérieures, offrant de quoi satisfaire et conquérir un nouveau public. Par ailleurs, si ni ladaptation ni le mythe ne courent le risque de lamuissement et de la stérilité, cest quils possèdent en commun une « structure accueillante » qui, selon les termes de Claude Lévi-Strauss, savère capable de sagréger des éléments exogènes[7]. Le mythe des Bohémiens possède à cet égard, au-delà des variations, un certain nombre de caractéristiques qui jouent de la porosité avec lidentité et la destinée des Juifs. Dans le cas de ladaptation, le renouvellement peut seffectuer par lagglomération dépisodes tirés des multiples uvres littéraires[8] ou par interférences avec dautres films[9]. Il sopère surtout par « transfert historico-culturel[10] », ladaptation trouvant à senrichir du contexte historique, culturel et géographique[11] dans lequel elle sinscrit. La version par William Dieterle de Notre-Dame de Paris[12] en 1939 laisse ainsi transparaître derrière la question des Bohémiens de 1482 la situation politique des Juifs face au nazisme. En dautres termes, poser la question de la représentation des Bohémiens dans ladaptation cinématographique reviendrait à poser la question au carré, puisque les mécanismes qui président à la transmission du mythe sont analogues à ceux qui assurent le fonctionnement de ladaptation cinématographique : une logique de sérialité qui opère la survie de traits invariants et de leur signification renouvelée dans une reconfiguration de la fable et du contexte de réception[13].
Limage des Bohémiens, en tant que mythe, se trouve prise dans un continuum de représentations et de transferts médiatiques auxquels ladaptation cinématographique participe pleinement, mais qui sexprime également en amont du texte hugolien, comme lont montré les recherches de Jacques Seebacher[14], en synchronie à travers les phénomènes décho intratextuels mis au jour par Agnès Spiquel[15] et en aval dans la série de relais qui sopèrent entre lédition illustrée de Notre-Dame de Paris, sa réception par la presse et le cinéma[16].
On peut à cet égard conduire un parallèle entre la manière dont le roman hugolien instrumentalise et met à distance les stéréotypes attachés aux Bohémiens et les mécanismes de ladaptation. Le roman hugolien ne propage pas une vision des Bohémiens mais un muthos, une multitude de paroles transmises. Cette approche contrastée, fluctuante et pour tout dire mythique se retrouve dans les adaptations. Elles aussi agissent à certains égards comme des paroles colportées qui « dénaturent » et occultent la « réalité » des Tsiganes en lui en substituant une autre[17]. Ladaptation cinématographique agit dès lors comme une chambre décho, un relais de transmission par rapport à la question des Bohémiens et les choix quelle opère sont autant de filtres, damplifications qui donnent à lire en miroir la physionomie de la société dont elle est contemporaine.
Chambre décho qui vient révéler les lignes de fracture du mythe et les silences signifiants de ladaptation. Limage dEsmeralda par exemple fait lobjet dune exploitation contrastée. La représentation de laltérité obéit ici à des logiques dattirance et répulsion, entre lexaltation dun exotisme érotisé et de la fascination quil exerce, et la mise à distance de lAutre par des effets de censure et dédulcoration. Dun côté, certaines réalisations privilégient, en confluence avec lesprit dune époque, une vision érotisée de la Bohémienne[18]. A linverse, la plupart des adaptations américaines[19] contournent ou édulcorent lexotisme et connaissent la tentation de lassimilation. Si le sentiment daltérité sexprime surtout par le discours et le regard que portent les personnages sur la Bohémienne, celle-ci conserve vis-à-vis du spectateur une allure occidentale. Ce qui se trouve promu dans ces versions est de lordre de linnocence ; lattrait physique quexerce la Bohémienne est atténué, les valeurs prônées rejoignant la charité chrétienne : lautre se trouve récupéré dans un système de valeurs rassurant.
De la même manière, au rebours de toute réalité historique qui reconnaît lappartenance des Bohémiens au christianisme, les adaptations font de ces nomades catholiques des païens. Le rendement de cette distorsion est significatif, dans la mesure où il autorise la mise en scène dune conversion et de lintégration dans le giron de lEglise dEsmeralda[20] : la Bohémienne ou lévangélisation du Bon Sauvage réactualisée.
La logique de sérialité inhérente à la diffusion du mythe et à la constitution de ladaptation cinématographique engendre donc des phénomènes de reprise et dinertie, des mécanismes de sélection et de répartition qui façonnent en miroir la représentation des Bohémiens et la physionomie de la société qui la reflète. Significatif à cet égard est le silence généralisé sur un des aspects de la fable hugolienne : en supprimant des scénarios lopération de substitution qui fait permuter les rôles dEsmeralda et de Quasimodo, les adaptations éludent le questionnement qui travaille le récit hugolien autour de lidentité des Bohémiens envisagée tour à tour comme appartenance ethnique ou culturelle. La question de lorigine se perd donc dans les méandres du récit filmique. Le mécanisme de transmission du mythe joue dès lors de ces effets de déperdition signifiante qui ont un double rendement : désigner les Bohémiens comme relevant dun ailleurs inassignable et poser comme principe lessentialité de leur nature.
La question ethnique et le point aveugle de lorigine se déportent alors sur la problématique sociale. Il est aisé de repérer dans les clichés véhiculés sur les Bohémiens les traits invariants qui autorisent cette lecture. Le vol denfants, les liens familiaux particulièrement fluctuants et susceptibles dêtre remis en cause, le rite du mariage à la cruche cassée qui fixe pour une durée limitée lunion consacrée, tous ces éléments, entre autres, apparaissent comme les signes tangibles de la désorganisation sociale[21]. La présence des Bohémiens y est un indice de perturbation : aux côtés des truands, ils figurent les « mauvais pauvres », de ceux que les édits royaux, depuis le XVIIe siècle, entendaient dissocier des « bons pauvres » susceptibles de bénéficier de la charité publique[22].
En même temps lorigine inassignable de ce peuple venu de nulle part, renforcée par le traitement scénarique, sajoute à ces traits invariants pour formuler une réflexion politique. Lerrance figure en quelque sorte ce par quoi avance lhistoire : apparition inopinée à lhorizon des faits de limprévu, lémergence des Bohémiens vient dire lévénement historique dans sa dimension incalculable et partiellement inexplicable.
Rien détonnant donc que ce soit ces caractéristiques qui se trouvent actualisées, comme lont montré Arnaud Laster et Danièle Gasiglia-Laster[23], au gré de la réception et des contextes politiques et sociaux, dans les adaptations successives de luvre.
Ladaptation de Delannoy fait dEsmeralda, en conformité avec la fable hugolienne, une victime de la fatalité qui trouve cependant à senrichir, après guerre, de lhéritage du réalisme poétique incarné par le scénariste du film, Jacques Prévert : Gina Lollobrigida occupe dans ladaptation la place que pouvait occuper un acteur comme Jean Gabin dans sa carrière des années 1930 : personnage insoumis que la fatalité et la machine sociale condamnent et expulsent. Chez Worsley, dans un contexte socio-politique qui annonce la crise de 1929, le scénario dramatise lopposition des Bohémiens et de la noblesse, autour dune altercation entre Phoebus et Clopin, dans une logique de lutte des classes. Les autres adaptations, tout en sinscrivant de même dans un horizon politique, accentuent la problématique ethnique. The Hunchback of Notre Dame de Dieterle conduit ainsi, en 1939, un parallèle entre la persécution des Bohémiens et celle dont sont victimes les Juifs. La version des Studios Disney fait de lintégration de létranger lenjeu dun melting-pot américain idéalisé tandis que la comédie musicale de Luc Plamondon dénonce le sort fait par le gouvernement aux « sans-papiers » de léglise Saint-Bernard en 1996.
Les traits invariants du mythe des Bohémiens colportés par la structure accueillante de ladaptation se trouvent donc réactivés par lhistoire contemporaine : marginalité, dangerosité potentielle pour léquilibre social, origine inassignable sont autant de caractéristiques dont le potentiel symbolique permet de désigner un réel problématique et de le faire signifier en contexte. Par une communauté de fonctionnement, ladaptation devient donc linstrument de propagation du mythe des Bohémiens quand dans le même temps le mythe des Bohémiens se trouve instrumentalisé par le mécanisme de ladaptation.
[1] Larticle dont on lit ici le résumé doit paraître dans La représentation des Bohémiens dans la littérature et les arts en Europe, Sarga Moussa dir.
[2] Claude LÉvi-Strauss, Mythologiques III, Lorigine des manières de table, Paris, Plon, 1968, p. 105-106.
[3] Esmeralda, réalisé par Alice Guy assistée de Victorin Jasset, (1906, France, Gaumont) ou The Darling of Paris, réalisé par James Gordon Edwards, (1917, E .-U., Fox Film Corp.).
[4] Citons par exemple en France la réalisation dAlbert Capellani, Notre-Dame de Paris, (1912, France, S.C.A.G.L., Pathé) et pour les Etats-Unis, le film de Wallace Worsley, The Hunchback of Notre Dame, (1923, E .-U., Universal).
[5] The Hunchback of Notre Dame, William Diertele (1939, E .-U., R.K.O).
[6] Citons, dans le domaine français, le film de Jean Delannoy, Notre-Dame de Paris, (1956, France, Hakim production).
[7] Claude Levi-Strauss, Mythologiques III , op.cit., p. 105-106. Les mythes, écrit Claude Lévi-Strauss, se développent « en accueillant dans leurs rangs dautres épisodes du même type, en nombre théoriquement illimité. Le mythe sagrège ainsi des éléments provenant dautres mythes, et qui sen détachent dautant plus aisément quils faisaient eux-mêmes partie densembles paradigmatiques très riches ».
[8] Un exemple significatif de ce phénomène est la comédie musicale Notre-Dame de Paris, (réal. Gilles Amado, scén. Luc Plamondon, mus. Richard Cocciante, 1999, France) qui tisse des liens étroits et pertinents Notre-Dame de Paris et Les Misérables.
[9] The Hunchback of Notre Dame de Dieterle retrouve lobsession du cinéaste pour la question de lavènement de la démocratie.
[10] Linda Coremans, La Transformation filmique, Berne, Peter Lang, 1990 et Francis Vanoye, Scénarios modèles, modèles de scénarios, Paris, Nathan, 1991.
[11] Voir par exemple les adaptations japonaises et indiennes de Notre-Dame de Paris, Enmei-in No Semushi (1925, Japon), Dhanwan (réal. P. Atorthy, 1937, Inde), Badshan ou Badshah Dampati, (réal. Amiyah Chakrabarty, 1954, Inde).
[12]De la même façon, The Hunchback of Notre Dame (Gary Trousdale, 1996, E.-U., Walt Disney) sinscrit dans un discours de tolérance et de lutte contre le racisme, très marqué dans le contexte idéologique contemporain.
[13] Sur cette question, voir Michel Serceau, L'Adaptation cinématographique des textes littéraires, théories et lectures, éditions du CEFAL, Liège, 1999 et Jeanne-Marie Clerc et Monique Carcaud-Macaire, LAdaptation cinématographique et littéraire, Paris, Klincksieck, 2004.
[14] Jacques Seebacher, notes pour lédition de Notre-Dame de Paris, Paris, 1975, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, en particulier à propos du Dictionnaire infernal de Collin de Plancy, (P. Mongie, 1825-1826, 4 vol., 2e édition), p. 1121, n. 1.
[15] Agnès Spiquel, « DEsmeralda à Zineb, la Bohémienne de Hugo », dans La Bohémienne, figure poétique de l'errance aux XVIIIe et XIXe siècles, Pascale Auraix-Jonchière et Gérard Loubinoux dir., Presses universitaires Blaise Pascal, Coll. « Révolutions et Romantismes », 2006.
[16] Sur ces phénomènes, voir La Gloire de Victor Hugo, sous la direction de Pierre Georgel, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1985 et les travaux dArnaud Laster.
[17] Sur cette tentation de ladaptation voir François Laplantine, Alexis Nouss, Métissages, de Archimboldo à Zombi, Paris, éd. Pauvert, 2001, article « Adaptation ». François Laplantine évoque les deux tentations de ladaptation, dune part la littéralité et lautre la « substitution pure et simple », « lincorporation ».
[18] Theda Bara, dans ladaptation de 1917, The Darling of Paris, Gina Lollobrigida dans la version de Jean Delannoy, en 1956, Hélène Segara dans la comédie musicale de Luc Plamondon et contre toute attente, le dessin animé The Hunchback of Notre Dame des Studios Disney.
[19] Le film de Wallace Worsley, The Hunchback of Notre Dame et celui de Dieterle The Hunchback of Notre Dame en particulier.
[20] La charge anticléricale hugolienne est gommée, en particulier dans les adaptations américaines : lEglise est accueillante tandis que Frollo, devenu laïc assume seul la fonction du persécuteur.
[21] Ce sont également, au XIXe siècle, les reproches par lesquels la bourgeoisie disqualifie la classe ouvrière : progéniture livrée à elle-même, instabilité de la famille, etc.
[22]Henriette Asséo, op. cit., p. 36.
[23] Voir en particulier Arnaud Laster, « Notre-Dame de Paris : Prévert et Hugo, mêmes combats », CinémAction, Jacques Prévert qui êtes aux cieux , n° 98, 2001, « De quoi pourrait se composer une édition critique des textes de Jacques Prévert pour le film Notre-Dame de Paris ? », dans Éditer des uvres médiatiques, Les Cahiers du CRELIQ, Québec, Nuit Blanche éditeur, 1992 et Danièle Gasiglia-Laster, « Lactualisation de lintrigue à travers trois adaptations de Notre-Dame de Paris », Simposio internacional, Victor Hugo gênio sem fronteiras, 23-26 juillet 2002, Campus de l'UFMG - Belo Horizonte, Brésil, http://www.letras.ufmg.br/victorhugo/
CLAUDE MILLET : Je suis frappée par le fait que les bohémiens du film de Dieterle, lorsquils sont repoussés, sexclament : « vous êtes arrivés hier, nous arrivons aujourdhui ! ». La remarque me semble faire allusion au melting pot américain.
DELPHINE GLEIZES : Sans doute, mais cest moins frappant que dans la version de Walt Disney. Le film date de 1939, et à cette époque les mentalités sattachent moins à la question de la mixité quà celle de la protection.
YVETTE PARENT : Si on sattache à lhistoire de la cour des miracles, on saperçoit quelle nest jamais remise en cause par le pouvoir avant Louis XIV. Cest un lieu respecté. Hugo en était bien conscient. Sous Louis XI, Paris manquait dhabitants. Le roi avait donc promulgué un décret qui admettait dans sa bonne ville de Paris les condamnés en décidant dune amnistie générale. Le roi voulait en effet repeupler sa ville. On se trouvait donc aux antipodes de la situation actuelle. La cour des miracles était, au fond, assez démocratique. Clopin laisse par exemple un certain pouvoir aux femmes, qui peuvent choisir leur mari.
CLAUDE MILLET : Cest sans doute vrai, mais recentrons-nous sur la communication en elle-même.
LUDMILA CHARLES-WURTZ : Ne peut-on pas rajouter une strate de mythe, au-delà du traitement des bohémiens ? Je pense à ce que dit Guy Rosa à propos des Misérables : luvre de Hugo elle-même est devenue mythe.
DELPHINE GLEIZES : Oui. Il serait intéressant de comparer Les Misérables et Notre-Dame de Paris de ce point de vue. Il me semble toutefois que, lorsquon pense à Hugo, on pense plus aux Misérables quà Notre-Dame de Paris.
CLAUDE MILLET : Sans doute est-ce parce quil y a une quasi contemporanéité entre Les Misérables et la propre vie de Hugo.
CHANTAL BRIERE : Tu nas pas évoqué le film de Patrick Timsit, Quasimodo del Paris. La transposition quil effectue est, par certains aspects, intéressante. Ce sont des cubains qui font office de bohémiens. Esmeralda est une révolutionnaire. Quand à Frollo, il devient une espèce de prêtre féru de sado-masochisme Chez Disney, en revanche, Frollo nest plus lié à la religion : de prêtre, il devient juge. La version est franchement édulcorée.
CLAUDE MILLET : Et en même temps, Esmeralda est nettement érotisée. Le film de Disney se trouve, par certains aspects, à lintersection de deux ensembles : il se situe entre les films européens, aux Esmeralda avenantes, mais destinées à une fin tragique, et les films américains, marqués par une « happy-end » toute trouvée, mais dont les Esmeralda sont nettement moins décolletées.
DELPHINE GLEIZES : On peut aussi considérer que lérotisation dEsmeralda provient de lorientation des studios Disney. Les héroïnes des dessins animés sont souvent sexualisées. Il suffit de penser à Pocahontas, qui sort à la même époque que Le Bossu de Notre-Dame. Cette sexualisation dEsmeralda fait que le dessin animé séloigne de son modèle, le film de Dieterle. En revanche, le graphisme des autres personnages, par exemple celui de Quasimodo, emprunte directement à la version de 1939.
Le traitement scénarique de Quasimodo del Paris est en effet très intéressant. Lintrigue se situe dans une république bananière. Les bohémiennes sont des prostituées. Ces tentatives de correspondances iconoclastes produisent un discours cohérent.
YVETTE PARENT : Les adaptations tiennent-elles la plupart du temps de lutopie ou non ?
DELPHINE GLEIZES : Cela dépend. Les films français restent conformes à lintrigue hugolienne. Les films américains sont plus utopiques. Cest le cas en particulier du film de Dieterle.
CLAUDE MILLET : Je vous remercie pour cette communication très riche qui mobilise beaucoup de pistes. Cest un plaisir de vous entendre parler en français cela dit, vous vous exprimez aussi très bien en anglais ! Je laisse la parole à Myriam Roman
MYRIAM ROMAN : Le modèle du personnage romanesque semble confronté à deux autres modèles génériques chez Hugo : on pense dabord aux personnages du drame les romans mettent en scène plusieurs personnages principaux, comme au théâtre , mais il ne faut pas oublier le modèle poétique, très présent dans Les Travailleurs de la mer. Il y a, dans luvre hugolienne, perturbation générique. Je vous renvoie, pour ce qui concerne le modèle poétique, aux recherches de Ludmila Charles-Wurtz.
CLAUDE MILLET : Hugo est en effet polygraphe, contrairement à Balzac ou à Stendhal, par exemple. Il nest pas séparément romancier. Il faudrait donc que vous consultiez aussi une bibliographie consacrée au théâtre et à la poésie.
DELPHINE GLEIZES : Vous avez parlé de Gringoire et de sa trajectoire surprenante dans le roman. Jacques Seebacher a travaillé sur les infléchissements génétiques du personnage. Vous avez dit que le personnage se délitait. Cela correspond aussi au changement de projet de Hugo
au cours de lécriture du roman.
MYRIAM ROMAN : Vous pouvez trouver son article, « Gringoire, ou le déplacement du roman historique vers lhistoire », écrit en 1975, dans Victor Hugo ou le calcul des profondeurs.
CHANTAL BRIERE : Il me semble que la notion de complication psychologique est un piège dans lequel il faut éviter de tomber.
MIRANDA KENTFIELD : Cest en effet un type de catégorie que je napprécie pas mais qui est couramment utilisé par les critiques américains.
CLAUDE MILLET : Attention à ne pas confondre épaisseur et profondeur du personnage. Ce nest pas la même chose. Les personnages de Hugo ne sont pas épais, mais ils sont profonds, abyssalement profonds Il ny a pas chez lui progression continue dans lintériorité psychologique. Les personnages sont des surfaces qui débouchent sur un abîme. La profondeur est liée aux états de conscience, et cette énigme quest lâme. La question de lâme est essentielle pour comprendre les personnages hugoliens. Hugo précise que Les Misérables constituent « un livre religieux ». Le personnage hugolien peut être une conscience, mais il est avant tout une âme, et ce nest pas la même chose. Une âme peut prendre consistance dans un individu, mais de manière transitoire, et non essentielle. Lexemple le plus frappant de ce que javance provient des Travailleurs de la mer. Gilliatt est avant tout une âme.
MIRANDA KENTFIELD : Mais quentendez-vous par « âme » ? On ne peut pas lemployer au sens religieux traditionnel
CLAUDE MILLET : Le terme est religieux dans le sens hugolien.
MIRANDA KENTFIELD : Voulez-vous dire « spirituel » ?
CLAUDE MILLET : Non, « religieux ». Le terme de religion est assumé par Hugo. En parlant de spiritualité plutôt que de religion, on risque de gommer la dimension immanentiste de la religion hugolienne, et son ambition dêtre le prophète dune religion nouvelle.
Vous avez, dautre part, parlé dabstraction à propos des personnages de Hugo. Ce nest pas tout à fait juste dans la mesure où lâme des personnages est très sensitive.
Le grand mérite de votre travail est quil séloigne dune narratologie qui se fonde sur le modèle réaliste, qui est dailleurs lui-même construction totale de lesprit.
Vous avez opposé fluidité et fixité des personnages. Leur fluidité est liée à la réflexion de Hugo sur la pénalité. Il faut maintenir le caractère amendable des individus. Si on fixe les personnages dans une psychologie qui ressemble beaucoup à un fatum, on les condamne demblée. Il y a chez Hugo un militantisme de la fluidité. Celle-ci se heurte cependant à un mur, elle bute contre la fixité de la société, qui, elle-même, fait fatalité. Je vous renvoie, pour cette question, aux travaux dAnne Ubersfeld.
MIRANDA KENTFIELD : Il est vrai que la plupart des héros se heurtent à une forme de fatalité et meurent. Il y a cependant des transformations plus heureuses. Cest le cas, par exemple, de Cosette.
CLAUDE MILLET : Sa réussite est très contestable Elle devient une grande bourgeoise comme les autres et oublie Jean Valjean. Quand la transfiguration est morale, il y a suicide.
DELPHINE GLEIZES : Vous avez, dans votre communication, cité un passage des Travailleurs de la mer dans lequel apparaissait lexpression « plafond de ténèbres ». On retrouve la même formule dans Quatre-vingt treize, lorsque Gauvain est en prison, mais limage est inversée. Le plafond noir devient transparent. Il y a la même tendance à la poétisation pour les deux personnages, mais ils ont un parcours différent. Lâme de Gilliatt soppose à la conscience politique de Gauvain.
Je minterroge sur la façon dont les mécanismes de caractérisation sociale entrent en conflit avec la poétisation La caractérisation sociale existe chez Hugo, mais elle nest pas traitée de la même façon que dans le modèle canonique du roman réaliste.
CLAUDE MILLET : Vous avez posé la question de la remise en cause du statut de lidentité bourgeoise chez Hugo. Il ne me semble pas quil y ait stigmatisation de ce point de vue chez Hugo. Cest plutôt la question de lindividualisme qui se pose. Hugo intègre les personnages dans des processus complexes dindividualisation et de désindividualisation. Lindividualisation est très forte, et en même temps est remise en cause. Se constitue un autre couple : lâme et la masse. Vous pouvez consulter à ce sujet larticle de Paule Petitier, dans Nommer linnommable.
Le problème des personnages nest pas celui de labstraction. Ils sont au contraire très concrets. Jaime beaucoup en revanche la notion de fluidité, qui recoupe pour moi le processus dindividualisation-désindividualisation.
MIRANDA KENTFIELD : Par abstraction, jentendais symbolisme.
CLAUDE MILLET : Symbolisme convient mieux en effet car il maintient un aspect concret.
MIRANDA KENTFIELD : Quest-ce qui distingue lallégorique du symbolique ? Je ne parviens pas toujours à distinguer les deux notions.
VINCENT WALLEZ : Lallégorique concrétise quelque chose dabstrait, alors quil y a déjà quelque chose de concret dans le symbole.
CLAUDE MILLET : Les personnages de Hugo sont de façon récurrente enfoncés dans leurs perceptions. Ce sont des corps. Ils ont une incarnation qui ne passe pas seulement par lapparence physique. Ils ont une existence qui fonctionne comme expérience sensorielle.
MIRANDA KENTFIELD : Il est vrai que Javert, par exemple, est décrit de façon très physique.
CLAUDE MILLET : Oui, mais il y a surtout tout ce qui fait du personnage le sujet dune expérience sensorielle du monde.
YVETTE PARENT : Quentendiez-vous, dans lextrait des Travailleurs de la mer que vous avez étudié, par « absence de médiation du narrateur à propos de Gilliatt » ?
MIRANDA KENTFIELD : Je voulais souligner le fait quil ny avait pas de voix narrative au début du paragraphe, et quon a ainsi accès à une conscience brute. On est placé directement dans lexpérience de la perception du personnage.
YVETTE PARENT : Je vous posais la question car on se trouve ici confronté au « je » lyrique hugolien. Il y a presque confusion entre Hugo et son personnage.
MIRANDA KENTFIELD : Je crois que Hugo cherche aussi à représenter une expérience plus globale.
MARIE PERRIN : Gilliatt représente cependant une conscience bien particulière. Il est solitaire, sauvage. Il ne représente pas tout le monde.
DELPHINE GLEIZES : Jai limpression que cest parce quil y a hésitation quil y a rapport concret-abstrait, ambiguïté. Une des marques du style de Hugo est lemploi des pluriels pour désigner des entités abstraites. Hugo fait ainsi imploser labstraction qui, comptable, devient concrète.
Claire Montanari
Equipe "Littérature et civilisation du 19° siècle"
Bibliothèque Jacques Seebacher, Grands Moulins, Bâtiment A, 5 rue Thomas Mann, 75013 Paris. Tél : 01 57 27 63 68; mail: bibli19@univ-paris-diderot.fr. Bibliothécaire: Ségolène Liger ; responsable : Paule Petitier
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