Présents : Josette
Acher, Julie Bouteiller, Chantal Brière, Brigitte Buffard-Moret, David Charles,
Mireille Gamel, Jean-Marc Hovasse, Nana Ishibashi, Hiroko Kasumori, Bernard
Leuillot, Loïc Le Dauphin, Bernard Le Drezen, Claire Montanari, Yvette Parent,
Luciano Pellegrini, Sandrine Raffin, Jean-Pierre Reynaud, Myriam Roman, Guy
Rosa, Jacques Seebacher, Anne Ubersfeld, Mélanie Voisin, Vincent Wallez.
Jean-Marc Hovasse présente Luciano Pellegrini, en maîtrise à Pise, qui prépare un mémoire consacré aux Odes et Ballades.
Chantal Brière fait circuler et commente une bande dessinée dont le premier mérite est lintitulé : Hauteville House (Scénario de Duval, dessins de Gioux, aux éditions Delcourt). Le rapport entre louvrage en question et Hugo est assez lointain., mais la maison apparaît à plusieurs reprises, hantée par son fantôme . Lhistoire commence en 1864, au moment de la guerre du Mexique, lors de la proclamation de larchiduc Maximilien comme empereur. Sur cette trame historique des éléments de science-fiction sont brodés : Napoléon III souhaitant devenir maître des Amériques, les services secrets français recherchent une arme déterminante au Mexique. Les Républicains aussi, dont le lieu de rendez-vous est Hauteville House. La maison est montrée côté jardin et côté rue, la salle à manger avec la cheminée, et le look-out (par erreur représenté côté rue).
Hauteville House, tome 1 Zelda, Guy Delcourt Productions, 2004, p. 16.
Quelques autres éléments évoquent Hugo : le héros républicain sappelle Gabriel Valentin la Rochelle, ce qui autorise un nom de code formé des premières syllabes de ses noms et prénoms. Il ne cache pas que Victor Hugo sen est souvenu pour un des personnages des Misérables qui trouve la mort sur les barricades en 1848. Au passage, lhéroïne glisse dans une conversation : « Quand la liberté rentrera, je rentrerai ».
Hauteville House tome 2 Destination Tulum, Guy Delcourt Productions,
2005, p. 12.
Chantal Brière rappelle quil existe deux lettres de Hugo, dans Actes et Paroles, qui évoquent la guerre du Mexique : lune apporte aux insurgés sa fraternité de proscrit ; lautre, du 20 juin 1867, sinscrit en faveur de la grâce de Maximilien ; elle arrivera trop tard. On y trouve tout un réseau dimages poétiques autour dun Mexique que Hugo na pourtant jamais vu.
La référence à Hugo dans la bande dessinée prouve limportance quil conserve dans limaginaire collectif.
JEAN-PIERRE REYNAUD : Les membres de la secte Cào Dai au Vietnam adorent dailleurs Hugo comme un de leurs dieux !
GUY ROSA Ils le considèrent plutôt comme un intermédiaire, au même titre que Jeanne dArc ou que Confucius, par exemple, selon la thèse sur ce sujet, soutenue il y a quelques années. Il sagit dun syncrétisme philosophico-religieux étrange, mêlant bouddhisme, christianisme, confucianisme et peut-être un peu de franc-maçonnerie. Très puissante au Vietnam dans les années 30, avec parti politique et milice, elle fit le mauvais choix : celui de la colonisation française, puis américaine. Ses dignitaires, son siège et ses plus nombreux adeptes se trouvent aujourdhui aux Etats-Unis.
Loïc le Dauphin évoque lédition 2006 du spectacle dAnne de Broca : «173 ans déjà mon amour! - Les 20 000 lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo». Chaque année depuis 1986, elle se fait la soliste dune sorte de récital amoureux tiré des lettres de Juliette, avec la ferme résolution de poursuivre jusquà ce quelle atteigne elle-même lâge de Juliette au moment où elle cessa décrire à Hugo une lettre au moins- chaque jour. Cette année la comédienne a choisi dinsister sur la souffrance et la solitude de lamante, plutôt que sur sa vivacité. Sa diction, très ralentie, donnait au spectateur une impression presque artificielle détirement de la parole, avec de spectaculaires effets vocaux, séduisants au premier abord, mais qui tournaient parfois à la complaisance, comme si elle senvoûtait du son de sa propre voix. Les passages tirés de textes de Hugo lui-même étaient en revanche plutôt réussis : le rôle que Juliette nobtint pas dans Ruy Blas, la nuit de noces de Marius et Cosette. Sur des voiles de tulle étaient projetées les images de manuscrits de Hugo.
Anne de Broca tend vers la réincarnation métempsycotique de son modèle ; elle se dit capable jouer Juliette sans lui reprendre un mot. La voici partie vers la réinvention artistique de lacte décriture.
GUY ROSA, à propos de ces lettres, trouve les hugoliens mollassons et sans ambition. Ne vaudrait-il pas mieux publier, intégralement, les lettres de Juliette que la correspondance de Lecomte de Lisle ?
BERNARD LEUILLOT objecte le nombre: plus de vingt mille.
LOIC LE DAUPHIN : Gérard Pouchain essaie, lui, de rendre compte des objets dédiés à Juliette par Hugo. Il semble quà partir de lexil Hugo lui ait plus volontiers offert des bibelots et des objets que des livres et des poèmes.
GUY ROSA : Avant lexil, il offrait pourtant déjà paravents et tableaux.
LOIC LE DAUPHIN : Oui, mais ensuite il ne lui donnait quasiment plus de livres. Il chinait beaucoup pour lui constituer son salon chinois.
JACQUES SEEBACHER : Votre exposé était plein de choses merveilleuses. Vous avez en particulier mis en valeur le terme de « révélation », qui est en effet capital, puisquil a à la fois un sens photographique et un sens religieux. Il montre que pour être réellement soi au monde, il faut paradoxalement cesser dêtre soi.
En grec, révélation se dit « apocalypse ». Le monde de Jean Valjean sécroule quand la vérité se dévoile.
BERNARD LEUILLOT : On pourrait également parler d« épiphanie ».
YVETTE PARENT : Vous avez insisté avec raison sur lhomophonie qui existe entre « buvard » et « bavard ». Peut-être pourrait-on aussi sattacher à un plan plus syntaxique et mettre laccent sur la virgule : elle signale la présence dun adjectif apposé qui a une valeur logique. Labsence darticle du titre « Buvard, bavard » donne en outre au nom une valeur dapostrophe. Tout se passe comme si lauteur sadressait à un « tu ». Le titre en lui-même semble alors elliptique. On pourrait le gloser en disant : « Toi buvard, parce que bavard, ». Il manque la suite de la proposition. Ce qui comble lellipse se trouve au cur du chapitre.
JACQUES SEEBACHER : Quest-ce dailleurs quun buvard, sinon un bavard ?
ANNE UBERSFELD : Vous avez en tout cas parfaitement montré, à travers létude du titre de ce chapitre, limportance que Hugo accorde à la matérialité du langage. La parole est à la fois matérielle et source de poésie capable de nourrir la fable. Il sagit là de deux fonctions différentes qui, au fond, sont la même. Jai beaucoup aimé ce que vous avez dit à ce sujet.
JEAN-MARC HOVASSE : Et quen est-il des autres chapitres des Misérables fondés sur lhomophonie, comme par exemple « Foi, loi » ?
DAVID CHARLES : Il y en a certains que je nai pas évoqués car ils ne se rattachaient pas immédiatement à mon angle dapproche. Je ne voyais pas dans le contenu de ces chapitres de rapport avec la paronomase présente dans les titres. Les jeux de paronomase sont néanmoins nombreux dans Les Misérables.
JEAN-PIERRE REYNAUD : On peut se poser la question de la matérialité de lobjet. Hugo dit que le buvard était ouvert. Il sagirait donc dun sous-main, et le fait de le fermer aurait permis sécher lencre.
DAVID CHARLES : Jai fait plusieurs essais pour me rendre compte de la complexité du système mis en place par Hugo. Il présente la scène comme évidente et naturelle ; en réalité, elle est en réalité très artificielle, plus exactement « construite ».
JEAN-PIERRE REYNAUD : Vous avez dit que la lettre de Cosette se rapprochait du poème. Elle semble pourtant dune extraordinaire platitude. Tout se passe comme si elle ne pouvait pas dire lamour. Marius est poète, Cosette non. Peut-être Hugo sinspire-t-il de son ancienne correspondance avec Adèle. Il sest parfois plaint de la froideur de ses lettres. Plus tard, il la comparée à une blanche colombe qui déchire le cur.
DAVID CHARLES : Ce qui constitue le poème, dans « Buvard, bavard », nest pas lénoncé, le contenu de la lettre. Cest le reflet du miroir qui fait de la lettre un poème.
JEAN-PIERRE REYNAUD : Un détail de votre exposé ma frappé. Vous dites que lon ne sait pas si Jean Valjean, en sortant de chez lui, veut sauver Marius ou le tuer. Je pense quil veut le sauver ; sil voulait vraiment sa mort, il le laisserait sur les barricades et resterait chez lui.
JACQUES SEEBACHER : Je ne sais pas si lalternative est si présente que cela à son esprit. Il a, à ce moment du chapitre, un mouvement instinctif, mais la parole disparaît. Jean Valjean va au sang. Sait-il vraiment pourquoi ?
JEAN-PIERRE REYNAUD : Il peut aussi y aller pour mourir.
JACQUES SEEBACHER : Cest finalement la révolution qui fait révélation !
Claire Montanari
Equipe "Littérature et civilisation du 19° siècle"
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