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Séance du 15 janvier 2005

Présents : Guy Rosa, Anne Ubersfeld, Jacques Seebacher, Arnaud Laster, Danielle Gasiglia-Laster, Jean-Marc Hovasse, Marieke Stein, Laurence Revol, Jeanne-Marie Trigian, Brigitte Buffard-Moret, Agnès Spiquel, Denis Sellem, Yvette Parent, Franck Laurent, Josette Acher, Bernard Degout, Florence Naugrette, Mireille Gamelle, Chantal Brière, Marguerite Delavalse, Jean-Pierre Reynaud, Nana Ishibashi, Sylviane Robardey-Eppstein, Vincent Wallez, Loïc Le Dauphin, Bernard Leuilliot, Colette Gryner, Delphine Van de Sype, Vincent Guérineau, Mlle Hiroko, M. Giraud, M. Harlay.


Informations

Publications

Guy Rosa annonce la publication toute récente de Hugo, Les Misérables,  chez Eurédit, Actes de la journée d'agrégation de la Sorbonne de... 1994. Il s’étonne de ce délai digne d’une lettre à Rodrigue mais Jean-Marc Hovasse observe que le copyright indique qu'il s'agit d'une réédition (première publication aux Editions inter-universitaires en 1994). On admire alors que le succès ait entraîné une réimpression…

 

Le même fait également circuler le dernier numéro de la revue Romantisme (n° 126) consacré aux « Prisons ». Il en recommande la lecture en particulier pour l'article de Delphine Gleizes intitulé « Les paradoxes de la cave pénale. De quelques représentations carcérales dans l’œuvre de Victor Hugo », et aussi pour plusieurs comptes-rendus où les membres de notre groupe s’encensent réciproquement. Encore qu’une lecture attentive et soupçonneuse puisse faire prendre en mauvaise part certaines observations. De Vincent Wallez par exemple sur l'édition du Théâtre en liberté donnée par Arnaud Laster en 2002 dans la collection « Folio classique » (Dénégations : Vincent Wallez ne termine-t-il pas son article sur ces mots : « Sans prétendre être une édition critique, [...] ce livre met à portée de tous des savoirs, des pistes de réflexion et même de recherche »). Jean-Marc Hovasse, lui, rend compte du cent quarantième numéro des Studi Francesi consacré à « Victor Hugo hier et aujourd'hui » : sa lecture est « nécessaire », tant les articles parviennent à « faire le point » sur les diverses questions qu'ils traitent (rien de moins, pour l'ensemble du numéro, que « la position historico-romanesque de Victor Hugo, son oeuvre romanesque et poétique, ses rapports avec ses contemporains et sa fortune en Italie » [1] ). Et aussi des actes du colloque international de Copenhague du 25 octobre 2002 « L'oeuvre de Victor Hugo entre fragments et oeuvre totale » dont il vante la grande qualité des communications[2] . Delphine Gleizes se charge du Victor Hugo 5 de La Revue des Lettres modernes consacré au  Orientales [3] . A. Laster fait un éloge d’autant plus convaincant du livre de Sylviane Robardey-Eppstein[4] qu’il en confirme les thèses par plusieurs exemples supplémentaires.

 

Annonce enfin de la parution d'un article de Colette Gryner, faisant le point sur une partie de sa thèse en cours : « Le temps, élément de structuration du recueil lyrique. Les Contemplations  de Victor Hugo », dans Die Architektur der Wolken – Zyklisierung in der auropaïschen Lyrik des 19. Jahrhunderts, Rolf Fieguth & Alessandro Martini (Hrsg.), Peter Lang, 2005.

 

Bernard Leuilliot tient à dire son plaisir et son émotion à la lecture d'un entretien avec Anne Ubersfeld paru dans la Histoires littéraires (aux éditions du Lérot) ; ce n’est pas une étude critique ; « Annie y parle d'Anne Ubersfeld ».

 

Curiosa

Florence Naugrette annonce l'ouverture récente du restaurant « Les Thénardiers » à Bonsecours ! (et distribue en preuve la petite carte publicitaire de cette gargote normande). Dans la salle (non-fumeurs) Jean Valjean, on peut consommer au choix, pour les impécunieux, le menu Fantine (15 €), pour les plus fortunés, le Javert (34 €). Le Groupe ne pourrait-il pas y banqueter, au printemps ? Les propriétaires sont tout prêts à nous recevoir.

 

En verve, elle transmet aussi la question d'un élève de CM2 : « Combien de poèmes Victor Hugo a-t-il écrit? » Le livre des records manquant à la bibliothèque, on se creuse. Arnaud Laster signale qu'à défaut d'un décompte du nombre de poèmes, on peut trouver celui du nombre de vers dans l’édition Bouvet des oeuvres poétiques complètes parue chez Pauvert. Et, emporté par l’élan, se souvenant de toutes ces choses ému, il rappelle que ce sont ces quatre volumes énormes qui ont nourri la réflexion de Michel Butor sur Hugo. Guy Rosa mélancolique ajoute qu'on y trouvait beaucoup de fragments alors inédits –bon nombre de fragments dramatiques en particulier; et Bernard Leuilliot qu'il s'agissait en son temps (1964) de la seule édition des oeuvres complètes. Il rapporte que Bouvet aurait malicieusement glissé quelques vers de son cru afin de dissuader la contrefaçon. Nous le faisons tous, involontairement parfois.

 

Arnaud Laster revient sur la discussion à laquelle ont donné lieu les brèves lectures des comptes-rendus : il déplore l'existence parfois d'une trop grande connivence entre l’auteur et le recenseur. Il souhaiterait qu’on s’en tînt à une lecture attentive, corrigeant, s’il y a lieu, ou complétant l'ouvrage : les éloges dithyrambiques comme les éreintements généraux ne servent à rien seuls les éreintements « généreux » sont utiles, nuance Jacques Seebacher, parce qu'ils sont l'occasion de mises en garde permettant d'améliorer son travail...

 

Conférences

Arnaud Laster en annonce deux  :

●      la première, organisée par Michel Bernard et portant sur les rapports entre Nerval et Hugo, aura lieu le 26 janvier à l'université de Censier, à 18 heures, salle 410. Jacques Seebacher évoque alors un article de Jacques Bony, lequel confirmerait l'hypothèse qu'il avait autrefois avancée que l'un des typographes qui ont composé Bug Jargal, signant Gérard, ne serait autre que l'auteur des Filles du feu[5] . J. Seebacher ajoute que l'examen du manuscrit — sur lequel les typographes avaient alors composé — montre qu'aux endroits composés par « Gérard » apparaissent des « points insistants » au crayon. Cinq ou six passages sont ainsi « remarqués » : ils méritent une attention particulière pour ce qu'ils peuvent apporter à la « fantasmatique » puisque c'est de cela qu'il s'agit). Arnaud Laster ajoute que Nerval fut l’auteur d’une adaptation de Han d'Islande pour le théâtre (le texte en a été publiée dans l'entre-deux guerres).

●      la seconde, table ronde plutôt que conférence, aura lieu le 7 février à l'université de Censier, à 18 heures, en salle 46. On y parlera d'Abel Hugo. Y participeront, entre autres, Jacques Seebacher (sous réserve), Arnaud Laster, Bernard Degout et Jean-Marie Thomasseau.

 

Spectacle

Arnaud Laster s’interroge sur cet Incertain Ruy Blas adapté de Hugo par A. Séguin et qui se joue à La Celles-Saint-Cloud le 28 janvier.

 

Multimédia

Ultime annonce : la sortie d'un DVD, Hugo, écriture et politique, réalisé par le CNDP sous la conduite de Mme Hélène Waysbord –voir le nouveau site du Ministère de l’Education Nationale : http://www.artsculture.education.fr/presence_litterature/hugo_berlioz/actualites/dvd.asp. Une discussion ténébreuse s’ensuit sur le peu de scrupule déontologique du CNDP quant à l’indication de ses sources et du nom de ses collaborateurs ; elle s’élargit aux aléas de la publication des textes documentaires (articles de dictionnaires par exemple) qui, une fois devenus propriété de l’éditeur sont réutilisés en tous lieux et sous toutes formes, tronqués, malaxés, déformés , défigurés. Guy Rosa conclut que le mieux est de publier sur le site du Groupe : le nom des auteurs figure en gros caractères, les textes sont scrupuleusement reproduits (parfois corrigés de quelques fautes), et ils sont lus !

 


Communication de Annie Ubersfeld : Le Corneille de Hugo (texte non communiqué)


Discussion

A. Laster : Une idée farfelue : Victor Hugo a été le nègre de M. François (c’est son nom, précise J. Seebacher, et non son prénom comme on croit) de Neufchâteau pour Gil Blas ; l'a-t-il été pour son Corneille ?

A. Ubersfeld : Non : le Corneille est antérieur au Gil Blas.

A. Laster (il fait part à l'assemblée d'une heureuse rencontre intellectuelle avec A. Ubersfeld : Don Sanche de Salinas qui apparaît dans Torquemada pourrait avoir été inspiré par le Don Sanche d'Aragon de Corneille. Il lit donc cette note de son édition du Théâtre en liberté –p. 904 ) : « John Janc n'ayant trouvé aucun modèle historique à Don Sanche, on pourrait suggérer non pas un modèle, mais un prédécesseur littéraire homonyme, en la personne du Don Sanche (d'Aragon) de Corneille, qui a pu inspirer, non seulement, comme on l’a dit, le Don César de Bazan qu'est incidemment Ruy Blas, mais aussi le Don Juan d'Aragon qu'est Hernani. Rappelons que, dans la comédie héroïque de Corneille, il ignore être le fils du roi d'Aragon, comme le Sanche de Hugo est héritier de Burgos sans le savoir, et que, sous le nom de Carlos, il est épris de la reine... Isabelle de Castille. » (A. Laster poursuit, parlant cette fois-ci de la pièce Corneille ébauchée par Hugo en 1825 :) En ce qui concerne les notes préparatoires sur Corneille pour la pièce éponyme projetée par Hugo, on peut fonder quelque espoir peut-être sur la préparation d'une édition critique de Marion de Lorme par John Janc. Enfin, la disgrâce du ministre puis son retour dans Corneille laisse penser à Salluste au début de Ruy Blas.

A. Ubersfeld : C'est le début de ces retours si fréquents dans le théâtre de Hugo. Dans Hernani, on assiste à un avènement : les changements du pouvoir appartiennent à ce motif des retours.

F. Laurent : Au chapitre des emprunts possibles, on peut ajouter celui-ci : le vers « ... Et sur leur tête essuyer nos sandales » rappelle ce vers d'Attila : « En marcherez-vous moins sur la tête des rois ».

A. Ubersfeld : J'indiquais cette possibilité dans une de mes notes (précisons qu'A. Ubersfeld n'a pas lu le texte de sa communication, mais en a fait une synthèse orale ; les notes n'ont pas été mentionnées.)

J.-P. Reynaud : A propos des réminiscences de Corneille, celle-ci, peut-être, plus incertaine, mais qui montrerait la profondeur du souvenir du dramaturge chez Hugo : le vers de Châtiments (III, 4) « Un Romain contient Rome... » rappelle celui-ci, de Sertorius (III, 1) : « Rome n'est plus dans Rome, elle est toute où je suis. »

J. Seebacher : Il y aurait un beau travail à faire sur Corneille et Hugo chez Péguy, sur l'innutrition de l'un dans l'autre et de l'autre dans l'un, sur cette constellation politiquement capitale dans les années précédant la Première Guerre Mondiale.

F. Naugrette : Je salue le travail d'Annie, sans cesse repris et perfectionné puisque la communication que nous avons entendue n'était pas celle du colloque de Rouen, qui portait sur la manière dont on jouait Corneille au dix-neuvième siècle. Pour revenir au Corneille de Hugo, il faut ajouter que le personnage de Corneille est un lieu commun au moment où Hugo songe au sien. Dès 1810, une excellente étude de Jean-Marie Thomasseau l’a montré, auteurs de vaudevilles ou de comédies mettent volontiers en scène Pierre Corneille -on compte une vingtaine de pièces- sous des aspects qui ne sont pas très éloignés du Corneille hugolien. Au colloque de Rouen, Roxane Massin a évoqué deux figures du personnage théâtral Corneille : celle qui apparaît dans l'ébauche de Hugo – le génie n'obéissant qu'à ses lois et aux prises avec les règles et le pouvoir. Celle, complètement fantasmée celle-là, d'un Corneille presque clochardisé à la fin de sa vie... Un Corneille en « poète maudit » en somme !

B. Leuilliot : Corneille ne passe-t-il pas dans le Cinq-Mars de Vigny ?

F. Laurent : En effet.

B. Leuilliot : Il y a un dialogue et un conflit entre Hugo et Vigny, par Corneille interposé : Hugo met en cause ce qu'il appelle le « féodalisme » de Vigny...[6] Ce dialogue pourrait être confirmé par la reprise d'une épigraphe de Lamennais présente dans les Odes de Hugo.

J.-M. Hovasse : Il y a peu d'articles sur les rapports entre Victor Hugo et Alfred de Vigny. Sur ce point, on peut lire l'article de Lise Sabourin dans le numéro 140 des Studi francesi.

B. Leuilliot : Cette réhabilitation de Corneille par Hugo me rappelle celle qu'opéra dans les années trente Schlumberger avec son Plaisir à Corneille (1936) .

G. Rosa : N'est-ce pas Voltaire qui a fourni la première édition des oeuvres complètes de Corneille et, je crois, sous la forme alors novatrice, parce qu’on n’en usait ainsi jusque là que pour les auteurs de l’Antiquité, d'une édition critique savante ?

F. Naugrette : On doit pouvoir trouver les sources de Hugo pour son Corneille : il faudrait interroger les dix-septièmistes.

A. Laster : Hugo a cherché un Corneille qui lui ressemble.


Communication de Jean-Marc Hovasse : La lettre à Louis Boulanger du 6 août 1835 (voir texte joint)


Discussion

A. Spiquel : Il y a, dans Toute la lyre un poème intitulé « Lettre » ; mais celui-ci est censé avoir été écrit en Champagne (en fait, à Paris).

D. Gasiglia-Laster : La « marine » qui compose la lettre à Louis Boulanger aurait-elle inspiré à Proust la description d'un tableau d'Elstir, dans A l'ombre des jeunes filles en fleur ?

A. Ubersfeld : Il faut se demander : pourquoi la « lettre » pour le poème de ? Pourquoi la demande d'une écoute ?

B. Leuilliot : Rappelons tout de même que la lettre, en poésie, c'est l'épître. C'est, depuis Boileau, une forme codifiée. Cependant, cela ne fait que déplacer la question : pourquoi l'épître ?

D. Gasiglia-Laster : Pourquoi ce besoin d'un lecteur immédiat ?

J. Seebacher : Hugo réoriente peut-être ainsi ce qu'il y a de désorientation dans le spectacle de l'océan...

G. Rosa : Je me rappelle avoir écrit un article où il était question de ce poème. Il répondait un peu à la question d’Annie en ce sens qu’on peut le lire comme une interrogation sur le rapport du regard à l’altérité : peut-on être ou s’imaginer seul à voir ce que l’on voit ? peut-on regarder seul ? (voir l’usage de la photo) La communication de J.-M. Hovasse dépasse beaucoup cette idée puisqu’elle parcourt tout le circuit de l'écriture allant de la chose vue au poème en passant par la note de carnet, la lettre, la lettre de voyage, la transposition d'art… et croisant les chemins de la figuration plastique -croquis, dessin, tableau. Mais elle la conforte et lui donne corps dans l’entrelacs des liens avec L. Boulanger, Adèle, Juliette, si on la lit seulement comme évocation de la très longue genèse du poème des Contemplations.

Robardey-Eppstein : Quel poème se termine par « Et cette grande mer est petite à côté » ?

J.-P. Reynaud : La comparaison de l'océan avec les ardoises, est-elle traditionnelle ou est-ce une  invention de Hugo ?

J.-M. Hovasse : Une invention de Hugo, certainement...


[1] « Victor Hugo hier et aujourd'hui », Studi Francesi, n° 140, Anno XLVII, Fascicolo II, Turin, Rosenberg et Sellier, mai-août 2003.

[2] « L'oeuvre de Victor Hugo entre fragments et oeuvre totale », actes du colloque international, Copenhague 25 octobre 2002, recueillis et publiés par Hans Peter Lund, Copenhague, Museum Tusculanum Press, University of Copenhaguen, coll. « Etudes romanes », n° 55, 2003.

[3] Victor Hugo 5; Autour des « Orientales », La Revue des Lettres modernes, textes réunis et présentés par Claude Millet, Paris-Caen, Minard, 2002.

[4] La constellation de Thespis. Présence du théâtre et dimension métathéâtrale dans l’œuvre dramatique de Hugo, Uppsala Universitet, 2003.

[5] Sans doute s’agit-il (la bibliographie Cassier est bien utile) de « Nerval apprenti imprimeur ? », dans Année Baudelairienne 5 : Nerval, Baudelaire, Colette : hommage à Claude Pichois, textes recueillis par Jean-Paul Avice et Jérôme Thélot, 1999.

[6] Dans l'article du 30 juillet 1826 de La Quotidienne : « Cinq-Mars, ou une conjuration sous Louis XIII » ; Oeuvres complètes, édition Massin, tome II, p. 773 et suiv

 Vincent Guérineau


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