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Séance du 11 décembre 2004

Présents : Guy Rosa, Anne Ubersfeld, Arnaud Laster, Agnès Spiquel, Jean-Marc Hovasse, Bernard Le Drezen, Vincent Guérineau, Loïc Le Dauphin, Françoise Chenet, Josette Acher, Yvette Parent, Marieke Stein, Brigitte Buffard-Moret, Stéphane Mahuet, Laurence Revol, Colette Gryner, Marguerite Delavalse, Pierre Georgel, Denis Sellem, Mathieu Liouville.


Informations

Spectacles et conférences

A. Ubersfeld fait part de ses impressions sur le Lorenzaccio qu’elle a vu au théâtre d’Issy, et qu’elle a trouvé remarquable, intelligemment fait, intelligemment coupé, puisque malgré les coupures l’œuvre complète était bien là, avec toute sa signification, en un spectacle de seulement trois heures.

 

Modeste, A. Laster hésite à s’annoncer lui-même, mais le groupe Hugo l’y oblige : il participera, le 20 décembre, à une journée Hugo-Dumas-Zola organisée par la mairie du IXe et par une association historique de l’arrondissement. Il raccrochera la biographie hugolienne à l’histoire du IXe, dans une conférence intitulée « Hugo, de la rue de Clichy au Panthéon » Hugo, rappelle-t-il, a vécu tout enfant rue de Clichy, et y est revenu de 1874 à 1878.

 

Rebondissant, G. Rosa signale qu’il a ajouté, sur le site du groupe Hugo, une page renvoyant à tous les textes critiques disponibles sur le site, classés par ordre alphabétique d’auteur.

 

Louise Bertin

A. Laster signale que janvier sera le mois anniversaire de Louise Bertin. Y aura-t-il un hommage à la musicienne ? P. Georgel s’interroge sur la nature de son infirmité, toujours voilée par des périphrases : quelle pouvait être la raison de son handicap ? Personne ne le sait précisément… Y. Parent demande si elle était aussi bonne musicienne qu’on le dit, et A. Laster répond que oui, assurément. Peut-être a-t-elle été victime de la misogynie ordinaire du XIXe siècle, particulièrement en vogue dans les milieux artistiques, et de sa filiation : le fait d’être la fille du directeur des Débats ouvrait des portes, certes, mais entrebâillées. Sa musique est originale, et elle-même est un personnage fascinant. A Besançon, en 2002, on a entendu La Esmeralda, dans une version piano-chant qui n’a même pas été enregistrée ! Pourtant, il ne s’agit pas d’un spectacle bien lourd ni bien coûteux, il aurait facilement pu tourner. L’air de Frollo, au premier acte de La Esmeralda, est superbe, très audacieux, même si toutes les mentions du prêtre, interdites par la censure (novembre 1836), ont été remplacées par d'autres mots pour la représentation et dans la partition piano-chant. Hugo avait fait semblant de ne pas comprendre pourquoi il fallait supprimer les références au prêtre, et avait proposé pour remplacer ce terme toutes sortes de noms de dignités ecclésiastiques ! Précautions fallacieuses d’ailleurs, car si on n’entendait pas le mot interdit, le texte fut maintenu dans le livret, vendu le soir de la représentation, et tous les spectateurs pouvaient le lire en écoutant ! Bien plus, certains interprètes chantaient le texte non corrigé, invoquant comme excuse le manque de temps pour intégrer les changements imposés !

Si la musique était de Louise Bertin, les répétitions avaient été dirigées par Berlioz (assez proche pour que certains suspectent l’origine de la musique de Louis Bertin), et la réduction piano-chant est de Liszt.

 

Colloques

A. Ubersfeld résume le programme du colloque « Corneille des romantiques » qui aura lieu les 13 et 14 décembre à Rouen. La première matinée sera consacrée à Corneille et ses lecteurs romantiques (Stendhal…), l’après-midi au Corneille dans le théâtre romantique, avec une communication de Georges Zaragoza sur le Corneille de Hugo ; le deuxième jour, consacré aux mises en scènes des pièces cornéliennes de 1800 à 1845, A. Ubersfeld parlera de la manière dont Hugo a « trouvé » Corneille.

 


Communication de Yvette Parent : Robert Desnos admirateur de Hugo (voir texte joint)


Discussion

A. Laster. Je voudrais contrer seulement une de vos affirmations, à propos du livret de La Esmeralda : lorsque vous dites « ce n’est pas une réussite », vous vous conformez à cette tendance venimeuse qui fait glisser, s’agissant de Hugo, de l’insuccès à l’échec. Lorsque d’autres auteurs son en cause, la défaillance du public est motif de gloire (ce sont des « poètes maudits », dit-on !) ; pour Hugo seul, l’audimat devient critère esthétique.

G. Rosa. Le texte de La Esmeralda figure-t-il dans les Oeuvres complètes  de Hetzel, en 1880 ?

A. Laster . Oui, en principe.

A. Ubersfeld. Comme vous l’avez dit, il y a bien des liens entre la poétique de Desnos et celle de Hugo, en particulier –vous l’avez seulement abordé- au niveau de l’alexandrin.

Y. Parent. C’est exact. Je n’ai d’ailleurs évoqué que certains de ces voisinages entre les deux poètes ; il y aurait beaucoup plus à dire.

A. Ubersfeld.  Aragon, lui aussi, a de l’admiration pour l’alexandrin hugolien.

Y. Parent. Dans le poème-chanson, il n’y a pas d’alexandrin : pas un seul dans Chansons des rues et des bois, par exemple, où l’on ne trouve que des octosyllabes et des heptasyllabes.

G. Rosa. Un détail. F. Laurent aurait sans doute relevé, pour la contester, votre affirmation identifiant la république au bellicisme. Jusqu’en 1871 au moins, l’idéal républicain est pacifiste.

 

A propos de la chanson « c’est la faute à Rousseau », Pierre Barbéris m’a appris un jour quelque chose d’intéressant : toutes les éditions des Misérables, disait-il, répètent que Hugo emprunte ce refrain à Chaponnière –ou à Béranger. Mais tous ces savants semblent ignorer que Balzac l’évoque dans Un Début dans la vie avec cet écart non négligeable que les textes de Chaponnière-Béranger donnent « c’est la faute de Voltaire… de Rousseau » et Balzac « c’est là faute à Voltaire… à Rousseau ». Hugo cite-t-il Balzac ou tous deux se rencontrent-ils fortuitement pour modifier le texte de la même manière ? Le texte de Balzac est d’ailleurs éclairant : «  Oscar, persuadé que les ricanements des deux jeunes gens le concernaient, affecta la plus profonde indifférence. Il se mit à fredonner le refrain d’une chanson mise alors [1817] par les Libéraux, et qui disait : C’est la faute à Voltaire, c’est la faute à Rousseau. Cette attitude le fit sans doute prendre pour un petit clerc d’avoué. »

 

B. Buffard-Moret (qui, comme le rappelle G. Rosa, vient de soutenir son HDR sur un ensemble de travaux principalement consacrés à la chanson poétique depuis le moyen âge jusqu’à la fin du XIXe siècle et qui font toute sa part à Hugo), à Y. Parent. Tous les poètes se réclament à un moment donné de Hugo, mais le virelai de Desnos, que vous rapprochez de Toute la Lyre, peut être mis directement en relation avec la chanson proprement dite (Desnos en écrit et cette forme y est courante) plus vraisemblablement qu’avec Hugo, moins intéressé à la forme « chantée » qu’à l’allure médiévale. On en dirait autant des autres formes de chanson : pourquoi invoquer la médiation de Hugo, qui n’est en rien un « parolier », s’agissant d’un poète qui, lui, a une pratique de ce métier ?

Y. Parent. En effet, entre Hugo et Desnos, il vaut peut-être mieux parler de conjonction que d’influence.

Desnos emploie peu le refrain, qui ne l’intéresse pas. Il appelle même une série de chansons « couplets », par bravade envers la forme de la chanson avec refrain.

B. Buffard-Moret. Chez Hugo, il y a loin de la chanson populaire, qu’il reproduit, dont il s’inspire ou qu’il recrée dans ses romans, à ses poèmes-chansons.

 

M. Delavalse. A propos de « l’ombre » du poème de Desnos, peut-on y voir un lien avec la « bouche d’ombre » ?

Y. Parent. C’est possible. Ce sont d’ailleurs les surréalistes qui ont redécouvert la bouche d’ombre…

M. Delavalse. Quelle est la surréalité du mot ?

Y. Parent. En ce qui concerne Desnos, cette « ombre » est liée à la sexualité, à l’inconscient ; chez lui, le désir sexuel est sublimé… La politique, dès lors, ne l’intéresse pas, et Aragon le vitupère pour cela ! Ainsi, dans Ce que Jemma pense d’Emma, la représentation de la France passe par la métaphore de la femme. La femme est toujours au centre de cette ombre, qui est la sexualité.

 

A. Laster (intéressé par les travaux de B. Buffard-Moret, qui a dû partir avant la fin de la séance). B. Buffard–Moret parle-t-elle, dans sa thèse, des musiques ?

G. Rosa. Non. Sa thèse est qu’au XIXe siècle la « chanson poétique », affaire de poètes, se dissocie de la « chanson chantée », affaire de « chansonniers ». Cela n’exclut évidemment pas la « rencontre » du poème  avec une mélodie, mais il n’est pas destiné à cela.

A. Laster. Je ne suis pas d’accord ! Bien des chansons sont faites pour êtres chantées !

G. Rosa. Ce serait plus vraisemblable si Hugo avait publié ou laissé publier des recueils de « chansons » comme font Béranger, Désaugiers, Dupont et tous les autres. Il y a cependant l’exception, tardive, de Patria ; mais B. Buffard-Moret reconnaît que Châtiments offre un cas particulier : Hugo y exploite, dit-elle, la réénonciation populaire inhérente à la chanson chantée.

A. Laster. Dans la correspondance entre Hugo et Hetzel, il apparaît clairement qu’il s’agit là d’une stratégie consciente. Mais dans certains recueils, certains textes sont faits pour être chantés, et je pense même que Hugo a écrit un certain nombre d’entre eux sur des musiques préexistantes. Des musicologues ont retrouvé un timbre pour Nouvelle chanson sur un vieil air !

P. Georgel. Pourtant, rien n’est plus vague que le mention « vieil air » !

G. Rosa. Brigitte Buffard-Moret n’est pas une ignorante. Elle sait tout cela et aussi qu’on trouve parfois chez Hugo une indication de timbre (terme qui désigne alors l’air), comme « sur l’air de Malbrouck ». Mais il faut reconnaître que ce cas est rare.

Bien sûr, il est arrivé, souvent que des textes de Hugo soient ensuite mis en musique ; mais cette preuve joue aussi a contrario : ce n’était pas toujours des textes intitulés « chanson », ni même des poèmes aisément apparentés à la chanson par leur forme (versification, mètre, refrain ou « bouclage », strophe).

A. Laster. Les cas sont très différents, le problème complexe, et tout cela reste à étudier.

G. Rosa. Pas entièrement tout de même. Beaucoup de choses sont très connues. Au XIXe siècle, les chansons ne sont pas étroitement liées comme de nos jours à une musique unique. On publie des recueils de « timbres », c’est-à-dire d’airs, disponibles pour n’importe quel texte en sorte que le même poème peut recevoir plusieurs airs.

Les pratiques des poètes et chansonniers sont variées. Béranger publie ses textes sans partition ; la musique vient après. Le seul qui écrive la musique de ses chansons est Pierre Dupont ; encore est-il aidé d’un musicien.

B. Buffard-Moret explique dans sa thèse que, pour Hugo, la chanson, c’est la vielle chanson populaire. Non sans erreurs de sa part, partagées par tous : plusieurs de ces formes anciennes réputées populaires proviennent en réalité de poètes. Dès le XVIe siècle, on fabrique des « chansons populaires anciennes » qui sont en fait des formes savantes. On en emprunte aux grands rhétoriqueurs ! « J’ai du bon tabac » est l’œuvre d’un poète du XVIIIe siècle, Lattaignant ! Hugo accède souvent à ces chansons par le biais de la Renaissance – comme dans les Ballades.

P. Georgel. Comment définir la chanson populaire ? Comme une chanson créée par le peuple, ou « consommée » par le peuple ? Plutôt la deuxième solution, car, au XIXe siècle du moins, la chanson est un produit hautement contrôlé.  On la trouve dans le peuple, certes, mais elle ne relève pas d’une esthétique populaire, mais plutôt d’une représentation, par l’élite, du peuple et de l’esthétique populaire.

 

P. Georgel, à Y. Parent. Vous avez dit que Desnos s’inspire de la forme de la complainte. S’agit-il d’une forme caractérisée par l’absence de mètre régulier ?

Y. Parent. Non. Cette forme se caractérise par son contenu. A la fin du XIXe siècle, elle devient un fait divers chanté par le peuple, un récit chanté, donc, et sans refrain. D’ailleurs, le refrain, au départ, n’est qu’une itération, souvent intégrée à la strophe. C’est progressivement qu’elle s’en désolidarise.

G. Rosa. Pour définir la chanson et déterminer si un texte peut être appelé « chanson », B. Buffard-Moret se base sur la métrique et la versification. La question n’est pas simple. Les chansons se présentent comme un continuum susceptible de découpages différents, non seulement au niveau de la strophe (le blanc n’existe que sur le papier et le refrain ne tire pas d’affaire car il manque souvent ou change au cours du texte ou peut se lire comme « bouclage » strophique) mais même du vers : beaucoup d’éditions donnent pour vers de 12 syllabes ce qui peut être analysé comme deux vers de 6 –ou un de 8 et un autre de 4, etc. Ces questions de métrique demandent une certaine compétence et mieux vaut ne pas en trancher sur des impressions : on est très vite disqualifié.

Y. Parent. Plutôt que de déterminer par des études compliquées si un poème est ou non une chanson, il faut croire ce que disent les auteurs. Si Hugo affirme que tel de ses poèmes en est une, pourquoi dire que non !

G. Rosa. A l’unique exception de Châtiments Victor Hugo ne dit pas que ses poèmes sont destinés à être chantés et, encore une fois, il ne les publie pas comme le sont les œuvres des chansonniers. Certes, le titre en qualifie plusieurs comme « chanson » mais, dans un recueil de poèmes, il y a chance que cela désigne une tonalité poétique et non une destination à l’exécution. Le titre même des Chansons des rues et des bois est ambigu et l’extrême rareté, dans ce recueil, des pièces métriquement apparentées à la chanson conduit à penser qu’il faut l’entendre comme ce que chantent les rues et les bois (sans qu’aucun Virgile leur ait appris à faire résonner le nom d’Amaryllis), et non qui y est chanté.

 

Y. Parent. Si les auteurs souhaitent appeler leurs poèmes « chansons », ils en ont le droit, et il faut accepter que cela ne désigne pas forcément la « chanson chantée » ! Il faut savoir distinguer le « chanté » de la « chanson ».

G. Rosa. Tout à fait d’accord. Il ne faut donc pas prétendre que Hugo, avec Les Chansons des rues et des bois, fait concurrence à Béranger –cela s’est dit - : elles ne sont pas faites pour être chantées (et ne l’ont d’ailleurs pas été).

Y. Parent. Parce que le chant y est intégré, le poème-chanson est un art complet qui se passe de mise en musique. Desnos, lui, fait deux choses différentes : des chansons populaires (chantées), pour faire plaisir à un public, et des poèmes-chansons, qui ne sont pas faits pour être chantés.

A.Laster. Prévert, très proche de Desnos, n’était pas un parolier et pourtant il a fait beaucoup de chansons. « Les Feuilles mortes » est la seule qu’il ait écrite sur une musique préexistante, qui était de Kosma, composée pour un ballet dont Prévert avait écrit l’argument.

G. Rosa. Les compositeurs qui ont mis en musique des textes de Hugo étaient de grands musiciens. Mais les gens du commun pouvaient-ils chanter ces choses-là, sans avoir fait d’études musicales ?

A. Laster. Oui. D’abord, dans les familles bourgeoises, on cultivait le chant, la voix. D’autre part, on transposait des morceaux difficiles en mélodies plus simples.

G. Rosa. D’après le journal d’Adèle, à Marine Terrace, la famille et les proches chantent du Hugo.

S. Mahuet. En effet, et Adèle a même créé des mélodies.

A.Ubersfeld. Quand j’étais petite, la bonne me chantait une chanson patriotique et guerrière, anti allemande : « Ils nous ont tout pris, tout pris, jusqu’à notre petit lit… ». C’était vers 1921. Sans doute ce texte est-il bien antérieur …

A. Laster, entendant, croit reconnaître du Debussy. Plus tard, une amie musicienne et musicologue ayant rejoint le groupe, sa science rendra justice à l’oreille d’Arnaud : il s'agissait du Noël des enfants qui n'ont plus de maison, datant de 1915.

 Marieke Stein


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