Présents : Guy Rosa, Yvette Parent,
Jacques Seebacher, Jacques Cassier, Arnaud Laster, Jean-Marc Hovasse, Claude Malécot,
Georges Mathieu, Ruschka Haglund, Sandrine Raffin, Bernard Leuilliot, Agnès Spiquel,
Ludmila Wurtz, Domitien Bayle, Marguerite Delavalse, Marieke Stein, Olivier Decroix,
Françoise Chenet, Josette Acher, Vincent Wallez, Denis Sellem.
Le Groupe Hugo apprend avec joie la naissance du petit Antoine, fils de Myriam Roman, né le 6 janvier. Les hugoliens sont ravis de voir sagrandir leur descendance.
G. Rosa félicite Adobe Photoshop Elements 2.0 de la qualité des photographies, retouchées, qui accompagnent la communication de Victoria Tébar (sur le site, pas dans le fichier joint par mail). Il exprime la même satisfaction au sujet de la fréquentation du site Internet du Groupe, en constante augmentation. Contrairement à ce quil simaginait, ce ne sont pas les outils « pointus », la chronologie Massin et la bibliographie Cassier interrogeables, qui sont les plus demandés, mais la bibliographie Cassier par liste et les textes des articles et communications. Ce sont souvent, semble-t-il, ceux qui concernent des uvres au programme dans les lycées ou aux concours : Le Dernier Jour dun condamné Ruy Blas, Hernani et les Contemplations. Le théâtre, dune manière générale, provoque des affluences. Ludmila aussi bat des records, mais si les statistiques du web étaient le bon critère, elle regretterait de sêtre donné tant de mal depuis tant dannées : elle triomphe avec son « Etat des recherches Les interlocuteurs de la poésie lyrique de Victor Hugo », entendu en 1995.
Il ajoute que la mise à jour de bibliographie Cassier, comprenant lannée 2003, est faite et en ligne : elle comporte 23 965 notices et 3060 pour les livres de Hauteville-House (après un travail considérable de confrontation des différentes listes et inventaires).
Y. Parent sinterroge sur la source dune citation trouvée, dit-elle, en tête dune lettre de Hugo : « Jattraperai Pégase et je le ferai cuire. » J-M. Hovasse la connaît : elle est extraite dun quatrain, dans un Carnet de lépoque de la Commune (Voir dans la collection « Bouquins », le volume « Voyages ».)
F. Chenet sinterroge sur un vers lu sur le bandeau dun recueil de Michel Leiris, Nuits sans Nuit : « Les méduses du rêve aux robes dénouées. » Cette fois, cest D. Bayle qui identifie du tac au tac la source : Dieu.
G. Rosa suggère pour la solution de ce genre dénigmes dutiliser Frantext, accessible gratuitement pour Hugo seulement (adresse et lien sur le site) voire de chercher le vers sur Google : ça marche souvent.
A. Laster annonce la reprise de LIntervention, spectacle de 2002 mis en scène par Didier Moine, au Théâtre des Trois Bornes, une toute petite salle de la rue de la Pierre levée. (Représentations mercredi et jeudi, à 21h, jusquau 10 avril.) Une très bonne interprétation, sans fioriture, avec une Eurydice intelligente et fine.
Le CRDP de Lille vient déditer une vidéo intitulée « Jeunesse dHernani », à linitiative de Françoise Gomez, autour de la mise en scène dAnne Delbée. La vidéo présente aussi des archives : lectures de la pièce par Vitez, interview dAurélien recoin Dommage seulement, murmurent certains, que cet Hernani ait été si mauvais.
J. Seebacher rend hommage à lexposition Rodin Hugo, qui sachève à la Maison Victor Hugo. Lexposition méritait visite, mais aussi la Maison, entièrement et magnifiquement refaite et dont Madame Molinari peut légitimement être fière.
Une correspondance Victor Hugo - Georges Sand, présentée par Danielle Bahiaoui, vient dêtre publiée au titre du centenaire Sand. Au sujet de Georges Sand, J. Seebacher rapporte la découverte quil a faite dun numéro du Diable de Paris contenant trois articles de G. Sand. Ces articles sont essentiels pour comprendre ses positions sociales et politiques au début des années 1840, en particulier lun deux, dune extraordinaire force polémique, à propos dune exposition, à Paris, dIroquois de lIowa.
B. Leuilliot : Jaime que lon sintéresse aux Odes et Ballades, texte inépuisable, derrière lequel on sent partout Chateaubriand. La définition de lode est problématique chez Hugo : lode, cest le modèle de la poésie lyrique, de lexaltation, elle ne doit pas être narrative. Mais comment faire pour sexalter sans raconter lHistoire ?
G. Rosa : Surtout quand cette histoire nest pas exaltante
J. Seebacher : Vous avez parlé dune Bible dans la chambre de la grand-mère, dans lode du même nom ; ne sagirait-il pas plutôt, la présence dune Bible étant rare chez les catholiques, dun évangéliaire?
B. Leuilliot : Ce poème fait penser, par langle de la description, à Regard jeté dans une mansarde.
J. Seebacher : Jai toujours été perplexe devant la préface des Odes de 1822, dans laquelle Hugo écrit que « lhistoire des hommes ne présente de poésie que jugée du haut des idées monarchique et des croyances religieuses. » Un vrai légitimiste aurait parlé des opinions, réalités ou institutions monarchiques, et un vrai catholique des vérités religieuses. Hugo apparaît comme un bien étrange légitimiste, qui déjà penche plutôt du côté des masses. La monarchie veut lunité du pouvoir et de lordre : que signifie ce pluriel des idées monarchiques ? Quant au terme « croyances », il renvoie à des phénomènes psychosociaux affectant les populations plus quà la Foi ou à la Révélation. Cest le caractère social de la religion qui intéresse Hugo : le fait quil existe des populations qui croient. Dans la matrice des Odes de 1822, il y a le sentiment profond dun peuple de Dieu et du peuple de France, auquel Hugo oppose la bourgeoisie destructrice de monuments et partageuse de terres
F. Chenet : Des fragments regroupés sous le titre « Faits et Croyances », dans Océan, vont dans ce sens : la religion est un ensemble de croyances, et non une vérité obligée.
G. Rosa : Dans la préface de 1822, Hugo distingue les « émotions de l âme » (objets dune poésie personnelle sur laquelle O. Decroix a raison dattirer lattention ) et les « révolutions dun empire ». Curieuse formule qui combine astucieusement la Révolution et lEmpire, mais oublie la Monarchie. Celle-ci se voit réduite à des « idées » ; seuls lEmpire et la Révolution forment la vraie matière historique.
Jai plusieurs compliments à faire à O. Decroix. Jaime bien lidée que « la royauté de lart trouve le sens que perd lart de la royauté ».
O. Decroix : Je ne revendique pas la paternité de cette idée [modestie approuvée]
G. Rosa :Et pourquoi ? Bénichou ne dit pas dans Le Sacre du poète que le poète devient roi parce que le roi a perdu sa tête !
Par ailleurs, le rapprochement fait entre lode Le Sacre de Charles X et la ballade La Ronde du Sabbat, la seconde étant lenvers de la première, est une idée bouleversifiante ! Le rapprochement mérite discussion, mais il est impressionnant.
Votre idée générale, sur la complexité de la composition du recueil et sa valeur de sens, nest pas moins intéressante ; le plus souvent, on ny prête guère dattention et il nest pas évident que, bien avant les Contemplations, le recueil des Odes et Ballades soit le premier construit. En particulier lidée que les ballades répondent aux odes et dialoguent avec elles, en un assemblage qui nest pas du tout fortuit, rompt agréablement avec lidée commune selon laquelle, loin de se répondre, les Ballades et les Odes ne font que sopposer, Victor Hugo juxtaposant les deux formes, majeure et mineure, par provocation (à la manière du titre des Petites Epopées), ou confort éditorial.
J-M. Hovasse : Javais pour ma part vu dans ce choix dédition une réaction contre ce que disait Lamartine à Hugo, car Lamartine, admirateur des Odes, avait vertement critiqué les Ballades. On peut interpréter ce choix comme une stratégie littéraire de distinction.
O. Decroix : Larticulation des odes et des ballades est explicitée dans une ode de 1826 ou 1827, où Hugo dit à peu près quil abandonne les odes pour passer aux ballades.
G. Rosa : Mais vous faites remonter beaucoup plus haut le dialogue entre elles.
J. Seebacher : Lorsquon étudie les Odes, on pourrait sinterroger sur la bipolarité Lamennais/Montalembert, qui sont deux objets de fascination pour Hugo à cette époque.
O. Decroix : Jaurais pu préciser davantage que le thème de certaines ballades répondent à la mode « frénétique », mode qui apparaît dans le frontispice du Sylphe, ou de La Ronde du Sabbat. Cette mode dit quelque chose sur les Odes, mais aussi sur lévolution dune société, et bien sûr dun écrivain. Quand je parle de mode, je ne veux pas parler de thèmes purement formels quaurait utilisés Hugo, mais bien de moyens de sens.
G. Rosa : Je retiens aussi votre idée quil y a dans les Odes un malaise profond envers lhistoire. Elle ne va pas de soi : la Restauration pouvait être pensée comme un immense événement historique (puisque après tout, en 1815, la « chaîne de lhistoire » semble se renouer, après lintermède révolutionnaire) ; Hugo ne la représente pas ainsi ; les Odes expriment davantage le sentiment dun vide de lhistoire, doù une contradiction entre un Je prêt à la célébration et une histoire qui ny donne pas matière. Cela rend compte, peut-être, de la difficulté de la lecture de ces poèmes, obscurs, contournés, au point quon les croirait maladroits et quon le mettrait sur le compte de la jeunesse si les Ballades ne prouvaient le savoir faire de Hugo.
J.-M. Hovasse : Pas que les Ballades, les odes à thème personnel également.
B. Leuilliot : On parle beaucoup des odes au père ; mais dautres odes, consacrées à la mère, comme Au Vallon de Chérizy, sont essentielles.
Jai toujours admiré la précocité et la profondeur des formules desthétique de la préface : « La poésie, cest tout ce qu il y a dintime dans tout. » Cest très juste ! Et magnifique !
G. Rosa : Mais susceptible de tant de sens que cela nen comporte aucun de sûr.
J. Seebacher : Elle signifie que tout est poétique, à condition quon aille le chercher, que la pépite est au centre de tout.
B. Leuilliot : Formuler ça à vingt ans, cest énorme !
G. Rosa : Je préfère « [ ] marche en rêvant au bruit des empires qui tombent. » où dailleurs on ne perçoit guère les « idées monarchiques ».
B. Leuilliot : A propos de la tête de Christ, cassée par les travaux du sacre sur la cathédrale de Reims et récupérée par Hugo, il existe un volume de Pierre Miquel, Du Sacre au cabaret, où il cite une phrase des Carnets disant que les royalistes vus de près sont peu ragoûtants. Ce propos montre quil a assez vite tourné le dos au catholicisme et au légitimisme
J. Cassier : Oui, on trouve ce propos dans un Carnet Lucien Gros, entré à la BNF.
J. Seebacher : Quelle admirable maîtrise des théories de Genette ! Je suggère, en complément à votre travail, quelques prolongements étymologiques : le « chapitre » na-t-il pas quelque chose à voir avec le chapitre monastique ou cathédral, où les moines ne prennent la parole que les uns après les autres, chacun à sa place et selon sa fonction ? La chapitration des Misérables est comme une cléricature de la théorie genettienne qui démarquerait le fonctionnement ecclésial Comme une théologie de la grâce en matière littéraire
G. Mathieu : Le lien entre cléricature et chapitres littéraires est fondé ; le chapitre, disent certains, aurait pour origine la portion du texte de la vie des saints lisible, à haute voix, dans les couvents pendant le repas.
G. Rosa : Un détail. Que les élégants soient le contraire des misérables me semble infirmé par Montparnasse même si, effectivement, lélégance est fort dévaluée dans le roman.
G. Mathieu :Il est vrai que Montparnasse est soucieux délégance ; mais il nest pas désigné comme un élégant.
Y. Parent : Avez-vous fait une étude sur les chapitre 1 des différents livres ?
G. Mathieu : Oui, et pourtant je nai pas compris pourquoi il y a un seul titre pour « Javert déraillé ».
G. Rosa : Pour arriver à 365 titre. Chiffre apparemment recherché par Hugo, peut-être pour assimiler le livre à un bréviaire.
B. Leuilliot : Pourquoi parlez-vous de « chapitres » ? Ils ne sont pas désignés comme tels par Hugo.
G. Mathieu. Cest exact. Jemploie le mot parce quil était habituellement employé, mais aussi en raison du titre « Chapitre où lon sadore ».
B. Leuilliot : La numérotation en trois niveaux, parties, livres, chapitres, date de lexil ; elle est tout à fait particulière à Hugo et je nen connais pas dautre exemple. Au nombre de ses raisons entre sûrement le fait quelle permet des références au texte de forme analogue à celle utilisée pour la Bible et lEvangile.
Vous navez rien dit, devant nous du moins, des intitulés des parties. Que chacune porte le nom dun personnage ne surprend pas, plusieurs pièces procèdent de la même manière pour leurs actes. Mais la quatrième est anomique : pourquoi « lidylle rue Plumet et lépopée rue Saint-Denis» alors que le système aurait demandé « Eponine » ? Sagirait-il dune censure volontaire ? Hugo dit par ailleurs que pour lui, Eponine, cest la République
A. Spiquel : Elle est aussi, dit-il, sa préférée, secrètement.
G. Mathieu : Chaque partie du roman correspond à un âge de la vie de lhomme, à la manière des images dEpinal représentant les âges de la vie ; la première, « Fantine », est dédiée à la mère et à lenfantement ; la seconde, « Cosette », à lenfance ; la troisième, « Marius », à ladolescence ; la quatrième à lamour et à la guerre, les activités du jeune adulte ; la cinquième, « Jean Valjean », à la vieillesse
F. Chenet : Dans Les Misérables, roman pensif, M. Roman dresse une bonne typologie des titres des Misérables.
G. Rosa suggère la comparaison avec la pratique de Balzac.
A. Spiquel :Elle est instable. Balzac intitule, mais pas toujours et il lui arrive de changer de doctrine. Dans Illusions perdues, les titres des chapitres sont supprimés dans la deuxième édition : la lecture en est profondément modifiée.
A. Laster (feuilletant quelques romans) : Les pratiques semblent très variées chez les contemporains : Georges Sand ne donne pas de titre, mais note « chapitre I, chapitre II ». Les romans de Sue sont découpés en chapitres, qui ont tous des titres noms de personnages, de lieux-, mais les parties, elles, ne sont pas intitulées. Chez Flaubert, on trouve des parties et des chapitres, mais sans aucun titre
B. Leuilliot : Pour une part, les titres des chapitres des Misérables me semblent fonctionner à la manière de lillustration des livres de Jules Verne dans leur édition Hetzel : limage, souvent énigmatique par elle-même, et sa légende sibylline y précédent de plusieurs pages lépisode quelle illustre, creusant dans la lecture un trou de perplexité, que le texte ensuite ne comble jamais tout à fait. Si bien quelle reste, fixe, dans la mémoire et demeure décalée par rapport au récit. Les éditeurs actuels choisissent de corriger ce qui leur semble un défaut et placent limage en face de la page concernée ; cest fort sot.
G. Rosa : Vous avez eu raison de dire que le chapitre nest pas une unité décriture : Hugo pense et écrit plutôt par livres et lorsquil désigne une partie de son texte, ce sont toujours des livres, prévus bien avant les chapitres. Les titres des chapitres, hétérogènes au texte et ajoutés, fonctionnent donc souvent comme marqueurs esthético-ludiques. Mais Hugo respecte également un usage éditorial, en scindant en chapitres le texte trop long du livre.
B. Leuilliot : Au départ, le texte des Misérables est écrit « au kilomètre » ; en y ajoutant des titres et des chapitres, le narrateur devient lecteur de son uvre ; il existe là deux instances, successives et qui ne sont pas identiques.
G. Matthieu : Hugo prévoit demblée certaines des coupes et ménage alors un grand blanc, du tiers de la page environ. Mais il sagit de coupes correspondant plutôt aux livres quaux chapitres. Une lettre à son éditeur montre quil souhaitait que les chapitres commencent en belle page (celle de droite), et il ajoute que sil faut mettre des titres pour obtenir cette mise en page, il en mettra !
Y. Parent : Le découpage en chapitres et lintitulation permettent une dramatisation. Ainsi, la redondance du titre « Javert déraillé » impose lépisode comme un sommet narratif.
F. Chenet : Existe-t-il une continuité, ou des effets dintertextualité, entre la pratique des Misérables et celle de Notre-Dame de Paris ? Il me semble quau niveau des titres, Hugo reprend dans Les Misérables certaines pratiques de Notre-Dame de Paris, de manière ludique ou ironique.
G. Mathieu : Jai évoqué cela par allusion, ça et là, dans ma thèse. Mais je ne me suis vraiment concentré que sur Les Misérables.
V. Wallez : Doù viennent les résumés de chapitres que lon trouve dans Le Rhin ?
G. Rosa : Dune tradition du XVIIIème siècle, utilisée par Hugo de manière quasiment parodique. Le procédé le moins courant me semble être lintitulation des actes dans le théâtre.
F. Chenet : Reste donc à comparer les découpages et intitulations dans le roman, le théâtre et les recueils poétiques de Hugo.
Marieke Stein
Equipe "Littérature et civilisation du 19° siècle"
Bibliothèque Jacques Seebacher, Grands Moulins, Bâtiment A, 5 rue Thomas Mann, 75013 Paris. Tél : 01 57 27 63 68; mail: bibli19@univ-paris-diderot.fr. Bibliothécaire: Ségolène Liger ; responsable : Paule Petitier
Auteur et administrateur du site: Guy Rosa.