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Séance du 6 avril 2002

Présents : Guy Rosa, Anne Ubersfeld, Claude Millet, Agnès Spiquel, Stéphane Desvignes, Bernard le Drezen, Vincent Guérineau, Pierre Laforgue, Jacques Cassier, Jean-Marc Hovasse, David Charles, Arnaud Laster, Laurence Bertet, Florence Codet, Dominique Peyrache-Leborgne, Pierre Georgel, Florence Naugrette, Delphine Gleizes, Myriam Roman, Vincent Wallez, Denis Sellem, Josette Acher, Bernard Degout, Olivier Decroix, Chantal Brière, Matthieu Liouville, Sylviane Robardey-Epstein, Gina Marie Trigian-Moluaut, Isabelle Nougarede, Stéphane Horvath, Marine Teston, Loïc Le Dauphin, Marieke Stein.


 

Informations

Publications

Quelques-uns des derniers livres parus circulent : l'édition des Contemplations de Ludmila Charles-Wurtz, au Livre de Poche, coll. "Classiques" ;

Rictus romantiques -Politiques du rire chez Victor Hugo, de Maxime Prévost, aux Presses Universitaires de Montréal ;

Victor Hugo le philosophe, de Charles Renouvier (présentation de Cl. Millet), réédité chez Maisonneuve et Larose ;

Victor Hugo in Jersey, de Philip Stevens, réédité chez Phillimore ; Les Années Hugo, ouvrage collectif dirigé par Jacques Marseille, Larousse ;

Victor Hugo ou les Frontières effacées, textes réunis par D. Peyrache-Leborgne et Yann Jumelais, aux Presses Universitaires de Nantes, coll. "Horizons comparatistes".

 

G. Rosa présente également le livre d'Annie Ubersfeld, Victor Hugo et le théâtre, au Livre de Poche, « Album Pochothèque ».

 

Enfin, le groupe consulte deux grands « portfolios » produits par l’ADPF : Victor Hugo au cœur du monde (une feuille par nation), et Victor Hugo et ses contemporains, par  A. Laster et Danièle Gasiglia-Laster (une feuille par contemporain).

 

Cl. Millet transmet dans l'urgence (texte à remettre avant le 20 avril) la demande d'une étude sur Quatrevingt-Treize pour les éditions Ellipses (encore bien nommées, mais moins bien que lorsqu’elles s’appelaient « Ellipses-Marketing ») intéressées par le programme des classes préparatoires scientifiques (thème : la paix ; texte, entre d’autres, Quatrevingt-Treize).

 

Colloques, conférences

Plusieurs membres du groupe regrettent de n'avoir pas été informés de la soirée double « Hugo et l’exil - Hugo et la musique" organisée par la BPI (Centre Pompidou) la veille ; G. Rosa proteste : cette soirée était annoncée depuis octobre sur le site du Groupe (ne serait-ce que parce qu’y participaient J. Seebacher, F. Laurent, N. Savy et S. Aprile) et sur le site de la Culture depuis Janvier ; les dépliants l’annonçant étaient en pile à l’entrée de la bibliothèque depuis un mois. La conduite de la soirée a fait que les orateurs n’ont pu que très partiellement dire ce qu’ils avaient préparé ; le texte de S. Aprile sera mis sur le site du Groupe ; l’est déjà celui de N. Savy, « Victor Hugo et l’image de la Belgique, ou l’inverse ».

Les "absents" s'interrogent sur le sens du titre de la communication de J. Seebacher : "Hugo et la résilience poétique". G. Rosa explique que ce mot appartient au vocabulaire de la physique des solides et  désigne la capacité des corps à retrouver leur forme initiale après déformation. En psychiatrie, précise Cl. Millet, on l'utilise à propos de personnes ayant subi de graves traumatismes et qui réussissent néanmoins à reconstruire leur psyché. Ces explications achèvent de rendre énigmatique et alléchant le titre "très chic" de Seebacher.

 

A. Laster fait un bref compte rendu du colloque de Toulouse, "Hugo, le politique, le droit, la société", organisé par Josette Acher. Michèle et Jean-Claude Fizaine y participaient, ainsi que Jean Maurel, Françoise Chenet... Michel Pierre, spécialiste du bagne, y posait une question restée sans réponse : Hugo était-il hostile au travail forcé? A. Laster a d'abord répondu par l'affirmative en se fondant sur les Misérables, mais doute maintenant. Cl. Millet est du même avis : chez Hugo, il n'y a aucune idée de régénération de l'homme par le travail! M. Roman cite un ouvrage de Jacques-Guy Petit, Ces Peines obscures, qui explique que le travail carcéral se met en place dans la première moitié du XIX° siècle pour améliorer les conditions de détention par rapport au bagne ; or, les prisonniers jugeaient en fait le bagne moins dur que l’existence dans les centrales et le travail de cantonnier des bagnards préférable à celui, de type manufacturier, des prisons. G. Rosa ne croit pas que la question soit simple : dans les Misérables, le travail carcéral concurrence le travail de Fantine et, au bagne, il se nomme « la fatigue » ; reste que les visites de prison présentent le travail comme une réalité positive –Claude Gueux aussi ajoute un voix non identifiée- et que le travail est, pour Hugo, une valeur.

Parlant de colloques et conférences auxquels il a assisté ou participé, A. Laster déplore une hugophobie latente qu'il a souvent rencontrée. Il a du mal, en particulier, à dissuader les gens d'isoler telle image de Hugo à une date précise (avant les années 1849-1850 surtout) pour en déduire une représentation globale et définitive.  Même chose pour Zola : dans Les Années Hugo, chez Larousse, une page est intitulée "Zola n'aime pas Hugo". Il a commencé par envoyer à Hugo des lettres admiratives.

G. Rosa : Flagorneuses! Zola avait des ambitions. S'il y a un "tournant" chez Zola envers Hugo, qu’il se met à attaquer à partir de 1877 et de L'Assommoir, précise A. Laster, c'est parce qu'à ce moment il commence à avoir du succès et croit utile d’entreprendre de déboulonner la vieille gloire.

 

G. Rosa transmet l’appel joint à communication pour le colloque franco-hellénique sur "Victor Hugo et le monde grec, une voix universelle à l'aube du XXI° siècle" qui se tiendra à Athènes du 21 au 23 novembre.

           

A. Spiquel fait partager au groupe ses très bonnes impressions du colloque qu’elle a organisé à Amiens, fin février, sur "Hugo et le romanesque". La question du romanesque y a été très intelligemment questionnée, et traitée à partir d’œuvres de Hugo très diverses, pas seulement romanesques. Les actes de ce colloque devraient être publiés au début de l'année prochaine, chez Minard, dans la collection des "Etudes littéraires" consacrée au roman.

 

Les conférences en provinces ont des plaisirs et d’heureuses surprises. A. Spiquel a rencontré à Gandelu, dans le sud de l'Aisne, un érudit détenteur d'un cahier d'une jeune pensionnaire d’une institution catholique, chargée, en 1885, de raconter pour son école les funérailles de Hugo. Texte très intéressant, et A. Spiquel pense qu'il faudrait publier et commenter ce genre d'écrits. Ce compte rendu semble n’apporter aucune  information sur l’interprétation à donner aux cris d'enthousiasme nocturne qui sortaient des bosquets sur les Champs-Elysées.

 

Télévision, radio, cinéma

"Pour les fans", A. Laster signale le passage de J-M. Hovasse, dimanche 7 avril, à TV 5, dans l'émission "Droits d'auteur", à 11 heures. Autres invités de l'émission : J-F. Kahn  et un "hugophobe", Clément Rosset.

 

V. Wallez et A. Laster déplorent  le « coup de chapeau à Hugo » à la cérémonie des Molières, d’autant plus affreusement caricatural, qu’il n’était pas hostile. C’est le « Hugo tête de turc » de la grande tradition, occasion récurrente pour la vulgarité française, tranche Pierre Georgel.

 

A. Laster dit du bien de L'Homme qui rit de Paul Leny (1928), récemment projeté à la Maison de Radio-France. Réussite totale de son accompagnement par une musique du canadien Thibaudeau, conçue exprès. A l'Auditorium du Louvre, une musique électro-accoustique était, selon J-M. Hovasse, moins réussie.

                                                                                                                                  

Spectacles

Le collège Léo Ferré de Saint-Lys (31) présentera le 19 juin une adaptation musicale des Misérables, interprétée par sa troupe de théâtre et son atelier musical.

 

A. Laster rappelle que l’excellent Homme qui rit mis en scène par Yamina Hachemi tourne toujours en banlieue, et que le "nouveau" Marion Delorme est encore à l'affiche à Saint-Maur les 6 et 7 avril.

 

G. Rosa rapporte que le succès du concours Hugo organisé ou du moins diffusé par le CNDP –dont on pouvait attendre qu’il s’occupe d’une forme plus élaborée de la culture- a fait exploser le serveur.

Un autre concours, organisé dans le cadre du Printemps des Poètes et de la Semaine de la Langue française et de la Francophonie, proposait d'écrire un poème en utilisant dix mots du vocabulaire hugolien : "abîme, aurore, pensif, rayon, bonté, escarpement, grotesque, exil, grandir, s'effacer". A. Spiquel aimerait lire un échantillon de ce qui en est résulté.

 

P. Georgel a assisté au concours d'éloquence dont la finale se déroulait à l'Assemblée Nationale et aussi au spectacle, à la Comédie Française, sur le bataille d’Hernani, également organisé par la mission Hugo du Ministère de l’Education nationale. Trois groupes d'élèves (hypokhâgneux, élèves de quatrième, élèves de seconde) avaient préparé avec leurs professeurs des textes qu’ils disaient. Le résultat était à la fois vivant et travaillé. De manière générale, P. Georgel juge excellent le travail de l'Education nationale dans le cadre du bicentenaire.

 

Expositions

L'inauguration de l'exposition de la Maison de Victor Hugo, « « Voir des étoiles – Le théâtre de V. Hugo mis en scène » aura lieu de 12 avril ; elle sera ouverte jusqu’au 28 juillet. Celle du musée de Villequier, sur "Victor Hugo et l'enfance", se fera le 26 avril ; l'exposition sur "Hugo et la caricature" de la Maison de Balzac, ouvrira le 3 mai.

 

La BNF, les chercheurs et le "partage des tâches".

L'exposition de la BNF, "Victor Hugo, l'homme océan", a été inaugurée par le Président de la République, le 19 mars ; un site internet a été ouvert à la même date, consacré à l’exposition (la page initiale dit « En parlant de Shakespeare, Victor Hugo parle, sans le savoir, de lui et de son oeuvre ») et, plus généralement à Hugo, avec, notamment, une bibliographie parfois peu scrupuleuse : Guy Rosa s’y voit l’auteur d’un livre qu’il n’a jamais écrit mais dont il n’a pas de raison de rougir puisqu’il n’existe pas.

Il profite de l’occasion pour signaler qu’une seconde bibliographie, également due à M. Jacques Cassier, vient d’être mise en ligne sur le site du Groupe. Elle est sélective (adresser par mail les protestations à l’adresse du Groupe, qui transmettra) et se présente sous forme de listes, chacune consacrée à un secteur de travaux –« ouvrages généraux sur le roman de Hugo » par exemple- ou à un titre de l’oeuvre.

Le catalogue de l'exposition de la BNF réunit des collaborations incontestables et d’autres surprenantes : Gérard Antoine (une publication concernant Hugo si l’on en croit la bibliographie Cassier), Robert Badinter (deux préfaces), Michel Crouzet (une édition de Promontorium somnii), Jean-Claude Trichet, surtout connu comme directeur de la Banque de France. Observant que la BNF n’a guère fait appel aux spécialistes de Hugo pour les conférences qu’elle organisait, G. Rosa s’interroge sur cette convergence qui aboutit, de fait, à une sorte d’exclusion prononcée à l’encontre des universitaires spécialistes de Hugo qui participent à notre Groupe. On n’en serait pas surpris de la part des médias ou d’organismes, privés ou publics, insoucieux, par nature, de la recherche (l’ADPF du Ministère des Affaires étrangères par exemple); mais la BNF n’a-t-elle pas vocation, elle, à y participer ? Et beaucoup plus que le Musée de la Maison de Victor Hugo ou celui de Villequier, par exemple, qui, eux, n’ont pas dédaigné de faire appel aux membres de ce Groupe.

P. Georgel : Les responsables de la BNF ne la conçoivent pas comme un organisme scientifique, mais comme une institution culturelle -ce qui est mieux valorisé. La BNF se veut-elle davantage en concurrence qu'en collaboration avec les chercheurs? Moi-même conservateur de collections publiques, j'estime de mon devoir de les mettre à la disposition du public et des chercheurs. Il semble que ce ne soit pas la politique de la BNF. Les chercheurs y passent, apparemment, pour des tâcherons, bons à faire le travail mais qui doivent rester à l’arrière-plan lors des manifestations publiques.

A. Laster : S’agissant des conférences, leur liste et leurs sujets se calque étrangement sur le numéro Hugo de la revue L'Histoire. Quant à parler d'exclusion systématique des chercheurs, c'est exagérer : Jean Gaudon est un grand spécialiste! Personnellement, c'est le choix des conférenciers qui me choque le plus, parce qu'il y a là un partenariat exclusif avec une revue. Cela dit, la même chose s'est produite avec le groupe Hugo et Magazine littéraire. C'est une pratique de plus en plus courante.

G. Rosa : Remarque inadéquate, parce que le Magazine littéraire n’est pas un organisme public ni « scientifique », et fausse de surcroît : plusieurs auteurs ou interviewés du Magazine littéraire n’interviennent dans aucun des colloques organisés par le Groupe et beaucoup de ceux qui y interviendront –voire qui en partagent la responsabilité (Stéphane Guégan, Pierre Georgel, Delphine Gleizes, Claude Millet, Florence Naugrette, Nicole Savy)- n’ont rien écrit dans le Magazine. Les deux ensembles sont en intersection sur quelques noms, mais sont très loin de se recouvrir.

D’autre part je n’ai nullement dit qu’aucun spécialiste ou familier de Hugo n’avait participé au catalogue de la BNF : je sais bien qu’aux quatre signatures que j’ai signalées s’en ajoutent quatre autres, celles de Gaudon, Marie-Laure Prévost, Agulhon et de Danielle Gasiglia-Laster. J’ai seulement dit que si les éditeurs, les médias, les Ministères de la Culture, de l’Education Nationale et des Affaires étrangères et les municipalités avaient calqué leur conduite sur celle de la BNF, aucun de nous, toi compris, n’aurait cette année publié une ligne ni dit un mot. Fort heureusement, c’est l’inverse et le « casting » de la BNF fait exception.

Reste à savoir s’il avait un sens politique.

P. Georgel : Je ne le pense pas. Faire appel à des non-universitaire sert surtout à "faire chic"!

G. Rosa et Pierre Georgel : Du moins le nouveau président de la BNF, Jean-Noël Jeanneney, est-il un universitaire et un vrai chercheur, dont on peut donc espérer un changement. (Et Georgel de citer le mot de ce directeur nouvellement nommé auquel, il y a longtemps de cela, on fait visiter la salle de lecture et qui, à voir les usuels qui s’y trouvent, s’écrie : Je n’aurais jamais cru que la Bibliothèque nationale contenait tant de livres. »)


Communication de Claude Millet  : «Bloc, événement - Une représentation de l'Histoire dans l'oeuvre de Victor Hugo»  (voir texte joint)


 

Discussion

G. Rosa : Schématiquement, et pour résumer ton propos, trois motifs coexistent chez Hugo pour décrire l'histoire : l'histoire-marche, l'histoire-bloc, et la goutte qui fait déborder le vase exaspéré.

Cl. Millet : Et aussi le tourbillon, qui, comme dans Les sept merveilles – Les Pyramides [Chéops], s'intègre au bloc.

G. Rosa : J’oubliais ; effectivement, il y a la poussière, présente aussi dans le sablier et dans des textes comme L’Année 1817. Ma question est la suivante : s’agit-il de visions alternatives de l'histoire ou bien les schémas, très différents et implicitement contradictoires, que tu relèves sont-ils parfois combinés au lieu d’être seulement juxtaposés?

Cl. Millet : ... en tout cas, ils sont juxtaposés.

 

P. Georgel : Cette façon de penser l'histoire comme bloc et tourbillon se lit également dans certains dessins de Hugo. Prenons celui qui sert de frontispice à La Légende des Siècles : le bas représente la mise en poussière de l'histoire monumentale (le Sphinx, Babel qui s'effondre), et le haut représente le mouvement de l'histoire, où advient la ville, c'est-à-dire l'histoire vernaculaire, la "petite épopée".

Votre exposé me fait penser également à un groupe d’œuvres qui occupent une place dans la genèse de La Légende des Siècles : ce sont les dessins des années 1850 ; par exemple, deux thèmes courants de l'imaginaire hugolien sont présents dans le dessin Le Burg à la croix –auquel Hugo a consacré un véritable travail-, et y prennent tout leur sens : d'un côté, la nuit ; de l'autre, la vision de l'histoire bloquée. Celle-ci passe par l'image du bloc, de l'agrégat, et surtout du madrépore qui condense la paralysie, et la concrétion d'une expérience douloureuse, d'un vécu. Les dessins de 1850 ne sont pas seulement un laboratoire symbolique des Contemplations, mais aussi de La Légende des Siècles.

A. Laster : Et, évidemment, ils sont aussi une postface du Rhin.

 

Cl. Millet : Hugo n'a pas une conception unique de l'histoire. Il essaie plusieurs logiques pour représenter l'histoire ; elles se combinent et se côtoient sans être en contradiction ; ainsi l'image du tourbillon dans le bloc, incarnée par la pyramide.

G. Rosa : Peut-être, dans Napoléon le petit, l'image du dégel combine-t-elle les figures de la marche et du bloc. Le fleuve de l’histoire progresse, puis se fige et se pétrifie, et le dégel relance son mouvement. Ce processus s’opère lui aussi sans ange, sans transcendance, de manière autonome.

 

A. Ubersfeld : Quelle est la place de l'action héroïque individuelle dans la marche de l'histoire? Quel est l'effet du sacrifice? Quelle est sa part dans le mouvement général? Une promesse, l'annonce d'une utopie? Question difficile, que je pose sans en avoir la réponse.

Cl. Millet : Dans les textes que j’ai commentés, mais il y en a d’autres, l'action humaine n’est pas prise en compte. La vision de l’histoire de Hugo n’est pas toujours humaniste ; il arrive que les hommes soient emportés dans son mouvement, sans y avoir aucune part ; mais cela n’implique aucun matérialisme philosophique ; l'histoire reste soumise à une loi "physico-divine" : Dieu sait où il va ; il y a une conscience qui préside à l'emportement. En revanche, tout à l'inverse, le bloc n'est que de la matière.  Mais, dans les deux cas, tout cela s'articule mal, voire pas du tout, à l'héroïsation. De même, dans Quatrevingt-Treize, la Révolution est "l'événement-trombe", qui supplante l'action humaine.

A. Ubersfeld : Ne peut-on pas penser que l'action individuelle préfigure le refus définitif, qui est celui de la Révolution?

G. Rosa : Bien sûr! C'est d'ailleurs ce que dit Claude : les prodiges sont des actions justicières –mais ailleurs que dans ces textes-là.

Cl. Millet : Hugo oscille toujours entre deux interprétations, celle selon laquelle les hommes font l'histoire, et celle qui considère qu'ils sont emportés par elle. En tout cas, cette déshumanisation est aussi importante que la narration humaniste qu'on peut par ailleurs trouver chez Hugo.

 

G. Rosa : Tu fais un sort, à juste titre, au processus de transformation de la quantité en qualité : la goutte d’eau qui fait déborder. Toutes les accumulations ne sont pas négatives chez Hugo : dans certains textes, la Révolution est présentée comme le résultat du cumul des progrès, comme dans la conclusion de William Shakespeare, où la révolution est la somme de Descartes, Newton, Voltaire, Rousseau... c'est bien de l'accumulation, non du relais.

Cl. Millet : Dans le poème de L'Art d'être grand-père que je citais, il y a à la fois accumulation et relais.

 

A. Laster : A propos de relais, je trouve le passage du titre L'Evénement à L'Avénement du peuple très significatif!

D. Sellem : Ce changement - nécessaire pour permettre au journal de reparaître- était une idée de Vacquerie.

 

Cl. Millet : Je voudrais revenir sur les deux figures du tourbillon. Dans L'Année 1817, le tourbillon se fige dans du local qui n'arrive plus à s'ordonner : c'est la figure du vibrion.

Le tourbillon est plus impondérable que les blocs : il est de l'air, il est pénétrable -comme dans les Contemplations, où le tourbillon du bien est pénétré par le tourbillon du mal.

A. Ubersfeld : N'y aurait-il pas une dynamique du mal chez Hugo, même si elle passe par l'accumulation de crimes?

Cl. Millet : Le mal tout seul ne produit que l'entassement madréporique. Il faut une conscience -Dieu, la communauté des hommes de progrès, la nécessité de dire "Assez!"- pour insuffler une dynamique dans cet entassement. Dans La Pitié suprême, le "Assez!" de Dieu est bien un "non" d'exaspération, et non d'indignation. Il signifie un refus de la souffrance, un appel à la pitié.

 

D. Gleizes : Quelle est la représentation de la durée chez Hugo? Est-elle formée d'instants?

Cl. Millet : Le devenir, chez Hugo, est tendu entre l'éternité (exaltante) et l'immuabilité (affreuse) ; le devenir est en marche vers sa résorption finale en infini temporel. Ce processus est toujours décroché de la temporalité, comme c'est le cas dans l'image du madrépore, qui se construit, non dans le temps, mais sous le temps. Cela rejoint ce que Jean-Pierre Richard a écrit à propos de la poussière.

 

G. Rosa : Dans les années 1970, J. Seebacher rendait compte d’une partie de cet imaginaire par les figures physico-mathématiques de la surcharge, de l'asymptote des courbes hyperboliques (très employée par Hugo) et du passage à la limite : ce qui se produit, dans la résolution d’une équation, lorsque l'accroissement d'une valeur jusqu’à l’infini se poursuit mais à partir de l’infini de signe inverse. C'est cette mécanique que l'on retrouve dans la goutte qui fait déborder, ou dans l'idée (des Misérables) que Waterloo résulte de la surcharge que faisait peser Napoléon sur l'Europe.

Cl. Millet : Dans ce type de représentation, l'événement surgit de la situation même.

G. Rosa : Quant à l'exaspération dont tu parlais, j’ai bien compris qu’elle critiquait la patience dont Jospin, dans son discours de Besançon, faisait une vertu politique hugolienne. Mais on peut retourner ton argument : pas d’exaspération sans patience : elle résulte de tout ce qui a d'abord été enduré!

            A propos de toutes ces images de blocs fracturés, je signale quelques très belles lignes (car elle va vite) de Ludmila Wurtz dans sa présentation des Contemplations, consacrées à la saxifrage, cette plante qui vit de la pierre qu’elle finit par faire éclater.

 

I. Nougarede : Dans mes recherches sur l'architecture, j'ai trouvé souvent chez Hugo des représentations du vivant mêlé à du minéral, comme la masure Gorbeau des Misérables, ou la cathédrale dans Notre-Dame de Paris : à mi-chemin entre le bloc de pierre et le vivant, il s'agit de pierres qui renferment une âme. Je n'étais pas sûre de la manière d'interpréter ces figures ; maintenant, j'y vois une belle image de l'humanité, qui veut avancer mais est toujours arrêtée.

Cl. Millet : J’ajoute, à propos du bloc, que son double est la fange, matière étale et sans mouvement, image de stagnation et de mort.  Moins désespérante toutefois que le bloc, car elle est organique.

D. Charles : N'oublions pas la compacité molle : la pieuvre! le pire du pire.

La barricade des Misérables est faite du pavé minéral, mais aussi de toutes sortes de choses hérissées en broussailles... Est-elle alors un bloc ? une accumulation positive?

G. Rosa : La barricade d’Enjolras ne combine-t-elle pas les deux autres, clairement emblématiques, de 48 : l'une bloc funèbre, rectiligne, l'autre disparate, travaillée par la vie, leur ensemble faisant sens ?

Pour revenir à l'exposé de Claude, il existe deux manières de procéder lors des "cogitations thématiques" : attraper l'objet ("la pierre", « l’océan », « le lion ») et chercher son sens ou partir du sens et chercher ses images. Claude adopte, à juste titre je crois, la seconde en identifiant les imaginaires de l'histoire chez Hugo. La première aboutit à des entassements inextricables

Cl. Millet : La pierre est un fantasme chez Hugo, un fantasme qui fait penser.

A. Laster : Oui, on trouve des pierres partout! D'ailleurs, les deux titres posthumes que Hugo a préconisés sont "Océan" et "Tas de pierres"!

G. Rosa : Tous ces blocs proviennent sans doute du voyage en Espagne : cailloux des montagnes, caillou qui retient la voiture au bord du précipice, pierres calcinées des villes incendiées, caillou sur lequel Hugo se blesse au front...

 V. Wallez ou J.-M. Hovasse : et la fissure du mur à Naples!

A. Ubersfeld : Sans compter les statues qui bougent, comme celle du clown, à Heidelberg, qui gifle le passant!

G. Rosa : Au fait : A quand le monument que Hugo mérite, et Paris aussi?

                       

                                                                                  Marieke Stein


Colloque Franco-hellénique

Victor Hugo, une voix universelle à l’aube du XXIème siècle.

Le rayonnement grec

Appel à communication

Dans le cadre des manifestations à l’échelle internationale du bicentenaire de la naissance de Victor Hugo, l’Institut de Recherches Néohelléniques de la Fondation Nationale de la Recherche Scientifique, le Département de Langue et de Littérature françaises de l’Université d’Athènes et l’Ambassade de France en Grèce, organisent un Colloque franco-hellénique : Victor Hugo, une voix universelle à l’aube du XXIe siècle. Le rayonnement grec. Les travaux du colloque auront lieu à Athènes du 21 au 23 novembre 2002.

L’itinéraire spirituel de Victor Hugo et les positions adoptées face aux grandes questions de l’humanité dépassent son époque et même son siècle. Le but du colloque est d’étudier systématiquement les composantes de sa personnalité polyvalente et les différentes facettes de son œuvre : poésie, théâtre, roman, pensée politique et philosophique etc. Il s’agit également, d’approfondir la réception de sa pensée et de son œuvre dans le monde grec où son retentissement semble demeurer encore très vivant de nos jours.

Les axes thématiques du Colloque sont les suivants :

I.                       L’artiste dans la modernité

II.                     Le rêve humanitaire

III.                   Le penseur politique

IV.                   Le rayonnement grec

Les langues du colloque sont le français et le grec.

Les communications ne doivent pas dépasser les 20 minutes.

Si vous désirez participer au Colloque, nous vous prions de bien vouloir envoyer le titre de votre communication, accompagné d’un bref résumé, jusqu’au 31 mai 2002, à l’adresse suivante : Ourania Polycandrioti, Institut de Recherches Néohelléniques / FNRS, Vassiléos Constantinou 48, 116 35 Athènes, Grèce (tél. : 010-72 73 580, 010-72 73 586, fax : 010-72 46 212, e-mail : ranpoly@eie.gr ).

Le Président du Comité d’Organisation

Professeur Paschalis M. Kitromilidès

Directeur de l’IRN/FNRS

Le Comité d’Organisation

Président : Paschalis M. Kitromilidès, Directeur de l’IRN/FNRS, Professeur à l’Université d’Athènes

Vice-Président :  Dimitris Pantélodimos, Professeur à l’Université d’Athènes, Président du Département de Langue et de Littérature Françaises

Secrétaires Générales :Jeanne Constandulaki-Chantzou, Professeur au Département de Langue et de Littérature Françaises de l’Université d’Athènes; Anna Tabaki, Professeur Associée à l’Université d’Athènes /Chercheur associée à l’IRN/FNRS

Secrétaires Adjointes :OuraniaPolycandrioti, Chercheur IRN/FNRS ; Despina Provata, Université Ouverte Hellénique Trésorier : Léonidas Kallivrétakis, Directeur de Recherches IRN/FNRS

Membres :Tatiana Milioni, Professeur à l’Université d’Athènes, Vice-Présidente du Département de Langue et de Littérature Françaises, Directrice de la Section de Littérature; Walter Puchner, Professeur à l’Université d’Athènes, Vice-Président du Département d’Études Théâtrales; Jacques Fröchen, Attaché de Coopération Éducative; Alexandre Pajon, Attaché de Coopération pour le Français, Ambassade de France

 


Equipe "Littérature et civilisation du 19° siècle"
Bibliothèque Jacques Seebacher, Grands Moulins, Bâtiment A, 5 rue Thomas Mann, 75013 Paris. Tél : 01 57 27 63 68; mail: bibli19@univ-paris-diderot.fr. Bibliothécaire: Ségolène Liger ; responsable : Paule Petitier
Auteur et administrateur du site: Guy Rosa.