Présents : Guy Rosa, Arnaud Laster, Annie Ubersfeld, Sylvie Aprile, Myriam Roman, Sandrine
Raffin, Delphine Gleizes, Bernard Le Drezen, Marieke Stein, Agnès Spiquel,
Jean-Marc Hovasse, Vincent Guérineau, Delphine Van de Sype, Stéphane
Desvignes, David Charles, Armand Erchadi, Jacques Cassier, Vincent Wallez, M.
Zviguilsky, Aleth Buisson, Stéphane Mahuet, Denis Sellem, Florence Codet,
Josette Acher, Chantal Brière, Olivier Decroix, Mireille Gamel, Pierre
Georgel, Florence Naugrette, Rouschka Haglund, Colette Gryner, Dominique Peyrache-Leborgne,
Carine Fréard, Judith Wulf, Caroline Delattre, Françoise Chenet.
Le groupe accueille Sylvie Aprile, historienne, maître de conférences
à Tours, dont la thèse était consacrée à
Scheurer-Kestner, ami de Gambetta, et avec qui Hugo a été en
relation. Sylvie Aprile travaille actuellement sur les exilés au XIX°
siècle : ceux de Jersey et Guernesey, mais aussi ceux des Etats-Unis,
de Belgique, de Londres...
Est accueillie également Aleth Buisson, qui prépare une maîtrise
sur le songe et le rêve dans un corpus hugolien à préciser.
M. Zviguilsky, responsable de l'association Tourgueniev/Viardot/Malibran,
annonce pour octobre 2002 un colloque au Musée Tourgueniev de Bougival,
à l'occasion, à la fois, du bicentenaire de Hugo et de la première
publication du Chasseur de Tourgueniev. Le colloque sera consacré
aux droits de l'homme (liberté, peine demort...). Victor Hugo ne faisait
pas partie du cercle des amis de Tourgueniev (qui fréquentait en revanche
Flaubert, Mérimée, Maupassant), mais ils ont siégé
côte à côte au Congrès Littéraire International,
dont Tourgueniev était vice-président, en 1878.
Le groupe s'interroge : on sait que, durant tout le mois de juillet 1858, et plusieurs semaines encore pour la convalescence, Hugo est victime d'un anthrax... De quoi s'agissait-il au juste? Hugo aurait-il souffert prophétiquement des plaies contemporaines ? Rien à voir, assurent les intimes du poète, avec la maladie du charbon ; ce n'était qu'un gros furoncle.
F. Naugrette transmet au groupe le souhait de Mme Poirel, conservatrice du Musée V. Hugo à Villequier, d'organiser une journée d'étude sur Victor Hugo et l'enfance, en marge de l'exposition qui y sera présentée sur le même thème. Elle donnera volontiers la parole aux hugoliens du groupe que le sujet intéresserait ; Florence Naugrette les invite à se faire connaître. G. Rosa encourage : le thème est très pertinent, l'uvre le prouve mais aussi le fait que Le Livre des enfants ( ou : Le Livre des mères) fut la seule anthologie de son oeuvre poétique que Hugo ait autorisée, anthologie plusieurs fois rééditée jusqu'en 1909 (NDLR : précision tirée de la " Bibliographie Cassier ").
Le 30 novembre aura lieu une après-midi consacrée à la versification dans La Légende des siècles (première série), organisée par le Centre d'Analyse Linguistique du Discours (le groupe de recherche de Benoit Cornulier), à l'Université de Nantes. Michel Aquien et Henri Meschonnic, parmi d'autres, y participeront.
Pour l' "Université de tous les âges ", dépendant de l'Université de Picardie, A. Spiquel traitera en décembre, à Amiens et à Beauvais, du sujet "Quelques vraies raisons de fêter le bicentenaire".
A Amiens toujours, sera présenté , le 25 mars, un spectacle tiré du Petit Roi de Galice (avec, peut-être, un accompagnement musical, selon une information donnée "sous réserve" par A. Laster). Autre accompagnement du spectacle, une table ronde, où A. Spiquel parlera de La Légende des Siècles et du Petit Roi de Galice.
G. Rosa fait circuler le compte rendu de la réunion du Comité
National qui s'est tenue le 10 octobre au Ministère de la Culture,
et cela le dispense heureusement d'un récit plus circonstancié.
Car, sans doute impressionné par la notoriété prestigieuse
des participants (Maurice Agulhon, Mona Ozouf, Madeleine Rebérioux,
Michèle Perrot, Jean-Noël Jeanneney pour ne citer que les historiens...),
il n'a rien retenu de marquant. Sinon que :
- le retard du démarrage semble compensé par une fébrile
activité des personnes et des institutions : beaucoup de projets sont
en cours d'élaboration ou de préparation; certaines ont été
portées sur notre page du Bicentenaire, pour d'autres les informations
sont encore trop partielles pour qu'on puisse les annoncer;
- contrairement à ce qu'on pouvait imaginer, les uvres ont été
au centre de la discussion : Jean-François Kahn brûlait de faire
partager sa découverte de L'Ane et de Torquemada ; Bertrand
Tavernier faisait preuve d'une étonnante connaissance de Hugo et citait
tel passage de William Shakespeare, remarqué par les seuls fervents;
- on ne note aucune opposition, aucune ironie, envers Hugo, apparemment redevenu
dénominateur commun -le plus grand- de toutes les tendances politico-culturelles.
Bernard Pivot lui-même, qui n'avait pas accordé d'Apostrophes à Hugo en 1985, s'inquiète que les textes soient disponibles
en librairie dans les formats courants ;
- comme en 1985, une plaquette consacrée à la liste des manifestations
du bicentenaire est en préparation à la Délégation
aux commémorations nationales, qui dépend de la Direction des
archives au Ministère de la culture.
Un "Comité scientifique pour la célébration du bicentenaire de la naissance de V. Hugo" est créé au Ministère de l'Education nationale. Il sera présidé par J. Seebacher et sa première réunion se tiendra le jeudi 25 octobre au ministère. [NDLR : il s'est tenu, Jack Lang y a très aimablement accueilli ses hôtes, qui se sont montrés plus diserts -et combatifs- que ceux de Mme Catherine Tasca.
G. Rosa communique les nouvelles de " Bouquins " parvenues enfin
(plus d'un an) à J. Seebacher. La maison anglaise qui imprimait Hugo
a fait faillite ; elle employait un matériel spécifique, désormais
inutilisable, si bien que la réimpression est impossible et qu'on ne
peut rééditer sans tout recomposer. La maison Laffont -maintenant
sous contrôle de Vivendi Universal Publishing- n'y est d'ailleurs pas
hostile, sous réserve de subvention.
A quelque chose malheur peut ne pas être tout à fait mauvais.
La saisie devant être refaite -et subventionnée-, on imagine
mal qu'elle ne soit pas commune à l'édition papier et à
une édition électronique, exploitable par Frantext et susceptible
d'être diffusée par Gallica. La solution la plus raisonnable
et la moins coûteuse serait donc une double édition -électronique
et papier (vraisemblablement chez " Bouquins " qui a les droits,
l'expérience, etc.)- produite par un vaste consortium (BNF-Gallica
pour la diffusion en ligne, CNRS-ATILF pour une partie de la numérisation
et pour Frantext, R. Laffont, le Groupe Hugo pour l'établissement du
texte, certaines sociétés pour le reste de la numérisation
(l'ATILF n'ayant pas les moyens de l'assurer seul dans des délais convenables)-
sous le pilotage du Ministère de la culture. Cette opération
lui a été proposée et semble prise au sérieux.
G. Rosa informe que J. Gaudon fait état de la numérisation des manuscrits de la Correspondance de Hugo avec, pour quelques textes, la transcription. Un échantillon est présenté sur le site de l'éditeur responsable du projet : www.flohic.com.
A. Laster prépare une édition de La Légende des siècles (version 1883 ) dans la collection "Poésie Gallimard", ainsi qu'une édition du Théâtre en liberté, chez Folio.
Plusieurs livres circulent dans le groupe : l'album La Légende et le Siècle : Victor Hugo, de Jérôme Picon et Isabel Violante, aux éditions "Textuel" ; la réimpression de Le Roi et le Bouffon (revu), chez Corti (malencontreusement signalé comme une " nouveauté " par chapitre.com) ; la thèse de J. Acher, Exil et droit : prélude au XX° siècle, aux Presses Universitaires du Septentrion.
G. Rosa signale également le livre de Pierre Brunel consacré à La Légende des siècles.
Il indique la préparation en cours, aux Editions du Patrimoine (dépendant de la " Caisse des Monuments historiques), d'un album Le Monde de Victor Hugo sous la direction de Madame Claude Malécot, Conservateur du patrimoine. Il reprendra la formule adoptée pour Le Monde de Proust, du même auteur chez le même éditeur, qui centrait tout l'album sur le " fonds Nadar " : plusieurs milliers de clichés, pris ou tirés par les Nadar père et fils, dont le Patrimoine est propriétaire. Le Monde de Victor Hugo sera donc probablement constitué d'une galerie de portraits photographiques, de Hugo lui-même et de ses proches mais aussi de ses relations -d'ailleurs si nombreuses que toute la classe dirigeante et toute l'élite artistique pourraient y passer, ce qui rendra le choix ardu.
A. Ubersfeld s'est vu demander par Le Livre de Poche un ouvrage sur Hugo et le théâtre au XIX° siècle pour une nouvelle collection illustrée : une trentaine de pages et une importante iconographie.
A. Spiquel revient sur la reconstitution de la bataille d'Hernani à la Comédie-Française, le 3 avril, avec la participation de 3 ou 4 classes. Les Comédiens français joueront les classiques ? demande Pierre Georgel. Non, ils joueront la pièce, les élèves se chargent du chahut. La représentation ne sera pas filmée. Belle erreur historique, commente G. Rosa, puisque la seule représentation d'Hernani qui n'ait pas été sifflée fut précisément celle pour laquelle la salle avait été entièrement réservée aux lycéens et élèves des écoles.
Plusieurs lectures de La Légende des siècles (toujours réduite à la première série, peste A. Laster) ont lieu ou sont annoncées : l'une, par la compagnie "Les Enfants du Paradis", en plusieurs endroits de Paris ; une autre, par Michel de Meaulne, à la Maison de la Poésie ; et la grande lecture complète, étendue sur plusieurs soirées, par la Comédie-Française sous la conduite d'Alain Pralon.
A. Laster annonce un Mangeront-ils?, jusqu'au week-end prochain (à 21 heures vendredi et samedi), à Saint-Maur, mis en scène par Michel Dury. Parmi les acteurs, on retrouvera la Zineb de 1974!
Françoise Tillard participe à un programme sur "les Orientales mises en musiques". Les mélodies sont belles, assure A. Laster.
V. Wallez et J. Seebacher ont rencontré l'administratrice des tours de Notre-Dame et contribuent à son projet d'une exposition et de lectures offerts aux visiteurs.
A. Ubersfeld a vu La Fin de Satan vendredi soir ; le texte était mêlé d'extraits des Misérables. Elle n'est pas éblouie, mais le spectacle est honorable.
Rigoletto se joue en ce moment aux quatre coins du monde : Houston, Madrid, Stockholm, faisant ainsi connaître partout le Roi s'amuse,dit A. Laster. G. Rosa regrette cette assimilation d'une adaptation à l'uvre originale et ajoute que Hugo n'avait aucune sympathie pour ce plagiat insolvable. Imprudence. A. Laster rectifie : Hugo a protesté, en fait, non contre Verdi, mais contre le Théâtre-Italien qui refusait de reconnaître ses droits d'auteur ; il était en cela solidaire de Verdi, pas mieux traité. Bref, Hugo n'a jamais critiqué Rigoletto. Mais les légendes ont la vie dure...
Max Gallo a été l'invité de plusieurs émissions de radio (sur Europe 1, France Inter...) pour présenter sa " biographie ". On remet à janvier la discussion sur ce livre, s'il y a lieu.
La chaîne Cinéclassics rediffuse Notre-Dame de Paris (film muet de Wallace Worsley, en version sonorisée), vendredi 25 octobre à 5h30 du matin.
Florence Codet annonce la création du "quizz Hugo" sur le site Quizzweb. Les questions circulent parmi les membres du groupe et accaparent quelque temps leur attention...
La version grand écran des Misérables, le film de Robert Hossein, est en vente, dit A. Laster, pour 29fr 90. Le film est inférieur, commente-t-il, à la version pour la télévision, qui durait six heures et commençait par un ajout, discutable mais intéressant : une forte scène d'exécution capitale où Mgr Myriel était éclaboussé du sang du condamné. Le traitement de la longueur des films est souvent bien étrange, poursuit-il : tantôt les versions complètes, tantôt des abrégés d'ailleurs variables. Ainsi Les Misérables de Bille August n'a jamais été diffusé en France autrement qu'amputé d'un bon tiers ; sous cette forme, il était rythmé, elliptique, abrupt, et assez réussi. Que vaut-il en version longue?
Question posée
G. Rosa aimerait savoir dans quelle circonstance Talleyrand a dit : "Et maintenant faisons fortune, une grande fortune, une immense fortune". Le parallèle s'impose entre cette phrase et le cri de Thénardier : "Il me faut de l'argent, beaucoup d'argent, énormément d'argent." Bien des éléments du texte justifient le rapprochement entre Thénardier et Talleyrand; et l'allusion devait être aussi transparente aux contemporains que le serait à nous celle qu'il faudrait entendre si tel personnage de roman ou de théâtre était montré " sautant comme un cabri en criant : des Euros, des Euros ! "
S. Aprile : Vous avez feint d'ignorer qui
était Peabody; ne laissons pas votre auditoire sur sa faim : c'était
un réformateur social anglais, nullement socialiste mais pragmatique voire
paternaliste et dont l'uvre essentielle fut la conception et la construction
de logements sociaux.
Je suis globalement d'accord avec ce que vous avez dit, mais je voudrais ajouter
deux remarques.
D'abord, il est tout à fait exact qu'il y avait beaucoup de mouchards à
Jersey, soit envoyés de France, soit recrutés sur place parmi les
proscrits. Leur présence empoisonnait l'existence des exilés et
surtout, sans doute, par un biais qu'on n'imagine pas d'emblée mais qui
est évident et constitue un curieux paradoxe de la communication : c'est
que, petit à petit, dans le flot des discours, toujours les mêmes,
le mouchard devient la seule personne qui sache encore écouter! Est-ce
parce qu'il écoutait trop que Pierre Leroux lui-même fut un temps
suspect à Hugo; le soupçon pourrissait les relations ; c'était
pourtant une forme d'échange.
D'autre part, il ne faut, effectivement, pas voir dans l'exil une "scorie"
politique. Il a eu, vous l'avez dit, un rôle "exemplaire", mais
aussi un rôle politique direct, souvent sous-estimé. On croit à
tort que, Hugo excepté -et encore
-, les exilés furent des rêveurs
politiques, sans pensée politique précise, sans programme. En réalité,
la proscription était allée loin dans l'élaboration de certaines
questions -mais qui ne sont pas celles de Hugo : les formes que devait revêtir
l'éducation du peuple, et surtout, comme c'est le cas pour Ledru-Rollin,
toutes les questions liées au fédéralisme : la commune, la
démocratie directe ou, du moins, les modalités d'une expression
politique populaire autre que celles des institutions de la Seconde République...
G. Rosa : Ces deux questions ne sont, certes, pas centrales chez Hugo, mais il
ne les ignore pas ; il indique plusieurs fois que l'extension de la communauté
politique aux Etats-Unis d'Europe doit avoir pour contrepartie une forme de souveraineté
communale ; quant à l'éducation du peuple, c'est un motif récurrent
mais, il est vrai, plus signalé qu'approfondi.
S. Aprile : On voit par là que la Commune de 1871 n'a rien d'un épiphénomène
improvisé. Elle était largement préparée par la réflexion
politique des exilés.
G. Rosa : Motif supplémentaire de reconnaître à la pensée
de la proscription un rôle politique moteur après 1870, disproportionné
à leur nombre.
A. Laster : Pourtant, aux lendemains de la Commune Hugo n'est guère
en grâce auprès de l'opinion -et c'est un euphémisme.
G. Rosa : C'est vrai, mais cette disgrâce s'efface avec une surprenante
rapidité. Six ans après, lors de l'esquisse de coup d'Etat de
Mac-Mahon, il n'en reste rien. Cela ne vaut pas que pour Hugo. Rapporté
à l'extrême violence de la guerre civile de 71, le succès
républicain de 77-80 surprend. Les républicains non révolutionnaires
réussirent à mettre la Commune entre parenthèses... Ils
avaient l'expérience de juin 1848.
A. Laster : Tu as dit que l'Europe s'était faite par des voies que Hugo
n'avait pas imaginées et n'aurait jamais voulu imaginer. C'est inexact.
Dès 1869, Hugo indique que les Etats-Unis d'Europe se feront après
la guerre et au moyen de la guerre.
G. Rosa : Celle de 70. Mais, après la défaite, il écrit
que "le long cauchemar de l'Europe commence". Il prévoyait
la revanche, mais ne la souhaitait pas et je ne crois pas qu'il y ait un texte
où il prétende que l'avenir de l'Europe doit sortir de son "
cauchemar ". Les événements réels ont à nos
yeux -et à ceux de Hugo, je crois- beaucoup reculé les échéances.
En 1851-53, l'Europe semblait à portée de main ; la révolution
républicaine, en 1848-49, avait été générale,
européenne. Sans doute avait-elle échoué, mais en France
aussi, la contre-révolution avait suivi la Révolution sans réussir
à empêcher Juillet puis Février. La révolution européenne
pouvait, devait, resurgir victorieuse très bientôt. 1870 change
tout et reporte aux calendes grecques cet avènement de l'Europe, démenti
non plus par la répression monarchique, mais par la guerre entre nations.
Bref, je ne crois pas que Hugo ait pensé que les guerres seraient le
facteur de l'union européenne, mais plutôt qu'elle se ferait malgré
elles. D'ailleurs à juste titre et, lorsque je disais les phrases que
tu as citées, il fallait entendre " voies " au sens où
elles furent aussi impénétrables que celles de Dieu.
A. Laster : Pourtant il écrit en 1876, dans Pour la Serbie : "L'Europe
est un char tiré par des tigres". Il voyait bel et bien dans la
guerre un facteur d'union : il ne le souhaitait pas, mais le prévoyait.
G. Rosa trouve que c'est beaucoup solliciter le texte
[NDLR
qui oppose longuement
la férocité criminelle des gouvernements à la volonté
de paix des peuples et conclut par les Etats-Unis d'Europe dont la nécessité
est démontrée par l'absurde de l'horreur guerrière : "
A sa façon, et précisément parce qu'elle est horrible,
la sauvagerie témoigne pour la civilisation ." Ce que métaphorise
la dernière phrase : " L'avenir est un dieu traîné
par des tigres. "]
J. Acher : A propos du thème de la commune, et pour répondre à Sylvie Aprile, dans Napoléon le Petit, Hugo oppose à l'armée permanente "la commune souveraine". Il en a donc bien parlé. Il en parlait déjà dans Littérature et philosophie mêlées, en 1834.
M. Zviguilsky : Hugo a-t-il été réellement un homme politique?
Ne doit-on pas distinguer en lui l'écrivain génial de l'homme
politique semblable aux autres?
G. Rosa ne le croit pas. A. Spiquel observe que dès Les Feuilles d'automne,
Hugo écrit que poète et homme politique, c'est la même chose
.
A. Laster : N'oublions pas qu'il a aussi exercé de vraies fonctions politiques
: député, sénateur...
M. Zviguilsky : N'est-ce pas tout de même le poète qui permet à
l'homme politique de se manifester?
A. Laster : Si, d'une certaine manière, ne serait-ce que parce que c'est
son fauteuil d'académicien qui a permis a Hugo d'être nommé
Pair de France.
A. Ubersfeld : Il faudrait étudier le fonctionnement de l'exil dans
l'écriture de l'oeuvre. A partir de l'exil, il y a une nostalgie qui
s'écrit, surtout dans Les Misérables : Paris y est à
la fois le lieu du peuple et le lieu du souvenir.
G. Rosa : L'exil est en soi une position d'énonciation générale,
une position poétique, celle-là même par excellence de l'entreprise
romantique. Mais je l'ai assez écrit pour ne pas y revenir. Ce qui n'empêche
pas que l'exil puisse aussi être un thème.
A. Laster : Tu as dit que peu à peu, pendant l'exil, l'état d'esprit
de Hugo s'assombrissait ; mais, des " effondrements intérieurs ",
il y en chez Hugo dès avant l'exil.
G. Rosa : C'est exact. Il n'empêche que les meilleurs critiques, Fernand
Gregh par exemple, ont observé que d'une manière générale,
après l'exil, l'uvre vire au sombre.
A. Laster : Quant au fait que les Contemplations paient Hauteville-House,
c'est une légende. Le livre n'eut pas un si gros succès : Hugo
est mal vu par la presse du Second Empire, et même les admirateurs de
Hugo ne sont pas enthousiastes ; Hugo sera véritablement "retrouvé"
avec La Légende des siècles.
G. Rosa n'en croit rien. Les Châtiments ayant très peu pénétré
en France, ce sont Les Contemplations qui rendent à Hugo sa place,
encore exhaussée, dans la littérature -et dans la poésie.
Ni Baudelaire ni Gautier ne s'y trompent.
A. Ubersfeld : Pourquoi Le Cygne de Baudelaire est-il dédicacé
à Hugo? La dédicace est ambiguë, l'exilé y apparaît
"ridicule et sublime". Ces mots qualifient toute la problématique
de l'exil...
J. Acher : Dans l'introduction au Paris-Guide, Hugo parle beaucoup de
Paris comme d'une ville "universelle"...
G. Rosa : L'opération du Paris-Guide est ambiguë : elle est
apparemment nationale, voire impériale, comme l'exposition elle-même.
Hugo aurait pu refuser de faire cette préface et ne s'y décide
pas sans conditions. Qui lui permettent de retourner l'opération contre
son auteur, y compris, effectivement, dans l'appel à l'universalité..
S. Aprile : C'est là d'ailleurs un ouvrage d'exilés. C'est Louis
Blanc qui ouvre le texte ; il n'est pas seul..
A. Laster : Pour ce qui est du rapport de Hugo avec les Italiens, ils sont
très compliqués. Tu as dit que Hugo parle, en privé (dans
le Journal d'Adèle, sans doute?) des torts de Mazzini. Pourtant
Mazzini était opposé à l'idée de pactiser avec Victor
Emmanuel et Napoléon III.
G. Rosa : A un moment, pourtant, Mazzini a accepté l'accord, moins nettement
que Manin, bien sûr. Les deux hommes ne font pas le même choix politique.
Mais dès lors qu'était admis le principe Italia fara da se,
d'ailleurs ambigu, l'unité de la nation l'emportait sur l'Europe et,
du même coup, sur la République. Le compromis, sinon la compromission,
avec la monarchie sarde était inévitable dès lors qu'on
renonçait à l'idée d'une révolution européenne.
Cela, Hugo le voit très bien. Mais comment s'opposer au droit des peuples
à disposer d'eux-mêmes ?
S. Aprile : Ces histoires sont tellement compliquées qu'il faudrait les
étudier au jour le jour et dans toutes leurs dimensions. Par exemple,
s'il est vrai que la plupart des militants de l'unité italienne penchent
vite vers la solution proposée par Cavour et Victor-Emmanuel, il l'est
aussi que les plus radicaux des exilés, du moins en Angleterre, sont
les Italiens. Ce sont eux qui exécutent des attentats en France.
Quant à la triade Mazzini, Kossuth, Hugo, il n'est pas certain qu'elle
soit significative d'autre chose que d'une imagerie. Les textes, les formules,
les gravures adorent les trinités. En fait, les liens entre Hugo et Kossuth
sont inexistants et Kossuth ne s'intéresse pas aux Français ;
c'est ce que Hugo ne comprend pas.
A. Laster : La question de l'idée républicaine espagnole est
tout aussi compliquée : la Junte offre d'abord à Hugo de venir
en Espagne, puis retire l'offre. Que s'est-il passé entre-temps? C'est
un mystère.
S. Aprile : Oui, c'est très compliqué ; et personne ne s'y intéresse
vraiment. A un certain moment, les exilés ont cru que le salut viendrait
de l'Espagne. C'est ainsi que ceux de Jersey ont, un jour, envoyé l'un
des leurs en Espagne pour y apporter le concours de la proscription. Ca n'a
été qu'un projet, de courte durée. Il y a en eu plusieurs
autres du même type, liés à différents pays, et qui
n'ont duré que quelques semaines, quelques mois.
Au reste, vous forcez sans doute le trait en représentant les révolutions
de 48-49 en Europe comme essentiellement républicaines et déjà
tournées vers les Etats-Unis d'Europe. Kossuth, si national qu'on pourrait
le dire nationaliste, n'a jamais été républicain.
G. Rosa : Il me semble tout de même qu'en 1848-1849, les insurrections
luttaient contre des monarchies, et ne cherchaient pas à remplacer leurs
princes par d'autres -comme il fut fait, plus tard, lorsque l'esprit national
l'emporta sur l'esprit républicain. Je ne sais pas grand chose sur Kossuth,
mais il me semble que le premier geste des insurrections de 1848-49 fut, partout,
de mettre en place une assemblée élue.
S. Aprile : En fait, la république est en débat parmi les exilés.
Ils étaient de tendances politiques différentes.
G. Rosa : Sans doute. Mais veillons à ne pas rendre les choses complètement
inintelligibles à force de prudence et d'exactitude. L'historien doit
bien conclure un jour et mettre le passé en perspective du présent.
Sinon, à quoi bon ?
A. Laster : Au Congrès de la paix, en 1869, Hugo salue les démocrates
et les socialistes.
G. Rosa : Il faut faire attention au sens des mots, et distinguer "républicain"
de "démocrate". Le Second Empire est un régime démocratique...
A. Laster : Oh! oh!
G. Rosa. : Si ! si ! Il n'y a qu'en France qu'on assimile démocratie
et république et c'est l'héritage même de la Seconde République
-et de Hugo. Partout ailleurs la distinction est faite -elle intitule même
les forces politiques aux Etats-Unis (d'Amérique). Il existe des républiques
non-démocratiques (souvent des " tyrannies ", des régimes
à leader, à parti unique, etc.) et des démocraties non
républicaines : les monarchies (il y en a autant que de républiques
en Europe), les théocraties, les empires.
A. Laster : C'est l'ignorance de ces distinctions qui amène encore beaucoup
de gens à croire que le plébiscite est un moyen de gouvernement
démocratique. En fait, le plébiscite est un moyen de gouvernement
autoritaire.
G. Rosa : Pour Hugo, -et pour à peu près tous les français
maintenant, mais ça n'a rien d'évident en soi et n'est que le
résultat du processus historique auquel Hugo a puissamment contribué-,
la république s'identifie à la démocratie, politique ET
sociale.
A. Laster : Comme le montre sa formule : "substituer les questions sociales
aux questions politiques".
G. Rosa : Pas vraiment. Au moment où Hugo donne cette primauté
au social sur le politique, sa position politique est passablement conservatrice
-l'idée était d'ailleurs d'origine clairement réactionnaire.
Ce n'est qu'à partir de 1848 que le socialisme apparaît progressivement
et non sans résistances comme consubstantiel à la démocratie
et celle-ci à la République -et réciproquement. L'Assemblée
du Luxembourg devait être au social ce que celle du palais Bourbon était
au politique. Mais tout cela n'a pas de vérité en soi, c'est une
vérité historique, c'est-à-dire construite par les historiens
Je n'en suis pas l'inventeur et ne fait que reprendre les thèses de Maurice
Agulhon. Il explique très clairement, dans sa préface à 1848, République du discours, qu'il y a deux histoires de la Seconde
République -et de toute la suite. L'une, qu'on pourrait dire, marxisto-baudelairienne,
place la coupure historique aux journées de Juin. Elles marquent le moment
à partir duquel la bourgeoisie exerce seule une domination, désormais,
" de classe ", renonce à ses anciens idéaux universalistes
et confie le pouvoir politique, selon le besoin, à n'importe quelle forme
institutionnelle (Empire, monarchie, " Etat français " ou République,
c'est tout un). L'autre, hugolienne mais Hugo n'est pas seul, place la coupure
en décembre 1851 (répétée en 1940). Cela implique
qu'à ces deux exceptions près, les conflits de classe en France
n'ont jamais été tels qu'ils ne se soient pas résolus au
sein d'une république démocratique et sociale, progressivement
fortifiée et élargie dans la résolution même de ces
conflits. On peut tenter de faire de Hugo une lecture marxisto-baudelairienne,
mais c'est lui faire dire ce qu'il ne pense pas : lui " faire un enfant
dans le dos ", ce qui n'est pas aisé. Le plus souvent, la lecture
marxisto-baudelairienne adopte, à plus juste titre, une position résolument
hostile à Hugo, tel Barbéris, et se retrouve dans une étrange
collusion avec les pensées proprement réactionnaires, enflammées
ou cyniques.
P. Georgel : Chez Hugo, c'est vrai, ces deux coupures n'ont aucune commune mesure,
mais les deux coexistent au regard de la conscience et du sentiment intérieur.
Il lui est arrivé au moins une fois, dans un poème de L'Art
d'être grand-père, de reconnaître avoir été
du mauvais côté, celui des vainqueurs, lors de la répression
de juin 1848. C'était un geste nécessaire, mais qui n'a cessé
de le hanter : juin 1848 marque le moment au-delà duquel l'innocence
est perdue et le temps venu des " complications de l'idéal "..
A. Laster : Au début de la cinquième partie des Misérables,
Hugo parle de "la fatale insurrection de juin 1848". Il donne tort
à cette "révolte du peuple contre lui-même", tout
comme, plus tard, à la Commune.
G. Rosa : Mais, Pierre Georgel a raison, ce jugement s' accompagne, dans le
texte des Misérables, d'une mauvaise conscience explicite -pour autant
que la mauvaise conscience puisse l'être.
J-M. Hovasse : Et il va encore un peu plus loin dans ce sens dans Le Droit
et la Loi.
Marieke Stein
Equipe "Littérature et civilisation du 19° siècle"
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