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Séance du 19 mai 2001

Présents : Arnaud Laster, Danielle Castiglia-Laster, Guy Rosa, Jacques Seebacher, Anne Ubersfeld, Florence Naugrette, Delphine Van de Sype, Stéphane Desvignes, Jean-Marc Hovasse, Sandrine Raffin, Josette Acher, Mireille Gamel, Gérard Berliner, Vincent Wallez, Jacques Cassier, Jean-Pierre Vidal, Sylvie Vielledent, Marie Tapié, Marieke Stein, Chantal Brière, Christiane Gumilar, Claude Millet, Ludmila Wurtz, Marguerite Delavalse, Olivier Decroix.


 

Informations

Soutenance

Agnès Spiquel vient de soutenir brillamment et avec succès son habilitation à diriger des recherches, à l’Université d’Amiens.

 

Rectificatif

A. Laster se défend d'avoir dit lors de la séance du 3 mars que Jack Lang ne connaissait pas Hugo avant le centenaire de 1985 : ci cette méconnaissance est possible (et non probable), Jack Lang s'est ensuite beaucoup impliqué dans la commémoration. G. Rosa ajoute que c'est à lui que l'on doit l'édition des Œuvres complètes chez Laffont (car il a permis les subventions et accéléré toute la procédure) ; plusieurs membres du groupe se souviennent de l'intérêt minutieux avec lequel il avait visité l'exposition de Pierre Georgel « La Gloire de Hugo », au Grand-Palais.

 

La "suite" des Misérables

A. Laster dément l'information qui circule dans certains journaux selon laquelle les héritiers de Hugo intenteraient un procès à François Cérésa et à son éditeur pour avoir écrit et publié la "suite" des Misérables. Ce procès n'est en effet intenté que par une partie de la famille des héritiers de Jean Hugo. G. Rosa, observe que, de toute manière, l'idée publicitaire semble efficace.

 

Travaux

G. Rosa fait circuler la nouvelle édition de Quatrevingt-Treize, par Bernard Leuilliot, au Livre de Poche. B. Leuilliot fait bien de rappeler, dès les premières lignes de l'introduction, que Quatrevingt-Treize s'écrit "en italiques, en deux mots, avec une majuscule à chaque mot", souligne G. Rosa. Cette édition est tout entière orientée vers l’histoire : notes sur les personnages et les faits, introduction qui retrace le parcours complet de la pensée de la Révolution dans l'oeuvre de Hugo, une très utile chronologie sur le même thème et bibliographie des sources employées par Hugo.

A. Laster offre au groupe –et à la Bibliothèque- le recueil des lettres de Juliette Drouet à sa famille, de la part de Gérard Pouchain, qui les a réunies et annotées. Guy Rosa formule tous ses remerciements (et souhaiterait bien que cet exemple soit plus souvent imité).

J-M. Hovasse a présenté il y a un mois à Brest une communication sur la discours de réception de Leconte de Lisle à l'Académie de Leconte de Lisle et l’éclairage que lui donne sa correspondance du moment. Le thème du colloque était "La Critique littéraire dans la correspondance".

 

Le bicentenaire

A. Laster revenant sur l’utilité de former une (ou plusieurs) liste(s) de spécialistes de Hugo à faire connaître aux lycées et collèges pour l'organisation d’activités liées au bicentenaire, G. Rosa fait part de sa perplexité. Cela reviendrait, dit-il, à délivrer une sorte d’autorisation. Il ne croit pas que le Groupe soit fait pour cela –surtout de sa propre initiative. Tout le monde n'est-il pas autorisé à dire de Hugo ce qu'il veut, qui qu'il soit? Quant à afficher sur le site internet du groupe la liste de ses membres avec leurs titres universitaires, il y est franchement hostile : le groupe –et c’est sa nature même depuis toujours- rapproche des hugoliens d'horizons et de statuts très divers, sans distinction d’âge, de sexe, de religion, d’origine, de métier ni de titre. Certains « amateurs » parmi nous en savent sur Hugo beaucoup plus que certains « professionnels » ; faut-il corriger les états de service par des notes ou des « appréciations » ?

A. Laster observe que, jusqu'à présent, personne n'a été nommé pour centraliser les actions du bicentenaire, sinon Jean-François Kahn pour les actions à l'étranger.

[Mais A. Laster n'en dit pas plus et l'on ignore donc par qui M. J.-F. Kahn a été nommé, à quel poste, avec quelle mission.]

Madame Hélène Waysbord, Inspecteur Général de l’Education Nationale a reçu une mission à ce titre au Ministère de l’Education, sans pour autant que soit nommé un "responsable Hugo" national et interministériel. Selon G. Rosa, il n'est plus dans l'esprit du temps de voir désigner un tel responsable. Jean Massin avait été Président du Comité national pour la célébration du centenaire  en 1985 ; il n’était pas « Monsieur Hugo ». La politique du Ministère de la Culture a changé ; elle favorise la décentralisation et entend laisser une plus grande place aux initiatives locales, sans direction de l'état..

Un comité, reprend A. Laster, a pourtant été nommé, il y a plus d'un an, pour célébrer Berlioz en 2003. Peut-être l'anniversaire de la mort de Zola et le bicentenaire Dumas, en 2002, entravent-ils quelque peu l'effort national pour fêter Hugo.

 

Les "copeaux" et brouillons de Hugo

J. Seebacher présente le catalogue de la vente à l'Hôtel Drouot où étaient proposés plusieurs « copeaux », dont certains photographiés en couverture. Matériellement, il s’agit souvent, mais pas toujours loin de là, de bandes de papier découpées dans des bordereaux d'abonnements de La Presse, le journal de Girardin. Au verso on lit parfois quelques noms d'abonnés ainsi que la date de l'abonnement (trimestriel) qui donne le terminus a quo des fragments. Le texte de Hugo, aux lignes étroites, est généralement barré d'un trait vertical, ce qui signifie qu'il a été utilisé ou recopié.

 Il est très intéressant, précise J. Seebacher, de retrouver dans les textes définitifs ces fragments ajoutés, ces "refarcissures", et de les dater. Ce travail génétique est passionnant appliqué, par exemple, à La Fin de Satan ou aux Misérables.

 

Agrégation

La Légende des siècles (première série) est au programme de l'Agrégation 2002. G. Rosa et Claude Millet rappellent que, pour les contemporains, La Légende des siècles s’identifie à la « première série », la seconde série ayant eu bien moins d'écho et ayant toujours été jugée par rapport à la première, érigée, à tort d’ailleurs, en norme.

 

Spectacles

Jean-Pierre de Beaumarchais est l'auteur du scénario d'un spectacle qui sera présenté les 16 et 23 juin, à 17 heures, au Vieux Colombier, sur les relations entre Napoléon III et Victor Hugo. Il s'agirait d'une rencontre fictive entre les deux hommes à Guernesey.  La Société des Amis de Napoléon III ayant réservé 50 places, A. Laster se propose pour organiser une « bataille ».

Le groupe commente les propos de Jean-François Kahn à "Bouillon de Culture", le 18 mai, sur la "grande partouze" qui aurait accompagné les funérailles de Hugo. On sait qu’effectivement, le temps étant beau et grand le concours de peuple, le cercueil déposé à l’Arc de Triomphe fut veillé avec ferveur. Comment faut-il l’entendre et le représenter ? c’est une autre affaire. On en fit des récits dégoûtés et canailles : Goncourt, Paul Lafargue dans La Revue Socialiste (comme il était emprisonné à cette date, on peut douter de la sûreté de son information…) et la droite, Barrès en particulier. Seul semble certain, note C. Millet, l’hommage de leur gratuité que rendirent à Hugo les prostituées parisiennes.

G. Berliner ajoute que Michel Winock, également invité par Pivot, a présenté son excellent livre Les Voix de la liberté. Enfin, le groupe apprécie que Bernard Pivot ait dit avoir trouvé magnifiques les discours d'Actes et Paroles.


Communication de Danielle Gasiglia-Laster  : «Les avatars de Claude Frollo à l'opéra» (voir texte joint) et Communication d'Arnaud Laster : «Quatre livrets d'opéra tirés d' Angelo, tyran de Padoue  (voir texte joint)


Discussion

 

Sur la communication de Danielle Gasiglia-Laster

G. Rosa (avec l’approbation de D. Gasiglia-Laster) :  Le chapitre "Ceci tuera cela" est également pris en charge dans la chanson "Le Temps des cathédrales".

J. Acher : Quand, dans l'opéra de Franz Schmitt, le personnage de Frollo dit d'Esmeralda qu'il a « sauvé son âme en la sauvant », il se rapproche beaucoup de Torquemada.

A. Laster : Inexact! Il dit avoir sauvé sa propre âme, et non celle d'Esmeralda. Contrairement à Torquemada, Frollo n'est pas altruiste!

G. Rosa : Dans "Belle" les trois personnages chantent à l'unisson –et les acteurs ne sont pas, physiquement, très différents ;  cela tend à les rapprocher et à confondre leurs trois amours, alors que chacun aime d'une façon particulière.  Hugo lie les comportements « privés » aux conduites historiques ; Plamondon les délie ; c’est la grande faiblesse du spectacle.

D. Gasiglia-Laster : Les trois voix sont pourtant très différentes.

J. Acher n’est  pas d'accord : cette chanson exprime la convergence du désir vers un même objet ; elle est dans la ligne de "Tres para una".

G. Rosa se répétant : Il y a chez Hugo des amours de dévouement, et ce sont des amours de misérables ; d'autres émanent de personnages puissants, et ce sont des amours prédateurs et destructeurs. Hugo fait la différence, on ne peut pas l’ignorer sauf à faire croire que l’amour est une chose (la même pour tous) et l’histoire une autre.

C. Millet observe que, curieusement, dans la conscience spectatrice au XIX° siècle, le texte semble l’emporter sur la vue. Le comportement de la censure en est significatif : en 1837, le texte de Hugo est censuré, mais la représentation ne l'est pas ; on remplace par un autre le mot "prêtre", mais on voit sur scène un homme en soutane qui clame son amour!

J. Seebacher  précise qu'au XIX° siècle les censeurs n'étaient pas essentiellement préoccupés d’interdire : le plus souvent, ils proposaient un texte de remplacement moins choquant.

D. Gasiglia-Laster : Hugo s'est longtemps opposé à ces remplacements ; plusieurs lettres de Louise Bertin en témoignent, où elle insiste pour qu'il modifie certains termes- et lui fait semblant de ne pas avoir entendu et ne change rien (sinon de remplacer « prêtre » par « chanoine » , « archidiacre » , « curé », « desservant », que sais-je ?)

A. Laster : Apparemment le costume de Claude Frollo a été "décléricalisé" en 1837. En effet, dans son rapport au Ministère, l'inspecteur ne signale pas que Frollo ait porté la soutane, mais il se plaint qu'à la dernière scène tout le clergé défile derrière lui, en soutane lui. Sans doute aurait-il signalé le costume clérical de Frollo, si l'acteur en avait porté un.

D. Gasiglia-Laster : Toutes ces précautions de la censure étaient bien inutiles. Le roman, paru en 1831, était encore présent dans toutes les mémoires, tous les spectateurs savaient bien que Frollo était un prêtre! Et quand ils ne l’auraient pas su, Hugo avait pris soin de rendre disponible aux spectateurs le livret non expurgé.

J. Seebacher : De quelle pathologie souffrait Louise Bertin? N'était-elle pas obèse?

A. Laster : C'est fort possible. En tout cas, elle se déplaçait avec des béquilles, sans doute à cause d'une paralysie des membres inférieurs. C'est pour cette raison qu'elle ne pouvait pas diriger elle-même les répétitions.

G. Rosa : On a chez Hugo toute une lignée de prêtres plus ou moins dangereux. Myriel est l'exception.

A. Laster : Cimourdin est sympathique, je trouve! D'ailleurs, il est présent dans cette caricature qui montre les personnages de Hugo au chevet de leur créateur mourant… Quand à Frollo, il me semble que Hugo est rétrospectivement plus indulgent envers lui qu'au moment où il crée le personnage.

A. Ubersfeld : C'est son attitude habituelle envers ses personnages négatifs : il évolue toujours dans le sens d'une plus grande indulgence.

A. Laster : Hugo fait de plus en plus de Frollo une victime et un héros en lutte contre le dogme, la contrainte. Par contre, il condamnera toujours Torquemada sans restriction.

J. Seebacher : Il y a de l'autoportrait dans le personnage de Frollo : « affreux dans le miroir », image de soi à laquelle Hugo essaie d'échapper.

Beaucoup de ces personnages, Torquemada, Frollo, ont le goût de la chair fraîche… et sont rivaux d'un amour juvénile. Ces amours ont une portée polémique : Hugo condamne la façon dont ces vieillards légitiment leur désir en le "cléricalisant", en parlant de "sauver les âmes". Cette interprétation ne doit pas en cacher une autre : dans Notre-Dame de Paris, Frollo craint en Phoebus la montée du pouvoir de l'état.

A. Laster : Et avec le personnage de Torquemada, Hugo dénonce un pouvoir théocratique.

A. Ubersfeld : Le cas de Frollo pose un problème particulier, qui va au-delà de la jalousie ou du désir triangulaire : son interdit est intérieur.

J. Seebacher : Dans le personnage de Frollo Hugo défend la thèse libérale d'alors en faveur du mariage des prêtres ; elle est sous-jacente à plusieurs affaires judiciaires (Mingrat, meurtrier de la femme enceinte de lui) :  le mariage, qui n’est pas criminel, éviterait aux prêtres non pas de se conduire comme les autres –ce qu’ils font déjà- mais d’ être conduits à de plus grands crimes par la culpabilité qu’ils en éprouvent.

G. Rosa : Je crois deviner qu’on confond ici –comme Hugo lui-même peut-être- vœu de célibat et vœu de chasteté. Les prêtres ne prononcent que le premier ; seul le clergé régulier, sœurs et moines, prononce le second.  Au regard de la fornication, les prêtres ne sont pas plus coupables que vous et moi.

Une discussion s’engage sur ces questions de théologie morale et de droit canon.

 

Sur la communication d'Arnaud Laster

G. Rosa : Tu aboutis à la même conclusion que Danielle : l'adaptation la plus récente est la plus fidèle, ce qui est logique dans la mesure où la censure s'affaiblit, mais ce qui étonne puisque la compréhension de l'œuvre devrait diminuer à mesure que le temps accroît les écarts idéologiques.

A. Laster : L'adaptation de Bruneau est la plus récente, mais elle est aussi la seule en langue française. De plus, l'œuvre de Hugo n'étant pas encore tombée dans le domaine public à cette date, il n’est pas exclu que Bruneau ait été ou se soit senti obligé de rester fidèle au texte. Je me demande tout de même si l'opéra de César Cui ne serait pas plus fidèle sur la durée, plus proche de Hugo tel qu'il a évolué après Angelo.

Quant à la qualité de la musique, il est difficile de l'apprécier, car deux opéras seulement ont été enregistrés. Celui de Mercadante est honorable, c'est de la bonne musique italienne ; celui de Ponchielli est une œuvre majeure du répertoire : la Gioconda est jouée régulièrement en Italie, aux Etats-Unis. L'opéra offre six rôles majeurs, qui présentent un déploiement spectaculaire de voix. Cet opéra annonce le vérisme musical.

Les deux autres n'ont pas été enregistrés, mais une amie, chef de chant à l'Opéra de Paris, a bien voulu nous en donner une lecture au piano, en fredonnant. Cela nous a déjà paru très beau. Elle nous a proposé aussi une petite lecture de l'opéra de Bruneau, qui nous a semblé plus austère, comme s'il évitait tout lyrisme… Evidemment, il faudrait l'entendre vraiment pour juger.

C. Millet : J'ai l'impression que l'un des problèmes posés aux librettistes et aux compositeurs par l'œuvre de Hugo est justement cette question du poétique ; elle les embarrasse ; tu l’as indiqué toi-même  : tel librettiste retranche des images et des figures, prosaïse le texte, mais aussi y ajoute des poèmes de Hugo, comme s’il corrigeait ses propres corrections.

A. Laster : C'est tout à fait exact. Beaucoup de livrets sont écartelés entre ces deux tendances.

C. Millet : Cela ne surprend pas s’agissant de ce que tu appelles « l'opéra naturaliste ». J'ignorais que ce "monstre" existât : l'esthétique naturaliste semble devoir mal s'accorder avec l'opéra!

A. Laster : L'opéra naturaliste est surtout connu par le vérisme, sa variante italienne. Ces opéras ont été de très grands succès, et pourtant ils sont rejetés par les critiques dits "de bon goût" jusqu'après la seconde guerre mondiale. Puccini a été le premier réhabilité, et cette réhabilitation touche progressivement les autres véristes.

Chez Bruneau, la musique est au service du texte, et refuse d'apporter par elle-même une poétisation. Mais la musique, à elle seule, peut être poétique, comme pour Pélléas et Melisande, de Debussy.

 Marieke Stein


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