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Séance du 31 mars 2001

Présents : Guy Rosa, Jacques Seebacher, Anne Ubersfeld, Stéphane Mahuet, Philippe Andrès, Delphine Van de Sype, Caroline Delattre, Arnaud Laster, Stéphane Desvignes, Jean-Marc Hovasse, Armand Erchadi, Judith Wulf, Agnès Spiquel, Stéphanie Rosier, Florence Naugrette, Delphine Gleize, Isabelle Violante, Christiane Gumilar, Claude Millet, Sandrine Raffin, Marie Tapié, Marieke Stein, David Charles, Margueritte Delavalse, Chantal Brière, Sylvie Vielledent, Olivier Decroix, Claude Millet, Vincent Wallez, Sharon Allen, Josette Acher, Bernard Leuilliot, Mireille Gamel, Hélène Cauchard, José-Manuel Losada-Goya, Bernard Degout, Denis Sellem, Jean-Pierre Vidal.


Guy Rosa présente M. José Manuel Losada-Goya, hugolien auteur déjà de plusieurs travaux, enseignant à la « Complutense », prestigieuse université de Madrid. J. Seebacher s'étonne qu'il n'y ait pas, à Madrid, d'études sur les voyages de Hugo en Espagne. Seul un ouvrage (pratiquement introuvable) de Jean Gaudon, Sur les traces de Victor Hugo (Editions de la Ville de Cauterêts, 1985) s'intéresse à ces voyages, et en particulier à celui de 1843. Hugo n'est sans doute pas allé en Espagne cette année là par hasard, ni non plus parce que le mariage de sa fille lui avait inspiré le désir d’un retour vers sa propre enfance : ce pays traversait alors une crise intérieure qui était aussi une crise internationale où se jouait la concurrence entre la France et l'Angleterre pour l'alliance espagnole.

G. Rosa présente également Madame Isabelle Violante, collègue italianiste, auteur de la biographie illustrée à paraître aux éditions Textuel signalée à la séance précédente.

Et fait part de l’heureuse naissance de la seconde fille de Véronique Dufief-Sanchez, Laure, le 26 février 2001… date bien choisie.

Rectificatifs

Les trois lettres de Hugo conservées au Musée de la Marine à Brest (voir séance précédente) ont été découvertes et transmises, non par Bertrand Abraham, mais par Denis Sellem.

A.Laster a été contacté par Poésie Gallimard, et non par Folio, pour une édition de La Légende des siècles; il n'a pas choisi d'utiliser l'édition Meurice (non d’ailleurs bien tendancieux, Hugo était vivant), car rien n'est encore décidé. Cette édition, corrige enfin A. Laster, n'a aucun rapport avec le programme de l'agrégation ; elle ne paraîtrait d’ailleurs probablement pas à temps.

A. Laster signale que l'interruption qui lui est attribuée dans le compte-rendu de la séance du 1° mars (sur Mitterrand qui n'a pas su profiter du centenaire de 1985 pour prononcer un discours) revient en fait à Nicole Savy. D'autre part, il n'a pas affirmé que Jack Lang ne connaissait pas Hugo avant 1985, mais a simplement dit que c'était probable. Enfin, c’est lui et non Jean Massin qui lors de l'émission de Françoise Giroud a dit que Hugo n'était plus une "vache sacrée", mais Massin devait être d'accord avec cette déclaration.

A. Laster s'interroge sur les corrections apportées lors d'une séance aux comptes-rendus antérieurs : sont-elles bien reportées sur le texte fautif publié sur le web ou figurent-elles seulement dans le compte-rendu de la séance où elles ont été signalées? Tout dépend de l'importance de l'erreur, explique Guy Rosa, qui en profite pour rappeler que l'informatisation des communications antérieures à 1997 est en cours : les intervenants éviteraient à la Bibliothécaire et à Guy Rosa un long et fastidieux travail s’ils voulaient bien retrouver et lui remettre la disquette de leurs communications.

Informations

Document

Denis Sellem communique copie d’une lettre d’avril 1881, adressée à Hugo par Xavier Svoboda pour l’Association libre des Hommes de lettres de la Petite Russie. Dans un style très fleuri et non moins elliptique, qui fait qu’on a peine à comprendre de quoi il s’agit exactement, elle demande à Hugo son intervention en faveur de la Liberté

 

Internet

G. Rosa a ajouté au site du Groupe une page indiquant les sites fournissant en ligne des œuvres de Hugo. Un internaute hugolien –et, plus exactement un hugolien internaute-, M. Jacques Cassier lui ayant signalé des oublis, un correspondance s’en est suivie. La suite est moins banale, presque miraculeuse puisque G. Rosa a ainsi appris que M. Cassier  avait entrepris depuis longtemps et maintenant mené à bien non seulement une très vaste et sans doute quasiment exhaustive bibliographie hugolienne informatisée (15 000 entrées!), mais aussi une table des Fragments tels que publiés par les différents éditeurs, avec référence de l’édition, du manuscrit, de la cote Gâtine, etc. (on se souvient que le même projet avait été proposé par G. Rosa au groupe, qui avait reculé devant l’effort). M. Cassier vérifie actuellement les textes sur les manuscrits. Proposition lui a évidemment été faite de publier, sous son nom bien sûr, en totalité ou en partie, l’un ou l’autre ou les deux éléments de ce magistral ensemble sur le site web du Groupe. [Depuis, les choses ont avancé et l’on croit ne manquer ni à la prudence ni à la discrétion en disant qu’elles sont en bonne voie (leur financement aussi), d’abord pour la bibliographie, dont il est superflu de souligner l’immense intérêt.]

A. Ubersfeld s'interroge sur le classement retenu pour les Fragments : quel sera-t-il ? l'informatique, répond G. Rosa, a cet avantage décisif (qui vaudrait aussi pour l’édition d’une correspondance, par exemple), qu'elle permet au lecteur d’obtenir le classement qu'il souhaite : par date, par cote, par manuscrit, par éditeur et même par l’initiale du premier mot si l’on y tient. Elle permet aussi l’interrogation –sur un mot, un groupe de mots, etc.

G. Rosa a également été contacté par M. Jacques-Rémy Dahan, grand spécialiste de Nodier : deux corrections étaient à faire dans la chronologie –et ont été faites- pour la restitution à Nisard de deux articles ordinairement, mais à tort, attribués à Nodier, l’un sur Les Orientales¸ l’autre sur Le Dernier Jour d’un condamné,. Il n’est pas exclu que M. Dahan puisse et veuille bien contribuer à l’enrichissement et à la correction de la chronologie.

 

Publications, colloques

Une communication d'A. Laster sur quatre livrets d'opéra d'après Angelo, tyran de Padoue, paraîtra bientôt, ainsi qu'un article de Danielle Gasiglia-Laster sur "Les Métamorphoses de Claude Frollo" dans les opéras. Ces travaux seront présentés au groupe à la séance du 19 mai par A. Laster et, peut-être, par son épouse.

 

J.-M. Hovasse et J. Seebacher signalent la publication, par Gérard Pouchain (éditions Corlet, à Condé-sur-Noireau), de 500 lettres de Juliette Drouet à sa famille de Fougères. Pour seulement 220 francs, on pourra découvrir des lettres fort bien écrites, enjouées, qui fournissent de précieux renseignements aussi bien sur la vie quotidienne au XIXème siècle que sur Victor Hugo, ses jours de présence auprès de Juliette, leurs questions d'argent…

 

B. Degout a donné aux Cahiers Roucher-Chénier un article, à dire vrai plus destiné aux hugoliens qu’aux admirateurs d’A. Chénier, consacré aux écrits du jeune Hugo sur Chénier, du Conservateur Littéraire aux Orientales. Il paraîtra dans le trimestre qui vient.

 

S. Raffin signale l'annonce dans Le Monde des livres, rubrique "Best-sellers", d'une Suite des Misérables, par François Cérésa, en deux volumes. Un budget publicitaire d'1,5 million de francs serait consacré par Plon à cette entreprise créatrice et originale. Une autre suite,  signée Kalpakian, a déjà été publiée aux Etats-Unis.

 

Les Editions du Garde-Temps publient une collection d'ouvrages sur les parfums (George Sand, une Histoire en parfums…) . Ce sont de beaux livres, parfumés (certaines pastilles frottées, une senteur s’en dégage), dont l’éditeur cherche un auteur pour un volume Hugo. Contacter Mlle Arielle Picaud (01-44-78-84-77).

 

Le n°133 du Bulletin de la Société Jules Verne (Ier trimestre 2000), ainsi que le n° 127, de 1998, s'intéressent à Hugo, dont on sait que Verne était grand admirateur. Dans le plus récent, un article de M. O. Dumas est consacré à l’un de ces nombreux anagrammes et astuces numériques que Verne glisse dans ses œuvres : il est possible que le numéro du Billet de loterie provienne de la date d'une visite rendue par Verne à Hugo à Guernesey (après l'exil).

 

Le Bicentenaire

Un comité pour la célébration de Victor Hugo à l'étranger aurait été créé et serait présidé par Jean-François Kahn ; il émanerait du Ministère des Affaires étrangères.

A ce propos, A. Ubersfeld indique qu’une sienne amie, spécialiste russe de littérature française, souhaite préparer une célébration de Hugo, à Moscou et Saint-Pétersbourg : un ou plusieurs spectacles, un colloque.

 

Spectacles, cinéma

Mireille Gamel signale la diffusion de l'adaptation des Misérables par Fescourt, à la cinémathèque de Chaillot, le 7 avril, de 16 à 24 heures (non que ce soit un « cinéma permanent », mais le film dure 8 heures). On y diffuse aussi l’adaptation, plus accessible, de Raymond Bernard, avec Harry Baur.

            Les affiches du métro annoncent le retour de Notre-Dame de Paris, prochainement à Mogador. A. Laster signale deux autres reprises, à l'Opéra de Paris qui semble fêter déjà le bicentenaire : l'excellent Rigoletto mis en scène par Savary, en septembre ; le ballet Notre-Dame de Paris, avec musique de Maurice Jarre et chorégraphie de Roland Petit, probablement en octobre.

 

Ventes aux enchères

J. Seebacher informe d’une vente à l'Hôtel Drouot, ce lundi 3 avril, de livres et manuscrits dont des lettres de Hugo et, en particulier, l’une de celles écrites lors de la fuite de Juliette Drouet, jalouse de Blanche. Dans une autre vente, le 9, des brouillons pour Les Misérables. B. Leuilliot suspecte qu’il s’agit d’un lot déjà passé en salle à plusieurs reprises et, apparemment, sans grand intérêt ou vraiment trop cher puisqu’il n’a pas encore trouvé acquéreur définitif.

           

 Compte-rendu, par Judith Wulf, de Representational Strategies in Les Miserables and selected drawings by Victor Hugo, de Jim Phillips.

            L'auteur de l'ouvrage propose une analyse des Misérables et de certains dessins de Victor Hugo qui s'appuie sur une "comparaison des supports" ("intermedial comparison"), afin de souligner le parallélisme de fonctionnement des codes textuel et pictural chez Hugo. L'objectif de cette étude est de mettre en évidence une stratégie de visualisation dans les dessins et dans le texte.

 L'approche choisie est réceptive, le critique se plaçant du point de vue du lecteur ou du spectateur, tout en proposant l'idée que, chez Hugo, ces deux catégories sont brouillées ; Hugo, en effet, élabore une stratégie destinée à guider le regard du lecteur pour en faire un spectateur, alors qu'à l'inverse le spectateur est amené à lire les dessins.

Dans un premier temps, Jim Phillips s'interroge sur les raisons pour lesquelles Hugo utilise à la fois le dessin et l'écrit ; ce choix lui permettrait d'articuler une dimension réaliste, matérielle, mimétique, et une dimension abstraite, de mêler donc expérience vécue et dimension artistique.

Le support verbal est étudié le premier. L'auteur pointe le procédé de la description statique (en prenant l'exemple de l'arrivée de Fauchelevent chez le fossoyeur), qui produit une impression de synchronie, de simultanéité, par opposition à la diachronie attendue de l'écrit. Il signale ensuite l'actualisation, dans le texte, de clichés présents dans le code pictural. Enfin, l'auteur s'intéresse à la manière dont Hugo, à travers son recours fréquent à la copia, travaille la matérialité du texte, créant un effet moins réaliste qu'abstrait.

 Par ces différents procédés, Hugo crée un double niveau d'interprétation opérant un brouillage entre les supports et jouant sur des effets d'ordre intertextuel.

 S'intéressant ensuite à la technique picturale de Hugo, l'auteur souligne le procédé emblématique de la tache d'encre qui privilégie un point de départ aléatoire et se poursuit par un processus d'élaboration réfléchi : dans le cadre de son étude deux aspects des dessins de Hugo sont donc retenus : mise en valeur de la dimension spatiale et articulation de l'inconscient et de la technique.

Après avoir étudié les différents supports de manière spécifique, l'auteur en vient à l'analyse comparative à proprement parler. La tension entre précision et nébulosité dans le dessin trouve un écho dans le jeu textuel qui vise à articuler singularité et généralité; à l'utilisation picturale d'"espaces situationnels" répondent les effets d'évanescence du texte. La frontière entre les deux codes se brouille : certains dessins comme Justitia ou Ecce lex obligent à une réception diachronique des différents détails, qui rappelle la découverte progressive des caractères dans le code textuel; à rebours, le texte guide le regard du lecteur et le force à devenir conscient de l'acte visuel (comme Jean Valjean dans "Buvard, bavard", qui dégage progressivement un sens d'une tache). Dans le texte, la description, très précise au départ, devient évanescente, rejoignant la dimension spatiale propre au code pictural ; dans le dessin, le regard part de la tache pour circonscrire progressivement des zones d'information, pour dégager une forme de l'informe, si bien que le spectateur finit par "lire" le dessin. Pour finir, James Phillips insiste sur la combinaison, chez Hugo, de l'image et du symbole graphique ( on remarque beaucoup de lettres, d'initiales dans les dessins de Hugo, et les descriptions, de leur côté, renvoient au symbole, comme l'égout, assimilé à un hiéroglyphe ) ce qui souligne la volonté de se libérer des limites du supports.

En conclusion, l'auteur insiste sur cette interaction entre texte et image qui est au centre de l'interrogation artistique de Hugo et qu'on peut considérer comme "l'archéologie de la modernité". Le but des différentes techniques picturale et verbale est de surpasser les limites du matériau; hésitant entre lire et regarder, lire et visualiser, le "lecteur-spectateur" finit par faire deux opérations en une.

 

Judith Wulf donne son avis sur cette étude : l'idée que l’œuvre de Hugo cherche à se libérer des supports est une piste de recherche intéressante. Proche de son travail sur le mélange des genres, cette pratique manifeste sa volonté de sortir des cadres aussi bien génériques que matériels, ce qui constitue l'une des formes de sa modernité. L'analyse, bien construite et appuyée sur des textes et des dessins précis, est très intéressante en ce qui concerne les modes de réception de l'abstrait et du concret; en dépit de l'intention réaliste de Hugo de dépeindre la vie de tous les jours, celle-ci n'est jamais actualisée. Au lieu de cela, il joue sur la textualité pour déplacer la représentation mimétique vers la construction d'une version. Il s'agit là de la dimension pragmatique de l’œuvre, primordiale chez Hugo, qui consiste à mettre en place des stratégies visant à exploiter les attentes du lecteur. L'analyse de la simultanéité de la description, qui transformerait la lecture en regard, aurait mérité d'être approfondie.

Discussion

D. Gleize : Je n'ai pas bien compris la notion "d'espaces situationnels".

J. Wulf : L’expression désigne simplement des représentations spatiales qui deviennent peu à peu des zones d'information, porteuses de sens.

 

J. Seebacher: Les dessins sont-ils choisis au hasard, et indépendamment de la chronologie?

J. Wulf : Oui, en fonction de leur aspect représentatif de l'œuvre picturale de Hugo.

D. Gleize : Le rapport de l'image et du symbole a déjà été étudié. La présence de clichés d'origine picturale dans les textes est bien plus intéressante. Des images sont importées dans le texte, mais complètement retravaillées, comme minées de l'intérieur, assimilées par Hugo. Cette assimilation mérite l'attention.

            Je trouve contestable en revanche l'utilisation des catégories de l'abstrait et du concret à propos des dessins. Utiliser ces catégories, c'est remédiatiser les dessins par le langage, alors que Hugo dessine, justement, pour éviter la médiatisation et revenir à la matérialité.

C. Millet : Je trouve peu pertinente aussi la dualité entre réalisme et onirisme, alors que justement Hugo veut détruire ces catégories.

J. Wulf : N'oublions pas que Jim Phillips adopte le point de vue de la réception, et que les catégories qu'il utilise ne sont pas génétiques. Hugo joue avec certaines attentes de ses lecteurs; or, on ne peut nier que le lecteur attende quelque chose de différent selon que le support est abstrait ou concret.

 

J. Seebacher: C'est ce point de vue de la réception que je mets en doute. Comment définir ce lecteur abstrait, cet "archi lecteur", et comment deviner ses "attentes"? Je regrette également que cette étude évince les problèmes de la matérialité : le dessin, le papier, la plume…

            A propos des dessins, quand on fréquente les manuscrits de Hugo, on remarque beaucoup de petits croquis, comme ce Quasimodo "en pied" qui mesure à peine deux centimètres de haut! On voit bien que ce croquis est en rapport direct avec la description de Quasimodo, sur un autre feuillet. Et cela pose beaucoup de questions : Hugo s'est-il servi du croquis pour rédiger le portrait, d'après sa vue intérieure? Quand Hugo écrit du bossu que "ses jambes ressemblaient à deux faucilles", l'image ne part-elle pas de ce croquis? Même chose pour la description du Châtelet comme "une botte de tours" : le croquis, qui ressemble à une botte d’asperges, est premier, manifestement.

            A l'époque de Hugo, le croquis à main levée qui fixe les traits essentiels d'un être ou d'un objet fait d'ailleurs partie de la formation de base de tout écolier…

            La grande question posée par tous ces dessins est : qu'est-ce qui est premier? C'est très important, surtout quand on a affaire à des métaphores.

            Hugo importe également des références picturales dans ses textes, comme l'eau-forte de Goya dans le portrait de la Sachette.

J. Wulf : En cent pages, Jim Phillips n'a pas pu traiter toutes ces questions, et d'ailleurs il sait que cela a déjà été fait.

A. Laster : Je voudrais donner deux exemples problématiques et contradictoires. D'abord, ce croquis sur le manuscrit du Roi s'amuse, "le dernier bouffon rêvant au dernier roi" : il est bien postérieur à l'écriture de la pièce. Ensuite, un autre dessin, représentant Goulatromba, qui est, lui, contemporain du texte écrit. Est-il à l'origine du texte, ou en est-il la suite immédiate?

J. Seebacher: La même question, presque métaphysique, se pose à propos du Carnet de la fin 1857 ; il est plein de caricatures accompagnées de légendes : le croquis précède-t-il la légende, ou est-ce l'inverse?

A. Laster : Journet comparait le mode de création du dessin, à partir d'une tache, et la création poétique qui partirait elle aussi d'un noyau nébuleux, de quelques vers, ensuite développé.

J. Seebacher: Mais ce noyau lui-même est très construit, souvent tripartite.

A. Laster : Oui, c'est ce qui fait la différence entre ce noyau et la tache d'encre.

            On peut penser que Hugo, dans ses croquis, dessinait un personnage presque inconsciemment, et en tirait ensuite un portrait par un véritable travail de recherche.

B. Leuilliot : Dans Quatrevingt-treize, Hugo donne de la Tourgue une étymologie fantaisiste (ce nom viendrait de "douve" et de "tour"), qui est l'effet, a posteriori, des rochers de Douvres qu'il donne à voir dans Les Travailleurs de la mer, où il les compare à une tour foudroyée.

            Autre remarque : le début du dernier chapitre de Quatrevingt-treize est surmonté, dans le manuscrit, d'une minuscule guillotine de six millimètres et demi, dans l'angle supérieur gauche. A quel besoin correspond cette figuration d'une petite guillotine? Il y aurait autant d'analyses à faire que d'exemples concrets…

D. Gleize : Autre exemple : on trouve des dessins de la maison visionnée des Travailleurs de la mer qui sont très postérieurs au texte. Ce sont là des rappels, qui n'ont rien à voir avec l'élaboration du texte. Ont-ils un effet conclusif? Est-ce là la suite de processus créatif, qui se poursuit après même que le texte a été édité?

 


Communication de Florence Naugrette  : «Le devenir des emplois comiques et tragiques dans le théâtre de Hugo»  (voir texte joint)


Discussion

A. Ubersfeld :  Je suis mille fois d'accord avec votre analyse. J'aimerais qu'un jour quelqu'un parle de Népomucène Lemercier, grand dramaturge dont l’œuvre a sombré parce qu'il n'était pas aussi un écrivain, un poète.

            Une rectification : dans Ruy Blas, on trouve trois rôles, et non deux : le valet comique, le jeune premier, et le traître…

            Autre problème essentiel du théâtre de Hugo, celui de l'identité. Le héros hugolien n'a pas de nom, pas d'identité : il l'a perdue, ou ne l'a jamais eue, ou l'histoire la lui a ôtée, comme pour Hernani. C'est un problème qui marque la naissance de l'individualisme à l'époque romantique..

 

C. Millet : La fin de ta communication, où tu parles du détournement des emplois, donne une lecture optimiste du théâtre de Hugo. Une lecture pessimiste constaterait leur permanence.

G. Rosa : Le détournement des emplois n’est pas si optimiste : une fois les emplois disparus, leur détournement cesse d’être intelligible ; ce pourrait être l’écueil majeur pour les représentations de Hugo et la raison de l’espèce d’insatisfaction qu’elles provoquent, même justes, voire excellentes.

 

B. Leuilliot : La question du grotesque chez Hugo m'a toujours laissé perplexe. Lui-même n'était peut-être pas aussi à l'aise avec cette notion qu'on l'a dit. Il y a en effet deux sortes de grotesque : le premier, celui qui est l'envers du sublime, n'est pas propre à Hugo ; Voltaire le pratique qui, quand il écrit l'histoire, montre souvent le revers grotesque des faits les plus sublimes.

            L'autre grotesque se conçoit moins aisément : il tient au grotesque du couple où le grotesque entre avec le sublime, au fait même que le sublime ait pour envers le grotesque. Avec le temps, ce grotesque au second degré s’impose et domine. Hugo le formule explicitement dans le commentaire de la scène de la chambre des Lords dans L’Homme qui rit : « Jamais l’éternelle loi fatale, le grotesque cramponné au sublime […] n’avait éclaté avec plus d’horreur. » On a là quelque chose de tout à fait nouveau par rapport à la Préface de Cromwell, et de plus fort.

A. Ubersfeld : Toute bonne mise en scène de Ruy Blas, au lieu de souligner en gros rire le comique, en réalité bizarre, vaguement fantastique et profondément inquiétant, de l’acte IV, devrait essayer de montrer que dans le ministre il y a toujours le valet. Il y a de grands moments de grotesque chez Hugo, non seulement l’allure de Ruy Gomez dans la scène des portraits, grandiose et gâteux (Vitez le jouait admirablement), mais aussi ce discours de Carlos dans Hernani : un tout jeune homme, pas très sérieux, provoquant la mort en lançant cet immense discours!

V. Wallez : Les metteurs en scène, souvent, ne savent pas représenter le grotesque et le dégradent en parodie –qui se retourne contre le texte. Si on veut produire un effet sur le spectateur, c'est souvent au détriment de cette complexité.

C. Millet : Rappelons que la dualité grotesque/sublime se joue seulement dans le sphère de l'humanité. Dieu, lui, est sublime sans mélange.

A. Ubersfeld : Le terme "grotesque", quand Hugo le lance, est une référence historique au baroque.

B. Leuilliot : Il ne l'utilise plus à partir de 1854.

A. Laster : C'est peut-être parce qu'il s'est rendu compte que ses détracteurs l'utilisaient contre lui.

            On ne peut pas dire que Hugo refuse le drame moderne : il écrit bien Mille Francs de récompense!

 

G. Rosa (taquin, à Florence Naugrette) : David Charles et moi trouvons, après concertation, que vous avez une certaine tendance révisionniste, qui a dû être agréable à la Sorbonne : non seulement le mélange des genres et la fin des emplois sont antérieurs à Hugo, mais aussi le drame romantique ne parvient pas à rompre avec le système classique dont il maintient les emplois. D’ailleurs, les deux assertions ont quelque chose de vaguement contradictoire.

F. Naugrette : J'ai dit surtout que le drame romantique ne vient pas de nulle part… Pour le reste, j’ai un peu changé mon texte et offert à chacun de mes deux auditoires ce qu’il n’attendait pas. Si bien que « la Sorbonne » n’a pas été plus contente que toi : plusieurs, effectivement, auraient aimé m’entendre accréditer l'idée que Hugo n'a rien inventé.

C. Millet : Florence a précisé que Hugo se sert de la permanence d'une pratique théâtrale ; il n'utilise pas les emplois codifiés du XVIIIème siècle, mais utilise la pratique contemporaine des emplois en la brouillant ou en la contredisant.

G. Rosa assure qu’il avait compris. Plus sérieusement : le drame bourgeois est-il plus un théâtre à emplois que celui de Hugo?

 

A. Ubersfeld : Surtout, les emplois ne sont pas les mêmes à la Porte-Saint-Martin et à la Comédie-Française ; Hugo se réfère plus aux premiers qu’aux seconds ; c'est la raison pour laquelle il est rapidement et très bien joué à la Porte-Saint-Martin, et qu'il rencontre plus de difficultés à la Comédie Française.

            Il existe deux sortes d'emplois : ceux liés à la tragédie et à la comédie classiques et ceux des formes populaires, comme le mélodrame. Ils sont différents, même si le traître, le jeune premier, le père noble sont communs –du moins par la désignation, mais pas par le jeu. Hugo, lui, mélange tout : tragédie, comédie, mélodrame… Et il fait, non systématiquement mais pas non plus par exception, jouer les acteurs à contre-emploi : Frédérick Lemaître en Ruy Blas et non en Don César, comme l’intéressé s’y attendait.

 

G. Rosa : Dire que la révolution théâtrale a été l'œuvre du drame bourgeois, c'est rejoindre la thèse de Jean-Marie Thomasseau, selon laquelle en refusant de poursuivre dans cette voie, le drame romantique et Hugo ont fait régresser la dramaturgie… La thèse est soutenable et ce que vient de dire Florence va, en partie, dans ce sens.

 

A. Ubersfeld : Mais Thomasseau et d'autres oublient que la particularité de Hugo est d'avoir appuyé son théâtre sur une poétique. On se souvient de la polémique (amicale) entre Hugo et Dumas : la poésie est-elle consubstantielle au théâtre?

V. Wallez : Beaucoup de pièces se montent où l'on néglige complètement l'écriture, en disant "le théâtre n'est pas de la littérature".

A. Ubersfeld : Tout à fait. Bien sûr, un spectacle peut être construit sur une poétique du visuel (la "performance", la poétique des images…) ; mais n'oublions pas que le théâtre est le fonctionnement des humains comme parlants. On ne peut donc pas négliger l'écriture.

V. Wallez : A propos des emplois, je crois que le public d'aujourd'hui les a encore bien en tête, et les connaît par le cinéma, et surtout par l'éducation scolaire classique.

 

G. Rosa (toujours taquin): Rien d’étonnant et cela peut nourrir une objection à Florence : jeune premier, jeune première, barbon, père noble : les emplois ne dessinent qu’une anthropologie. De sorte qu’ils sont partout utilisés de manière directe ou plus ou moins biaisée. La preuve, ton analyse du détournement des emplois ou de leur mélange vaudrait tout aussi bien, par exemple, pour Claudel.

F. Naugrette : A ceci près que l’exemple n’est pas choisi au hasard. On sait bien que Claudel a appris le théâtre chez Hugo.

A. Ubersfeld : Et, dans Partage de midi, repris sciemment les personnages d'Hernani.

 

C. Millet : Les emplois dépendaient aussi des acteurs disponibles, et de leurs attentes. On était mieux payé en reine qu’en duègne.

G. Rosa : On n’a pas parlé de la grille des emplois de la Commedia dell'Arte. Voilà un beau sujet de thèse vaseuse : Hugo et la Commedia dell’Arte !

 Marieke Stein


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